LES
ANCIENS POETES
DE LA FRANCE
La première partie du recueil des Anciens Poètes de ia
France renfermera le cycle carlovmgien , et formera quarante
volumes semblables à celui-ci.
L'examen des qu^Mion»; auxquelles p<ul donner lieu la
publication de ce : la haute direction
d« S. Exe. M. t II publique, à une
Comnission composée ue MM. :
Le Marquis di La Gmnci, sénateur, membre de
rinstitut, Prisidtnt;
F. GuttSAKO , professeur ï l'Ecole impériale des
ChMn,déUgui de la Commission pour U direction du
Recueil ;
Francis WiY, inspecteur général des archives dépar-
tementales ;
Henri Micmilaht, membre de la Société des anti-
quaires de France, employé au département des ma-
ntucritsde la Bibliothèque impériale.
cal If aiwriim dam toidtt 6« pubUcadot.
LES
ANCIENS POETES
DE LA FRANCE
Publiés sous les auspices
DE S. EXC. M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION
PUBLIQUE
Et sous la direction
DE M. F. GUESSARD
MACAIRE
PARIS
Librairie A. Franck
RUS DE RICHEL lEU, 67
MDCCCLXVI
P«rfi. — ImpùaU fvar tùUkUf T , rue S.» HoaorI, | }l.
MACAIRE
CHANSON DE GESTE
MACAIRE
CHANSON DE GESTE
Publiée d'aprls le manuscrit unique de Venise ,
avec un essai de restitution en regard
PAR
M. F. GUESSARD
PARIS
Librairie A. Franck
RUE DE RICHELIEU, 67
MDCCCLXVI
' 2 4455
PRÉFACE.
^ai trouvé ce poëme sans titre dans
Punique manuscrit qui nous Pait con-
servé, en sorte que j'en suis à la fois
Péditeur et le parrain.
Je lui ai donné un nom , je le sais,
qui n'est guère recommandable. En dépit de son
étymologie et du parfum de sainteté qu'il ex-
hale, ce nom malheureux était déjà bien mal noté
au moyen âge (') , et Pest aujourd'hui plus que
jamais. Aussi ne l'ai-je pas choisi , mais subi ,
I. Voyez, par exemple, Huon de Bordeaux y p. u6 :
Là ejfMacaires, .1. traîtres prouvés.
Fierabras , p. 1 3 3 :
L'emperere manda Guenelon et Hardrè ,
Grifonnet d^Autefuelle 0 le grenon mellé^
Abri et Macaire et des autres assis.
Aiol et Mirabelj ms. de la Bibl. imp. , La Val., 80, fol.
120 yo, col. 2 :
Makaire de Losane fu malparliers.
Notre Macaire s'appelle précisément comme celui qui figure
dans Aiol et Mirabel :
Machario de Losane se fait apeler.
Macaire, a
ij Préface.
pour ainsi parler , et fort à conire-cœur , sachant
surtout que ce n'était pas le véritable titre de
l'ouvrage, celui ou'il portail autrefois cl sous le-
(^uel il a été iraauii à l'étranger. Ce vrai titre,
tiré du nom de l'hérome, était, sans aucun doute :
La Ri-int Sibili. Mais comment le conserver à !a
version que je publie, où Sibile s'appelle Blanche
fleur ? Substituer ce nouveau nom ù l'ancien ,
ce n'était pas remédier au mal ; c'était plutôt
l'aggraver en introduisant un élément de con-
fusion dans le catalogue de notre histoire litté-
raire. En etîei , ce nom gracieux de Blanche-
tleur, si cher aux trouvères, se trouve déjà en
tête d'une de leurs compi' et bien qu'il y
soit associé à un autre, je I, ^ is sans craindre
cette répétition dans la série aes titres de nos
anciens poèmes Voilà comment j'ai été conduit
à préierer le nom d'un coquin .1 iclui d'une
reme vertueuse.
C'est dire assez que je n'a< :c a choisir
qu'entre ces deux noms : celu. _. .nnocence et
celui de son persécuteur. Il y a bien encore dans
cette curieuse composition un troisième person-
nage qui y joue un grand rôle ; un personnage
que l'histoire a longtemps emprunté au roman ,
que les arts, aue le théâtre ont rendu populaire
et dont l'érudition a discuté l'existence dans une
savante dissertation. Ce n'est au'un chien, il est
vrai , mais un chien célèbre : le chien de Mon-
targis. F^ar malheur , je ne pouvais me servir de
ce titre tout fait sans me rendre coupable d'un
gros iue le chien de Montar-
gis nu ^i». ..M. .. ..w V " ' '"L^temps après sa
ruissance, c'cst-à-dirclo;. après la lin du
Préface. iij
XI F siècle, date probable du poëme que je pu-
blie.
Si ce poëme n'appartenait pas au genre sé-
rieux , au moins par l'intention , le meilleur titre
qu'on lui pût adapter serait sans doute celui
d'une des comédies de Molière , en substituant
simplement le nom de Charlemagne à celui de
Sganarelle. Le grand empereur, en effet, y joue
un rôle analogue à celui de l'époux trop soupçon-
neux que notre grand comique a mis en scène, à
cela près que Charlemagne, dont l'infortune n'est
pas moins imaginaire que celle de Sganarelle , a
cependant pour y croire de plus fortes raisons
que lui.
C'est après ces réflexions , et non à la légère ,
comme on le voit, que je me suis décidé à resti-
tuer à notre histoire littéraire , sous le titre de
Macalre, la chanson de la Reine Sihile^ dont on
connaissait depuis longtemps l'existence et le
sujet, mais dont on croyait l'original à jamais
perdu.
Je n'oserais dire absolument que je l'ai re-
trouvé. Ce serait faire trop d'honneur à l'Italien
qui l'a enchâssé dans la vaste compilation d'où
je le tire ; ce serait peut-être aussi paraître trop
satisfait de mon essai de restitution. Or, je n'ai
garde de tomber dans ces deux excès. Il n'est
pas besoin d'être grand clerc pour reconnaître
combien est altéré le manuscrit que je publie^ et
j'ai peur qu'il soit aussi trop aisé aux juges com
pétents d'apercevoir les imperfections de mon
travail. J'estime toutefois que , l'un portant
l'autre , le texte de Venise et le mien donneront
au lecteur une idée suffisante de la singulière
iv Préface.
composition qu'ils reproduisent tellement quelle -
ment, et qui , défigurée d'un côté, s'efforce de
reprendre de l'autre sa physionomie et ses traits
primitifs.
Voici le fond de ce roman, dont une partie ,
et la moins vraisemblable , a été si longtemps
prise au sérieu.x et considérée comme histo-
rique.
Charlemagne, oubliant trop aisément les sou-
venirs de Roncevaux , a admis à sa cour et dans
son intimité un chevalier de cette race de
Mayence qu'il eût dû haïr à jamais, un parent
du traître Ganelon , Macaire de Losane. il a
bientôt sujet de s'en repentir. Macaire ose re-
garder d'un œil de convoitise l'épouse m6me de
son seigneur, la belle et vertueuse Blanchetleur,
fille de l'empereur de Constantinople. Il tente
d'abord par de doux propos de conauérir ses
bonnes grâces; la reine le repousse et l'éconduit
avec indignation. Irrité, mais non découragé,
Macaire a recours, pour continuer sa poursuite,
à l'entremise d'un nain fort aimé du roi , de la
reine surtout, et très-familier avec elle. Le nain,
séduit par de belles promesses , consent ù servir
les desseins de Macaire. Il en est bien puni.
Blanchefleur le chùtie , et si rudement qu'il en
garde le lit pendant huit jours. Dès lors Macaire
ne songe plus qu'à se venger, et c'est encore
au nain qu'il demande assistance , au nain ou-
tragé comme lui, plus que lui, et animé du même
esprit de vengeance, il lui persuade de se ca-
cher le soir derrière la porte de la chambre du
roi , et quand Charlemagne se lèvera , selon sa
coutume , avant l'aube du jour , pour assister
Préface. v
à matines, d^aller prendre place dans sa couche,
à côté de la reine. Charlemagne l'y trouvera au
retour, ne manquera pas de croire Blanchefleur
coupable et la fera brûler vive. Quant au nain,
quel risque peut-il courir? Il dira pour se justi-
fier qu'il n'a fait que se rendre à l'appel de la
reine, cette fois comme bien d'autres. D'ailleurs
Macaire sera là pour le défendre, s'il y avait
péril.
Le nain saisit avec joie l'occasion qui s'offre à
lui de venger son affront. Il suit de point en
point les instructions de Macaire, et delà la scène
prévue. Charlemagne, en revenant de matines,
aperçoit sur un banc les vêtements et dans son
lit la^grosse tête du nain. Il reste muet de con-
fusion, de douleur, de courroux, sort de sa
chambre éperdu , et se rend à la grande salle du
palais, où il trouve Macaire déjà levé, avec quel-
ques autres chevaliers. Il les conduit près de sa
couche, où le nain est encore à côté de la reine
endormie. Interrogé par Macaire lui-même, le
nain répète la leçon qu'il a apprise du traître.
Cependant Blanchefleur s'éveille, et, se voyant
ainsi entourée, ainsi accusée, ne trouve pas un
mot pour se défendre. Charlemagne jure qu'elle
sera brûlée vive.
Il le jure ; mais si grande est sa tendresse pour
Blanchefleur qu'il oublierait peut-être son ser-
ment n'était la crainte du blâme, n'étaient les
instances de Macaire et des siens qui le poussent
à faire justice. Il s'y résigne, et déjà le bûcher
est allumé, lorsque Blanchefleur en face de la
mort demande un confesseur. L'abbé de Saint-
Denis vient remplir cet office. Il entend la mal-
vj Priîfacf..
heureuse reine, l'inierrope, se persuade de son
innocence, et détourne Charlemagne Je l.i livrer
au supplice , d'autant plus au'elle s'est déclarée
enceinte. Alors, sur l'avis du duc Naimes , son
sat^e conseiller, le roi lui tait grAce de la vie, et
la bannit seulement de son royaume. Un jeune
damoiseau nommé Aubri est chargé de la con-
duire en exil, il part avec elle , au grand regret
de chacun et de Charlemagne lui-même.
M.i .ussi, mais par un autre sentiment,
voit i ^ .1 avec un cruel déplaisir : sa ven-
geance lui échappe Pour la ressaisir, il s'arme,
monte à cheval . et s'élance à la poursuite de
l'exilée et de son compagnon. Il les rejoint,
somme Aubri de lui abandonner la reine, et, sur
son refus, \\i" -t le tue. Effravée ;^ !a vue
du combat, i ; s'est enfuie dans un bois
voisin. Macaire ne la retrouve pas, et revient à
Paris chargé d'un crime de plus.
Aubri avait un lévrier cjui le suivait partout.
Le lévrier ne le quitte pomt , même après sa
mort. Il reste là trois jours, et ce n'est que
vaincu par la faim qu il reprend le chemin de
Paris. Il arrive ik l'heure du diner, court au pa-
lais, où les barons sont à table, aperçoit Ma-
caire, se jette sur lui , le mord cruellement au
visage, prend du pain sur la table et s'enfuit
|>our retourner auprès de son maître , laissant
toute la cour dans l'étonnement. Les barons se
demandent si Aubri est déjà de retour. Ils ont
bien cru reconnaître son lévrier. Le chien revient
une seconde fois à la même heure; mais les gens
de Macaire sont sur leurs gardes; il ne peut l'at-
teindre et s'en retourne encore avec du pain.
Préface. vij
Alors les soupçons s'éveillent. Pour les éclaircir,
Charlemagne et ses barons se promettent de sui-
vre le chien quand il reviendra. Il revient, fait
découvrir le corps d'Aubri et en même temps le
crime de Macaire. >
Interrogé par Charlemagne, l'accusé nie et
offre de prouver son innocence par les armes ;
mais personne n'ose combattre un adversaire
aussi puissant, aussi bien apparenté. La justice
restera-t-elle donc sans champion .? Le vieux duc
Naimes s'indigne à cette pensée, et propose de
mettre aux prises Paccusé et l'accusateur, Ma-
caire et le chien d'Aubri. L'empereur et ses
barons s'empressent d'y consentir. Les parents
même de Macaire acceptent avec joie une
épreuve qui ne leur paraît pas redoutable. Le
duel a lieu ; Macaire est vaincu. Il fait l'aveu
de son crime et en subit la peine. Il est traîné
partout Paris à la queue d"un cheval, et brûlé
ensuite.
Cependant qu'est devenue la reine, cette vic-
time innocente que Charlemagne n'espère plus
revoir ^
Après la mort d'Aubri, elle a erré longtemps
dans le bois où elle sest réfugiée. Comme elle
en sort, elle rencontre un pauvre bûcheron nom-
mé Varocher, qui la reconnaît, s'étonne de la
trouver seule, et lui offre ses services. Blanche-
fleur lui fait part de son infortune, de son exil ,
et le supplie de l'accompagner jusqu'à Constan-
tinople, OLi sont ses parents. Le bûcheron n'hé-
site pas : il prend à peine le temps de dire adieu
à sa femme et à ses enfants , et se met en route
avec l'exilée.
viij Prékacf.
Varocher avait plus de cœur que de mine, ei
le contraste était grand entre cette jeune et belle
reine et son rustique compagnon à l'aspect sau-
vage, à laccouircmcnt grossier, à la chevelure
épaisse et emmêlée. Un gros bAlon noueux dont
I nonnéte bûcheron s'était armé .> ^ t d'en
faire un personnage des plus éi: , , à ce
point que nulle part on ne pouvait le regarder
sans ri -s le croire hors de son bon sens.
C'est a rtée que la reine voyage jusqu'en
Hongrie. Sa grossesse ne lui permet pas d'aller
plus loin. Elle s'arrête dans une hôtellerie, où elle
ne tarde pas à accoucher d'un fils.
Blanchetleur, qui n'a garde de se faire con-
naître , donne à croire que Varocher est son
époux, et le jeune héritier du sceptre de Charle-
magne est sur le point d'avoir pour parrain l'hôie
de sa mère. Mais la Providence ne permet pas
cet abaissement, et comme on porte l'enfant au
moutier, le roi de Hongrie survient à propos
f>our reconnaître sa haute origine et pour le tenir
ui-méme sur les fonts. Que son filleul soit de
sang royal, le roi de Hongrie n'en saurait dou-
ter, puisque le nouveau-né porte une croix blan-
che empreinte sur l'épaule droite. C'est là un
signe infaillible, et il ne faut rien moins que la
simplicité de l'hôtelier pour croire qu'un enfant
marqué d'un tel sceau puisse être le fils d'un
homme de rien, d'un truand, d'un sauvage
comme Varocher. Mais quel est son vrai père?
Le mystère est T- ' ♦' ' «clairci dans une enttevue
que le roi fait u r .1 Blanchefleur Klle ne
cache rien à son royal « ; ; m: , et ce n'est pas
vainement qu'elle imploïc son assistance. A
Préface. ix
compter de ce moment elle reçoit une hospita-
lité digne d'elle, et, par les soms du roi, l'em-
pereur de Constantinople ne tarde pas à être in-
formé du sort de sa fille.
Il la fait d'abord ramener près de lui; il songe
ensuite à la venger. Rien ne peut désarmer
sa colère ; rien ne peut le tléchir : ni la nou-
velle du supplice de Macaire, ni les excuses de
Charlemagne , ni ses offres de réparation. Après
plusieurs ambassades inutiles, la guerre éclate
entre le beau-père et le gendre. L'empereur de
Constantinople, accompagné de sa fille , de son
petit-fils et du fidèle Varocher, vient à la tête de
cinquante mille hommes camper sous les murs
de Paris. Charlemagne sort de la ville avec les
siens ; les deux armées sont en présence ; elles
en viennent aux prises.
A côté des chevaliers qui de part et d'autre
font assaut de prouesses, Varocher se signale par
des traits hardis, par des pointes audacieuses,
mais qui sentent un peu la maraude et ne sont
guère que des exploits de vilain. Il pénètre adroi-
tement dans le camp de Charlemagne, d'abord
seul, puis avec des compagnons âpres à la cu-
rée, et il trouve le moyen d'y faire main basse
sur les plus beaux destriers, à commencer par
celui du roi; sur les plus riches armures, sur
le butin le plus précieux. Début équivoque dans
la carrière des armes_, mais qui l'excite à y jouer
un plus noble rôle. Ce vilain a senti en lui le
cœur d'un chevalier ; il en désire le titre , le de-
mande à l'empereur qu'il sert, l'obtient , revêt le
haubert, lace le heaume, ceint l'épée, échange
X Préface.
contre une lance au gonfanon flottant l'arme
f;rossière que façonna à peine sa cognée de bû-
cheron, et ne se rappelle plus qu'avec dégoûi le
temps où il se chargeait de fardeaux comme une
béte de somme.
Ainsi métamorphosé, le nouveau chevalier ne
craint pas l'adversaire le plus redoutable. Il le dit
et le prouve. Après plusieurs engagements sans
résultat décisif, les deux empereurs convienncm
de vider leur querelle par un combat singulier.
C'est Ogier le Danois qui va défendre la cause
de Charlemagne ; c'est Varocher que l'empereur
de Constantinople a choisi pour champion. La
lutte a lieu sans témoins, entre les deux camps.
Devant le brave Danois, devant ce preux tant
vanté, dont la renommée est venue jusqu à lui ,
l'ancien bûcheron ne recule pas; il lui tient tôle
et lui fait admirer sa vaillance à ce point qu'O-
gier interrompt le combat pour lui demander son
nom.
Varocher se fait connaître ; la confiance s'éta-
blit entre les deux chevaliers , et l'instant d'a-
près ils se séparent, amis comme frères , pour
aller, chacun de son côté , travailler à l'œuvre
de la paix.
La joie du Danois est extrême. Il vient d'ap-
prendre de Varocher que Blanchefleur vit en-
core, et qu'elle est dans la tente de son père.
Kien ne pourrait le rendre plus heureux , si ce
n'est de porter à Charlemagne cette nouvelle mi-
raculeuse; mais il ne l'a apprise que sous la con-
dition de la tenir secrète. Comment donc amè-
nera-t-il la conclusion de la paix P En s'avouant
Préface. xj
vaincu par son adversaire. Si grand que soit le sa-
crifice, Ogier s'y résigne, et Charlemagne, abusé
par ce généreux mensonge, n'a plus d'autre res-
source que de se mettre à la merci du vainqueur.
Il députe Ogier et le vieux duc Naimes pour
aller demander la paix à l'empereur de Constan-
tinople, et les voit bientôt revenir avec un jeune
et bel enfant à la tête blonde surmontée d'une
plume de paon. Qui est-il? Doù vient-il? A
ces questions de Charlemagne , c'est l'enfant lui-
même qui répond , en le prenant par le menton :
(( Père, je suis votre fils, et si vous en doutez ,
voyez la croix blanche que je porte sur l'épaule.»
Charlemagne, dans une étrange surprise, inter-
roge le duc Naimes, interroge le Danois. Tous
deux lui attestent que l'enfant dit vrai, et met-
tent le comble à sa joie et à son attendrissement
en lui apprenant que Blanchefleur est vivante et
consent à lui pardonner.
Ainsi préparée, la paix est aussitôt conclue.
Les deux époux réconciliés rentrent ensemble à
Paris , où de grandes fêtes célèbrent cet heureux
événement. Varocher, comblé de présents, est
institué champion en titre d'office à la cour de
Charlemagne ; il retourne à sa chaumière, qu'il
s'empresse de remplacer par un château avec
donjon , donne à sa femme des habits de soie et
de coton, et promet bien à ses deux fils qu'ils se-
ront un jour armés chevaliers.
Tel est ce vieux poëme, dont je ne suis pas
le premier à faire connaître le sujet. Il y a plus
de six siècles que j'étais devancé dans cette tâche
par un de nos anciens chroniqueurs , dont l'ou-
vrage est connu, à tort ou à raison , sous le nom
\1) rKtK.VCt.
d'Alberic de Trois-Fontaines. Voici sa notice ('),
à la date de l'année 770 :
Cum matris hortatu, Jiliam Desiderii , Longobar-
dorum re^iSf Karolus rtugnus Juxisscî, incertum
ijua de causa , cam post annum rcpudiavit, et Hildc-
gardam Alemannam duxit ^ de génère Suevonim ^
precifnie nobilitatis feminam , de tjua fdios très gê-
nait : Karolum, Pipinum^ Ludoyuum,et filias très.
Super repudiatione dicte regine, que dicta est Sibi-
lia a cantoril " is^ pulcherrima contexta est
fabula : de .^ . . nano turpissimo ('^ , cujus
occasione dicta regina fuit expulsa ; de Alorico mi-
lite Montis Desiderii, qui cam debuit conduccre, a
Machario proditore occiso ; de cane renatico ejusdcm
Albrici qui dictum ^facharium in presencia Karolif
ParisiuSy duello mirabili devicit ; de Gallcrano de
Bacaire et eodem Machario tractis turpiter et pati-
bulo affixis ; de rustico asinario, Varochero nomi-
ne, qui dictam rcginam mirabditer reduxit in ter-
rant suam; de latrone famoso , Grimoardo (">), in
itinere inventa; de heremita et de fratre ejus Ri-
chero, Constantinopolitano imperatore, dicte rci^irn
pâtre, de expeditione in Franc iam ejusdem impeia-
toris cum Crecis; et de filio ejusdem Sibilie Ludo-
vico nomine, cuidux Naamanfiliam suam Blanca-
1 . D'après le manuscrit de la Bibliothèque impériale, fonds
latin, 4896-A 'fol. ]} vet M'"'» nianuscrii dont le texte
est beaumiip plus correa que celui de l'édition de Lcibnitz.
(l se trouve à la page io{ de cette édition. Ha-
no . .-.)
2. Hano, et non vano, comme on lit dans l'édition de
Leibnitx.
). Et oon Cirimardo, selon la leçon fautive de Leibnitz.
Préface. xiij
fioram in uxorem dédit ; et de Karolo magno in
monte Widomaria dicto Ludovico et Grecis obsesso ;
de reconciliatione ejusdem regine cum KarolOy cjuod
omnino falsum est ; de sex proditoribus de génère
Ganalonis occisis, quorum duo snpradicti^ Macliarius
et Gallerannus, perierunt Parisius, duo ante portam
montis Wimari, quorum unusfuit Almagius, et duo
in ipso Castro; et cetera isti fabule annexa, ex magna
parte falsissima, que omnia, quamvis délectent
et ad risum moveant audientes^ vel etiam ad lacri-
mas^ tamen a veritate hystorie nimis comprobantur
recéder e^ lucri gratia ita composita.
Ce passage n'est pas sans importance. lia déjà
servi au savant Bullet à chasser de Phistoire le
chien de Montargis. Il va servir encore à une
autre démonstration : à prouver qu'il a existé de
notre poëme deux versions différentes, la pre-
mière assez simple encore, la seconde compli-
quée d'épisodes sans rapport intime avec le
sujet.
C'est cette seconde version qu'avait en vue
Alberic de Trois-Fontaines. La version primitive
est celle qu'a reproduite à sa façon le compila-
teur italien auquel je l'emprunte. Voilà ce qu'il
s'agit d'établir d'abord pour en déduire ensuite
la date approximative du poëme original.
Or il suffit d'un simple rapprochement pour se
convaincre que l'analyse du chroniqueur ne sau-
rait se rapporter à la version que je publie , où
il n'est fait mention ni de Galeran de Bacaire ,
ni du fameux larron Grimoard, ni de l'ermite
frère de l'empereur de Constantinople, ni du
duc Naamanet de sa fille Blanchefleur, ni sur-
xiv Préface.
tout de l'union de cette tille avec le fils de notre
héroïne, lequel n'est encore qu'un entant dans le
recil qu'on lira ci-après, tandis que dans celui
dont Alberic nous a transmis le sommaire, il est
non-^ :U mariable et marié, mais aussi ci:
état L.. ;..... la guerre et d'assic^^er son pérc
Charlemagne. \'oilà des différences dont le nom-
bre, l'importance, et surtout la nature , indique-
raient assez l'existence de deux versions, si l'on
ne pouvait l'établir autrement. Mais il est possi-
ble de la démontrer encore mieux, ou plutôt de
la montrer. Il nous reste, en effet, de la versioi
développée à laquelle se réfère le passage d'Al-
beric. des fragments qui, par un curieux hasard ,
mettent en scène et l'ermite dont il vient d'être
question et le fameux larron Grimo. rd , en mê-
me temps que plusieurs des personnages de la
version primitive.
Ces fragments, qui forment en tout i 26 vers,
se lisent sur quelques morceaux de parchemin
détachés de la couverture d'un Jean de Lyra,
relié au XV* siècle C'est ce que nous apprend
M. le baron de Reiffenberg , à qui ils avaient été
communiqués par M. Bormans, alors professeur
extraordinaire à l'université de Gand. Le savant
éditeur de F'hilippc Mouskes les a publiés dans
son introduction ;' , mais ■-" îvoir à quel
poème ils appartenaient. L'.. on en a été
faite par l'illustre secrétaire de l'Académie impé-
riale de Vienne, M. Kcrc! ' \Volf, non-seule-
ment d'après le passage ^. de Trois-P'on-
I. Phi'ippe Mouskes, t. I, p. 610 etsuiv. — Je rcoro-
duis ces (ragiDcnU en appendice, p. $07 et suiv. du pr^nt
volume.
Préface. xv
taines, mais encore d'après deux traductions,
l'une espagnole, l'autre néerlandaise, de la chan-
son de la Reine Sibile, qui lui ont fourni la ma-
tière d'excellents mémoires dont il sera parlé plus
amplement ci-après.
Par ces fragments on voit que la seconde ver-
sion de notre poëme était en vers alexandrins ,
par conséquent non-seulement rajeunie, mais
entièrement refaite et remaniée ; car il est évi-
dent d'autre part que la composition primitive ,
celle qu'avait sous les yeux le compilateur italien,
était en vers de dix syllabes. Il l'a fort altérée
sans doute, mais non pas assez pour effacer par-
tout l'empreinte du mètre. C'est un point sur le-
quel je ne puis guère manquer d'être éclairé
après mon travail de restitution , où la question
se représentait à chaque ligne.
Il est hors de doute que l'Italien qui nous
a conservé le seul exemplaire connu de notre
poëme n'est pas l'auteur de cette composition.
S'il ne l'a pas inventée , il l'a reproduite d'après
un original français, et cet original ne saurait
être la version en vers alexandrins analysée
par Alberic, à moins de supposer que le com-
pilateur en ait soigneusement retranché tous
les épisodes et entièrement remanié la versifica-
tion. Or, c'est une hypothèse qui me paraît dif-
ficile, sinon impossible à admettre.
La chanson de la Reine Sibile ou de Macaire ,
si l'on veut, comme celle de Huon de Bordeaux
(et ce n'est pas la seule analogie qui rapproche
ces deux ouvrages), a donc été composée d'a-
bord en vers de dix syllabes , puis plus tard re-
faite dans le mètre alexandrin et développée au
xvj Préface.
fond comme en la forme. S'il en esl ainsi, com-
me tout conspire à le prouver, et si la seconde
version avait déjà cours au temps où écrivait
Alberic de Trois-Foniaines , c'est-à-dire dans la
première moitié du X1II« siècle, il y a grande
apparence que le poème original fut composé dés
le commencement de ce siècle , au plus tard ^'),
et bien plus probablement ii la fm du siècle pré-
cédent. Par qui? Il faut se résoudre à l'ignorer.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que l'ouvrage cul le
plus grand succès et en France et à l'étranger.
Suivons , en France d'abord , l'histoire cu-
rieuse de sa fortune.
Si mes conjectures sont fondées, je le répète,
il est composé vers la fm du XII'" siècle, dans
le même mètre que les plus anciennes chansons
de geste, c'est-à-dire en vers de dix syllabes.
Au siècle suivant, il est entièrement refait en
vers alexandrins, et augmenté d'épisodes consi-
dérables. Premier indice de son succès.
Au XIV<^ siècle, il n'est pas oublié, et tant s'en
faut. J'en trouve d'aboru la preuve dans une
grande composition qui parait dater de ce siècle
au plus tard , la chanson de Tristan de Nanteuil
(pour lui donner un titre qui lui manque) (2).
Un personnage de cette chanson, le traître Per-
sant, fils de Hervieu de Lyon, était, dit l'auteur,
de la race de Ganelon. Il ajoute :
1. Voyez ci-apr^, p. xc, une nouvelle raison pour croire
qae k •■ '•" ' 'M du XII' tiède.
2. cette chanson la préface de Parise la Du-
cheist, K ..;... Je MM. Cuessard et Larchey. p. vii-xii, et
lurtoul U préface de Gui de A'dnf^v//, édition de M. P. Meyer,
p. XVII-XXII.
Préface. xvij
Entre lui et Maquaire estaient compaignony
Que le lévrier mata à loy de champion.
Maquaires et Persant estaient compaignon (i).
Ailleurs, il rappelle plus explicitement encore
le rôle que joue Macaire dans notre poëme :
Par lui et par son fait, par sa renoyerie.
Enchâssa Charlemagne de France la garnye
Sebille la royne, qui tant fut enseignye,
Et Loéys Venffanty qui tant ot seignorie. 0
Fist le champ au lévrier devant la baronnye (2) ,
De quoy il fut vaincqus ; car Dieu, le fil Marie,
Miracle y demoustra qui doit estre prisie ,
Ainsy que vous orrés, s'il est qui le vous dye {i).
Et non-seulement, par ces allusions formelles,
l'auteur de Tristan de Nanteuil montre que la chan-
son de Macaire ou de la Reine Sibile lui était bien
connue ; mais il nous donne encore une sorte de
supplément à la biographie de notre traître. Voi-
ci, selon lui, par quels menus forfaits, comme on
disait alors, Macaire préludait aux crimes qu'il
devait plus tard payer de sa vie. Après la mort
de Gui de Nanteuil, Charlemagne remit la main
sur la cité que ce vassal tenait de lui ; et qui
chargea-t-il d'aller en prendre possession et de
la gouverner ? Macaire de Losane , lequel fit
preuve dans cet emploi d'une certaine capacité
1. Manuscrit de la Bibliothèque impériale, fr. 1478, fol.
139 v».
2. C'est-à-dire: Il combattit en champ clos contre le lé-
vrier d'Aubri, devant tous les barons.
3. Fol. 17 r».
Macaire. k
xviij Préface.
financière , mais s'y montra un peu enclin à
l'exaction. Qu'on en juge :
M.: parti 0 ceulx d( Sâ partu
El \ .i i\jnUul un^ peu devant compile;
Et sa commission, c'on lui avoit baiilie
De par le roy Char Ion, momtra la baronnye :
Qu il estoit establis, par droite comrnandie
De l'empereur Charlon que Jhesus benèye ,
C'on obéisse ù lui sans faire villenye ;
Et qui lui mefferoit la monte d'une aillie,
A Le roj lui donnoit force qu'i lui tollist la vte.
Charles estoit doublés jusques en Romenye :
Nul n'ose reffuser n'a lui n'a sa mesnye ;
Maquaire demeura en ceste seignorie.
Tel coustume al leva, ains l'année acomplie,
De quo) en la cité fut la (^ent sy honnye
Que d'un seul huis ouvrir qui stict sur la chaussie
Paioit on .VI. denien la sepmaine acomplie ;
D'une fenestre ouvrir paioit on la moitié.
Qui sur coustc gisoit où plume feust mussie,
!Ï paioil .Vl. deniers, pour voir le vous a^e ,
S'il n' estoit gentil: homs et de chevallerie.
De .XX. sous marchander autant, quoy que nul: d\( ;
D'un chappon, .II. deniers ; de my lot de boulin
Paioit on une maille, c' estoit chose lailiie.
La cité de Nanteul fut adont bien honnye;
Car Maquaire li gloux, qui l'avoit asservye^
Envoyoit chascun an par coustume assentie
Tant d'avoir Kallemaine de ceste roberie
Que le roy empltaoïl en sa grant tresorie.
Ceste ystoire n est pas faute le gaberie,
Ams est de vérité par croniquefournye[i).
J'appelle sur ce passage l'attention des fman-
I. Fol. 17.
Préface. xix
ciers qui font de la matière imposable l'objet de
leur étude, et je leur signale particulièrement
l'impôt sur les lits de plume^ auquel Macaire sou-
mit les habitants de Nanteuil.
Un autre poëte du même siècle, un poëte con-
nu au moins des érudits, Gace de la Buigne (i),
qui fut successivement chapelain de Philippe VI,
du roi Jean et de Charles V, a raconté sommai-
rement dans ses Déduits de la Chasse , non l'his-
toire entière dont je publie le récit primitif, mais
seulement de cette histoire l'épisode qui se rat-
tachait à son sujet, celui du chien {f). Il dit à ce
propos :
L'histoire trop longue serait
Qui toute la réciterait.
Aussi est elle aux paroiz painte ;
Pour ce la scaivent des gens mainte.
1 . Et non de la Bigne ou de la Vigne, comme on l'a
presque toujours nommé. La preuve s'en trouve au cabinet
des titres de la Bibliothèque impériale (titres scellés , sous le
nom de la Buigne). Là, on peut voir deux quittances de ce
poëte en sa qualité de premier chapellain du roy^ l'une datée
du 14 janvier 1350, l'autre du 23 février 1379. A cette se-
conde quittance est apposé son sceau en cire rouge, qui se
compose d'une fasce chargée d'une étoile et accompagnée
de trois besants ou tourteaux. Une troisième quittance de
clercs de la chapelle du roi , du 14 janvier 1350, fut donnée
sous le seel de Monseigneur Gace de la Buigne. Ce sont les
seuls renseignements que je puisse ajouter à l'excellente no-
tice sur Gace de la Buigne et sur son poëme, que renferme le
rare et curieux volume de M. le duc d'Aumale, intitulé;
Notes et documents relatifs à Jean, Roi de France, et à sa
captivité en Angleterre.
2. Voyez ce récit dans notre Appendice , sous le n» II,
p. 3'2-3i5.
XX Préface.
Et à la fin :
De preuve n'a mestier l'histoire^
Car en France est toute notoire.
Voilà un témoignage formel de la popularité
conquise par notre chanson. On le voudrait seu-
lement plus précis, plus complet. On voudrait
savoir s'il s'agit de peintures représentant le
combat de Macaire contre le chien, ou d'une
suite de compositions inspirées par les princi-
pales scènes du roman. Il me parait fort probable
que Gace de la Buigne n'a ici en vue que la
scène du combat; mais ce qui est assuré, c'est
qu'elle était peinte en plusieurs lieux. Les termes
généraux aux paroiz, sans autre désignation, l'in-
diquent déjà, et le passage de Gaston de Foix,
dont nous parlerons bientôt, ne permet pas d'en
douter.
Il y a un moment orageux dans l'histoire de
notre poème, où le fond du récit primitif paraît
sombrer, où l'épisode du chien s'en détache et
surnage seul. L'amour criminel de Macaire pour
la reine n'est plus alors la cause première du
meqrtre d'Aubri; c'est par l'envie, par la haine
que ce meurtre est vaguement expliqué. Le mo-
ment ne tardera guère , mais on peut croire qu'il
n'est point venu à l'époque où écrit Gace de la
Buigne (i). On voit du moins que ce poète con-
I. Êpoqu« difficile i préciser. On sait seulement que
Gace de la Duignc commença son poème à Hertford, en An-
gleterre, ver» le mois d'avril i j J9. f* qu'il l'acheva en France
après le mois de novembre i )7). (Voyez la notice précitée
de M. le duc d'Auroale.)
Préface. xxj
naît encore toute la fable imaginée au XII* siècle,
puisqu'il fait avouer à Macaire
Qu'avoit voulu le roy trahir
Et avec la royne gésir,
Qui estait si très preude femme
Qu'on ne vit oncques meilleur dame.
Notons seulement que sur un point Gace de
la Buigne s'éloigne un peu du récit original oij
Macaire est brûlé après avoir été traîné à la
queue d'un cheval, tandis que d'après le chape-
lain.
Il fut pendu en ung gibet.
Voici ailleurs de simples additions. Le per-
sonnage qui ne porte dans notre texte que le nom
dJAlharis ou Aubri , devient Aubri de Monîdidier.
Il meurt de la main de Macaire
au bois de Bondis,
A trois lieuves près de Paris.
Et le duel a lieu
En Ville Notre Dame ezprez.
Sans doute Gace de la Buigne trouva dans la
seconde version ces détails qui ne sont point
dans la première. C'est du moins chose sûre
quant au nom d'Aubri , comme le prouve le pas-
sage d'Alberic de Trois-P^ontaines rapporté ci-
dessus (').
I . De Albrico milite Mentis Desiderii.
ixij PRtPACB.
On Sait Qu'à les entendre les auteurs, de nos
anciennes c^ •-^ -- ' - •--• • "Vv^i^nt rien moins
que des h non, toujours
aftchée, trouvait créance dans la société laïque,
cl plus d'un clerc même s'y laissa prendre, il y
en eut sans doute comme Albcric de Trois-Fon-
laines qui n'enregistrèrent point avec une ciédu-
lité trop facile toutes les inventions des préten-
dus historiens ; mais Alberic lui aussi, malgré
ses réserves, ne paraU-il pas en accepter au moins
une partie ? Parmi les chroniqueurs qui ont puisé
^ cette source poétique, et sans témoigner au-
cune méfiance , nous en trouvons un qui pour
écrire les régnes de Ch--" - ^ne et de Louis le
Débonnaire a pris à p. jms ses matériaux
dans la plupart des chansons de geste. Il n'a pas
oublié '" "'•--. qu'il abrège, dit-il, mais à re-
gret ; t f en est belle à oyr là où elle est au
lone. 11 la connaît donc tout entière , et on le
voit b:"-^ '■ " urs, puisqu'il en rappelle les prin-
cipaux en nomme les personnaLjcs im-
portants : la reine Sibile, Macaire, le nain, Au-
bri de Montdidier et le bûcheron Varocher, qui
tous sa plume sans doute picarde devient Ver-
pris que dans son duel contre Ma-
Ci;: '-n n'avoit pour toutes armeures que une
Meut ou tonne! trouée par les deux bouts ? Proba-
Dlcment dans In n en vers alexandrins de
notre poème. i cas , voilà la première
motion que l'on rencontre de ce tonneau qui se
I V«fal'4^]f«Uia. Mulf nom, p. ji{-)i7.
I
Préface. xxîij
retrouve dans les récits postérieurs du combat et
dans les estampes qui le représentent.
L'ouvrage anonyme de ce compilateur, qui com-
mence à la fondation d'Athènes par Jupiter, finit
avec le règne de Charles V, à l'année 1 380. C'est
donc sans doute vers cette époque qu'il fut
écrit (').
Gaston Phébus, comte de Foix, qui mourut
onze ans plus tard, connaissait l'histoire du chien
d'Aubri , et Pa racontée dans son Livre de la
Chasse (2) ; mais il en ignorait l'origine, et ne l'a
pas tirée , comme notre chroniqueur, du roman
dont elle fait partie. La preuve en est que, se-
lon lui , Aubri de Montdidier traversant un jour
la forêt de Bondy, y fut attaqué à l'improviste
par Macaire, un homme qui le héoit par envie^ senz
autre raison. Si Gaston Phébus avait lu la chan-
son, il y aurait trouvé une autre raison que l'en-
vie pour expliquer l'attaque de Macaire et le
meurtre d'Aubri.
Le témoignage de Gaston Phébus n'en est pas
moins précieux. Il confirme et complète celui de
Gace de la Buigne au sujet des peintures qui re-
1. Il m'a été signalé par mon savant confrère et ami
M. Léopold Delisle. C'est le manuscrit de la Bibliothèque
impériale, fr. 500 j, intitulé au dos : Chroniques de France.
Fauchet, à qui il a appartenu, a écrit ce renvoi à la marge
du fol. 96, où se lit le passage qui nous occupe : « Voyez
Phœbus le conte de Foix, au Livre de la Chasse, et Gaces
de la Vigne. » Peiresc, qui avait eu le manuscrit entre les
mains, y a relevé, en 16 12, le sommaire de notre histoire.
(Voyez le manuscrit de la Bibliothèque impériale, lat.,
no 10,000, fol. 318.)
2. Appendice, IV, p. 318-319.
xxiv Préface.
présentaicm le duel de Macaire et du chien, et
ce!* — • 'Très : Fr '\ '• •" -^"tf iVun
la m de y. .d vous
trouïCffz en France paint en moult de lieux.
Rien de particulier d'ailleurs dans le récit de
Gaston Phébus, si ce n'est l'épreuve dont le roi
s'avise pour éclaircir ses soupçons à l'endroit de
Macaire : Fist prendre à Miicnaire une piesce de
char et la h fut donner au lévrier. FA tantost que le
lerrier vit Machaire^ il laissa la char et courut sus à
Machaire.
Très peu de temps après la mort du comte de
Foix(«), l'auteur du Menagier de Paris donne
place dans son curieux livre à la même anec-
dote. Ce bon bourgeois veut que les femmes
soient amoureuses de leurs maris, et il n'est
sorte c!' -cni qu'il n'emploie pour les y in-
duire, et gens servent également à son
louable dessein, et tout exemple de fidélité et
d'affection lui parait bon à recueillir à l'appui de
u thèse :
/.:.;- cxr'T.pU^ dit-il, /" '.'5 du chien
àtdijus.'t .;..i lit tuer son i ^ .-is un bois^
tt depuis ij'u'il fut mort ne le laissa y mais couchoit
00 bois emprès luy qui estoit mort, et alloit de jour
Wrre son Mvre loin et l'apportoit en sa f,ucule , et
uUc retournott sans menger^ mais couchoit , buvoit
et mengoit emprès le corps , et f^ardoit icelluy corps
dt son maistre au bois, tout mort. Depuis,' icelluy
' |uin I) ;. comme
l'i ;i<ur du JM n.
I
Préface. xxv
chien se combaîi et assailli plusieurs fois celluy qui
son maisîre avoit tué, et toutes fois qu'il le trouvoit
Vassailloit et se combatoit ; et en la parfin le des-
confi ou champs en Hsle Nostre Dame à Paris, et
encore y sont les traces des lices qui furent faites pour
le chien et pour le champ («).
C'était sans doute de mémoire que l'auteur du
Menagier rapportait ainsi l'histoire du chien d'Au-
bri, puisqu'il paraît donner à ce chien le nom du
meurtrier de son maître (2). A cela près, les sou-
venirs du prudhomme sont assez exacts; mais tout
l'intérêt, toute la nouveauté de son témoignage
est dans le trait final, dans ces lices dont il signale
les traces encore visibles.
Une preuve tout aussi décisive non du duel,
mais du meurtre qui y donna lieu, se trouve déjà
dans le récit du chroniqueur anonyme mentionné
ci-dessus. Aubri de Montdidier fut, dit-il, occis
en ung bois en Ville de France, ou boys de Bondis.
Sur quoi il ajoute : Et encore y est la fontaine
Aubery.
C'est à la critique bouffonne qu'il appartient
de faire justice de ce genre de preuve, et elle n'y
a pas manqué. La critique sérieuse a fait remar-
quer ici que les lices dont parle l'auteur du Me-
nagier pouvaient bien provenir de la grande fête
qui fut donnée en l'île à la Pentecôte de 1 3 1 3 ,
1. T. I, p. 93.
2. Sans doute, au XIP siècle et encore au siècle suivant
le chien Maquaire eût signifié sans difficulté : le chien de
Maquaire; mais à la fin du XIV^ siècle, il est difficile d'ad-
mettre cette signification; en tout cas, la construction ad-
mise, c'est le chien Aubri qu'il faut lire.
xxvj Préface.
lorsque Philippe le Bel et ses trois fils, et le roi
d'Angleterre, prirent la croix (^').
Voici donc ce qu'est devenu notre poème
à la tin du XiV' siècle. (, s lettrés seu-
lement le connaissent encu.v u.t;is son entier;
nais ceux-U même ne paraissent se plaire à en
rappeler que le souvenir du chien d'Aubri.
L'édifice construit par l'imagination du vieux
trouvère est en ruines ; il n'en reste debout qu'une
ookwne, mais si bien assise, si bien protégée par
la crédulité populaire, que rien ne pourra la ren-
verser, et qu'elle formera à elle seule une sorte
de monument.
Il est curieux de remarouer comment cette
partie se dégage de l'ensemoleoù elle était com-
prise. L'auteur de Tristan de Nanteml et le chro-
niqueur anonyme rapportent encore au règne de
Charlemagne l'histoire du chien d'Aubri ; mais
dans les récits de Gace de la Buigne, de Gaston
Phébus et du Menagur, on ne voit apparaître
qu'un roi %^n\ nom : le roi Je France. Cette va-
gue d» n favorise , pour ainsi parler, la
rupture wu ..vii OUI rattachait le chien a'Aubri au
p<>éme natal. Il faut observer en outre que Gace
de la huigne. Gaston Phébus et le Menagier^
durent avoir b" " ■•• • 'is de lecteurs que les
auteurs de Tri uilcx de In chronique
'le, et j :renl si: neni con-
;.ii.-.- ; a isoler • i.jiJwUc du chitii, u ^ii faire une
hatoif A par?
■ S le plus grave du mot.
Cc.i .. ^^ lun. ^ui..»c se propage, surtout à
I . Vojra b MIC àeU.i. Pkhon n lieu cité.
Préface. xxvij
compter du moment où le poëme est oublié.
Personne, depuis Alberic de Trois-Fontaines,
c'est-à-dire depuis 1240, ou environ, jusqu'en
17^2^ personne, à une exception près, ne fait
mine d'en soupçonner l'authenticité , et tout le
monde semble partager à cet égard le sentiment
de Gace de la Buigne :
De preuve n'a mestier l'histoire ,
Car en France est toute notoire.
Aussi est- elle reproduite au XV^ siècle par un
écrivain considérable du temps , par un grave
historien, Olivier de la Marche, dans son Livre
des Duels, autrement intitulé l'Advis de gage de ba-
taille (1). Le nouveau narrateur n'indique que
vaguement la source où il puise son récit : Es
anciennes cronicques; on voit bien toutefois qu'il
ne connaît pas le poëme d'où est sortie l'inven-
tion qu'il prend au sérieux. C'est par l'envie,
comme Gaston Phébus, qu'il explique le crime
de Macaire ; mais il insiste un peu plus sur ce
point, comme s'il était mieux renseigné, et à
l'entendre on le croirait sûr de son fait :
« Et dit la cronicque qu'un chevalier avoit un
autre chevalier à compaignon, et pour ce que le com-
paignon estait homme de vérité et de grande vail-
lance, et de grande renommée, et estoit estimé, aimé
et honoré du roy et des seigneurs, et avoit avance-
ment devant le chevalier , ledit chevalier print telle
envie et hayne sur son compagnon, que malicieuse-
ment et par orgueil^ eux estans en un bois , le che-
I. Voyez ci'Zprès Appendice, V, p. 519-321.
xxviij Préface.
ïdlicr frappa son compaignon d'une (spée par der-
rierCf et l'occit. »
Comment douter d*un fait ainsi attesté, et dont
les moindres circonstances paraissenfsi bien con-
nues de celui qui le raconte ?
D'après Gacc de la Buigne et Gaston F'hébus ,
le chien d'Aubri , vovant son maUre mort, le
couvrit de feuilles et ae terre, on ne sait pour-
quoi. D'après Olivier de la Marche, ce fut le
meurtr - - ■ prit ce soin, et dès lors, d'inexpli-
cable _ t, ce détail devient fort admissible
et sert à donner plus de vraisemblance à l'his-
loire.
La victoire du chien paraît aussi bien moins
surprenante dans le récit d'Olivier de la Marche,
où l'on trouve pour la première fois une dispo-
sition du combat très-propre à égaliser les chan-
ces des deux adversaires : Es prez fut Machaire
enfouy jusques au fau du corps , en telle manière
iju'il ne se pouyoit tourner ne virer tout à sa guise.
Une petite gravure de la fm du XVP siècle (')
fait voir Macaire dans cette situation , c'est-à-
dire enterré à peu près jusqu'au nombril ; mais
c'est la seule acs représentations du célèbre duel
où Par • soit conformé à l'indication d'Oli-
vier d che.
Du vivant même de cet écrivain, sous le règne
de Charles VIII, le combat du chien contre le
meurtrier de son maUre fut représenté par le
I. Hhtoirts prûdigi*'"' éhiséej en six tomes. C'est
àêm k tkxièmt tome rar l. D. M. (Jean de Mar-
coarttk), que m uouvf ^^li- giavure, i la p. )i. In-i8,
Fifii, f CivdUt, I {98.
Préface. xxix
pinceau sur le manteau d'une des cheminées de
la grande salle du château de Montargis, et là
il paraît certain que Macaire n'était point enfoui
et qu'on le voyait en pied, libre de tous ses mou-
vements. J'essayerai de le prouver tout à l'heure,
et je justifierai en même temps la date que j'as-
signe à la peinture de Montargis, tant de fois
mentionnée comme remontant jusqu'au règne de
Charles V. Je me borne en ce moment à indiquer
l'origine évidente du nom si populaire sous le-
quel sera désigné plus tard le chien d'Aubri.
Jusque-là_, Montargis n'était pour rien en cette
affaire, et il n'en était question ni de près ni de
loin.
Vers la fin du XV^ siècle ou au commencement
du siècle suivant, un poëte qui mourut en 1523,
ou envirofl,
Le bon Crétin au vers équivoque
comme disait Clément Marot, n'oublie pas d'al-
léguer en faveur de la gent canine l'exemple de
l'immortel lévrier, dans son Débat entre deux
dames sur le passe-temps des chiens et oyseaux :
Lévriers sont chiens; direz-vous du contraire?
Je croy qu'il n'est si simple créature
Qui ne ayme bien quelque beau chien retraire^
Entretenir y veoir, nourrir, et attraire
Auprès de soy, ou trop se desnature;
Car ung chien est de si bonne nature
Qu'il ne peult veoir à son maistre debatre
Homme vivant, sans le vouloir combatre.
XXX Préface.
c
La brièveté de cette allusion prouve qu'au
temps de Crétin l'histoire était de toute notoriété,
fmisque deux mots suffisaient pour en réveiller
e souvenir. Mais le témoignage d'un pocte n'é-
tait pas de nature à la rendre plus croyable.
Bien au contraire, celui d'un grand érudit, d'un
critique aussi sévère que Jules Scaliger, devait
lui imprimer un cachet d'authenticité fait pour
commander la confiance. Ce témoignage ne lui
manqua pas. «< Loin de former quelque doute,
dit Bullci i' , sur la vérité de l'histoire, Scaliger
la rapporte comme une preuve éclatante de la
fidélité et de l'attachement des chiens à leurs
maîtres, »> et cela avec sa plus belle latinité, avec
le plus grand sérieux du monde, avec une admi-
ration qui ^ "'lue jusqu'à l'enthousiasme. En
effet, pour . .v r la mémoire d'un pareil trait,
la peinture lui parait msuffisante; il voudrait que
le c' — i'Aubri fût coulé en bronze. Picta est
Cû' -la in cxnaculo quodam rcgio. Pictura,
vctusiaïc dtlutior at^ue obscurior factûf regum man-
dato iemel r. ' - "'uirataest, dignaprorsus
gaUtca m.i. . drc fuiili assequatur
pirenmtaum{'>).
Il partaceait le sentiment de Scaliger, ce per-
I. /,<! i'otr.n dt Cunijumr iretin, Paris, Couilclicr,
17*1, I vol ift-iJ, p 87
I. D<n« \à dJwrttltinn dont il ifn parlé plus loin.
). Voyrs k licil éam ootie Appendice , mus le 0° VI ,
p. |ji-|n.
Préface. xxxj
sonnage que Guillaume Bouchet a mis en scène
dans ses Serées^ et qui gardoiî comme or l'histoire
pour laquelle le seigneur de l'Escale demandait
les honneurs du bronze (').
A défaut du ciseau, le burin continua ce que
le pinceau avait commencé. Vingt ans environ
avant la fin du XVI^ siècle parut une estampe
anonyme en tête de laquelle on lit :
LE COMBAT D'UN CHIEN CONTRE UN GENTIL-
HOMME QUI AVOIT TUÉ SON MAISTRE FAICT
A MON.TARGIS.
C'est, à n'en pas douter, la reproduction de la
peinture dont j'ai fait mention ci-dessus, et à
laquelle j'ai assigné pour date le règne de Char-
les VIII. Voici comment se justifient à la fois et
cette date et le rapport de l'estampe à la pein-
ture.
Quoiqu'il ne reste plus rien aujourd'hui du
château de Montargis, on peut encore s'en faire
une idée assez exacte, grâce aux quatre planches
qu'Androuet du Cerceau a consacrées à cet édi-
fice dans le premier volume de Les plus excellents
Basîiments de France^ publié en 1 576. L'une des
planches donne une vue de la grande salle , où
I . « Puis nous va dire que ce cousin gardoit comme or
l'histoire d'un chien qui fut si fidèle à son maistre, après sa
mort, que toutes les fois qu'il trouvoit celuy qui l'avoit assas-
siné et occis de guet à pent, il l'assailloit et se ruoit sur
luy ; si bien que par ceste conjecture, et que le chien alloit
souvent où avoit esté enterré son maistre, qu'on trouva là,
il fut convaincu d'homicide : comme il se trouve escrit et
pourtraict en une sale de Montargis. » {Serées de Guillaume
Bouchet, liv. i^r, septième serée^ p. 230. Rouen, 1635.)
xxxij Préface.
l'on aperçoit deux cheminées : la première au
milieu de la longueur, en face du spectateur; la
seconde, à lextrémité de gauche. Des peintures
3ui ornaient le manteau de ces deux cheminées,
u Cerceau n'a figuré l'une que par des traits
indistincts ; il a pris soin, au contraire, d'indiquer
le sujet de l'autre, celle qui surmontait la che-
minée du milieu, par un croquis léger où l'on di-
slingue fort bien un champ de combat, clos par
une l ' • îe ; au milieu de ce champ, un
homni i par un chien ; à gauche, un ton-
neau ; et autour de la balustraue, des specta-
teurs. Le même sujet, la même disposition, se
retrouvent dans notre estampe. N'en est-ce point
assez pour conclure qu'elle reproduit la peinture
du chÀleau de Montargis ? Si l'on en doutait,
certains détails de l'estampe, que ne pouvait
relever le crayon de du Cerceau dans un croquis
presque microscopique , suffiraient i\ dissiper
toute incertitude. Mais, avant de les signaler, il
faut rapporter un passage de la notice que ren-
ferme le • ' volume de Les plus excellents
Bastimenîs :f sur IcchAteaude Montargis.
V En ce lieu, dit l'auteur, les Roys ont sou-
« ventefois fait leur résidence ; et neantmoins
a n'est l'on certain oui ont esté ceux qui ont
'( faict bastir ces édifices, sinon qu'il se trouve
« au bas de la couverture de 1 ' r de la
•' grand'salle, où sont les armes c^ ; .....ce, ces
u mots : Charles huitiesmf., combien que par
u là on ne puisse inférer que ce soit luy qui seul
a ait fait faire les autres bastimens, comme
c estans beaucoup plus anciens, et de divers
u temps que de son règne. »
Préface. xxxiij
Ce passage éclaire précisément le point que
nous avons en vue, le seul qui nous intéresse,
c'est-à-dire qu'il fixe la date de la construction
de la grande salle où figurait notre peinture, en
quoi l'estampe qui, selon nous, la reproduit vient
à point nommé confirmer le témoignage de du
Cerceau. En effet, on y remarque des coiffures
de femme d'une forme allongée et conique, en
pain de sucre comme nous dirions vulgairement;
et c'est là tout juste une mode qui finit avec le
XV^ siècle. Cette coïncidence sert en même
temps et à mieux dater la peinture, et à complé-
ter la preuve que l'estampe qui nous occupe n'en
est que la reproduction.
Si au XVI^ siècle on avait eu souci de ce que
nous appelons maintenant la couleur locale , et
si l'on pouvait croire que, pour donner cette
couleur à son œuvre, l'auteur de l'estampe
gravée vers 1580 (1) ait eu l'idée de rappeler
une mode antérieure de près d'un siècle, notre
argument serait aussi faible qu'il nous paraît so-
lide. Mais chacun sait à quoi s'en tenir sur ce
point. Si quelques détails de l'estampe, comme
les plumes qui ornent les coiffures des hommes,
ne sont pas du XV^ siècle, mais du temps du
graveur, c'est sans aucun doute que, retenant
de la peinture obscurcie ou endommagée ce qu'il
en pouvait voir encore, pour le reste, pour les
parties effacées, il prenait ses modèles autour de
lui (2).
1. Je m'appuie pour lui donner cet âge sur le sentiment
éclairé de M. Thomas Arnauldet, du cabinet des estampes
de la Bibliothèque impériale.
2. Je n'avance rien ici sans avoir pris Pavis d'un juge
Macaire. c
xxxiv Préface.
Il serait superflu de décrire cette estampe que
chacun peut voir à la Bibliothèque impériale («)•
Notons seulement que, comme dans le croquis
dont nous parlions tout à l'heure, Macairc y est
figuré en pied et non enterré jusques au fan du
corps, selon l'indication d'Olivier de la Marche
[)isons aussi, pour en finir, que l'auteur du
croquis et celui de l'estampe pourraient bien être
le même, à savoir Androuet du Cerceau. L'âee
de la gravure permet de le croire, et si on la
compare à celles que renferment Les plus excel-
lents lUsîiments de France, celte supposition de-
vient presque une certitude.
Peu de temps avant l'époque probable de la
publication de cette gravure, en 1^71, un nou-
veau récit de l'histoire du chien d'Aubri avait
paru dans un lecueil d'Histoires prodigieuses où il
était fort à sa place. Ce récit n'est qu'une ampli-
fication de celui de Scaliger, ou du seigneur de
l'Escale, comme dit l'auteur, lequel est un de
nos anciens historiens, mais non des meilleurs,
F. de Belleforest. Scaliger, sans doute pour ne
pas compromettre sa latinité , avait évité avec
grand soin d'écrire aucun nom propre. Bellefo-
rest, à son exemple, ne nomme pas aavantage les
ddni U rfimpMmce ett bien connue , mon confrère ci ami
M. Jo' Mt.
I : ■'• fon rarr, unique prut-éire, qui est ac-
lu mots, appartenait
|r> de Sainte Gcnc
tyevf. M \: l'a pas connu, puisqu'il ne rindi(]u«'
rifi! îjri". . je M.ii!if.iu Mil .1 ilpcrit cette estampe
la faire reproduire
Préface. xxxv
personnes , et sa narration ne contient qu'un
nom de lieu, celui de Montargis.
Le roy ^ dit-il, qui ne vouloit qu'un accident
si mémorable fût effacé par l'inclémence et oubly du
temps, feit tirer cette histoire au chasteau de Mon-
targis, où encore elle est effigiée, pour le salaire de
la vaillance de ce chien, auquel les richesses n^eussent
de rien servy pour recompence.
Sauf ce nom de Montargis qu^il connaît et
ajoute au récit de Scaliger, Belleforest en est
réduit à de vagues appellations, et le plaisant est
qu^il s'en plaint :
Mais un malheur a suivy l'heur des François,
que comme ils ont esté vaillans en guerre et justes en
leurs jugemens , ils ont aussi esté simples et peu
soigneux à escrire leurs gestes, tellement que ceste
histoire si remarquable est si obscurément traictée
que la seule painture est celle qui nous l'a remise
suSy sans que nous ayons cest heur de scavoir ny le
nom du roy, ny le temps que cela advint^ ny le nom
de ceulx pour qui la partie a esté dressée (•).
I . Histoires prodigieuses extraites de plusieurs fameux au-
theurs , àvihits en deux tomes, le premier mis en lumière par
P. Boaisteau, surnommé Launay, natif de Bretagne; le se-
cond, par Cl. de Tesserant, et augmenté de dix histoires, par
F. de Belleforest, Comingeois. Paris, 2 vol. in-i8, ' 571. —
Le récit de Belleforest se trouve au t. Il , fol 295-298. —
Le même auteur traduisit et augmenta la Cosmographie de
Munster [Pd^m, in-fol., i J75 , dans laquelle il fait mention
de la peinture du château de Montargis, et renvoie pour
l'explication du sujet à ses Histoires prodigieuses (p. 331,
col. 1).
xxxvj Préface.
Si Belleforesi ne s'en lût pas lenu à la seule
autorité de Scaliger, il eût été plus exactement
re^ C'est ce que lit remarquer doctement,
pi.. , un continuateur des /y/5/o/r(-5 prodi-
gieuses, Jean de Marconvillc (•). Cecontinuateur,
3ui connaît le ; ' '" ' ' V *' he, trouve
ans celui de , , uts contra-
riansàlaveritédujatct. D'abord Belleioresi avance
que le combat a eu lieu à Montar: s ombre
aue le pourtrait en aestc veu iÎAns li j Judit
Montargis. En second lieu, il croit a tort que le
gentilhomme était armédc toutes pièces. Ueplus,
U oublie le principal, c'est que le meurtrier estoit
enfouy dans terre jusques au fau du corps, n'ayant
que les deux bras libres, suffisans toutefois pour se
défendre contre ranimai , si autre n'eust combatu
contre luy que la simple furie et animosité d*un
cf. ' 's sont notoirement taxez
d'i.. , disant qu'ils n'ont tenu
conte de remarquer le temps ny le nom du roy sous
lequel ce s: ■ ' ' ,/, ny le nom de Vhomi-
ciae ny d^ ..._ ...r les vindiquer donc de
cet outraiief je vous en veux icy réciter l'histoire
avec I '\ipprend mcssire Olivier
de la :..- .... , ,. -r maistre d'hostel de la
maison de Fhilippes, archiduc d'Austriche, duc de
B V, etc.
..... «.n tète de cette critique et de l'histoire
racontée encore une fois d'après Olivier de la
M •• trouve la petite gravure dont j'ai
I. V ''«uiU noiedcii p xiviii.
a. »' '
Préface. xxxvij
Voilà donc, à la fm du XVI<^ siècle, les circon-
stances du fait très-diversement rapportées. On
n'est pas d'accord sur tel ou te-l point ; mais le fait
lui-même semble à l'abri du doute, à part un
mot qui échappe à un homme de sens^ André
Thevet, dans sa Cosmographie universelle (i), où
il dit à propos du château de Montargis : Dans
ce chasteau estoit de mon jeune aage figurée une
histoire d'un lévrier qui combattit et desfeit un
gentilhomme qui avoit cauîeleusement tué son maistre.
De dire que la chose soit advenue, je n'en veux rien
affermer, tant y a que cela estoit effigie contre un
manteau de cheminée (2). Mais ce doute d'un bon
esprit pouvait-il affaiblir l'autorité d'écrivains
tels qu'Olivier de la Marche et Jules Scaliger ?
Cependant, quelque chose manquait encore à
leurs récits pour satisfaire pleinement les curieux
et donner plus de prise à la crédulité : l'histoire
était sans date, comme l'avait remarqué Bellefo
rest. Je ne sais qui se chargea de lui en assigner
une, car je n'ose me flatter d'avoir réussi à re-
cueillir toutes les pièces de ce procès. Ce que je
puis dire seulement, c'est que dans le Discours
notable des duels, par Messire Jean de la Taille,
ouvrage de la fm du XVF siècle, se trouve une
version qui laisse beaucoup moins à désirer que
les précédentes au point de vue chronologique.
Sans doute l'auteur n'y indique pas l'année et le
jour du fameux combat ; mais il est en mesure
1. 2 vol. in-fol. Paris, 1575.
2. T. II, liv. XV, fol. 57^
xxxviij Préface.
de nous apprendre qu'il eut lieu sous Charles V(>)!
C'est àé\*\ quelcjue chose : avec le temps on fera
mieux, comme je le montrtrai plus loin.
En attendant, l'histoire se dédouble un mo-
ment par suite de cette absence de noms propres
que j'ai signalée dans le récit de Fielleforest. Un
recueil qui parut en 1608 (^- , reproduit sous ce
litre : De la fidcliU d'un Uvrier^ l'amplification du
prolixe Comingeois, sans aucun nom propre, hors
celui de Montargis; après quoi le lecteur trouve
un autre exemple de la feaulté d'un lévrier, com-
mençant en ces termes : Messire Olivier de la
Marche racornie en son livre des duels une his-
toire qui a beaucoup de ressemblance avec la
précédente (on se ressemblerait à moins), de deux
cavallierSy compagnons de cour et de guerre , des-
quels l'un s'appelloit messire Auberj de Montdidier,
etc.
Olivier de la Marche n'ayant point parlé de la
peinture de Montargis, qui fut faite vers le temps
où il écrivait son Livre des Duels, et pcut-ôlre
après, l'auteur de notre recueil ne reconnut pas
l'identité de ses deux exemples.
I. L'auteuf. aprAs avoir rappelé un combat à cheval fait à
Po' nolSy a|outc :
• 3!!<*r ^i loinR en Italie mandicr la
' uinbiU , entre
land noij 1 : . 1 bien ou
fi ri, par le» roys mesmci. Ne fuM-ce qu'un
ft' qui fut donné par le roy Charlei cinquiesme,
»uf Sage, non point entre deux hommes, mais
col; çr d'attache et un aichcr de ses gardes.» (P. j 1-
)|. I vol. m -18, Parti, 1607. y
j. Choix tlf r!,:t,,,irt histoires et autres choses mémo-
rables, tant I que modernes, appariées ensemble.
Paru, Metta)(.., . ,-^. in-u.
Préface. xxxix
La date du règne de Charles V mise en avant
par Jean de la Taille se retrouve dans tous les
récits postérieurs, et d'abord dans celui que ren-
ferme le Vray et ancien Usage des duels ^ par le sieur
d'Audiguier, lequel m'a tout l'air de copier son
devancier, comme ce seul titre le donne à croire :
Duel d'un lévrier d^aîtache contre un archer des
gardes de Charles K, dit le Sage ('). Lévrier d'at-
tache , archer des gardes, sont des désignations
empruntées à Jean de la Taille. Mais voici qui
appartient en propre au sieur d'Audiguier : L'his-
toire dit qu'il (l'archer) fut puny, mais elle ne dit
point de quelle mort, ny pourquoy, ny de quelle façon
il avoit tué son amy. Si ce chien eust esté grec, au
temps qu'Athènes estoit en son lustre, il eust esté
nourry aux despens du public , son nom seroit dans
l'histoire, et son corps ensevely avec plus de raison
et de mérite que celuy de Xantipus.
Parmi les nombreux ouvrages sur le duel que
nous ont légués les XVI^ et XVII^ siècles, l'un
des plus importants est le plaidoyer de Claude
Expilly sur Fédit des duels de 1609. L'auteur,
qui d'avocat devint président au parlement de
Grenoble, et compte en même temps au nombre
des grammairiens qui tentèrent de réformer Por-
thographe française, a raconté à son tour le duel
du chien d'Aubri contre le meurtrier de son
maître (2). Il n'en connaît pasde plus mémorable,
dit-il, et on le croit sans peine : Le duel qui avint
du tams du roy Charles V et an sa presance antre le
chevalier M acaire et le lévrier d'Aubry de Mondidier
1. Paris, 1617, in-80, p. 363-367,
2, Voyez ce récit , Appendice, VII, p. 323-324. Il offre un
spécimen de l'ortliographe d'Expilly.
\\ Préface.
dans le bois de Bondis et le plus notable et digne de
nwmoiTi Ac tcui ccus i]ui se firent onaues. Rien
digne de mémoire, en effet, s'il eût eu lieu réelle-
ment ; mais c'est sur quoi Expilly ne propose pas
le plus K ' ite. Il sait seulement que p/ui/Vur^
'aconten: ...:e avec (juclijue diversité.
Douze ans après la publication des plaidoyers
d'Kx ] \6^?>jp3rà\X Le Vray Théâtre d'honneur
et j aie, par Marc de Vulson, sifur de la
Colombiere, et l'on pense bien que l'auteur d'un
tel livre ne pouvait se priver d'y produire le glo
rieux et inévitable lévrier. Aussi donna-t-il une
nouvelle édition de son histoire empruntée sur-
tout à Scaliger et à Jean de la Taille. V'ulson de
la Colombiére paraît avoir goûté beaucoup les
rétlexionsde d'Audiguier ci-dessus rapportées : Si
ce chien eust esté grec, etc. il se les approprie pres-
que mot pour mot. et sans indiquer la source où
il les puise , procédé étrange et qui fait jouer à ce
gentilhomme un vilain rôle sur son théâtre
d'honneur.
Il ne laisse pas pour cela de se donner des airs
de critique : // y avoit, dit-il, un gentilhomme que
^uelaues uns (') qualifient avoir esté Archer des
gardes du roy, et que je crois plutost devoir nommer
un Gentilhomme ordinaire, ou un Courtisan, par ce
que rhistoire latine dont j'ay tiré cecy (») U nomme
Aulicus, etc.
A Quoi Montfaucon ne dédaigna pas de répon-
dre plus tard : La Jiffuiillé que fait là-dessus La
Colombiers lorsau'il dit qu'un auteur l'appelle Au-
1. Je» (le U I)i..c cl le itcur (i'Audiguier.
a. C'est le iccii de Scaiigcr.
Préface. xlj
licus, et que cela ne peut convenir à un gentilhomme
archer du roi; cette difficulté , dis-je^ n'est rien, car
un gentilhomme qui est ordinairement auprès du roi
pour le garder se peut fort bien appeler Aulicus.
Quoique le récit de LaColombièrene soit ni le
premier ni le dernier, c est celui qui est resté en
possession dePestime des savants, celui que rap-
porte Montfaucon (»), celui que de nos jours on
cite le plus volontiers (2).
A en croire le catalogue des Monuments de
l''histoire de France récemment publié par
M. Hennin, le récit de Vulson de la Colom-
bière serait accompagné d'une planche in-folio
représentant le combat en duel de Macaire et
du chien d'Aubri , ce qui est exact ou le paraît
à première vue si Pon consulte les exemplaires
du Vrai Théâtre d'honneur et de chevalerie conser-
vés à la bibliothèque de l'Arsenal et à la Maza-
rine. Mais la gravure qu'on y voit ne me semble
pas avoir été faite pour l'ouvrage, et sans doute
elle y a été ajoutée après coup (?).
1. Monuments de la monarchie française, t. III, p. 68
et suiv.
2. On le trouvera à V Appendice, sous le n" VIII, p. 324-
328.
3. D'abord, dans les deux exemplaires de la Bibliothèque
impériale, dont l'un est de la réserve, on chercherait vaine-
ment cette estampe, et rien n'indique qu'elle ait jamais dû
en faire partie. En second lieu, dans l'ouvrage de la Colom-
bière les planches indiquent par un chiffre gravé les feuillets
du texte auxquels elles se rapportent. On voit bien un ren-
voi de ce genre sur les deux estampes ajoutées aux exem-
plaires de l'Arsenal et de la Mazarine , mais le renvoi est
écrit à la main et, dans chaque exemplaire, de la même main
et de la même encre.
xlij Préface.
Il est fort probable que l'esiampe dont il s'agit
parut peu de temps après le livre de La Coiom-
bière. et que l'éditeur de ce livre, Augustin
Courbé, en enrichit les exemplaires qui lui res-
taient, ou du moins quelques-uns. La question
du reste est de bien peu d'importance. Il est
plus intéressant de rectifier ici les renseigne-
ments inexacts que donnent deux ouvrages
spéciaux sur lauteur de l'estampe, lequel est un
graveur connu , René Lochon , déjà habile
en 1651 (ce qui ne permet guère de le faire
naître en 1640, ni même en 1656% et maniant
encore le burin en 1675, sinon plus tard (').
L'estampe de Lochon est la reproduction en
c~— ' nrtie de la gravure du XV1<^ siècle men-
Li-dessus. Klle se sent de l'influence de
l'original et en rappelle le faire. Aussi la croirait-
on plus ancienne qu'elle ne l'est réellement.
Elle porte en tête cette double légende :
I . I ' ■ ft archéologique de la Gra-
vure n .rJot, Parisien (Paris. 1H49,
io-S"), oa iit, p. 261
« René ou Robert Lociion, ne en 1040, grava en 10J9 et
167J. m
Celle dernière date eit exacte . ï la première il faut sub
stibief au momt 1 6 ( 1 , année où parut simultanément rn ita-
lien et en français le Traité de la Peinture , de Léonard dr
ViOCi, f>'ilir Ir Mir! ! r,. 1 N-.f, friv-i/irt nlii,. h,-v l'iiiv Lail-
gloii. m de
LOCho: ,^,„ ^i ,M/*.-.ui.
M ' de l'Amateur d'es-
''"■" i, •")<j,, uii lii"- Kené Lochon était né
•> . 1640. — Il 3 signé l'estampe qui nous
o\.u{^ f COfugN LUTITIAHUS.
Préface. xliij
MONTARGO INITVM CANIS CERTAMEN ADVERSVS
NOBILEM HERI INTERFECTOREM.
COMBAT d'VN chien CONTRE VN GENTILHOMME
QVI AVOIT TVE SON MAISTRE. FAICT A MONTARGIS.
Elle fut publiée à Paris, chez Jacques Lagniet,
cet éditeur dont on connaît le Recueil des plus
illustres Proverbes {\6<i'j-6]) (').
Le même Lagniet en publia une réduction
dont on peut voir deux exemplaires au Cabinet
des estampes de la Bibliothèque impériale (f).
Cette réduction est une eau-forte anonyme en
tête de laquelle on lit :
LA MANIERE QUE LES FRANÇOIS ESTOIS HABILLIÉ
IL Y A ENVIRON 30O ANS SOUBS LE REGNE DE
CHARLES VI ET CHARLES Vil
et au-dessous, le titre français de la gravure de
Lochon.
Au bas de l'estampe est un récit du combat
qui ne fait qu'abréger celui de Vulson de la
Colombière (3).
Plus tard, en 1666, un grave conseiller d'État
recommence à célébrer h loyauté du chien d'Au-
bri , non sans prétendre à rectifier le récit de La
Colombière, qui alléguant cette histoire dit ne sca-
1 . Il a inséré ici son nom et son adresse dans !e tonneau
du chien, où on lit : A Paris chez Jaq. Lagniet deriere le
four Levesque sur le cay de la Megiss[erie].
2. Recueil de Fevret de Fontette, intitulé: Histoire de
France^ à la date de 1 3 7 1 .
3. M. Hennin n'indique pas cette estampe dans son cata-
logue ; il l'a peut-être négligée comme de peu d'importance.
xliv Préface.
voir le genre de mort du traître Macaire. Mais
messire c'juillaume Ribier est mieux informé; il
sait de science certaine que MAchanf ^c'est ainsi
qu'il l'appelle) fut pendu et étranglé au gibet d
Montfaucon (>).
A soixante ans de là, voici le P. Vanière au
exerce sa muse latine sur le môme sujet , et lu
fait chanter les louantes du molosse vengeur
thème innocent dont il n'abuse pas, du reste
puisqu'il n'y consacre aue treize vers ;'\
Dans cette galerie de crédules narrateurs ei
d'admirateurs sibr* ' , qui s'attendrait avoir
figurer l'un des \ mis, l'un des plus cé-
lèbres bénédictins de Saint-Maur, Dom Bernard
de *■ * aicon? C'est pourtant lui qui y tient la
plu .. :e place. Dans le tome III des Monu-
ments de la monarchie françoise, qui parut en 17?!,
se trouve une planche ainsi intitulée : Le Combat
d'un chien contre un gentilhomme qui avoit tué son
I. Voyez le récit de Ribier, Appendice^ IX, p. j28-j}o
i. Nec minus ultorero Calli stupuere molossum.
Sternum fjcii monimentum curia pictis
Servat adhuc mûris Nudos in imagine dentés
Excrit, et
llliuianie
lacrro\
doi:
ulci hosli.
1 vulnrrc caeco
u^uine viiam;
v
.1
\
itat iras.
J
osccns
1-
' 1
s
)ssum,
it.
{Hr^éium rusiicum, I. IV )
Préface. xlv
maisîre faict à Montargis soiibs le règne de Charles V,
en 1 3 7 1 .
La date de 1371 est une nouveauté. C'est le
progrès que j'annonçais ci-dessus. Montfaucon
le premier a accepté cette date et l'a mise en cir-
culation, on verra tout à l'heure sur quel fonde-
ment. A cela près, son estampe n'est qu'une
copie en contre-partie de celle qu'on peut attri-
buer à Androuet du Cerceau. Le savant béné-
dictin en fait ainsi connaître l'origine :
« Le fameux duel d'un gentilhomme de la
« cour du roi Charles V, dit le Sage, contre un
<( chien dont ce gentilhomme avoit tué le maître,
(f est un fait si extraordinaire, que le lecteur sera
■<f sans doute bien aise d'en voir ici l'estampe.
« L'histoire de ce duel se voit encore sur le
« manteau d'une des cheminées de la grande
« salle du château de Montargis, mais lapous-
(f sière qui s'y est attachée depuis si longtemps
u fait qu'on ne peut distinguer qu'avec peine
« les parties qui la composent. Le R. P. Noël
(( Seurrad, ci-devant prieur de Ferrières, m'a pro-
« curé une vieille estampe faite, il y a près de
« deux cens ans, de l'histoire représentée sur
<( cette cheminée; c'est d'après cette estampe
« qu'on a fait faire la planche suivante. Voici
« l'histoire de ce duel rapportée dans le Théâtre
« à' honnem et àe chevalerie ait 'L2,ZQ\Q>T^\hx^. «
Après la relation qu'il emprunte à La Colom-
bière, Montfaucon explique les détails de l'es-
tampe et ajoute :
(( Ce duel se fit l'an 1 371, s'il faut s'en rap-
xlvj Préface.
«< porter [j\ ne le fallait pas^ à la date marquée
•• au haut de la planche, ajoutée à la main lon^-
« temps après que la planche tut faite. Le meur-
« trier était le chevalier Macaire, gentilhomme,
« archer des gardes du F<oi
« Ce combat eut l'issue que La Colombièrc
»• marque ci-dessus. Le chevalier Macaire,
« pour être délivré du chien qui l'étrangloit, pro-
« mit de confesser tout ; il avoua qu'il étoit au-
«« teur du meurtre, et fut envoyé au gibet, distrU
u les mémoires qu'on m\i envoyés de Montarjj^is.
«< Il est surprenant qu'aucun des historiens du
« temps n'ait fait mention d'un fait si extraor-
« dinaire »
Voilà, certes, une surprise naive et des plus
étranges ; mais ce qui est plus fort encore, c'est
cette mention de mémoires envoyés de Montar-
gis. Et que pouvaient donc être ces mémoires,
sinon un ou plusieurs des récils que nous venons
de passer en revue ? Kn ce cas, il n'était guère né-
cessairede lestircrde Montargis, puisqu'ils étaient
ailleurs. Assurément Montfaucon ne veut point ici
abuser ses lecteurs; il s'est donc laissé abuser lui-
même de la façon la plus singulière. Es:-ce qu'à
Montargis, à part la peinture du château, on
pouvait rien savoir sur le trop fameux duel? Il est
vrai que le titre de l'estampe reproduite par
Montfaucon indique Montargis comme le théâtre
du combat ; mais le récit de La Colombière porte
que ce combat eut lieu dans l'ile Notre-Dame,
Cl cette différence si notable eut dû suffire pour
éveiller la critique endormie de Montfaucon ,
lequel, après quelques recherches à f^iris.cn
Préface. xlvij
aurait su beaucoup plus long qu'aucun de ses
correspondants de Montargis.
L'inconcevable facilité avec laquelle un homme
de ce mérite avait accueilli pareille histoire fut
spirituellement relevée en 1732 par un rédacteur
anonyme du Journal littéraire de La Haye. Après
avoir annoncé la publication du tome III des
Monuments de la monarchie françoise, le journa-
liste ajoutait :
« Nous avons été surpris d'y trouver, sous le
« règne de Charles V, le prétendu duel d'un
« gentilhomme de la cour de ce roi contre un
« chien. Le fait avec toutes ses circonstances se
« trouve dans VAlmanach de Milan de cette an-
ce née , et il convient si bien à un pareil ouvrage
« que nous n'avons garde de l'en tirer. Notre
« auteur le rapporte cependant sans le révoquer
« le moins du monde en doute, non plus que
« l'authenticité d'un tableau où ce duel est re-
(f présenté ... et dont on trouve ici une estampe . . .
<( Il ne faut que comparer cette estampe avec
(( toutes les autres de ce volume pour voir que
« ce prétendu monument n'est d'aucune autori-
(c té. Notre auteur trouve surprenant qu'aucun
i( des historiens du temps n'ait fait mention d'un
(X fait si extraordinaire. Pour nous , vu les cir-
<( constances de ce fait, nous eussions trouvé
« bien plus étonnant encore qu'ils en eussent fait
'.( mention (1). »
I. Journal littéraire de La Haye, année 1732, t. XIX,
V^ partie, p. 259.
xlviij Préface.
Monifaucon, nous dit un correspondant du
Mercure de France (') , »« ne jugea pas à propos
« d'interrompre ses grandes occupations pour
«« prendre lui-mémc son fait et cause; »> mais il
trouva des défenseurs officieux, et d'abord,
selon toute apparence, l'abbé Lebeuf. Kncore
un grand savant compromis dans cette affaire, si,
comme on ne peut guère en douter, il est l'au-
teur de la Lettre écrite d'Auxcrre à M. Mailbrty
avocat au Parlement de. Paris, pour soutenir la
vérité du fond de l'histoire du chien de M ont ar gis (0.
La thèse était embarrassante , même réduite
à ces termes, et il fallait être l'ami de Monifau-
con, un ami zélé, pour se faire le champion
d'une cause aussi douteuse. A la lecture Je la
lettre on devine aisément le sentiment qui anime
l'auteur, quel qu'il soit, et l'on reconnaît l'em-
bairas qu'il éprouve. Il souhaite, dit-il, au'on
retrouve l'ancienne chronique citée par Olivier
de la Marche; il souhaite « que cela arrive pour
o confondre les adversaires du P. de Montfaucon; >•
mais en même temps il avoue qu'il lui semble
difficile d'attribuer l'histoire au règne de Char-
les V. Une fois embarqué dans celte question,
I. Décembre 17J4.
a. Mtrcurt à' '■■ ••" •"^- ''mbre 17)4. — Un extrait de
cette lettre » é- ns la Collection des meilleures
i' • ' (t irjttfs particuliers relatifs d l'his-
; MM. G. Lcber, J.-U. Salgucs et J.
CoJirn. T. AViii, r ■ i^ i8jo. Une note de M. Le
b«Y fp ift)^ rti ai; Cl Cette lettre doit hre </
/ l'Auxerre est déji un
; ""H de M. Lebcr, et
vyme de Mont
:. .^re.
Préface. xlix
il jette à la mer tout ce qu'il désespère de sauver,
et ne laisse pas d'être fort en peine avec le reste.
Ce n'est pas l'érudition qui lui manque assu-
rément pour se tirer d'affaire ; il en a une à son
service aussi solide qu'étendue; mais cette éru-
dition même le gêne plus qu'elle ne l'aide. Il en
est réduit, en somme, à des raisonnements comme
celui-ci : « Il est vrai que nous n'avons point
« d'écrivain du siècle même de l'événement qui
<( en ait fait mention ; mais il est ordinaire que
« les histoires les plus singulières ne sont pas
(c celles qui sont écrites le plutôt. On suppose
(( qu'elles ont tellement frappé qu'on ne les ou-
(( bliera jamais et qu'il est inutile de les écrire.
« C'est beaucoup que malgré cette négligence
« on ait retenu les noms des deux chevaliers qui
(( font le sujet de l'histoire. «
Pour concilier les contradictions des divers ré-
cits, l'auteur de la lettre se livre à des suppositions
très-hasardées qu'il serait superflu de reproduire.
En désespoir de cause, il conclut ainsi : «Je me
(( contenterai , pour appuyer la réalité du fait ,
« de rapporter le témoignage d'un personnage
« qui certainement ne passait point pour crê-
te dule et qui ne donnait point dans la fable :
(( c'est Jules Scaliger, mort en i$$8. »
Belle autorité , en effet , que celle d'un per-
sonnage mort en 1558, fût-il Jules Scaliger,
pour attester la réalité d'un fait réputé antérieur
de près de deux siècles !
Quant au règne sous lequel l'événement aurait
eu lieu, le correspondant de M. Maillart pense
que pour le déterminer il faudrait retrouver
dans quelques chartes les noms d'Aubri de
Macairc. d
i Trékace.
Monididier et liu chevalier Macnirc; il ajoute
que pour lui »* il a trouvé un Macaire de Sainte-
Menehould, chevalier français vivant en 1204. >»
Un mois après la date de celte lettre parait ,
encore dans le Mercure de France , un Supplément
à ce ^ui tï été inséré (\ç mois précédent^ an sujet
de rhistoire du chien de Montargis, où par occasion
il est parlé d*un chien renommé dans rhistoire
orientale {*). L'auteur de ce supplément paraît
surtout s'être proposé de placer son historiette
orientale, qui est du reste assez jolie, (^ani îi
son argumentation en faveur du chien de Mon-
targis. elle peut se résumer ainsi : l'histoire du
combat de ce chien était regardée comme indu-
bitable dans les XV' et XVI' siècles; elle n'a
d'ailleurs rien qui choque la vraisemblance ; en
quoi l'auteur a raison sur le premier point, mais
sans prouver autre chose que la crédulité des
XV* et XVl' siècles ; et sur le second point, il est
permis de penser qu'il se montre bien accom-
modant.
Ainsi défendue , quoique avec plus de chaleur
que de force, contre les doutes de la critique.
rhistoire duj chien de Montar^is devait fournir
encore une longue carrière. Elle rencontra ce-
f)endant , quarante ans après l'article du journa-
isic de La Haye, un adversaire plus redoutable,
c'csî-à-dire mieux armé.
l^ibnilz. av " ' 'i»^ à ILtnovrc, en 10 ;>■>, son
édition de la ^ ic d'Alberic de Trois Kon-
taines. FVrsonne apparemment ne l'avait lue ,
1. Mercure, décrmbfc 17J4. — Un Mirait de ce supplé-
ment a été auiii réimprimé dans la collection précitée, même
tome, pages 189 lo).
Préface. Ij
personne du moins de ceux que nous venons de
citer : ni Montfaucon^ ni son critique de La
Haye, ni ses défenseurs du Mercure, sans quoi la
querelle ne serait pas née ou n'aurait pas pu du-
rer. Mais un savant plus connu aujourd'hui par
ses erreurs que par ses mérites, le Franc-Comtois
Bullet, releva un jour dans la chronique d'Al-
beric le passage que nous avons rapporté plus
haut, et^ ce texte à la main , fouetta vivement le
chien de Monîargis pour le renvoyer au roman
d'où il était sorti. Si depuis lors on a vu le fi-
dèle lévrier rentrer dans l'histoire derrière son
maître, la faute n'en est point à Bullet. Il avait
très-bien réussi à l'en mettre hors. « Jen'aurois
pu me décider, disait ce savant , à nier un fait
soutenu d'un monument, consigné dans nos chro-
niques, cité par des écrivains de réputation, res-
pecté par Scaliger, adopté par Montfaucon, si je
n'avois découvert une preuve incontestable de sa
fausseté ('). »
En effet, quelle preuve plus incontestable que
le passage d'Alberic ? Tout ce qu'on y pouvait
ajouter, c'était de retrouver et de produire le
roman que le chroniqueur avait eu sous les yeux.
Telle est la tâche que je me suis donnée et que
je remplis aujourd'hui. Réussirai -je mieux que
Bullet à reléguer au pays des fables l'anecdote
du chien de Montargis .'' Rien ne me paraît
I . Dissertations sur la mythologie françoise et sur plu-
sieurs points curieux de l'histoire de France, par M. Bullet.
Un vol. in-i2. Paris, 1771. — La Dissertation sur le chien
de Montargis que renferme ce volume (p. 64-92) a été réim-
primée par M. C. Leber, avec des notes, dans la collection
citée plus haut.
lij Prépace.
moins assuré , car dans le champ de l'histoire ,
comme ailleurs, mauvaise herbe croit toujours.
En veut-on la preuve pour ce cas particulier ?
Ij dissertation de liullet est de 1771; or
voici depuis lors jusqu'à ce jour la destinée du
chien de Montarps.
En 177O, en 1778, paraissent deux éditions
successives des Essais historiques sur Paris, de
Poullain de Saint- Foix . =\ et dans ces deux
éditions on retrouve sous la rubrique : IsU Notre-
Dame ou Saint-Louis , une nouvelle relation du
combat déjà raconté tant de fois. Les réflexions
de Saint- Foix à ce sujet peuvent passer pour
curieuses : « Quelaues auteurs , dit-il , ont cru
" que c'éloit sous le règne de Charles VI ,*jque
•< vivoil un chien dont la mémoire mérite d'être
«» conservée à la postérité. D'Audiguier prétend
« que c'ctoit un lévrier; j'en doute, attendu que
«' le nez dans les chiens çst le mobile du senti-
•< ment ; or, les lévriers n'ont pas de nez; et,
« par conséquent, s'ils caressent un maître ,
M s'ils se trouvent à son lever, à son coucher,
« ce n'est que par l'habitude, comme des cour-
« lisans, sans s'y attacher et sans l'aimer. Je les
« crois absolument incapables de ces traits de
« bonté de cœur dont je vais faire le récit. »
Ce récit terminé , Saint-Foix ajoute :
«< On ne sera point étonné que ce chien ait
1. Celle de 1778 comprend les ortivrej complètes. Voyez
le t. If '«' -*"• '* ' ' - !»■ t I dr la prècéJente.
2. < ^ haut, ce n*«t point au règne de
ChâHo «I. nirf dr Charles V, que l'un rattache
lliisioère.
Préface. liij
« resté plusieurs jours sur la fosse de son maître
(c ni qu'il ait marqué de la fureur à la vue de
{< son assassin ; mais la plupart des lecteurs ne
{( voudront pas croire qu'on ait ordonné le duel
« entre un homme et un chien. Il me semble
« cependant que , pour peu qu'on ait parcouru
(( l'histoire et vécu dans le monde , on doit être
« tout au moins aussi persuadé des travers de
(( l'esprit humain que du bon cœur des chiens.»
Voilà, si je ne me trompe , le burlesque vraiment
agréable : celui qui s'ignore ! J'en extrais un au-
tre échantillon non moins précieux des Mémoires
de VAcadémie celtique. Un savant dont le nom
n'est pas oublié , Eloi Johanneau , proposait à
résoudre, en 1807, aux membres et associés cor-
respondants de cette académie , la question ci-
après : *
« Y a-t-il à Montargis quelques vestiges du
« culte du chien , quelques traditions , quelques
(( fables, quelques monuments, quelques usages,
« quelques mots qui y aient rapport, et qui puis-
« sent donner lieu de croire que cette ville, dont
« le nom semble venir du français mont, du cel-
te tique ar (du) et ki (chien), était chez les Cel-
'< tes ce qu'était la ville de Çynopolis ou du chien
« chez les Egyptiens, ce qu'est encore chez
t< les Gallois la colHne du chien , nommée Moel
(c Gylan Q) ? »
I. Mémoires de l'Académie celtîgue^ t. I, p. 97.
liv Préface.
L'année suivante, l'histoire du chien de Mon-
targis prend place , comme de raison , dans une
Histoire des Chiens célèbres ^'), et avec des va-
riantes qui donneraient à croire que l'auteur a
trouvé des documents nouveaux. C'est ainsi
qu'il attribue la haine de Macaire pour Aubri ù
une querelle très-vive qu'ils auraient eue en
jouant à la paume. Mais le renseignement le plus
neuf est celui-ci : « Nous lisons dans un com
« mentateur de Monstrelct que le chien avait
« déjà sauvé la vie à son maitre quelques an-
«< nées auparavant, et qu'il le tira par ses habits
« des eaux du Gave, rivière de Béarn. »
J'ouvre une édition de la Morale en action da-
tée de 1810. et j'y vois figurer avec honneur le
chien d'Aubri de Monididier, « dont la mémoire,
esl-il dit , a mérité d'être conservée à la posté-
rité. »
Le 18 juin 1814 fut représenté pour la pre-
mière fois à Paris , sur le théâtre de la Gaité, un
mélodrame historique de Guilbert de Pixerécourt
intitulé : Le Chien de Montargis y ou la Forêt de
Bondy.
Certes, l'auteur avait bien le droit de s'em-
parer de ce sujet, historique ou non, et je n'ai
garde de le lui reprocher; mais Guilbert de
Pixerécourt n'était pas un simple dramaturge :
C*é(!iit de plus une manière de tibliophile et qui
M piquait de quelque érudition. Il aurait donc
I. Pir A J Frçvi.ic. a vol.in-ii. pjris^ 1808. Une pe-
nte gravure, reprHrniini le chien qui uisit Macjirr i \i
gorge, iccompjgne le récit.
Préface. Iv
pu se dispenser, par cette raison , de joindre à
l'édition de sa pièce (') la note historique qui la
précède , ainsi que les noms des auteurs qui rap-
portent ^anecdote et sur lesquels on a dû s'ap-
puyer.
Ce mélodrame eut le plus grand succès dans
sa nouveauté (2). Je l'ai vu représenter vingt
ans plus tard, mais sans que ma curiosité pût en-
durer Pépreuve jusqu'au bout ; et aujourd'hui, en
le comparant au poëme que je publie, je m'as-
sure que la littérature populaire du moyen âge
n'était nullement inférieure à celle du commen-
cement de ce siècle.
i. Paris, Barba, i8i4,broch, in-8 .
2. Succès durable, car la pièce resta au répertoire jusqu'en
1835. On la joua presque sans interruption pendant vingt
et un ans, et en 183 1 notamment on ne trouvait rien de
plus intéressant à donner au public en un jour de représen-
tation gratuite.
Elle a été reprise il y a onze an?, le ?o avril 1 8 n , toujours
sur le même théâtre. Parmi les pièces détachées conservées
à la Bibliothèque impériale , se trouve une feuille volante
déposée à cette époque, et intitulée : Notice sur le fait histo-
rique qui a donné lieu à la pièce du chien de Montargis.
Cette reprise donna lieu à un article de journal ayant pour
titre : Les animaux dramatiques^ et signé Charles Richomme.
{Journal des Darnes^ mai 1853.) J'y puise les renseigne-
ments ci-après , que j'ai pu vérifier, et même compléter.
Dans le mélodrame de Guilbert de Pixerécourt figurait un
chien (le chien d'Aubri) , auquel l'auteur avait donné le nom
de Dragon. Ce rôle fut créé dans l'origine par un caniche
nommé Vendredi ^ appartenant à l'un des administrateurs du
théâtre de la Gaîté. Parmi ses successeurs on cite avec éloge
Catulle, qui avait été dressé par un artiste du même théâtre
et qui recevait 5 fr. de /eux par représentation. Enfin, en
1853, Miro, qui s'était déjà fait connaître avantageusement
dans la Bergère des A Ipes , trouva dans la reprise du Chien
de Montargis l'occasion de nouveaux succès.
I?| Préface.
Un Album du dépjrtement du Loirrt publié en
1827 (') renferme l'nistoire sommaire du chAteau
de Montarpis, et, bien entendu, la mention de
la cheminée au-dessus de laquelle se voyait la
peinture faite sous Charles VIII. Cette date est
exactement indiquée d'après Androuet du Cer-
ceau; mais pour ce qui est du combat, on ne
sait comment l'auteur, homme sérieux, s'est
avisé d'annoncer ii ' ' " •! raconter «■ ce fait si
souvent embelli et r, en suivant les ver-
sions de Belleforest , d'Expilly et de Scaligcr , »
pour s'éloigner ensuite de ces versions autant
qu'il le pouvait. Exemple :
*' Un soldât de l'armée de Charles \'!II ,
« nommé Macaire, rencontra dans la forêt de
«« Bondi un marchand appelé Mondidier, accom-
« pagné de son chien , et l'assassina. »
Soldat, CharUs VIII, marchand, Mcndidier!
autant de nouveautés qui ne se rencontrent que
dans VAlhum du Loiret. Un autre album publié
en i8?o. et composé de gravures pour servir à
l'histoire de France d'Antjuetil (^>), en contient une
avec celte légende : «< Singulier duel qui eut lieu
l'an M71, par ordre du Roi, entre le chevalier
" ^* et le chien dit de Montargis (dessin de
. .^ .j..t . »» C'est une mauvaise réduction de l'es-
tampe (le Montfaucon , reproduite ici on ne sait
pourq-ioi, puisque le chien de Montargis n'est
pas même nommé par Anquctil.
I ' Vffgojud Rotiugnni, 1;
Wi'irA Vitn llocqtun, :-; .
Préface. Ivij
En 1834, le Magasin Pittoresque, à ses débuts,
n'oublia pas le chien de Montargis ('). Il res-
pecta le récit de Vulson de la Colombiere, et le
reproduisit après Montfaucon; mais la gravure
que cet auteur a donnée dans ses Monuments de
la monarchie françoise lui parut « empreinte du
goût de la Renaissance... Les costumes sont en
partie romains » (proposition bien difficile à éta-
blir). En conséquence, il en publia une nouvelle
avec costumes du XIV^ siècle, et cette gravure
a eu beaucoup de succès à Montargis (2). L'au-
teur de la notice n'ignorait pas que le chien de
Montargis avait été considéré comme un animal
fabuleux, et il a jugé prudent de le dire; mais
quoi ! « il n'est rien au monde, ajoute-t-il, dont
l'existence n'ait été contestée au moins une fois.»
Sa conclusion est celle-ci : « Inventée ou réelle,
l'anecdote est curieuse. »
A la bonne heure ! le lecteur est averti. Mais
que dire de la biographie ci-après , annexée en
1855 à la Description historique et pittoresque du
département de la Somme , par MM. H. Dusevel et
P. A. Scribe (f)?
<( AuBRY DE MoNTDiDiER, ainsi appelé du lieu
(( de sa naissance, était un chevalier plein de
« courage et fort aimé de Charles V, qui lui avait
I. Deuxième année, 1834, p. 89.
z. La preuve en est qu'on en voit une copie dans l'église
Sainte-Marie-Madeleine de cette ville, sur une verrière toute
récente.
L'imprimerie de Montargis en avait fait faire aussi une
réduction qui ornait ses factures.
3. Deux vol. in-80, Amiens, Paris, 1836.
Iviij Préface.
« en plusieurs occasions donné des témoignages
«< de son estime particulière. Un courtisan nom-
•» mé Macaire l'assassina dans la forêt de Bondy.
u Le chien d'Aubry ayant divulgué son crime.
« un combat singulier entre cet animal et Ma-
te Caire fut aussitôt ordonné par le roi Le
« chien ayant saisi Macaire à la gorge, le força
M d'avouer son forfait, etc. »
Il est heureux pour la Somme d'avoir d'autres
personnages à inscrire dans ses fastes. Elle se
consolera plus aisément de perdre celui-ci.
La dissertation de Bullet était restée inaperçue,
ou peu s'en faut, de 1771 à 1842 (•). il ne fallait
rien moins qu'un chercheur comme M. Fran-
cisque Michel pour la remettre en lumière. Il n'y a
pas manqué dans son savant mémoire sur la po-
pularité au roman des Quatre Kils Aymon (i\ où
il parle incidemment de notre poème, considéré
alors comme à jamais perdu.
En 1844, un correspondant du Magasin Pitto-
Tesque réveille aussi le souvenir de la dissertation
1, Voyez cependant Lcgrand à* K\x%%y, Fabliaux ou contes
traduits ou extraits, y ta., Paris, 1839, t. I, p. 324 :
'lit l'auteur, qui se trouve répétée sc-
rit ^up de livres, n'est qu'une fiction d'un
de no« vttuA luin^ns, bien antérieure au temps où on la
place, puinqu'i! en cm parlé dins Albrric de Trois Fon-
uioes.
Voyei i\i'.'A ijuijurp, Histoire physique , civile et morale
da emirons de Pans . sous la rubrique ; Montargis. L'his-
loir ;>rlée ; mais Dulaure diien note : «t II
es: nbat est une fable, n
2. Inséré dam les Actes de l'Académie des sciences, belles
lettres et arts de Bordeaux, IV** année, 184J, p. ^7.
Préface. lix
de Bullet, non sans ajouter beaucoup de son
propre fonds aux arguments du savant Franc-
Comtois. Il a remarqué que dix ans auparavant,
le Magasin Pittoresque avait accueilli trop com-
plaisamment la légende du chien de Montargis,
et il le lui reproche avec une certaine véhémence
dans deux lettres successives, où il examine la
question, d'abord par le côté moral , et en second
lieu par le côté historique. Ce critique le prend
de haut; il ne badine pas, et l'on s'en aper-
çoit trop. « L'honneur de la France, dit-il , est
(c en quelque sorte en jeu dans cette histoire
« célèbre... Non! jamais la noblesse de France
« n'aurait honoré de sa présence un pareil com-
« bat Et c'est sur un roi que l'on a surnom-
« mé le Sage qu'on voudrait faire reposer une si
« monstrueuse action!! Aussi n'est-ce pas
(( tant le chien qui importe au côté moral de cette
« histoire : c'est le roi , c'est l'action du roi qui
(.( est véritablement contre nature. »
Ces lettres ne sont point signées ; mais qui
n'en reconnaîtrait l'auteur.? Elles sont de Joseph
Prudhomme, à n'en pas douter (i).
Il faut croire qu'elles auront échappé aux in-
vestigations de mon ancien et excellent maître ,
M. Bouillet, pour qu'il ait permis à Aubri de
Montdidier de se faufiler avec son chien dans ce
Dictionnaire universel d^Histoire et de Géographie
que tout le monde connaît et apprécie (2).
I. Magasin Pittoresque, 12e année, p. 346 et 394.
_ 2. Voyez l'article Aubry de Montdidier, dont l'auteur
dit que ce chevalier fut assassiné en 1 37 1 , près de Montargis,
par un de ses compagnons d'armes, Richard de Macaire. Je
ne sais où il a pu prendre ce prénom et cette particule.
Il Préface.
La Bioç,raphie portative universelle, qui n'est pas
moins appréciée et qui est aussi d'un grand se-
cours, a admis, il est vrai, Aubri de Montdi-
dier dans ses colonnes ; mais elle a pris le soin
de mettre le lecteur en garde par cet avertisse-
ment relatif au fameux duel : <« L'authenticité de
« cet événement a été révoquée en doute par
« plusieurs écrivains, entre autres par le savant
« Bullet. »
On ne retrouve pas ce Cave cancm dans la Nou-
velle Biographie universelle publiée par MM. Fir-
min Didot frères; mais, tout au contraire, l'écri-
vain qui s'est chargé de nous renseigner sur Au-
bri de Montdidier , encore qu'il juge bizarre
l'idée du roi de faire lutter Macaire contre le
chien accusateur, ne laisse pas, pour la faire pas-
ser, de la déclarer conforme aux mœurs du
moven Age. « Celte tradition, ajoute-t-il, est
« devenue le sujet de plusieurs ballades, et a
t« donné lieu, en France et en Allemagne, à des
« compositions dramatiques qui, sous le titre du
« Chien de Montargis, ou du Chien d'Aubry et de
« la Forêt de Bondy, ont attiré la foule aux bou-
« levards parisiens, au théâtre de \'ienne et à
« plusieurs autres théâtres de l'Allemagne. »
J'ai le regret de n'avoir pu retrouver la trace
des ballades auxquelles fait allusion le biographe
d'Aubri de Montdidier. Je n'ai pu davantage
mettre la main sur le texte dont il s'est autorisé
pour faire du lévrier d'Aubri un dogue , et pour
allonge: le simple nom de Macaire, qui, sous sa
plume est devenu Richard de Macaire (')•
I. Peut-éirc ce texte, quant au nom de Richard de Ma-
caire, est-il timpleinrnt Ir dictionnaire de M Bouillet.
Préface. Ixj
La première édition de la Biographie universelle
(Michaud) avait négligé Aubri de Montdidier;
la seconde a comblé cette lacune et reproduit en
substance le récit de Vulson de la Colombière,
qu'on attribue par inadvertance à Montfaucon.
Ainsi , ni l'érudition de Bullet, ni la force des
considérations morales développées par Joseph
Prudhomme, n'ont pu venir à bout du chien de
Montargis. L'invincible lévrier a triomphé d'eux
comme il avait triomphé de Macaire , comme il
triomphera de moi , hélas !
Aussi n'était-ce pas pour engager avec lui une
lutte inutile, mais seulement par goût pour l'his-
toire littéraire , que je faisais paraître, en 1857,
dans la Bibliothèque de l'École des Chartes ('), mes
notes sur le manuscrit de la bibliothèque de
Saint- M arc , où j'ai trouvé le poëme de Macaire.
Ces notes n'ont pas été inutiles , qu'il me soit per-
mis de le dire : M. Edouard Fournier s'en est
servi pour faire connaître au pubhc qui le lit, et
qui ne me lit point , l'origine de la fable du chien
de Montargis (2). Elles ont peut-être provoqué
aussi l'édition du poëme de Macaire qui vient de
précéder la mienne.
Mais avant de parler de cette édition, et pour
suivre Tordre des dates , il faut jeter un coup
d'œil sur deux petits romans, rejetons tardifs et
débiles qu'un reste de sève a fait sortir récem-
ment encore de la vieille souche que je déterre.
Par une évolution curieuse , la légende du chien
de Montargis^ après avoir pénétré dans l'histoire,
1. Quatrième série, t. III, p. 394-414.
2. L'Esprit dans l'histoire, 2^ éd., 1860, p. 41-4J,
Ixi) Fkéface.
est revenue comme d'elle-même à son point de
départ, je veux dire au roman. C'est sous cette
forme ou'on ia retrouve dans ks Animaux liisto-
rii^ufs m et dans le Choix de Légendes popu-
laires i^, deux ouvrages qui datent l'un et l'au-
tre de 1861.
« Et moi je vous dis que cette nouvelle faveur
« dont vient d'ôtre encore l'objet ce damné d'Au-
<« bry de Montdidier m'était due! Jusques à
«< quand rencontrerai-je cet homme sur mon
<« chemin ? •» Tel est le début du récit aue ren-
ferment les Animaux fiisîoriijuts , et où la haine
de Macaire pour Aubri s'explique par l'envie,
comme dans la plupart des relations antérieures.
Une gravure accompagne le texte ; elle repré-
sente Macaire assailh par le chien.
Dans le Choix de Légendes populaires , l'his-
toire est beaucoup moins simple : ce n'est plus
l'envie qui anime Macaire contre Aubri, c'est
une rivalité d'amour. L'auteur a suivi le senti-
ment de ce magistrat qui, à l'annonce d'un
crime, ne manquait jamais de demander: « Ouest
la femme? » Ne la trouvant point ici, il l'a inven-
tée. C'est une certaine Jeanne de Montessan,
promise à Macaire , mais aimée d'Aubri et le
payant de retour, comme ondisaitnaguèrc. D'au
très inventions non moins heureuses contribuent
à étoffer le récit. C'était le droit de l'auteur d'en
user de la sorte avec cette vieille histoire qu'il
vr.ut.it rrijcunir et habiller à la mode du jour;
I. Par OrtJtxe Fournier. 1 ^ol. ia-8". Parii, Carnirr
frères, p 1 14- 1 19.
a. Trois vol. in-4«. Paris, 1861, t. III, p. i9)-2a4.
Préface. Ixiij
mais ne Faurait-il pu sans prendre à partie Char-
les V et M. Flourens, l'un pour avoir eu recours
(c au jugement de Dieu dans presque tous les cas
un peu graves, » l'autre pour avoir dénié la ré-
flexion aux bêtes ? N'aurait-il pu s'abstenir aussi
de donner à croire aux bonnes gens que l'affaire
était (( mentionnée aux registres du parlement ,
où se trouve également un extrait du procès-
verbal constatant les diverses péripéties et le
résultat du combat ? » — Eh ! non vraiment , il
ne l'aurait pu sans réduire d'autant le nombre
de lignes de sa petite drôlerie. C'est encore le
cas de répéter avec le moine de Trois-Fon-
taines : Lucri graîia ita composita.
Ici se termine l'histoire de notre poëme en
France.
Reprenons cette histoire à l'étranger, où la
chanson de Macaire ne fut pas accueillie avec
moins de faveur.
Qu'elle ait d'abord pénétré en Italie et de très-
bonne heure , c'est un point hors de doute. Le
manuscrit de Venise où je l'ai retrouvée date du
XIV^ siècle, et de la première moitié de ce siè-
cle plutôt que de la seconde. En outre, comme
la version estropiée par le compilateur italien
différait manifestement, pour le fond comme
pour la forme, de celle qu'avait sous les yeux,
vers 1 240 , le moine de Trois-Fontaines, comme
cette version était à la fois plus simple et en
vers d'un mètre plus ancien , il y a toute appa-
rence que la chanson de Macaire ou de la Reine
Sihile fut connue en Italie dans sa nouveauté.
Ixiv Phépace.
On ne la trouve que plus tard en Espagne, où
elle est traduite en prose ('V Celte traduction
espagnole, aussi rare aujourd'hui que la traduc-
tion anglaise de Huon de Bordeaux par lord
Bemers, a été heureusement l'objet d'une no-
tice publiée à Vienne, en 18^5, par M. Ferdi-
nancf Wolf ^a). On en sait donc tout ce qu'il est
nécessaire d'en savoir, et aussi sûrement que si
elle était à la disposition de chacun. Far l'ana-
lyse complète du récit que M. Wolf a pris le
soin de nous donner, on reconnaît aisément au-
jourd'hui ce que le savant allemand devinait
alors, à savoir que le traducteur espagnol de la
Heine Sibile avait sous les yeux une version très-
développée, peut-être une rédaction en prose de
I. Sous ce titre : Hystoria de la reyna Sebilla. L'ouvrage
a eu deux éditions au moins. On lit à la fin de la première
Fut tmprtmido tl présente libro de la reyna Sebilla nueua-
mente corregido y emendado en la muy noble et muy leal
ciudad de Seuilla por Juan Crombeiger. A. XXIX del mes
de Enero aho de mil y quinientosy treyntaydos (15J2'. In-4"
gothique.
M. Fr. Michel (Actes de l'Académie des sciences, belles-
lettres et arts de Bordeaux, IV'' année, 1842), dans la note ]
de son mrr •"• «- ' '^ - """hrité du roman des Quatre Fils
Aymon, a X de cette traduction : Como
el cuerpo tir Ai^im'i (..r iirtudo à l'aris honrradamente :
y de como el perro de Auberin en campo yencio a Macayre :
por dûnd( ■' ': ''>cion.
Une au;; -ia de la reyna Sebilla fut pu
bliée î nur^, •• t. i i , î iiic est signalée dans les Obras de
P t.tandro k'frnandei de Moratin, dadas a lui por la Real
/ Htitoria. Madrid ^ \%]0-i%)i. \n'>^ , t. l.,
o :trn ttpdijni ]rr partie, p. 96.
i. [/Ut ûif •: der Franzosen fur die
HeriDsgabe li.: - .^cdichte. Wicn, 18)).
l»-8, p. Ii4-M9-
Préface. IxV
ce poëme. J'ajoute qu'il me parait en avoir usé
très-librement avec son texte , et avoir enrichi
l'histoire de circonstances qu'il n'a pas dû trou-
ver dans l'original français , de personnages qui
n'y figuraient probablement point , tels que Ga-
nelon (").
Popularisée en Espagne par cette traduction,
l'histoire de la reine Sibile n'y est pas tombée
dans l'oubli, puisqu'elle a fourni le sujet de deux
ouvrages dramatiques dont l'un a été imprimé à
Barcelone en 17^7, et l'autre à Madrid en 1846.
Le premier, intitulé : Los Carboneros de Fran-
cia y Reina Sevllla, comedia famosa, est attribué
à Francisco de Rojas (2) ; le second porte pour
titre : La Reina Sibilay drama comïco original en très
acîos y en verso, por D. Ramon de Valladares y
Saavedra. M. Wolf, à qui j'emprunte ces indi-
cations, ne connaît de ce dernier ouvrage que
le titre; il ne sait, par conséquent, si l'auteur
s'est inspiré de la comédie du siècle précédent,
ou s'il a repris la légende pour son compte et en
a tiré un autre parti. Quant à la comedia famosa y
dont il a eu un exemplaire sous les yeux, voici ce
qu'en dit le savant allemand :
1. V. p. 12e du mémoire de M. Wolf. J'ai déjà eu l'oc-
casion de faire la même observation à propos des traductions
néerlandaises de Huon de Bordeaux, que M. Wolf nous a
fait connaître, (Voyez la préface de Huon de Bordeaux.)
2. Schack, Histoire de la Littérature dramatique en Espa-
gne {Geschichte der dramat. Lit. and Kunst in Spanien.
Berlin, 1846, in-8.) , t. III, p. 296, en cite une autre édition
où on l'attribue également à Francisco de Rojas ; mais il
ajoute qu'elle est incontestablement plus ancienne et proba-
blement de Mira de Mescua. (Note de M. Wolf.)
Macaire, t
Ixvj Préface.
« Les principaux personnages de cette pièce
sont : Carlo ma^no, — Condc de Maganza {hïjo
de GdLilon), — Almirantc ite Francia. — Rcyna Sc-
vilby — Rkardo y emperador {del oriente^, —
BUncdftor, — Teodoro, — Lauro, — Bariqncl,
Zumaque, GHa, — LuiSy infante.
« Le comte de Mayence, fils de Ganelon.
remplace Macaire ; Ricardo ou Richier est le
père de la reine Sibile; Blanchefleur, sœur de
ValmiranU et rivale de la reine, est en dernier
lieu fiancée à son fils Louis; Teodoro est un ser-
viteur de la reine auquel le comte de Mayence
fait jouer le rôle du nain; Lauro, charbonnier,
père adoptif de Louis, est substitué à Varocher,
qui fleure néanmoins dans la comédie sous le
nom de Bariquel , mais comme personnage ac-
cessoire avec deux autres charbonniers : Zu-
maque et Gila.
<« L'auteur de cet ouvrage a conservé de la
légende quelques traits qui la rappellent ; mais
il en a complètement effacé la simplicité et la
naïveté, d'abord en la compliquant d'additions
malheureuses, et ensuite en y introduisant des
grotesques ^les charbonniers , qui font de sa co-
médie une pièce moitié intrigue , moitié farce,
dans laquelle le langage ampoulé de la cour fait
contraste avec le parler populaire des personna-
ges rustiques (']>.'>
C'est encore à M, Wolf que nous devons de
connaitre une traduction néeriandaise de notre
i. Vô)ci! ic mémoire de M Wolf, nie u-aprés, tinp,''
I pan, p. ij, 16.
Préface. Ixvij
poëme ('), imprimée à Anvers par Wilhelm
Worsterman dans la première moitié du XVI^ siè-
cle, de 1500 à 1544. M. Wolf l'a soigneuse-
ment comparée, chapitre par chapitre, à la tra-
duction espagnole, et n'a relevé entre ces deux
versions que des différences assez légères pour
lui donner à croire qu'elles ont été faites l'une et
l'autre sur un même texte français.
Depuis la publication du premier mémoire de
M. Wolf, d'autres savants ont repris l'étude du
même sujet : en Allemagne, M. Von der Ha-
gen (2) et M. Massmann (5); en Danemark,
M. Svend Grundtvig (4). M. Massmann, dans sa
Kaiserchronik^ a donné le sommaire d'un vieux
poëme allemand du XIV^ siècle , qui , sous ce
titre : La Malheureuse Reine de France, n'est au-
tre chose qu'une imitation de notre chanson de
geste. Qu'on en juge :
(( La reine repousse avec indignation le ma-
réchal de son époux, qui a osé lui parler d'a-
mour. Pour se venger de cet affront, un jour
que le roi est allé de grand matin à la chasse, le
traître, profitant du sommeil de celle qu'il veut
perdre, pénètre jusqu'à son lit et y place à côté
d'elle un nain qui dormait dans la grande salle
1. Uber die beiden wiederaufgefundenen Niederlandishen
Volksbùcher von der Koniginn Sibille und von Huon von Bor-
deaux {Mémoires de l'Académie impériale de Viennent. VIII.
— Tirage à part, Vienne, 1857, P- 3-i6.)
2. Gesammtabenteur, Stuttgart, iSjo, in-8, t. I , p. civ-
cxii; — et : Die Schwansage, Berlin, 1848, in-4, p. 5}.
3. Die Kaiserchronik , Quediinburg , 1854, in-8, t. IV,
p. 893-917.
4. Danmarks Garnie Folkeviser, Copenhague, 18 J3, in-4,
t. I., p. 177-213.
Ixviij Préface.
du palais. Puis il court dénoncer au roi le crime
dont il a préparé dont il lui montre la preuve.
Dans sa fureur, le roi veut tuer la reine; mais
il en est détourné par le duc Léopold d'Autri-
che. Il se contente de la remettre aux mains d'un
chevalier qui la conduira en pays étranger, elle
et un jeune enfant qui lui est né depuis peu. Le
chevalier part avec l'exilée; mais il est bientôt
rejoint par e maréchal. qui l'attaque et le blesse
mortellemeni. La reine se sauve dans une forêt
voisine; le maréchal revient à la cour sans avoir
pu la retrouver.
•< Le chevalier avait un chien qui ne le quit-
tait jamais. Le chien lèche les blessures de son
maître . mais sans pouvoir le ranimer. Pressé
par la faim , il revient à la cour, où il arrive à
l'heure du dîner, se jette sur le maréchal et le
mord, saisit un pain sur la table et s'en retourne.
Chaque jour, on le voit ainsi revenir et s'atta-
Quer de même au maréchal. De là la découverte
(lu meurtre. Le duc Léopold ( qui dans cette
version allemande joue le même rôle que le duc
Naimes dans le récit français; propose de mettre
aux prises le chien accusateur et le maréchal
accusé. Le duel a lieu, le chien est vainqueur,
et le maréchal confesse son crime.
« Cependant, la reine a trouvé asile chez un
pauvre charbonnier de la forêt où elle s'est ré-
fugiée Elle y fait, pour vivre, des ouvrages de
soie que le charbonnier va vendre à la ville.
C'est grâce à celle circonstance qu'après de
longues cl inutiles recherches, le roi finit par
retrouver avec son enfant celle qu'il a si injuste-
ment bannie."
Préface. Iai'x
On voit par ce sommaire qu'à l'exception de
la fin du récit, le poëme allemand analysé par
M. Massmann n'a pas dû coûter beaucoup à
l'imagination de son auteur.
Un des plus récents historiens de la littérature
allemande, M. Menzel, a donné aussi une brève
notice dece poëme(i).Il en signale l'origine fran-
çaise, fait remarquer que la même fable se re-
trouve dans la version néerlandaise de l'histoire
de la Reine Sibile, et compare l'ouvrage à d'au-
tres compositions dont le sujet , sans être abso-
lument identique, ne laisse pas de rappeler ce-
lui de la Malheureuse Pleine de France, non-seu-
lement pour le fond , mais encore pour certains
détails delà forme.
En Allemagne comme en France, l'épisode
du chien, détaché du poëme dont il faisait par-
tie, a été pris au sérieux et mis au nombre des
faits historiques. Philippe Camerarius (2) l'a
rapporté comme tel dans ses Opers horarum sub-
cisivarumy sive Mediîaîiones historien (3).
Mais c'est tout près de nous, en 181 7,
que l'Allemagne assista au plus beau triomphe
1. Wolfgang Menzel, Deutsche Dichtung, Stattgaiî, i8j8,
t. I^Jî*., p. 299-300.
2. En allemand Cammer-meister. Il naquit à Nuremberg
en 1 537 et y mourut en 162^.
3. Après avoir cité divers exemples de la fidélité des
chiens, entre autres celui du chien de Pyrrhus, il ajoute :
Taie aliquid aliquantoque spiendidius , riiminim duello
ipso cum sicario, in Gallia accidit, non adeo multi sunt anni,
fidejubenîe pictura, quam continua atque eventu rei exaratam
ad hune diem conspici audio in arce oppidi cui vulgo nomen
Montargis; et sequentia, qu<£ ob nimiam prolixitatem omitto.
(Francfort, 161 5, Centuria secunda, p. 359.)
Ixx Préface.
du chien d"Aubri. Toujours vivant, toujours
aussi redoutable, il fut engagé, pour ainsi par-
ler, dans un nouveau duel non moins étrange
que le premier, et sortit encore vainqueur de
cette épreuve, où il avait pour adversaire le
crand poëte Goethe. Voici comment. Le mélo-
drame de Guilbert de Pixerécourt avait été tra-
duit en allemand, et le grand-duc de Saxe-Wei-
mar, soit caprice personnel , soit plutôt faiblesse
pour une favorite ;' ii qui Gœthe n'avait pas
l'heur de plaire, voulut se donner le divertisse-
ment de faire représenter la pièce devant lui.
L'auteur de fju5r, qui était alors surintendant
du théâtre de Weimar, ne put supporter l'idée
de voir un chien figurer sur ce théâtre, et re-
fusa de se prêter à un tel abaissement de l'art
dramatique. Mais sa résistance fut inutile. On
fit venir de Leipzig l'acteur Karisten, qui avait
dressé un caniche pour jouer le rôle du lévrier,
et le surintendant n'eut d'autre ressource que de
renoncer à ses fonctions. Il en fut relevé par
une lettre du grand-duc en date du i ] avril
1817 [\. On dit ûu'à cette occasion Gœthe
avait adressé à Charles-Auguste un quatrain qui
se terminait ainsi : « Puisque le cnien triom-
phe, c'est au poète à se retirer (J). »
I. La Jagmann.
j ' i ifc et de Gathe,
B' ^;u$t von Sachscn-
W' c jn don lahren ^'on 177? bi;.
18- ., t. Il, n" Î69
:r dernière partie de l'anecdou
dot . dans un article de M. Cliaile.
Ricbôaune, dc)i cite ci-de»iui.
Préface. Ixxj
Si l'Angleterre n'a pas imité notre poëme
d'aussi près que l'Allemagne , il n'en est pas
moins sûr qu'elle l'a connu et qu'elle en a tiré
parti. D'abord la cathédrale de Peterborough en
possédait une version ou un extrait dont le texte
était peut-être latin, à en juger par ce titre :
Qualiîer Sybilla regina posiîa sit in exilium extra
Franciam et quomodoMakayre occidit Albricum de
Modisdene. Mais au delà de cette indication on
ne sait rien du manuscrit auquel elle se rap-
porte. La bibliothèque dont il faisait partie est
aujourd'hui dispersée ou perdue (i).
Une preuve plus complète et plus décisive de
rintérêt que la chanson de la Reine Sibile a ex-
cité en Angleterre est l'imitation partielle qu'on
en trouve dans un vieux poëme intitulé Sir Tria-
mour. Cette imitation , bien qu'un peu dissimu-
lée, n'en est pas moins manifeste. Elle a été re-
connue et signalée par M. Ferdinand Wolf dani
son mémoire sur la traduction espagnole de La
Reine Sibile (-). Voici, en substance , la partie
du poëme anglais qui se rapporte visiblement au
nôtre :
« Aradas, roi d'Aragon, serait le plus heureux
des rois s'il était père. C'est l'unique satisfac-
1 . « Les manuscrits de Peterborough , comme nous nous
en sommes assuré nous -même, n'existent plus, » dit
M. Francisque Michel à propos de l'indication ci-dessus,
qu'il a relevée dans le catalogue des manuscrits de l'église
de Peterborough, donné par Gunton à la suite de son histoire
de cette église. {Mémoire sur la popularité du roman des
Quatre Fils Aymon , —Actes de l'Académie de Bordeaux,
IV^ année, 1842, note u*-', p. 90. )
2. P. 139.
Ixxi) Préfacf.
tion qui manq^ue à son bonheur et à celui de la
belle Marguerite, sa femme. Pour obtenir cette
faveur du ciel , il fait vœu d'aller en terre
sainte, et part, laissant la reine grosse. Il a con-
fié la garde de son royaume à son grand maître
Marrock ; maisMarrock, loin de répondre à une
telle confiance, s'éprend d'un amour criminel
pour la reine. Il est éconduit, feint de se repen-
tir, mais au fond de l'âme jure de se venger. A
son retour, le roi, dont le pèlerinage a été on ne
peut plus heureu.x, se réjouit de voir qu'il a été
exaucé d'avance. Mais Marrock lui persuade
que l'enfant auquel la reine va donner le jour
est le fruit d'un commerce coupable. Marguerite,
dit-il, a trompé sa surveillance; il l'a trouvée
dans les bras d'un chevalier inconnu auquel il a
tranché la tète de sa main. Le roi veut c^u'elle
expie sa trahison par la mort; Marrock lui con-
seille de la condamner seulement à l'exil. Margue-
rite est donc bannie. Elle part sous la conduite
d'un vieux chevalier, sir Roger, lequel avait
pour compagnon habituel un lévrier C^reyhound)
qu'il avait élevé et dont il était très-aimé.
'< Marrock les rejoint bientôt avec une bande
d'affidés, (^ui tombent pour la plupart sous les
coups de sir Roger ; mais le vieux chevalier, at-
taqué par derrière, tombe à son tour pour ne
plus se relever. La reine s'est réfugiée dans un
Dois, où Marrock et quatre des siens qui survi-
vent ne peuvent réussir à la retrouver.
« Le lévrier demeure auprès du corps de son
maître, qu'il recouvre de mousses et de feuilles.
Marrock revient à la cour, et la reine, conduite
par la Providence , arrive en Hongrie, où elle
Préface. Ixxiij
accouche d'un fils. Elle est recueillie par un che-
valier hongrois qui lui donne l'hospitalité dans
son château. L'enfant est baptisé sous le nom de
sir Triamour.
«Cependant, sept jours après la mort de sir Ro-
ger, son lévrier, poussé par la faim, apparaît
tout à coup au palais du roi d'Aragon, à la
grande surprise de tous , et particulièrement
d'Aradas, qui ne s'explique point ce retour inat-
tendu. Le chien reçoit sa pitance, disparaît, puis
revient une seconde , une troisième fois. Cette
fois , Marrock est là. Le lévrier lui saute à la
gorge, le mord et s'en retourne auprès de son
maître. Il est suivi , fait découvrir le corps de
sir Roger, et du même coup le crime de Mar-
rock. Sir Roger est enterré , et le fidèle lévrier
meurt quelques jours après sur sa tombe. Mar-
rock est traîné et pendu. ^>
Telle est la partie du poëme anglais où l'au-
teur s'est certainement aidé de la chanson fran-
çaise qui nous occupe. Quant au reste, les deux
récits ne se ressemblent que par le dénoûment ,
0X1, après une longue suite d'aventures, Aradas
retrouve Marguerite et son fils, auquel il a sauvé
la vie sans le connaître (').
De nos jours, Walter Scott a aussi mis à pro-
fit l'histoire du chien d'Aubri, qui n'était pas in-
connue à sa vaste érudition. Il y a fait une allu-
sion très-claire dans le Talisman, ou Richard en
Palestine (chap. XXI V\
I. Voyez les Spécimens of early engUsh meîrical romances^
by George Ellis. London, 1848, p. 491-J05.
Ixxiv Préface.
«V Dans votre propre pays, mon frère, dit Ri-
chard au roi de France, une affaire semblable
a été décidée par un combat solennel entre
l'homme et le chien , comme appelant et défen-
dant. Le chien fut victoricu.x , l'homme confessa
son crime, et il fut puni de mort. — Je sais,
mon frère, répondit Philippe, qu'un combat
semblable a eu lieu sous le règne d'un de nos
prédécesseurs, à qui Dieu fasse grâce ; mais c'é-
tait dans un temps déj.\ éloij»né de nous ('\ »
Par conséquent, Walter Scott entendait par-
ler de la légende primitive, non de la version
3ui place l'histoire au temps de Charles V, et sans
oute il avait relevé le fait dans la chronique
du moine de Trois- Fontaines.
L'auteur du mélodrame The Dog of MonîargiSy
représenté pour la première fois sur le théâtre de
Covent-Garden le 30 septembre 1814, n'était
pas allé si loin en chercher le sujet. Cette pièce
n'est ou'une imitation avouée de la pièce fran-
çaise (Je Guilbert de Pixerécourt (').
Ainsi, on peut l'affirmer de science certaine,
la chanson de la Reine Sibile ou de Macaire, en
même temps qu'elle obtenait en France un suc-
cès prodigieux, se répandait ù l'étranger, était
connue, traduite, imitée, en Italie, en Kspagne,
en Hollande, en Allemagne, en Angleterre.
Méritait -elle tant d'honneur .'* C'est une ques-
tion résolue si l'on ne consulte que le goût des
I Traduction t)efjucnrprrf.
a Tht Oog of Mont. ' ' - ■ r.f liondy, a mclo-
drama ifl twoacti. (Ad.i. n., Lacy's acting
rdttion. Loodfcs, uns date.
Préface. Ixxv
contemporains. L'un d'eux, le moine de Trois-
Fontaines, déjà cité, déclare cette chanson fort
belle, pulcherrimam ! et c'est au point de vue lit-
téraire qu'elle lui apparaît ainsi ; car, en sa qua-
lité d'historien, il n'en est guère satisfait : il y
trouve bien des faussetés. A cet égard , je n'é-
prouve aucun embarras à me ranger de son avis ;
mais sur le premier point, j'ai peine à prendre
parti pour ou contre lui.
Me mettre de son côté, c'est me compromettre
aux yeux de ces sévères historiens de la littéra-
ture qui se demandent gravement et à priori si le
beau a pu exister au moyen âge.
Ne point partager son sentiment , c'est entre-
prendre de prouver que ce qui a plu n'a pas dû
plaire. J'en ai le droit, je le sais ; j'entends même
répéter chaque jour que ce droit, celui de la cri-
tique, est imprescriptible. Mais pourquoi critiquer
cette vieille chanson ? Pourquoi me montrer plus
difficile que ceux qui, pendant des centaines
d'années, l'ont écoutée ou lue avec plaisir.? Ou-
tre que je me sens un grand fonds d'indulgence
pour ce trouvère inconnu auquel je me suis
comme associé, dont je suis presque devenu le
collaborateur, j'ai peur de m'armer contre lui de
certains principes ignorés de son temps, de cer-
taines règles qu'on ne connaissait point. Ma tâ-
che serait simple si j'avais réussi, comme tels ex-
perts en littérature, à me faire du beau un type
idéal et à y rapporter tout. Ils procèdent à leur
aise , à peu près comme ces vérificateurs des
poids et mesures, qui , munis de leur étalon ,
n'acceptent que les litres ou les mètres qui s'y
ajustent. Le malheur est que l'étalon me man-
Ixxvj Préface.
que et que je ne sais oCi le trouver. Je dois re-
connaître, cependant , pour rendre hommage à
la vérité et pour ne point m'aitirer de fâcheuses
affaires, qu'à prendre pour type VlliMic ou
VEnéuie, la chanson de U Reine Sihile me parait
fort loin d'en approcher; mais, en icvanche,
elle m'offre plus d'intérêt (Dieu me pardonne!")
que la Thébaidc de Stace. C'est de la conception
seule qu'il s'agit, bien entendu ; de la forme du
poème, je n'en puis parler, à moins de juger
celle que je lui ai aonnée. Et si l'on me demande
ce qui m'intéresse particulièrement dans celte
rapsodie, voici ma réponse :
Ce n'est pas l'hérome, celle victime innocente
bien digne assurément de la noble compassion
qu'excite toujours le spectacle de la vertu aux
prises avec le malheur, mais par cela même se
taisant un peu tort en ce qu'elle tombe dans le
lieu commun, en ce qu'elle est un type de tous
les temps, de tous les pays, de toutes les litté-
ratures.
Ce n'est pas davantage Charlemagne, qui prête
plus à rire qu'à pleurer, et qui rappelle trop Sga
narelle.
Ce n'est pas non plus le fameux duel du lé-
vrier contre le meurtrier de son maître , encore
que l'invention soit singulière et ait fait un as-
sez beau chemin dans le monde. A mon gré, on
ne pouvait mieux s'y prendre pour rendre le
duel ridicule que d'imaginer celui là, en sorte
qu'on peut se demander si l'auteur a voulu dé-
montrer r ce de cette procédure ou la
tourner en . .. j,n.
Ce n'est pas enfin le traître, quoiqu'il me soii
pRÉFACK. Ixxvij
cher, ce bon traître du moyen âge, ce traître de
regrettable mémoire , trop naïvement scélérat,
trop niaisement pervers pour donner à personne
l'envie de lui ressembler, et, quoique je dé-
plore la transformation qu'il a subie de nos
jours pour devenir un rusé, un madré, un spi-
rituel coquin, pour se changer enfm de Macaire
tout court en Robert-Macaire (').
Ce qui m'intéresse ;, c'est le personnage de
Varocher, de ce brave bûcheron, si compatis-
sant, si honnête, si dévoué, qui dans l'accom-
plissement des devoirs que sa générosité s'im-
pose, se révèle à lui-même, se sent grandir, se
juge de taille à être chevalier, veut le devenir, le
devient, et se montre digne de ceindre l'épée et
de chausser l'éperon d'or.
On dirait que notre poëte a tracé d'avance
le portrait d'un de ces enfants du peuple,
d'un de ces paysans à l'écorce grossière, mais à
la sève généreuse , au cœur chaud et héroïque,
que la France moderne a vus plus d'une fois
conquérir une épée et se montrer capables des
mêmes vertus, des mêmes exploits que les plus
hauts barons dont l'histoire ait gardé le souvenir.
Une telle figure dans une œuvre de ce temps-ci
serait encore faite pour plaire, pour exciter l'ad-
miration, mais non certes la surprise. Dans la
littérature des temps féodaux, elle produit l'effet
d'une découverte. Passe encore s'il s'agissait
d'un bourgeois ; mais Varocher n'est qu'un vi-
ï . Cette transformation a été déjà indiquée et expliquée
dans la préface de Gui de Nanteuil.
Ix.wnij Préface.
lain , de la plus humble et de la plus pauvre
condition , un homme de rien , un truand , un
sauvage, comme il est qualifié en propres ter-
mes par l'un des chevaliers de la suite du roi de
Hongrie.
Il ne manque pas, sans doute, dans nos chan-
sons de geste , de personnages qui partent
de très-bas pour arriver très-haut ; mais ils ne
s'élèvent pas comme Varocher ; ils se relè-
vent, et , dès lors , toute analogie entre eux
et lui disparaît et s'efface , à ce point de laisser
apercevoir , si l'on veut , une différence totale,
une entière opposition.
Le fameux Rainouart au Und , par exemple,
ce Rainouart que Dante a mis en Paradis, où
le trouvons-nous avant ses exploits? Dans une
cuisine, au-dessous des marmitons dont il est
le jouet et le plastron. Mais, à la fin, il se dé-
couvre ou'il est fils de roi. Quelle conclusion
tirer de là, sinon la confirmation du proverbe :
bon sAng ne peut mentir '!
Robastre, l'homme à la cognée, dans le
poème de Gaufrey , débute par être charretier et
finit par devenir roi de Hongrie. Mais il a pour
père un lutin, le lutin Malabron, doué d'un
pouvoir féerique qui le place entre les rois et
[)ieu Une telle naissance oblige plus encore que
noblesse.
Le laboureur Gautier , dans Gaydon, est aussi
rustre qu'on le puisse désirer de manières et de
1 et ne laisse pas pour cela de sentir et
Ci ..$cz noblement C'est que d'origine il
est noble , en effet. Gautier est un petit gentil-
Préface. Ixxix
homme déchu et qui a pris de mauvaises habi-
tudes dans la vie rustique. Il n'est pas né très-
haut, il est vrai, mais enfin il est né.
La création de semblables personnages a donc
tout au moins une signification ambiguë, et si
l'on n'y veut pas voir un artifice pour faire mieux
ressortir les avantages de la naissance , il y faut
reconnaître une précaution jugée nécessaire par
les écrivains du temps pour pouvoir attribuer un
beau rôle à des acteurs populaires ou présentés
comme tels. Ici on n'a pas à choisir entre ces
deux suppositions. La naissance de Varocher les
supprime, puisqu'il est vilain de père et de
mère. C'est un type complet, c'est un caractère
dont l'idée et même l'exécution font honneur à
notre poëte, qui l'a tracé à grands traits, mais
d'une main heureuse, sinon exercée. Il est à
noter que cette figure toute française a disparu
dans les imitations allemande et anglaise dont
nous venons de parler.
Comme Varocher met son cœur et son bras
au service d'une reine et d'un empereur, il ne
pouvait trop déplaire aux grands, et, d'un autre
côté, son origine lui assurait une nombreuse
clientèle dans les rangs inférieurs. Il y a donc
lieu de croire qu'il dut beaucoup contribuer au
succès de l'ouvrage où il tient une place si ho-
norable.
A part l'invention de ce personnage, qui me
paraît original, c'est une question difficile à
résoudre que celle de savoir ce qui appartient
en propre à notre poëte , ce qu'il a pu emprun-
Ixxx Préface.
ter soit ù Inistoire, soit à des récits légendaires
antérieurs au sien.
S'il en fallait croire le moine de Trois-Fon-
taines, Théroine de ce récit ne serait autre c^ue
la fille de Didier, roi des Lombards, répudiée
par Charlema.;nc après un an de mariage ; celte
répudiation aurait été le germe de la chanson de
la Reine Sibilc ^'). Il est très-vrai que Charle-
magne, en 771 , répudia la seconde de ses neuf
femmes, Désirée, tillc de Didier, un an après
l'avoir épousée ; mais on n'a jamais su pourquoi,
et le moine de Trois-Foniaines en convient lui-
même : incertain qaa de causa. Dès lors , com-
ment sait-il si bien que c'est Désirée qui a été
chantée sous le nom de Sibile.'' Pourquoi Dési-
rée plutôt qu'Himilirude , aussi répudiée avant
elle .'' Il y a grande apparence que le bon moine,
cherchant à rattacher les chansons de geste à
l'histoire véritable, aura imaginé cette attribu-
tion on ne peut plus douteuse. L'auteur de la
chanson de la Reine Sibilc n'avait pas plus en
vue Himilirude que Désirée, et s'il eût été de
l'école de Chrestien de Troyes, son héroïne
serait sans doute la femme du roi Artus au lieu
d'être celle de Charlemagnc. H s'est proposé
simplement d'intéresser aux malheurs d'une
reine injustement accusée et punie, dont l'inno-
cence est à la fin reconnue. Voilà le thème de
son ouvra^;c et de bien d'autres qu'il faudrait
pouvoir comparer et classer historiquement pour
savoir d'où part l'idée qui en fait le fond, et ce
1 Voyez ci-dmui, p. III.
Préface. Ixxxj
qui revient à chaque pays , à chaque auteur,
dans les développements qu'elle a reçus, dans
les récits divers auxquels elle a donné lieu. Un
savant danois, M.Svend Grundtvig, s'est donné
cette tâche, et si la difficulté du sujet ne lui per-
mettait pas de l'achever, il paraît du moins l'a-
voir poussée très-loin. C'est un bon juge, M. Fer-
dinand Wolf, qui lui rend ce témoignage (i).
« Depuis que j'ai fait connaître, dit M. Wolf,
la version espagnole de la Reine Sibile , cette lé-
gende a été l'objet de savantes recherches qui
en ont montré le rapport plus ou moins intime
avec beaucoup d'autres récits répandus dans
toute l'Europe. Je citerai surtout les travaux de
M. Svend Grundtvig, qui a traité le sujet de la
façon la plus complète et la plus approfondie
dans son excellente collection des Chants popu-
laires du Danemark. Il ne s'est pas contenté de
faire connaître les chants populaires danois,
islandais, et des îles Feroë qui s'y rattachent; il
a de plus, dans son introduction, rassemblé et
soumis à la critique toutes les traditions histori-
ques ou légendaires du même ordre, tant celles
qu'on connaissait que celles qu'il a découvertes.
A la fm de cette recherche, conduite avec une
vaste érudition et une grande sagacité , il en ré-
sume ainsi les résultats :
(( Il serait très-intéressant que quelqu'un nous
donnât une explication satisfaisante de la con-
nexion qui relie entre elles les formes si diverses
de la légende ; mais le moment , je crois, n'est
pas encore venu pour cela. Toutefois, et à titre
1. Voyez le mémoire précité de M. Wolf (Vienne, 1857,
tirage à part, p. 6).
Macairc, f
Ixxxij Préface.
de simple essai . je veux tenter ici de montrer le
ch'*"'" "lie celle légende a suivi dans ses péré-
gi: .. et d'indiquer coinmcni elle s'est dé-
veloppée et ramifiée
M Elle était primiiivement commune ;\ plu-
sieurs tribus t^othiques, telles que celles des Lan-
gobards 'gat et des Krancs. Far ces
derniers, i :r ui d'abord appliquée à l'ancien
duc des Francs Hugo le Hugon de la légende
d'OZ/i'ii . puis transportée de celui-ci à Hugo
Theodoricus, qui devint en Allemagne Hugdie-
trich, et plus tard ^ quand les légendes Iranques
Cl ostrogoihiques se furent confondues ou pro-
visoirement mêlées ) à un Dielrich de Rome
(poème de Crescfntia)^ et par là au personnage
purement poétique de Dielrich de Berne. Pen-
dant quelle prenait racine en France et en Flan-
dre, où elle trouvait de nouveaux supports Char
lemagne— Geneviève), la légende se propageait
en Allemagne à la faveur d'une chanson popu-
laire qui célèbre Dielrich de Berne et son épouse
Gudalind Gunild ;elle trouvait accès en Angle-
terre, en Danemark, en Isla! ' ' iu.\ ile> Fe-
roc. Kn Allemagne, elle fut i,^ , * d'abord à
Richarda ; plus tard, à Cunégondeet Henri, d'oîi
les Anglais prirent texte pour 1 porter à
Gunild et Henri, auxquels succé me Fli-
nor ti un Henri. Pendant ce temps, la version
aiksiande en l't des traits nouveaux aux
rédu françdi : :: Danemark, on adopta la
rurrittion anglaise de Gunild et Henri, mais on
r.' Henri le Lion, cl, à la fm.
o:. ; . .,-i - . attache historique. Fn Is-
lande et aux lies Fero*, on conserva les noms
Préface. Ixxxiij
de Dietrich et de Gunild , mais le fond de l'his-
toire se modifia sensiblement sous l'influence de
la légende de Cunégonde. »
Tel est le résumé des recherches de M. Svend
Grundtvig. Il y manque, pour le rendre clair, le
détail de ces recherches mêmes ; mais on peut le
trouver dans l'ouvrage du savant danois. Ce qui
y manque encore plus, pour le rendre sûr et
concluant, ce sont des dates. Réussira-t-on ja-
mais à combler cette lacune? J'en doute fort.
Quant à présent , il est impossible de marquer la
place qu'occupe historiquement notre poëme
dans cette série de récits de la même famille,
mais d'une famille si mêlée qu'on n'y peut re-
connaître ni les degrés de parenté ni les affinités.
Notons seulement, d'après M. Grundtvig, que si
la légende objet de ses recherches n'est pas
d'origine française, elle a été du moins marquée
en France d'un cachet particulier dont on re-
trouve l'empreinte en Allemagne.
L'épisode du chien doit-il être mis au nom-
bre des embellissements que le fond de l'his-
toire aurait reçus chez nous, et peut-on en faire
honneur à notre poëte ? Bullet ne l'a pas cru ; il
prétend que le chien d'Aubri descend en droite
ligne du chien de Pyrrhus. <( Je crois, dit-il,
avoir trouvé dans Plutarque l'histoire véritable
ou fausse qui a donné lieu à la fable du chien de
Montargis. Je la rapporte suivant la traduction
d'Amyot. Les grâces naïves et touchantes de
son ancien langage valent bien les expressions
froides et compassées du nôtre (') :
I . Traité : Quels animaux sont les plus aàvisez, ceulx de
la terre ou ceulx des eaux.
Ixxxiv Préfacf.
u Pyrrhus, allant par pays ^ rencontra un
chien qui gardait le corps de son maistrc que Von
avoit tué. et , entendant des habitans qu'il y avoit
déjà trois jours qu'il estoit auprès sans en bouger
et sans boire ny nungery commanda que l'on enter-
rastle mort et qu'on amenast le chien quand et luy, et
qu'on le traitast bien. Quelques jours après, on vint
â faire la monstre et reveue des gens de guerre, pas-
sans }>ar devant leroy, qui estoit assis en sa chaire,
et avoit le chien auprès de luy, lequel ne bougea au-
cunement, jusquesà ce qu'il apperceut les meurtriers
qui avoient tué son maistre, ausquels il courut sus
incontinent avec grands abbays et grande aspreté de
courroux, en se retournant souvent devers Pyrrhus ;
de manière que non seulement le roy, mais aussi
tous les assistans, entrèrent en suspicion grande
que ce dévoient estre ceulx qui avoient tué son
maistre : si furent arrestez prisonniers, et leur pro-
cez fait là-dessus, joinct quclaucs autres indices et
présomptions que l'ont eut d'ailleurs à l' encontre
d'eux ; tellement qu'à la fin ils advoucrent le meurtre
et en furent punis. >»
« Un chien attaque les meurtriers de son maî-
tre en présence de Pyrrhus : sur cet indice et
sur d'autres présomptions, ce roi les fait arrêter.
On leur fait leur procès; ils sont forcés d'avouer
leur crime; ils en sont punis : voilà le fond de
l'histoire de celui de Montargis. ••
Sans doute, c'est le fond de Ihistoire, et il
n'cSl pas impossible que notre poète ait mis à
profit l'anecdote rapportée par Plutarque et répé-
tée pai Tzetzés tcrs le temps m^me oiJ fut com-
Préface. Ixxxv
posée la chanson delà Reine Sibile (ij; mais,
cela même admis , il faut reconnaître que Fin-
vention du fameux duel transforme le chien de
l'antiquité en un chien du moyen âge et donne
à sa fidélité une couleur tout à fait locale. On
peut douter du mérite de cette invention, mais
il est surabondamment prouvé qu'elle frappa
beaucoup et fut très-goûtée. Sans parler des
bonnes gens qui y ont ajouté foi depuis le
XI P siècle jusqu'à nos jours, et pour rester au
point de vue littéraire , deux auteurs au moins,
certainement postérieurs au nôtre, l'ont trouvée
si heureuse qu'ils l'ont imitée.
L'un d'eux surtout eût sagement fait de n'y
point songer : c'est celui qui s'avisa de substi-
tuer au chien un champion fort peu digne d'un
tel rôle, un singe. Dans la version en prose et
très-amplifiée du poëme si connu d^Amis et
Amiles , l'histoire des deux compagnons se pro-
longe fort au delà de leur mort. Ils ont été tués
tous deux par Ogier en Lombardie; Lubias,
femme d'Amis , apprend cette nouvelle et va la
porter à Bellissant, veuve d'Amiles,qui a laissé
deux enfants : Anceaulme et Florisset. Lubias
empoisonne Bellissant, s'empare des enfants
d'Amiles et veut les faire noyer. Ils sont sauvés
par deux cygnes. Un singe aussi s'intéresse aux
jeunes héritiers d'Amiles , et prouve le crime de
Lubias en combattant contre Lambert son cham-
pion, qui est ignominieusement vaincu (2).
1 . Dans la quatrième Chiliade , où Tzetzès dit que pareil
trait s'était renouvelé de son temps,
2. Voyez le récit de ce combat dans l'édition de Verard,
fol. LXXIIU-LXXVII.
IxxxTJ Préface.
Celte première imitaiion a été signalée pai
Gaillard comme un emprunt fait par le roman à
l'histoire; car il admettait u le tait rapporté et
prouvé dans les Monimunts de la nionaniiie jian-
çotse de Dom Montfaucon. » Après l'avoir rap-
pelé, il ajoute : <« Dans le roman, c'est un singe
au lieu d'un chien qui combat et qui est vain-
queur, ce qui est encore moins naturel. H est
•' l'auteur du roman donne à ce singe une
,,cnce qui n'est guère que le partage des
hommes, et surtout un attachement pour ses
maîtres qui est bien plus le partage des chiens.
Une autre circonst.ince particulière au roman, et
qui n'est pas heureuse, c'est que le singe ne com-
bat que contre un champion , au lieu que le
chien avait combattu contre l'assassin même. La
plupart des autres circonstances concernant le
choix des armes et les précautions prises pour
que ni l'homme ni l'animal n'eussent l'un sur
l'autre, autant qu'il se pourroit, aucun avantage,
sont â peu près les mêmes dans l'histoire et dans
le roman ; et le romancier assure que de son
temps l'histoire de ce combat était représentée
sur les murs de la grande salle du palais à Paris,
comme celle du combat du chien l'est au château
de Montargis. C'est ce qu'il est impossible de
vérifier aujourd'hui quant au combat du singe,
la grande salle dont il s'agit, et qui était ornée
de peintures et de sculptures, ayant perdu tous
ces ornements dans l'incendie du Palais du 7
mars 1618
vV-
I. Hiitoirt de Charltmaene^ in-8\ Pirit, 178a. t. 111.
p. <88 490. Voycx jusii Tnt Hutory of fiction^ by Jonn Dut-
Préface. Ixxxvij
La seconde imitation est constatée d'abord par
la grande et gracieuse enquête que firent le curé et le
barbier dans la bibliothèque de Don Quichotte.
« Bénédiction ! dit le curé en jetant un grand
cri, vous avez là Tirant le Blanc. Donnez-le vite,
compère, car je réponds bien d'avoir trouvé en
lui un trésor d'allégresse et une mine de divertis-
sements. C'est là que se rencontre Don Kirie-
Eleison de Montalban , un valeureux chevalier,
et son frère Thomas de Montalban, et le cheva-
lier de Fonseca , et la bataille que livra au dogue
le brave Detriant, etc. (<). »
Dans un Catalogue général des romans, ou-
vrage manuscrit du philologue Ritson, qui a ap-
partenu à Heber et qui est aujourd'hui au Musée
britannique , on lit à propos de Tirant le Blanc :
« L'auteur fait battre son héros avec un chien,
et cette lutte singulière est racontée dans Mont-
faucon comme un événement réel survenu en
I37I (2). )>
Voilà donc notre poëte plus imité qu'imita-
teur, car le rapport est manifeste entre le duel
qu'il a imaginé et ceux qu'on retrouve après lui
dans les ouvrages précités ; rien ne démontre,
au contraire , qu'il ait tiré parti de l'anecdote
rapportée par PÎutarque et rappelée par Tzetzès.
lop, Edinburgh, 1816, deuxième édition, t. I, p. 434-429,
et le premier mémoire précité de M. Wolf , p. 1 37-n8, à la
note.
I ■ Traduction Viardot.
2. Je tire ce renseignement des Notes extraites de la
Biblioîheca Grenvilliana publiées dans le Bulletin de V Alliance
des arts, éd. pet, in-8, 1842-43, p. 302. — Voyez sur
Tirant le blanc le Manuel du Libraire de M. Brunet.
Ixxxviij Préface.
H a pu tout aussi bien et beaucoup mieux con-
naître le fait analogue mais nullement identique
que raconte saint Ambroise dans son Ihxamc-
ron{>], et qu'il fait précéder de cette généralité :
«(Les chiens ont souvent fourni des preuves évi-
dentes contre des homicides , et la plupart du
temps on en a cru leur muet témoignage ; » pro-
positions un peu excessives sans doute, mais dont
retendue même prouve que dans l'épisode du
chien d'Aubri c'est le duel qui est le trait sail-
lant , que le reste n'a rien de particulier et était
du domaine commun bien avant notre poète.
Aussi n'est-on pas peu surpris de trouver la
mention de ce duel accolée au récit de saint
Ambroise dans un historien anglais du moyen
I. Srpe nects illatz evidentia canes ad redarguendos reos
j_i. ., --odiderunl, ut muto eorum testimonio picruinquc
n. Antiochiat fcrunt in remoiiori parte urbis cré-
pu- i; o nrcatum virum , qui canem sibi adjuncium haberei.
Milei quidam prjrdandi studio tninister czdis extiterat : tec-
tus idem ' ' !C diei exordio in alias partes con-
cesserat ; jium cadaver, frcouens spcctantium
vulgus asulji . cjnis questu lacrymabili domini dcflcbat
jprumns»»i F^rt^ \% qui necem intulerat (ut se habet versutia
hum: o convcrsandi in medio authoritate pir-
»um; ret innocenti*, ad illam circonspectantis
popi , et velut miserans appropinquavit
au ' 'jurstrato paulirr^ qtip«;tu doloris ,
'^nu «uumpsti , atque apf: trnuit , et
igo quodam murrabilr carmr: urans, uni-
vmo« convertit in lachrvmas, fidem que probationi detulit,
ouod joîtim frr.'.iit n t\i;r:(T'.i'. nrc (!imi\if firnidiir pcrtUT-
' odii ,
,..i. .,»;». . ;, .(iiia
' (Dm Amtrpsii opéra,
titka'7tf* Il , IIP. «I, iii-i'ji , I Jii», I5(9i P- S82, col. 2.)
Préface. Ixxxix
âge, Gerald de Barri ou Gerald le Cambrien, qui
emprunte mot pour mot à VHexameron l'histoire
du chien d'Antioche, en indiquant la source à
laquelle il la puise, mais la complète ainsi de
son chef, sans aucun avertissement , et comme
s'il continuait à la transcrire (') :
Ob tanîam igitur et tam vehemenîem homicidii
pr^sumpîionem {milite tamen constanter inficiante')
jiidicatum est duelio rei certitudinem experiri, in
campo itacjue constitutis, et vulgi circumstante coro-
na^ hinc cane dentibus armalo, illinc baculo cubi-
tali milite munito : tandem cane victore victus ho-
micida succubuit et ignominiosam publico palibulo
pœnam dédit (2).
Si l'on veut savoir où Gerald de Barri a pris
ce supplément dont il gratifie avec tant de dis-
crétion l'auteur de VHexameron, la question n'est
pas difficile à résoudre : c'est à notre poëme
qu'il a fait l'emprunt. Ce bâton dont il sait si
bien la longueur, ce baculam cubitale, voici les
vers qui lui en ont donné la mesure :
Et in sa man H dono un baston
Qe de un braço estait voire Ion (3),
Et où et comment a-t-il pu lire ou entendre ré-
citer la chanson de Macaire ou de la Reine Sibile?
1. Il en efface seulement les derniers mots , la conclusion,
depuis : crimen diutius nequiviî refellere.
2. Giraldi Cambrensis Itinerarium Cambriae , lib. I , Lon-
dres, in-i2, 1585, p. 124-125.
3. Voyez ci-après, p. 88,
xc Préface.
En France, à Paris, où il vint au moins deux
fois : la première en i io6, à l'âge de vingt ans,
la seconde, dix ans plus tard, en i 176 ('). Il y
séjourna en loui sepi ans, et, jeune comme il
Pétait, et curieux, et enclin à croire les récits
merveilleux, il ne put manquer de s'intéresser à
ceux des jongleurs tout en étudiant la théologie
et les décrétales. De là, selon moi , le souvenir
adapté au récit de saint Ambroise par Gérald le
Cambrien dans l'itinéraire du voyage qu'il fit, en
1 188. avec l'archevêque de Cantoroéry. La date
•' ci-dessus à la composition de notre
;. lavorise cette explication, et réciproque-
ment, l'explication une fois admise, achève de
justifier la date.
C'en est assez et trop peut-être sur 1 origine
de la fable du chien. Terminons l'examen de la
composition où cetie fable tient une si grande
place.
Dans son étude sur la légende qui forme le
fond de la chanson dc^filcal^c, M. Svend Grundt-
vip parait croire que le personnage du nain est
d'invention française. C'est tant pis pour notre
auteur, il ne pouvait rien imaginer de plus gros-
sièrement déplaisant , et le malheur est qu'il
semble en avoir eu conscience. L'empereur ôc
Constaniinople , informé par un messager de
I. VW7 NVf.arton. AnzUa sacra , t. Il, p. ^74, ci
U < .icc du niémc tome ,
p. ' ■ ';.r ii( n.ini rn tête
de Tht
ttiMt:^ ,, _ - ^ u. . ; ..„..^.. ,. ,::.,:. ..Jtedinto
ngluk by tir Hithêrd Coït Hoare Londres, 1806. l vol.
111-4.
Préface. xcj
Charlemagne du crime dont sa fille est accusée,
se refuse avec indignation à la croire coupable :
(( Non, dit-il, ma fille n'a pu commettre un tel
péché... et avec un nain encore! » Cette invrai-
semblance le révolte.
Le grotesque, sinon Podieux de la combinai-
son, disparait dans deux poèmes postérieurs où
elle est de nouveau mise en œuvre : le poërne
de Florent et Octavien (i) et celui de Doon de la
Roche(/). Dans le premier, c'est un varlet ; dans
le second , c'est un garçon qui joue le rôle du
nain. Mais on assiste toujours à cette scène gros-
sière, tandis que dans le poëme anglais de sir
Triamour un goût plus délicat l'a mise en récit,
substituant d'ailleurs , comme on l'a vu ci -des-
sus, un chevalier inconnu aux personnages
ignobles qui figurent dans les trois chansons
françaises (5).
Parmi les ressorts que notre poète a mis en
jeu pour le mouvement de sa composition, il en
est un singulier qu'il n'a pas créé sans doute,
1. C'est un poëme encore inédit, en vers alexandrins,
que je crois du XIV^' siècle, et dont on connaît quatre ma-
nuscrits, conservés trois à Paris, à la Bibliothèque impériale,
et le quatrième à la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford.
2. Poëme inédit en vers alexandrins, qui me paraît du
XIIF siècle , et dont le manuscrit unique est au Musée bri-
tannique (Manuscrit Harléien, 4404).
3. L'auteur de 5/V Triamour n'a pas imité seulement notre
poëme ; il s'est inspiré aussi de celui de Florent et Octavien.
Son Aradas, roi d'Aragoii, qui regrette si fort de n'avoir point
d'enfants, est dans la même situation qu'Octavien :
Dolans fu Cemperere qui moult fisî à prisier
Qu'avoir ne poet eifans de sa gente moullier.
xcij Préface.
car il s'en sert comme de chose déjà connue et
admise, je veux parler de ce signe que porte sur
l'épaule droite le jeune fils de Charlemagne, et
3U1 pour des yeux clairvoyants est un sûr in-
ice de sa royale origine. C'est une espèce de
sceau ou de marque de fabrique dont Tidée
vient on ne sait d'où, à moins d'accepter sur
ce point les renseignements très -précis que
nous donnent les RcaIi di Francia dans un cu-
rieux passage , déjà noté par M. \Volf(0. Le
second livre de cette compilation italienne, qui
contient une version fort libre du poëme de
Floovjntj débute par une sorte de petit traité ex
professa sur la question qui nous occupe.
« Fiorello ou Klorel , roi de France et petit
fils de Constantin , était fort affligé pour plu-
sieurs raisons, mais surtout parce qu'il ne pou-
vait avoir d'enfants. Il fil donc des vœux, alla en
pèlerinage à Rome, et de là au saint sépulcre,
toujours priant Dieu de lui donner un héritier à
qui il pût transmettre sa couronne. Il fut exaucé :
sa femme devint grosse après vingt ans de stéri-
lité et mit au monde un fils qui portait sur l'é-
paule droite une croix de sang entre cuir et
chair. De là vient ce qu'on dit de la croix ver-
meille que portaient sur l'épaule droite les héri-
tiers de la noble maison de France. Ce fut le
premier enfant qui naquit avec ce signe couleur
de sang : aussi reçut-il au baptême le nom de
f,-.- — ç^ qyj revient à dire, en français,
Fi , ou : Kn avant la fleur! Plusieurs
personnes présagèrent qu'il serait roi de France
I. Mémoiiede i8u. dé|i cité, p. 1^8.
Préface. xciij
et de beaucoup d'autres provinces et royaumes,
et le signe merveilleux qu'il avait reçu au sein
de sa mère fut Pheureux augure des destinées
de la maison de France... Ce signe fut plus tard
appelé la nielle (■), et tous ceux de sa race le
portèrent, mais non en forme de croix. Il y en
eut cinq seulement qui le portèrent précisément
sous cette forme : les autres avaient un signe
couleur de sang ; mais comme il ne figurait pas
une croix, on lui donna le nom de nielle. De ceux
qui naquirent avec la croix, le premier fut Fleu-
ravant; le second, Beuve ; le troisième, Charle-
magne ; le quatrième , Roland, et le cinquième
Guillaume d'Orange (2).
On retrouve la trace de cette légende dans le
poëme déjà cité de Florent etOctavien. Octavien,
empereur de Rome , a le même sujet d'affliction
que Florel :
Dolans fii remperere qui moult fistàprisier
Qu'avoir ne poet enfans de sagente mouHier.
Mais, à la fm, il a bien sujet de se consoler :
l'impératrice donne le jour à deux jumeaux qui
ont
Cascun se crois vremeille qui moult reluisoiî ckr
Dessus leur diestre espaulle{^).
On voit par là que notre poëte n^a pas suivi
la légende à la lettre , puisque de la croix ver-
1. // niello.
2. Reali di Frauda^ lib. II, cap. I.
j. Manuscrit de la Bibl. imp., Sorbonne, 446, fol, 67,
xciv Préface.
meille il a fait une croix blanche , ou bien
c'est après lui que cr ' ' se sera modi-
fiée, et que la croix , a devenue ver-
meille.
Kn somme , 1 examen J ipaux élément
de sa composition n'est i i défavorable a
ce vieux trouvère , qui de nos jours eût pu être
un bon di ■ e et se faire applaudir sur nos
théâtres u cvards à plus juste titre que ne
l'a été son faible imitateur Guilbert de Pixeré
court. La chanson de Macaire, en effet, n'est
point une épopée, mais bien l'étoffe d'un grand
mélodrame : aussi en a-t-on taillé un dans le
seul morceau qui en restât. Quelques fils du
lissu peuvent bien ne pas appartenir à celui qui
Ta tramé . mais le reste lui tait encore une assez
beiîe part et permet de croire qu'il n'était pas
mdigne du succès qu'il a obtenu.
Un tel genre de succès, celui qu'on demande
aux lettres, peut se composer de deux éléments :
l'henncur et le profit, ou se réduire à l'un des
deux seulement , soit par la force des choses,
soit par la volonté des écrivains. (Quelles furent,
à , ..f /.<fu,î i.v ..spirations des auteurs de nos
c: . et en particulier de celui qui
nous occuper «question curieuse, qu'un contem-
porain pouvait seul bien résoudre; et précisé-
ment il s'en trouve un qui l'a résolue, tout juste à
propos de notre poème. C'est encore le moine
d'- ^" ■' Fontaines, dans le passage ci-dessus
r.i où il dit :•' Toutes ces inventions, pro-
pres sans doute à divertir un auditoire, à y pro-
voquer le rir'- •• " '-ne les larmes, sont cepen
dani trop élo., j la vérité historique. Elles
Préface. xcv
n'ont d'autre but que le gain. Lucri gratia ita
composita (>).
Voilà donc notre auteur et ses confrères accu-
sés d'être plus sensibles à l'argent qu'à la vérité et
à la gloire. Peut-être y a-t-il un peu d'humeur
dans ce jugement du moine de Trois-Fontaines.
Peut-être se place-t-il trop exclusivement à son
point de vue d'historien. Cependant, il ne laisse
pas de rendre justice à la chanson de la Reine
Siblky puisqu'il la trouve fort belle ; et , d'autre
part, si l'on remarque que cette chanson est
anonyme comme presque toutes les autres com-
positions du même genre et du même âge, on
est disposé à croire que ce clerc a bien jugé les
littérateurs laïques de son temps. S'ils avaient
visé à l'honneur plus qu'à l'argent ou seulement
autant, auraient-ils négligé de signer leurs ouvra-
ges ? La signature se montre avec la prétention
à l'art, c'est-à-dire à la gloire, et voilà pourquoi,
selon moi , il y a bien moins de compositions
anonymes dans le second âge de la poésie fran-
çaise que dans le premier , dans la période qui
commence à Chrestien de Troyes que dans celle
qui précède.
Quoi qu'il en soit , cette question en amène
une autre, celle de savoir comment notre poète
put réaliser le gain en vue duquel il écrivit sa
chanson , s'il en faut croire le moine de Trois-
Fontaines. De deux choses l'une : où il était son
propre éditeur, c'est à-dire qu'il s'en allait lui-
même débiter son récit , ou il lui fallait traite*
avec les jongleurs , ces éditeurs ambulants du
I. Voyez ci-dessus, p. xiii.
xcv) Préface.
moyen Age. Dans le premier cas, nulle difficulté :
il recevait , comme un simple jongleur, soit les
deniers des petites gens , soit les livraisons en
nature que lui offrait la générosité des grands, et
qui consistaient d'ordinaire, on le sait, en robes,
en manteaux, en vêtements confectionnés, par-
fois même en roussins ou en mulets. Or, s'il re-
cevait en ce genre au delà de ses besoins , ce
qu'il faut bien croire, notre auteur devait se
transformer, pour écouler sa recette, en mar-
chand d'habits et en marchand de chevaux. Il
se trouvait, à l'égard du public, dans la situa-
tion où l'usurier place l'emprunteur en détresse
auquel il fait un prêt partie en argent , partie en
objets divers à liquider, par exemple, en paletots
ou en redingotes, à moins qu'il ne préfère lui
offrir quelque peau de lézard , « curiosité agréa-
ble pour pendre au plancher d'une chambre ».
ûue si l'écrivain voulait se soustraire à ce tra-
fic, il y a toute apparence qu'il traitait avec les
jongleurs en leur vendant le manuscrit de son
ouvrage pour le débiter à leurs risques et périls ;
car, comme il n'avait nul moyen de contrôler
leur recette, il ne pouvait guère s'en réserver
une part pour ses droits d'auteur.
A ' par ce que nous savons du succès
de la L ;. de Miicairc, on peut croire qu'elle
enrichit le trouvère auquel on devait le plaisir de
i'cntcndre,on qu'elle valut à ses éditeurs un grand
nombre de manteaux et de roussins. En sus de
quoi, si insensible à la gloire qu'on le suppose,
il dut quelque peu s'applaudir de son heureuse
veine, et, s'il pouvait aujourd'hui se réveiller, il
aurait sujet d'eue bien plus fier encore en voyant
Préface. xcvi j
la place qu'il a conquise dans les souvenirs de
la postérité.
J'aime à penser qu'en ce cas la présente édi-
tion lui serait agréable, en dépit des imperfec-
tions qu'il ne manquerait pas de me reprocher,
et je me persuade qu'il m'en saurait d'autant
plus de gré que je n'en prétends tirer ni le plus
petit manteau ni le moindre roussin.
D'un ouvrage jadis si répandu et dont la
vogue a été si grande il ne reste plus aujour-
d'hui qu'un seul manuscrit complet, et quel ma-
nuscrit ! Encore n'y a-t-il pas longtemps qu'on
le connaît. En 18^3, M. Wolf souhaitait qu'on
retrouvât l'original français de l'histoire espa-
gnole de la Reyna Sebilla. Trois ans plus tard,
M. de Reiffenberg commençait sans le savoir à
exaucer ce vœu en publiant les fragments de la
seconde version de notre poëme dont j'ai déjà
fait mention et que je reproduis ci-après. Mais
c'est en 18^6 seulement que j'ai reconnu à Ve-
nise l'existence du texte que je publie. Je l'ai
signalé en 1857(1) d'après des notes prises à la
hâte, mais suffisantes pour le but provisoire que
je me proposais. Mon dessein était dès lors de
recueillir cette épave littéraire dans la collection
des Anciens Poètes de la France. Elle y prend
place aujourd'hui, et je comptais bien que mon
édition serait la première, voire à jamais la
I. Notes sur un manuscrit français de la bibliothèque
de Saint-Marc. (C'est le Ms. français coté XIII. ZZ. 3.)
Bibliothèque de l'Ecole des Chartes , lye série , tome III ,
p. 394-414.
Macaire. g
xcviij Préface.
seule; mais c'était compter sans l'Allemagne, qui
nous dispute avec tant de zèle et souvent de
succès le soin d'étudier les origines de notre
langue et de notre littérature. Un jeune profes-
seur de l'université impériale devienne, M. Adolf
Mussafia, a publié dans ces derniers temps
deux des poèmes italianisés de la bibliothèque
de Saint-Marc que j'avais indiqués comme
de curieux témoins de notre ancienne intluencc :
la Pnse de PampeluneeX la chanson de Afiica/r^(').
Il a bien fait dans l'intérêt de nos communes
éludes, et rienau'àce titre il aurait droit à mes
remerciments, si son extrême courtoisie ne mé-
ritait encore de ma part une gratitude plus per-
sonnelle. M Mussaiia, quia dédié son volume à
un des maîtres de la philologie romane, a bien
voulu me faire partager cet honneur en associant
mon modeste nom au nom illustre de Frédéric
Dietz, Je me féliciterais davantage de ce rappro-
chement si je pouvais le croire mérité, et si je ne
savais combien M. Dietz a sujet de s'en plaindre
La publication de M Mussafia est venue assez
tôt pour que la mienne ne fût plus la première ;
elle est venue trop tard pour que son travail pût
nj'ètre profitable, et c'est là seulement ce que je
regrette Knire son texte et le mien on pourra
noter çà et là Quelques différences, heureusement
légères, dont les unes tiennentàun parti pris * .
I Alifri" •'•■'• Grdichte au» Venpzianischcn Hand
Khfiffn. -ben von Adolf Mussafia. i vol. in-H
] vers, évidemment intervertis, selon moi,otii
été replace:, jjiii leur ordre naturel ; quelques leçons inn
tdligibles ont été corrigées ; enfin quelques éléments du
Préface. xcix
mais dont d'autres doivent marquer de petites
inexactitudes de transcription, et ici je suis dis-
posé d'avance à tenir ces erreurs pour miennes
et à les prendre à mon compte. J'ai fait ma copie
à Venise en quelques jours, avec l'aide de mon
confrère et ami M. de Montaiglon , et malgré
l'attention que nous avons apportée à ce travail
rapide, il y a tout lieu de croire que M. Mussafia,
qui a eu à Vienne le manuscrit de Venise à sa
disposition et qui était ainsi dans de meilleures
conditions que nous, soit pour la transcription,
soit surtout pour la révision des épreuves, a dû
être plus rigoureusement exact. Ce que j'en dis
d'ailleurs est par simple scrupule, le sens demeu-
rant le même quand çentilment , par exemple ,
se trouve d'un côté écrit par un a et de l'autre
par un e, double orthographe que le même scribe
employait le plus souvent au moyen âge. Dans
un texte comme celui-ci, qui ne peut jamais de-
venir un îesto di lingua, de telles différences ne
sauraient tirer à conséquence.
M. Mussafia, dans la préface qu'il a mise en
tête du poëme de Macaire, s'est surtout proposé
d'en étudier le langage, ce langage étrange qui
n'est ni du français ni de l'italien, qui participe
de l'un et de l'autre, et qui, en somme, est un
chef-d'œuvre de barbarie; mais la barbarie elle-
même a sa grammaire telle quelle, et c'est là
sans doute ce que le jeune philologue a voulu
constater. Il me paraît y avoir aussi bien réussi
que le sujet le permettait.
texte réunis par M. Mussafia sont séparés à dessein dans
ma lecture.
c Préface.
Pour moi, dans le temps où M. Mussalia se
livrait à celle élude, j'entreprenais, non de con-
sidérer en lui-même le langage de noire poëme,
mais de l'examiner par comparaison avec le
français des chansons de geste de la (m du
Xll' siècle ou du commencement du siècle sui-
vant, de rechercher en quoi il s'en rapproche, en
quoi il s'en éloigne au point de vue du vocabu-
laire, de la grammaire, du mètre, ei d'en faire
à ce triple pomt de vue une sorte de commen-
taire perpétuel. En d'autres termes, je m'impo-
sais la liche de montrer quelles altérations, et
combien profondes, le compilateur de Venise a
fait subir au poème qu'il avait sûrement sous les
yeux. De là l'essai de restitution que je propose
au lecteur à côté du texte franco-vénitien.
Si j'avais pu penser que ce texte fût cniièrc-
ment l'ouvrageae l'Italien qui l'a écrit, mon en-
treprise serait tant soit peu puérile; elle consis-
terait seulement à ouvrir une sorte de concours
entre nous deux, et ne tendrait qu'à monirer
jusqu'à quel point me sont plus familières qu'à
lui et notre ancienne langue et notre ancienne
versification. Mais persuadé comme je le suis que
le MacAÏre de Venise correspond à une chanson
française aujourd'hui perdue, j'ai pu raisonnable-
ment, j'aime à le croire, tenter ac la retrouver,
ou du moins d'en reconstituer une qui s'en
rapprochât, afmdcme donner plus de chance de
faire partager mon seniimenl, afm de rendre mon
hypothèse plus acceptable, en lui donnant un
corps.
J'ai pris plaisir, je l'avoue, à cette étude, à
ce jeu d'érudition, de patience, si l'on veut ;
Préface. cj
mais ce n'est point par caprice que je m'y suis
laissé entraîner. Ce n'est pas non plus par simple
conjecture que j'ai cru à l'existence du modèle
dont notre poëme n'est à mes yeux que la copie
défigurée. Ce poëme fût-il le seul en son genre,
à n'en considérer que la forme, puisque le fond
ne peut faire question, on serait déjà peu dis-
posé à y voir une composition entièrement ori-
ginale; mais on s'y sent encore moins enclin
quand on sait que sur les rayons de la même
bibliothèque et ailleurs reposent des ouvrages
analogues, lesquels, vérification faite, ne sont que
d'anciens poèmes français altérés à divers degrés
par des copistes ou par des jongleurs italiens.
Voici les titres des poèmes dont je veux par-
ler, et dont il nous reste à la fois un ou plusieurs
manuscrits purement français, une ou plusieurs
copies plus ou moins italianisées :
Aliscans : une copie italianisée (').
Anséis de Carthage : id. (2).
ASPREMONT : quatre copies italianisées (j).
1. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. cotéviii. civ. J. Voyez
le Romvart de M. Adalbert Keller, p. 29 et suiv., et les
Handschriftliche sîudien de M. Adolf Mussafia (2^ fascicule),
vienne, 1863, P- 29 et suiv.
2. Paris, Bibl. impériale, Ms. fr., 1598, provenant de
Mazarin.
?. Paris, Bibl. imp., Ms. fr,, 1598; Venise, Bibl, de
S, Marc, Ms. iv. civ. 3 ; et Ms. vi. civ. 3.
^? Manuscrit 3205 de la seconde vente Solar. (Vendu
3 1 50 fr. à un acquéreur inconnu.)
J'ai eu sous les yeux ce dernier manuscrit ainsi que les
trois autres. Pour les deux manuscrits de Venise, voyez les
extraits qu'en a publiés M. Immanuel Bekker dans les
mémoires de l'Académie de Berlin, année 1839, p. 252
cij Préface.
Florimont : une copie faite en Italie, mais
irès-peu italianisé j).
Foulque de Candie : Deux copies italiani-
sées (>\
Gui de Nanteuil : une copie italianisée (').
Renaut de Montauban : une copie faite en
Italie, mais très-peu italianisée [^).
RoNCEV*ux ou Roland : une copie italiani-
i 291. Voyez aussi le Romvjrt, p. 1 et i6, et les correc-
tions de M. Mussafij, HandtLhriltliche studien, p. j-18.
1. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. xxii. civ. 6. Le scribe
italien qui a copié ce manuscrit y a ajouté une mention
finale ou on reconnaît facilement son origine :
A la fin de nostre enscript
Renduns gracie à Yesu Crist,
Che por scripre soir et matin
Nos a conduit à laudablefin.
i. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. xix. civ. j; Ms. xx.
av. 3. Le premier est incomplet parla fin, le second par le
commencement de m vers environ); tous deux renferment
une même version. Le n" xx paraît copié sur le n xix.
j. Voyez sur ce manuscrit Gui de Santeuily édition de
de M. P. Meyer, p. xxiv xxxiv et loo-ioj.
4. Venise, Bibl. de S Marc, Ms. coté xvi. civ. j. C'est
lAmiient une copie italienne on s'en aperçoit dés la se-
conde tirade :
Li bernagf fu grant c^uant il fu ascemblé ;
Ne fu SI grant véu puis que Caille fu n'
Çarlle ainsi écrit serait un indice suffisant, mais à part
quelques oublu de ce genre, Ir scribe n'a pas altéré son
leiie
I V»niw. Bibl. d^ S Marc. Ms >v nv r M. Bekker,
M ■ ■ !quei ver»
sf- 1 me, 000,
(Uns %on tdtiion de U Lhanswn de Roland. (Voyez les cor-
Préface. ciij
A ces textes étendus il faut ajouter plusieurs
fragments d'Aye d'Avignon, dont Pun est à Bruxel-
les , dont d'autres ont été récemment retrouvés
à Venise par M. Mussafia. Le premier a été pu-
blié d'abord par M. de Reiffenberg, puis par
M, Achille Jubinal, enfin par M. P. Meyer et
par moi , dans l'édition que nous avons donnée
du poëme d'Aye d'Avignon ('). Nous en avons
signalé les premiers l'origine italienne , et c'est
depuis lors que M. Mussafia a retrouvé et publié
les fragments du même poëme qu'on lit dans
ses Handschriftliche sîadien (2). Ces fragments,
comme le jeune philologue l'établit fort bien ,
se rattachent à celui de Bruxelles : ils faisaient
partie du même manuscrit.
Ainsi, sans parler de la compilation d'où
j'extrais Macaire , on peut compter déjà neuf
poèmes analogues au nôtre, qui n'ont absolu-
ment d'original que les fautes dont ils sont par-
semés , que les altérations qu'ils ont subies sous
la plume de leurs éditeurs italiens.
Ouvrons maintenant le manuscrit de la biblio-
thèque de Saint-Marc, où la chanson de Macaire
occupe la dernière place. Que trouvons-nous
en tête de ce recueil de récits réunis ou même
amalgamés ^ Un nouveau poëme, le dixième en
son genre, à ajouter à ceux que je viens d'indi-
quer. C'est le poëme de Beuve d'Hanstone , ma-
rectionsdeM. Mussafia, Handschrijtliche sîudien, p. ii-i8.)
Plus récemment, M. Theodor Mûller en a publié un grand
nombre dans les notes de l'édition du même poëme qu'il a
donnée à Gœttîngue ('863).
I Voyez Aye d'Avignon, p, xxni, xxv, xxvi et 1 30, 1 ? i
2. P. 50-jî.
civ Préface.
nifestement copié sur un modèle français , mais
copié à la façon du compilateur. Le voilà donc,
lui aussi, cet Italien auquel j'emprunte le texte
de Macaire , qui en use , au moins une fois ,
comme ses pareils , comme ses compatriotes les
éditeurs des chansons de RoLinii^ a'Asprcmont .
de Gui d( Nanteuil^ d'Anséis de Carthage, etc. Il
n'est pas impossible sans doute qu'il en ait usé
autrement pour le reste de sa compilation, et en
particulier pour le poëme de MacaiTe ; mais n'a-
l-on pas aussi quelque raison de croire à priori
qu'il a dû suivre jusqu'au bout la même méthode,
et qu'après avoir copié le premier récit de son
recueil , il n'a probablement pas inventé le der-
nier ? Kt pourquoi l'aurail-il inventé, quand il
pouvait le trouver tout fait, aussi bien que
Beuve d^Hanstone ?
Il est vrai que dans le temps même où je re-
connaissais à Venise l'existence du pocme de
Macaire, M. Léon Gautier y analysait une lon-
gue chanson de geste qu'il a mise en lumière (')
et qui , au moins pour la forme, pour l'agence-
ment des matériaux, est l'œuvre d'un Italien,
Nicolas de Padouc. De là une objection dont je
ne pouvais manquer de tenir compte , et qui
parait diminuer la vraisemblance de mon hypo-
thèse. Klle la diminuerait, en effet, s'il y avait
parité dans les deux cas, mais bien s'en faut
qu'il en soit ainsi.
L'Entrée en Espagne (c'est le titre que M. Gau-
tier a donné à la composition de Nicolas de
Padouc; se rattache sans doute a une partie im-
I. Bibliotht<jut de l'Ecole des Lnana, ^' \ciic, t. iv.
Préface. cv
portante du cycle carlovingien , mais sans cor-
respondre nommément à aucun poëme connu.
Tout au contraire, on reconnaît au premier coup
d'œil dans la chanson de Macaire celle de la
Reine Sibile, celle d'où est sortie l'histoire du
chien de Montargis : première différence.
En second lieu , l'auteur de l'Entrée en Espa-
gne nous fait savoir et son nom et son pays, nous
indique les sources où il a puisé une bonne part
de son récit, et, pour le reste , se vante d'avoir
volé de ses propres ailes. Rien de semblable ni
dans Macaire ni dans toute la compilation à la-
quelle ce poëme se rattache si mal.
Enfin , l'Entrée en Espagne est du XIV^ siècle,
à n'en pas douter, et , comme l'a très-bien fait
remarquer M. Léon Gautier, c'est une œuvre
tout à fait analogue à celle de Girard d'Amiens.
Même forme, même mètre, même caractère de
la narration. Quoi de pareil dans Macaire^ Tout
y révèle une composition d'une date bien anté-
rieure et d'un bien autre ordre.
Mais quand on ne pourrait signaler des diffé-
rences aussi tranchées entre les deux ouvrages ,
encore resterait-il dix raisons contre une , dix
présomptions , si l'on veut , en faveur de la so-
lution qui me semble la meilleure, puisqu'au cas
particulier qu'offre l'Entrée en Espagne, on en
peut opposer dix autres où les Italiens n'ont été
que des copistes.
Je ne devais pas me presser, cependant, de
conclure sur des arguments aussi généraux. A
tout prendre, Nicolas de Padoue n'était pas
peut-être le seul Italien qui se fût avisé de rimer
en français II y avait donc lieu d'y regarder de
cv) Préface.
plus près et d'examiner en lui-même le poëme
de MaCiiirf pour savoir s'il se prétait ou non :\
ma supposition. Ainsi ai-je fait, allant au devant
des objections qu'il était aisé de pressentir et que
j'ai soulevées moi-même.
Ces objections , d'où les tirer ? D'où induire
que la plume italienne qui a écrit Macaire ne
suivait pas un modèle français? Évidemment de
la barbarie du lanj;age , de l'emploi d'un certain
nombre de termes purement italiens, d'un cer-
tain nombre de rimes absolument inadmissibles
Et il faut avouer qu'à raisonner ainsi on ne sau-
rait être trop mal venu, car on a pour soi toutes
les apparences. Au fond , pourtant , cette argu-
mentation est loin d'être aussi forte qu'elle peut
le sembler, et rien de plus facile que de la ré-
duire à néant. F-*our cela, il suftit de comparer
quelqu'un des poèmes en français italianisé que
l'ai indiqués ci-dessus avec le texte en français
pur d'après lequel il a été écrit. Mais avant de
faire cette comparaison particulière , jetons un
coup d'œil sur l'ensemble des pocmes italianisés
et voyons comment procédaient les copistes ou
les jong' • :i nous les ont transmis.
Ils n .^ .1 pas toujours au même degré ,
cl loin de la, les chansons françaises qu'ils vou-
laient faire connaître dans leur pays.
Tantôt ils les transcrivaient purement et sim-
plement , en laissant seulement échapper çà et
là quclûucs notations , quelques caprices d'or-
thographe , conformes à leurs habitudes de pro-
nonciation ou d'écriture. Exemples : les frag-
rr - " "Aye d'Avignon, les co; ' . poèmes
w iiont et de Kenjut de M^ ■ i.
Préface. cvij
Tantôt ils s'abandonnaient davantage aux en-
traînements de l'idiome natal , et modifiaient au
fond , mais dans une certaine mesure , les textes
qu'ils avaient sous les yeux. Exemples : le poëme
de Gui de Nanîeuil ^manuscrit de Venise) , les
poëmes d'Anséis de Carthage et d'Aspremonî.
(Manuscrit de Paris, Bibl. Imp., fr. 1598.)
Tantôt enfin ils en usaient avec plus de liberté
encore, comme s'ils se proposaient autant de
traduire que de copier. De là une véritable trans-
formation, non pas égale, non pas suivie, mais
d'un train irrégulier, comme celui d'une course
coupée d'obstacles. C'est ainsi qu'on les voit
procéder dans la Chanson de Roland, dans le
poëme d'Aspremont (manuscrits de Venise),
dans ceux d^Aliscans et de Foulque de Candie.
Mais que ces textes divers paraissent se diviser
en trois classes selon le degré d'altération qu'on
y remarque, c'est une vue de peu d'importance.
Il est bien plus intéressant de rechercher à quoi
tient l'altération , de quelle source elle découle,
ce qui réduit la question à deux termes. Ou c'est
involontairement , ou c'est à dessein et de pro-
pos délibéré, que les Italiens ont altéré nos an-
ciens poëmes. Il n'y a pas de milieu, et à mon
sens, c'est tantôt l'un, tantôt l'autre, selon qu'il
s'agitde modifications purement orthographiques
et toutes superficielles, ou de changements qui
s'attaquent au fond, à la teneur même des origi-
naux.
Que des étrangers aient substitué, sans le vou-
loir et même sans le savoir, leurs habitudes d'or-
thographe aux habitudes françaises, il n'y a là
rien de surprenant. Des substitutions analogues
cviij Prèfac K.
n'avaient-elles pas lieu , en France même , de
province à province (')? Mais au-delà de ces
légères érosions qui n'ont endommagé , pour
ainsi parler, que l'épidermc des textes , tout ce
qui les a entamés plus profondément était, sans
aucun doute , attemte volontaire et préméditée.
Dans quel dessein ? il n'est pas toujours facile
de s'en rendre compte, je l'avoue, lorsqu'on
examine une à une et pai le menu les nombreu-
ses modifications que tel poème français a subies
en Italie ; mais , à prendre la question dans sa
? généralité, on n'y trouve qu'une solution satis-
aisante , et c'est le désir ou le besoin au'ont
sûrement éprouvé certains éditeurs italiens de nos
anciens poèmes , d'abord de les rendre plus in-
telligibles pour ceux de leurs compatriotes aux-
auels ils se proposaient de les réciter ou de les
faire lire, et ensuite de satisfaire une manie dont
ji. ...._ ;^ççj^^ avoir été possédés, celle de rimer
t . nt, richement même , et pour l'oreille
CI pour l'œil. Voilà leur double but dans le
travail de transformation , de déformation , si
l'on veut, auquel ils se sont livrés sans autre
souci, sans aucun respect ni du langage, qu'ils
ont massacré impitoyablement , ni de la mesure,
qu'ils ont rompue comme à plaisir et jusqu':^
laisser croire qu'ils n'en avaient nul sentiment.
Quelques exemples justifieront ces diverses
I On conifrvc mcore, par exemple, telle ordonnance
royale, étf" • "vu, i la chancrlleric, dans la meilleure
langue du ■ " , dont la copie se letrouve h Amienj,
<"" - - * ite par le drjc de la municipalité avec
^ partie picarde, en partie conforme i
Préface. cix
propositions. Je les tire d'un poëme fameux au
moyen âge, et en Italie non moins qu'en France,
du poëme d'Aspremonî. Il nous en reste au moins
neuf manuscrits français ou anglo-normands, et
quatre copies italianisées que j'ai indiquées ci-
dessus. J'ai choisi parmi ces copies celle qui est
conservée à la Bibliothèque impériale {Ms. fr.
I ^98), pour la comparer à un texte pur que j'ai
entre les mains et qui est emprunté à divers
manuscrits de Paris , de Berlin , de Rome et de
Londres, et, des principaux points de cette com-
paraison, voici ceux qu'il me suffira de signaler.
Après l'annonce du sujet, la chanson d'Aspre-
mont débute par un grand éloge du duc Naimes,
ce vieux et sage conseiller de Charlemagne , ce
Nestor (je le dis tout bas) de l'épopée carlovin-
gienne.
Oez de Nayme com avoit bon mestier :
Il ne servoit mie de losengier,
Ne des frans homes à la cort ampirier;
Les frans linages fist au roi essaucier,
Et dou servise son seignor aprochier (i).
En d'autres termes, il favorisait la noblesse
et non le clergé. C'est ce que le trouvère donne
à entendre, et son poëme, qui ne manque pas
d'allusions politiques , explique ailleurs et fort
clairement ce panégyrique. Cela dit en passant,
lisons les mêmes vers ou ceux qui y répondent
dans notre copie italianisée :
Savés de Naimes ki est som mister?
I. Ms. Laval, 123.
ex Préface.
// ne sent onquti de losenge mener,
Ne volt franc home acuser à l'empercr;
Le boni lignage fist al rot exaucer.
Et del itnrire son segnor ne volt se oblier.
Personne ne contestera et ne peut contester
que celui qui a écrit ces cinq vers ou plutôt ces
cinq lignes n'eût sous les yeux le modèle ci-
dessus Comment l'a-i-il suivi ? On le voit de
reste. Quatre fois sur cinq il a rompu la me-
sure ; pour rendre l'idée renfermée dans losen-
gier, il 3 imaginé la périphrase loscnç^e mener,
?|uoique Icsengier se retrouve en italien sous la
orme lusinghierc ou lusinghiero ; il a substitué à
la locution ampirier à la cort (empirer à la cour)
l'expressif 'H acuser à l'cmpcrer, dont le dernier
mot est un barbarisme et forme une rime inad-
missible ''\ Enfm, il a dénaturé le sens du cin-
quième vers. Ce n est certes pas par distraction
qu'il en a usé ainsi ; c'est donc de son plein gré,
et pourquoi ? Apparemment parce que sen'ir de
losenze mener lui a paru plus clair que servir de
r ; parce que accuser à Vcmpereur lui sem-
L mme de fait plus facile à comprendre
que empirer à la cour; enfm parce qu'à changer
le sens du dernier vers il trouvait le même avan-
tage.
Continuons notre comparaison.
L'armée de Charlemagne est en Italie, non
loin de celle du chef sarrasin Agolant ; mais
les deux armées sont séparées par une mon-
I. Frr.r'fff nôur fmrfrere 'fmpermr) te retrouve dam
tout "S, soit i la rime, soii aillrurs. Per,
mer, r-- , • . . --al de* barbarisme» analogues.
Préface. cxj
tagne dont le passage n'est pas facile , comme
Pindique son nom , Aspremont. Le duc Nai-
mes, porteur d'un message de son maître, s'est
engagé dans les défilés de cette montagne ,
où il avance péniblement de péril en péril. Le
voilà aux prises avec une ourse qui a faonné de
nouvel, et qui, au point du jour, est revenue à
l'endroit même où se trouve le duc,
A ses hoursiaus où ele les laissa.
Elle se dresse devant le messager de Charlema-
gne; mais d'un coup d'épée il lui coupe les deux
pattes où elle veut l'enserrer.
Qui dont oïst la noise que mena,
Que la montagne trestote en resona !
A la grant noise que ele démena
Ez vus venu .1. hours et .1. lupart(i\.
Ces quatre vers sont réduits à trois dans la copie
italianisée :
Mais killa oïst et la nosse k'ella fa,
Tuït le montangnes entor H ressona
Atant hec vos .II. ursi et .1. leopart salva(2).
De ces trois vers deux sont faux; de ces trois
rimes deux sont inadmissibles. Fa est italien,
non français ; et salva n'est ni l'italien salvatico
ni le français sauvage. C'est un moyen terme
barbare, mais qui rime avec ressona Qtfa, tandis
1. Ms. fr., 249J.
2. Ms.fr., 1598, fol. Il r», col. i.
cxij Préface.
que Icopart laissait beaucoup k désirer de ce côté.
Siilva n'a pas été fabriqué à autre fin, on le sent
bien; mais l'emploi de fa est moins aisé à ex-
pliquer. Faire noise, sans doute, peut paraître
plus simple que mener noise ; mais alors pourquoi
notre italien a-t-il tout à l'heure substitué à lo-
sengier la locution mener losenge, qui est fort équi-
voque, et dont je ne connais pas d'exemple.
C'est là une de ces modifications arbitraires, au
moins en apparence, un de ces caprices dont
j'entendais parler plus haut, lorsque j'ai reconnu
qu'en maint passage on ne se rendait pas faci-
lement compte du motif qui a porté les Italiens
à altérer les récits de nos trouvères. Toujours
est-il que la plupart du temps, quinze fois sur
vingt au moins, on le devine sans peine. Je le
prouve par de nouveaux exemples :
Ne sciés mie trop avers despensier(i),
dit le duc Naimes à Charlemagne dans un bon
texte d'Aspremont :
Ne soies pas trop avair al despenser,
lui dit-il, selon notre leçon italianisée. Vers
faux, mesure rompue, pour éviter l'expression
dépensier trop avare.
Paien esgardent le Karlon mesagier
devient :
Pains regarde de Charte le messager.
I. M», fr., 2^9).
Préface. cxiij
Encore la mesure rompue, parce que le Karlon
mesagier était difficile à comprendre pour des
auditeurs ou des lecteurs italiens.
De saint Morise a chosi l'oriflor
était fort intelligible pour des Français qui sa-
vaient que choisir signifiait voir, discerner, dis--
îinguer. Mais en Italie voir avait chance d'être
mieux entendu, et de là ce vers faux :
De santo Morisse vit l'oricflor.
Notre Italien a-t-il toujours bien entendu lui-
même le sens du français.? Je n'oserais l'affir-
mer. Naimes dit à Charlemagne : « Donnez à
vos chevaliers, donnez-leur dès maintenant, car
ils en ont besoin. »
Donés lor ore, quar il en ont mestier.
Ore c'est-à-dire à cette heure^ et non or {aurum)
comme ici :
Donés à lor vostre ors, à cel ki n'ont misîicr.
Rien de moins obscur, à ce qu'il semble, que ces
deux vers :
L'uns fu vers l'autre de parler convoitous
Por les noveles dont il sunt desirrous.
Ainsi n'en a pas jugé celui qui les a éclaircis de
la sorte :
Macaire. h
cxiv Préface.
L'tms fu air altre del parler covotos
Por les novelUs savoir tinnt tl sont destros.
Mais ici. à défaut de texte pur, la restitution
serait aisée ; elle le serait beaucoup moins ail-
leurs Dans une bataille, par exemple, le païen
Gorant a affaire au duc Naimes :
O il vit le doc, sovre li est corru ;
Ri Naymes est del schu covru
Che Gorant en fu tuii experdu.
Il faut d'abord remplacer dans ce passage le
mot coiru, qui est un barbarisme et une rime
inadmissible. Ensuite on se demande pourquoi
Gorant est tout éperdu par cela seul que le duc
Naimes s'est couvert de son écu, chose si sim-
f)le et si peu dangereuse pour le mécréant. De
à, nécessité de remanier tout le second vers et
pour le fond et pour la forme. La tâche ne serait
pas impossible à qui aurait lu quelques ré-
cits de joutes et de combats dans nos anciens
poifnes, où il n'en manque pas. Il retrouverait
peut-être :
Où voit duc Kaime sorc li a coru ;
El II fûisaus l'a st bien recéu
Que U pauru en fu toi esperdus.
qui est la bonne leçon. Mais l'a si bien reçu est
une plaisanterie, et pour populaire qu'elle soit,
il y a !à une certaine fmesse de lan^^agc devant
laquelle un étranger, et un médiocre étranger, ,
a reculé pour tomber à la fois dans le baroa-
risne et dans le non-sens.
Préface. cxv
Plus difficile serait la restitution de ce pas-
sage :
Atant vient Rolandin sor .1. cival corant;
Mais illert travallés et stant ;
Por tuit l'or del mont nel poit mener plus avant.
Quant à la mesure, si le second vers est trop
court, en revanche les deux autres sont trop
longs; et, pour le langage, il y a là un mot dont
on ne saurait s'accommoder : c'est le mot stant^
qui n'a jamais été français, mais qui représente
l'italien stanco (las, fatigué). Ce serait hasard
quon réussît à deviner la vraie lecture; mais on
en pourrait proposer une acceptable, celle-ci
entr'autres :
Ez Rolandin sor ./. cheval corant;
Mais H destriers fu las et recrèans
Si que nel pot onc mener plus avant{i).
On n'aurait pas rencontré juste, si l'on consulte
le manuscrit de Berlin, où on lit :
Ez Rolandin parmi le champ poignant.
Tant ont coru le destrier afferant
Ne puet aler, soz lui va recréant.
Mais on n'aurait pas fait grand tort à celui qui
écrivit ces trois vers, puisqu'on en aurait rendu le
I. Rien de si simple que de substituer recréant à stai.t,
pour peu qu'on ait l'habitude du vieux langage On pourrait
conserver travaillés si la mesure ne s'y opposait ; il est fort
bon en ce sens.
CXVJ I^RÉFACF..
sens très-fidèlement, en français du temps et en
vers d'une juste mesure. Rien ne prouve d'ail-
leurs qu'un autre manuscrit ne renfermât pas un
texte plus voisin de celui du manuscrit italien
et de mon essai de restitution. Ai-je besoin de
dire que les manuscrits divers d'un poëme sont
rarement identiques, alors même qu'ils ne con-
tiennent qu'une seule version de ce poème ?
Si cette vérité était à démontrer, la chanson
ô'Aspremont , entre autres, m'en fournirait mille
preuves. J'en relève deux seulement en passant.
Dans le vers si fort altéré que je citais tout à
l'heure
Et Naymes est dcl schu covru
supposons qu'au lieu de restituer
Et /< vassaus l'a ii bien rcciu,
selon la leçon du manuscrit français 2495, on
eût proposé :
El Ii dui Naima l'j ii bien atenJu,
Ln cniiquc qui viendrait à découvrir, après cette
restitution, le manuscrit indiqué, serait-il fondé
à triompher de la différence qu'il noterait entre
rhypoihèse et la réalité ? En aucune façon, puis-
au un autre manuscrit, le manuscrit 1 2 j du tonds
e La Vallièrc. donne atcndu au lieu de rccéu.
Aut! lalogue :
Lci • ^ manuscrit de Berlin que je viens
d'opposer à une restitution purement hypoihé-
Préface. cxvij
tique se retrouvent dans le manuscrit de La Val-
lière , mais avec des variantes :
Ez vos Rolant parmi le champ poignant ;
Tant a coru le jor sor l'auferrant
Ne pot aler, ançois vet recréant.
Sans doute ici les différences ne sont pas bien
importantes ; mais on en trouve, et à foison, de
plus considérables, comme le savent de reste
tous ceux qui s'occupent de l'étude de nos an-
ciens poëmes.
Que le lecteur me permette encore deux ou
trois citations, pour achever d'établir ce que j'ai
avancé au sujet de la rime.
On lit dans le manuscrit français 2495 :
En Vost de France ot celé nuit grans plors
Li navré getent les granz plainz mervillos ;
et dans la version italianisée :
Celle nuit fu auques ennoios
Les navrés gete li plait doloros(i).
Ennoios est français, il est vrai ; mais il faudrait
ici ennoiose, à cause du genre du mot nuit. Ce
n'est donc plus un barbarisme, mais un solé-
cisme, dont notre Italien s'est rendu coupable
pour esquiver plors^ qui à son oreille comme à
ses yeux ne pouvait figurer à la rime avec
mervillos et autres mots de même désinence.
I. Ms. 1 598, fol. 22 vo, col.
cxviij Préface.
Ailleurs, dans une tirade en />, il trouve ce
vers :
Soient Lonbari aprcsti et garni.
Ce dernier mot ne lui parait pas supportable ; il
modifie donc le vers de la sorte :
Mais Longobardi s'aprestent del garnir,
pour obtenir une rime exacte.
Enfin, dans une tirade en icr :
Trestote s' ire li ont fait rengraignur
ne le satisfait pas au point de vue de la clarté ; il
traduit ainsi fort librement :
Tresluil sa ire li font al vis monlier.
vers qui serait juste et admissible sous cette
forme :
Trestote s irc U Jont al vu monter.
Je dis monter et non montier, ce verbe n'étant pas
de ceux qui prenaient 1'/, comme briser ou bap-
tiser, par exemple, lesquels s'écrivaient souvent
brtsier, bautisier. Voilà donc à la fois et une mo-
dification du vers pour le sens et une altération
fautive du mot nwntcr en vue de la rime.
Je ferais un volume, et un gros volume, des
cxemr' ' ce genre que je pourrais tirer soit
de l.« 1 ù'Aiprewont^ soil de celle d'/l//-
sits de Carthage^ qui a été aussi défigurée par le
Préface. cxix
même Italien, Jean de Bologne (i). En fait de
rimes inadmissibles, je signalerais encore dans
VAspremont et delenquire (delinquere), et des-
/70/7e(deponere), et veras (pour vraie), et mala-
guras (^pouY maleurés), et nasce (pour naquit), et
sorprendu (surpris), el ges su (pâxlicipe de gésir),
et tant d'autres de même pâte.
De la chanson d^Anséis, qui est pourtant un
peu moins altérée que la première, je ne serais
pas plus en peine d'extraire des passages comme
celui-ci :
« Por som comgé somes da lui parti
« Por .1. mesaste dont nos adati :
« Femes aions quere qui soil assom pareil. »
Ainsi parle un conseiller dM/25m, lesageYsoré,
à sa fille, qui s'est follement éprise du jeune
héros.
Celle l'entent, tuit li sangue li fermi ;
Pemsable fu, oit li cors smari (2).
Pareil, smari, deux rimes inadmissibles ; pemsa-
ble, autre barbarisme, sans parler du reste. Voici
le texte pur ainsi défiguré :
(c Par son congié somes de lui parti
« Por un message dont nos a aati.
« Feme alons querre qui afiere endroit li. v
1. A la fin de chacun des deux poèmes dans le Ms. fr.
1 598, on lit cette mention :
Qui scripsit scribaî, semper cum domino vivat;
Vivat in celis Johannes deBononia in nomine felis (sic).
2. Ms., 1598, fol. 55 r», col. 2.
cxx Préface.
CeU l'entent, tous li stns li frémi;
Pensive fu, U cuers li amorti ' .
Mais il serait aussi superflu que fastidieux de
pousser plus loin ces rapprochements. J'ai assez
montré comment en usaient les éditeurs italiens
de nos anciens poèmes à l'égard des textes qu'ils
avaient sous les yeux. J'ai assez mis en évidence
le double but qu'ils se proposaient en les alté-
rant. J'ai assez fait voir et expliqué la barbarie
de leur langage.
Cette barbarie, notons-le bien, n est pas tou-
jours et panout la même. Flic varie d'abord de
poème à poème; clic varie ensuite, à ne consi-
dérer qu'un texte, de tirade à tirade, de vers à
vers; et pourquoi dans les deux cas? Dans le
premier, cela tient au degré d'ignorance des
)ongleurs italiens: dans le second , au degré de
difficulté que leur offraient les diverses parties
d'un même poème.
Plus on est ignorant, plus on suppose que les
autres le sont , et plus on est enclin à tra-
duire, à commenter, à gloser Médiocre incon-
vénient, quand les textes ^ont respectés; mais
ici traduction, commentaire ou glose se produi-
saient non à côté du texte, mais à ses dépens, et
le transformaient pour l'expliquer. En second
lieu, un même texte n'est pas partout aussi dif-
fK*'-' ' ■"• '' ' ne foisonne pas également en
ici : donc naturellement sur les
points les plus obscurs que se portera l'effort du
commentateur. De là les différences que je viens
de signaler, et qu'il m'importait de faire remarquer.
I. Ms fr.. I2,)48,fol. 4 r\ col a.
Préface. cxxj
Cela posé, je tire ma conclusion.
Puisque les poëmes modérément italianisés,
comme celui d^Aspremont et d^AnséisdeCarthage,
fourmillent de barbarismes, de solécismes , de
termes purement italiens, de rimes inadmissibles,
etc., encore qu'ils aient eu pour types des textes
en français pur, si l'on trouve une composition
comme la chanson de Macaire, dont le langage
aussi laisse tout à désirer et de la même manière,
sera-t-on admis à tirer argument de cette incor-
rection, de cette grossièreté de forme, pour sou-
tenir que c'est un original et non une copie ?
Poser la question, c'est y répondre. Ne parlons
donc plus de la barbarie de langage de notre
poëme ; car, non-seulement elle ne renverse pas
ma thèse, mais même elle la soutient, du mo-
ment où elle se montre inégale, du moment où
elle éclate, pour ainsi dire, danstelle tirade plu-
tôt que dans telle autre, dans tel vers plus que
dans celui qui le suit ou le précède.
Il faut bien d'ailleurs, si je puis ainsi m'expri-
mer, que la chanson de Macaire soit écrite dans
un langage barbare, sans quoi il n'y aurait point
de problème à résoudre. Si l'Italien qui nous l'a
transmise avait suivi pas à pas le modèle que je
lui suppose, au lieu de s'en éloigner parfois et
beaucoup, comme il l'a fait, je n'aurais rien à dé-
montrer, et je pourrais me contenter d'une simple
affirmation.
Cet argument mis de côté, aucune autre ob-
jection grave ne fait-elle obstacle à ma suppo-
sition? Peut-être. Le nom de l'héroïne du poëme
m'a un instant arrêté. On sait que dans la ver-
sion analysée par Albéric de Trois-Fontaines la
cxxij Prefaci:.
m ilheureuse reine s'appelait Sibilc. Pourquoi
a-t-elle nom Blanclietleui dans ie texte de
Venise? Je l'ignore Mais je suis sûr, par les rai-
sons précédemment alléguées, qu'entre la version
vénitienne de Macaue et la version française
dont parle Albéric, il y avait de bien autres dif-
férences et de fond et déforme. N'est-il pas pos
sible ûue dans la version primitive, en vers de
dix syllabes, représentée, selon moi, parle texte
de la bibliothèque de Saint- Marc, l'hérome se
nommât Blanchetleur, et qu'un réviseur, en
changeant le mètre du poème et en compliquant
la fable, ait aussi jugé à propos de changer le
nom du principal personnage, soit pour faire
oublier la première narration, soit pour donner
plus de nouveauté à la sienne, soit pour quelque
autre raison difficile à deviner ? Il n'y a rien là
qui répugne à la vraisemblance. Mais eût-on su-
jet de croire que ce changement de nom est du
fait de notre Italien, qu'en résulterait-il? C'est
qu'il aurait modifié son modèle un peu plus que
je ne l'imagine. En ce cas, les vers où figure le
nom de Blanchetleur seraient à refaire. Voilà
tout. Je les aurais refaits, si, dans le doute, on
ne devait s'abstenir, et ici le doute était plus
que permis.
Kn somme, je ne vois pas sur quel fondement
solide on s'appuierait pour attribuer au poème de
Macaire l'originalité que je lui dénie. Je vois,
au contraire, les raisons principales qu'on pour-
rait mettre en avant dans cette direction se re-
tourner ç- -'- -ji les voudrait faire valoir, et
militera i en ma laveur. Kn effet, si Ma-
caire en en la forme l'œuvre d'un Italien qui
Préface. cxxiij
savait très-mal le français (et ce dernier point
ne sera pas contesté), comment expliquer l'iné-
galité d'ignorance de l'auteur? Comment se
fait - il que certains vers seulement soient de
tout point inadmissibles, tandis que d'autres en
bien plus grand nombre se laissent assez aisé-
ment réduire et ramener aux habitudes de notre
langage ? C'est que ceux-là qui sont à refaire en
entier ont été refaits entièrement. C'est que les
autres, dont on peut tirer parti, n'ont été que
plus ou moins endommagés. Voilà la réponse,
dans mon hypothèse. En trouverait-on une aussi
simple si l'on supposait le contraire ?
Quelques exemples que je donnerai ci-après
me feront mieux comprendre et montreront en
même temps de quelles lumières je me suis
éclairé dans la voie un peu obscure où l'on me
reprochera peut-être d'avoir mis les pieds. Je
dis peut-être; c'est sûrement que je devrais
dire ; car déjà j'ai entendu cette objection :
« Ce n'est pas tout que de se proposer un but,
même utile, il faut encore pouvoir l'atteindre,
et comment l'espérer en pareil cas î Par quelle
méthode y arriver? l'arbitraire est le seul che-
min qui y conduise ; et ne craignez-vous pas
d'en avoir la preuve accablante le jour où l'on
découvrirait l'original français de votre poëme ^ »
J'ai paré ce dernier coup tout à l'heure en
rappelant que divers manuscrits d'un même
poëme offrent toujours entre eux des différences
qui parfois sont assez sensibles. Je ne saurais
donc être mortellement atteint par la découverte
dont je suis menacé. J'ose même espérer que je
n'en recevrais pas de blessures trop profondes,
cxxiv Préface.
grâce aux précautions que j'ai dû. que j'ai pu
prendre contre cette mauvaise chance.
On n'est pas aussi dénué de ressources qu'on
le pourrait croire dans une entreprise comme
celle où je me suis engagé, puisque les éléments
de comparaison abondent entre les textes en
français italianisé et les textes en français pur.
Par là on peut se faire une idée assez exacte des
procédés, pour ainsi parler, selon lesquels les
Italiens ont défiguré i '•■,' de nos anciens
poèmes. J'ajoute qu'à i un texte en vers,
il ^ a moins d'incertitude, moins de péril qu'à
faire le même essai sur un texte en prose, et cela
à cause du mètre, qui d'un côté marque mieux
les fautes, et de l'autre ne permet pas d'aller
trop loin chercher les corrections, en resserrant
dans de certaines limites le choix des mots ou
des tours à mettre en œuvre. Enfin, on m'accor-
dera bien aussi qu'un commerce assidu et pro-
longé avec nos anciens trouvères est encore un
moyen de ne pas tomber dans des suppositions
trop choquantes.
Est-ce à dire que je me flatte d'avoir par-
tout remplacé le terme ou le tour du compilateur
de Venise par l'expression même qu'il avait sous
les ycuxr Assurément non. Pareille divination
serait presque impossible, mais aussi presque
inutile. Je m'explique.
Si, par malheur ihorraco rfferens!) V Enéide
n'était parvenue jusqu'à nous que sous une forme
barbare, analogue à celle qu'a reçue en Italie la
chanson de la liane SihiU, nous n'aurions plus
que le tableau d'un gr.md maître gratté et re-
peint par un barbouilleur. Les traits qu'il aurait
Préface. cxxv
respectés nous permettraient encore de suivre la
fable imaginée par le poète de Mantoue, et, jus-
qu'à un certain point, d'en apprécier les beautés
de conception; mais la pureté du dessin , mais
l'éclat du coloris, mais toutes les richesses du
pinceau seraient à jamais perdus pour nous; et
quel insensé pourrait songer à les retrouver, à
nous les rendre ? Les Ëglogues et les Géorgiques
nous aideraient bien à mesurer la perte, mais
non à la réparer. Tout au contraire, pour res-
taurer un monument littéraire de l'âge auquel
appartient la chanson de la Reine SibiUy on peut
très-utilement s'aider de l'étude des monuments
contemporains.
C'est que Virgile , comme tous les maîtres des
grandes époques , avait un style ; c'est que les
trouvères n'en avaient point , et que , dans le
même temps, ils puisaient tous comme à une
source commune les expressions de leurs idées.
De là cette conséquence que , lorsque leurs ré-
cits sont beaux, c'est par le fond qu ils valent,
bien plus que par la forme, qui fait presque tout
le prix de V Enéide. Aussi la Chanson de Roland,
défigurée comme elle l'a été par un jongleur ita-
lien, retient-elle encore beaucoup de sa valeur.
Aussi Vlliade aurait-elle bien mieux résisté que
V Enéide à semblable profanation.
Qu'on me pardonne, en un si petit sujet, d'évo-
quer les grandes ombres d'Homère et de Virgile.
C'est le fa-it d'un fidèle qui , s'en allant prier à
la plus modeste chapelle d'une cathédrale , ne
laisse pas de fléchir un genou devant le maître-
autel.
Il résulte de ce qui précède que ma tentative
CXXVJ PRÉFACK.
peut sembler excusable, pourvu que j'aie rétabli
le texte de MAcairt-, sinon absolument tel qu'il
était, au moins tel qu'il aurait pu être; c'est-à-
dire , pour\u qu'à un mot , à un tour inadmis-
sible, j'aie substitué un terme, une locution
ayant coursa l'époque où fut composé, selon moi ,
l'original français dont j'essaye de donner une idée
Ai-je réussi à m'acquitter de ma tâche dans
ces limites? Pour le prouver , il me faudrait tout
justifier : et ce que je conser^•e du texte de Ve-
nise , et ce que je propose comme correction
partout où il me semble défectueux Mais, à ce
compte , le commentaire serait vingt fois plus
long que le texte. J'ai donc dû me borner et
laisser beaucoup à l'appréciation du lecteur, le-
quel , selon le degré de sa compétence , pourra
juger superflues ou insuffisantes fes notes qui
terminent ce volume , mais m'en pardonnera, je
l'espère, l'excès ou le manque, s'il veut bien
considérer qu'entre tout et rien il est un moyen
terme honnête: et qu'en m'y arrêtant j'ai fait le
possible eî le nécessaire.
Voici maintenant les exemples que j'annonçais
tout à l'heure. Ils achèveront de démontrer, si je
ne m'abuse , que le poème de Macaire n'est ori-
ginal qu'en ce ûu'il a de mauvais. Ils feront voir
aussi la mélhoue que j'ai suivie pour lui rendre
une forme ou identique ou équivalente à sa forme
primitive. Je choisis ces exemples en petit nom-
bre , mais de façon à ce qu'ils comprennent la
généralité des cas.
On sait que dans son voyage à Constantinople.
Blanchcfleur est contrainte de s'arrêter en Hon-
grie par le terme de sa grossesse.
Préface. cxxvij
A la terça noit qu'i furent alberçé,
Cella dame partori una bel arité. (P. 1 16.)
De ces deux vers, le premier n'est que légère-
ment altéré , on le voit bien. Sauf l'addition du
premier mot, qui n'est nullement nécessaire , on
peut le conserver en le repolissant ainsi :
La tierce nuit que furent hebergié.
Mais le second vers a été bien plus endommagé.
Il renferme , sans parler du reste , deux mots ,
partori , arité , dont l'un est purement italien , et
dont l'autre n'a pas la forme qu'exige ici le sens.
Comment réparer ce dommage? D'abord en re-
cherchant l'expression française à laquelle répond
partori, et qui pourrait être: s^ accoucher de, se
délivrer de ou s^agesir de.
La mesure n'admet pas les deux premières ,
c'est donc la troisième qui est la bonne. S^agesir
donne au parfait 5'^gmf, dont le vers s'accommode
très-bien , mais à la condition de le placer avant
le mot dame; d'où il suit que cella ou celle doit
être rejeté et remplacé par l'article. On a alors ce
premier hémistiche : s'agiuî la dame ; reste pour
le second : una bel arité. La forme arité n'a été
mise là que pour esquiver iretier, rime inexacte
aux yeux de notre compilateur. Il ne manque
donc qu'une syllabe pour rétablir le vers, et
quand j'aurais suppléé moult au lieu de très y par
exemple , aurais-je rien changé d'essentiel ou de
brillant au texte que j'essaye de retrouver.?
S'agiut la dame d'un moult bel iretier
cxxviij Préface.
me paraii donc une solution presque forcée ,
presque inattaquable du problème. Je justitie
d'ailleurs s'ai^iut par ce vers de I^hilippe Mous-
kes :
D'un fil s'af^iul, s'ot nom Guillaumfi.
J'ai dit en ouel éouipagc Varochcr accompa-
gne la reine. Il semble si étrange, qu'on le lient
pour fou :
Por li baston qu'el oit groso e quaru
E por li çevo q'el oit si velu. (r. 1 12.)
Le second de ces deux vers est à peine modifié ,
et le premier ne serait pas plus difficile à resti-
tuer, n'était le mot {juaru, qui est un barbarisme.
Pourquoi donc , en dehors de l'orthographe , le
compilateur italien s'est-il borné à cette seule
modification ? C'est qu'il ne pouvait rien trouver
de plus simple et de plus clair que le texte fran-
çais, à l'exception d'un mol auquel il a jugé à
propos de substituer quaru. Et quel était ce mot,
qui , si je vois juste , devait être de deux sylla-
bes , terminé en u, et d'une signification équiva-
lente à celle de quaru ? C'était costu ou cornu. On
disait bâton costu ou bâton cornu aussi bien que
bâton carré, au sens de bâton noueux, qui a des
côtes f qui n'est point rond ('). Comme carre ici
est rejeté par la rime, c'est costu qu'il faut lire
plutôt que cornu , car cornu se retrouve en italien
I . Voir aui notes , lur la pape 112. — liâton carré se lit à la
page 1 14 de noire poème, ou j'ai pu le conserver parce que
la nroe l'admet.
Préface. cxxix
sous la forme cornuîo, et rien n'y répond au mot
cosîu. De là l'élimination de ce mot , remplacé
par cjuaru , qui se rapproche de l'italien quadralo.
J'ai donc lu:
Por le baston qiCll ot gros et costa.
Et por le chief que il ot si velu.
Et quand même j'aurais à tort préféré cosîu à
cornu j où serait le mal ?
Il y a des corrections qui , pour être plus con-
sidérables , ne m'en paraissent pas moins sûres.
Macaire dit à Charlemagne (p. 36) : « Vous tar-
dez trop à punir la reine ; si vous en croyez le
duc Naime, vous serez honni et blâmé par le
monde :
Vu serés desoré e vitupéré el mon.
Ni desoré ni vitupéré ne sont de la langue du
temps , et la mesure les repousse aussi ; el mon
seul peut être maintenu II s'agit donc de trouver
un tour qui rende 1 idée renfermée dans vu serés
desoré et vitupéré et qui s'adapte au mètre. Ce
tour, il revient fréquemment dans nos vieux poè-
mes. On lit dans Huon de Bordeaux (p. 40) :
Tu en aroies honte et reprovier grant ;
dans Aliscans (p. 7) :
Honte en aurai et reprovier tos tans
Honte répond à desoré pour deshonoré; reprovier
Macaire, i
cxxx Préface.
(italien : Timprovero) à vitupéré, et la locution ,
jointe à fl mon que je conserve, donne exacte-
ment ce vers de dix syllabes :
Honte en aurés et reprovier el mont.
Il y a donc dix à parier contre un que j'ai ren-
contré juste, el plût à Dieu que je fusse partout
aussi sûr de mon fait C'est chose impossibl
toutes les fois qu'une idée peut se rendre pai
deux ou trois expressions de même valeur au
fond, mais différentes en la forme, et dont la
mesure s'accommode également. La faute seule
est certaine; la correction, double ou triple,
laisse place à l'incertitude. « Aubri, dit l'empc-
«' reur au chevalier qui doit conduire Blanchefleur
K en exil, allez faire vos préparatifs de départ : "
Albaris sire, alez vos pariler. (P. 60.)
Panier ne serait pas inadmissible sous la forme
parillier ; mais on trouve le plus souvent en ce
sens apparillier ou des synonymes tels que apres-
ter, atorner, conréer , aaober. Apparillier seul est
rejeté par la mesure; tous les autres s'y adap-
tent fort bien. Lequel choisir? on ne sait , mais
qu'importe?
Lorsque Varocher dit à l'empereur de Con-
itantinople :
E no v>n rivaler, ançi son un poltron ;
Ma :'ai çcnçer moi al galon
Le t fT . . . . (P 2\2}.
Je ne puis douter que poltron et ^alon ne soient
Préface. cxxxj
deux mots introduits là par le compilateur italien.
Galon ('), au sens de côté, de flanc, n'a jamais
été français , et poltron n'était pas en usage au
temps où fut composée la chanson de la Reine
Sibile II n'a d'ailleurs eu en aucun temps la si-
gnification que lui donne le texte de Venise :
homme de condition inférieure , par opposition à
chevalier. C'est garçon qui s'employait en ce sens,
comme le prouve l'exemple cité aux notes. Jus-
que-là rien d'inceitain; mais pour le second
vers il peut y avoir doute. Je lirais volontiers :
En moi n'avés chevalier, ains garçon ;
Mais se vos plaist ceindre moi au giron
Le branc d'acier
Toutefois rien n'empêche de croire que le bon
texte donnât :
Mais se vos plaist me ceindre au lez en son
ou : au lez selonc. Plus sûre est la correction du
premier vers où je change le tour , contraint
que j'y suis par la double forme gar^, garçon,
dont la deuxième seulement convient à la
rime.
On comprend à quels développements m'en-
traîneraient des justifications comme celles qui
précèdent Je ne puis m'y laisser aller pour plu-
sieurs raisons , et en particulier parce qu'il ne se-
rait guère séant de faire la cuisine sous les yeu?i
de ses convives. Tout 'au plus me permettrai-je,
I . Italien gallone.
cxxxij Prêfack.
avant le bfnedicite, de réclamer l'indulgence des
plus délicais pour quelques incongruiiés de mon
menu. J'ai pour excuse qu'on se les permettait
sur les meilleures tables du moyen âge. Il s'agit
des licences que j'ai prises, à l'exemple des trou-
vères les plus recommandables , tant en matière
de grammaire qu'en fait de versification. Je suis
prêt à les défendre, les armes à la main , si la
critique m'appelait en champ clos; mais au cas
où, dans cette joute, ma lance et mon épée
viendraient à se briser, j'espère qu'on voudra
bien se contenter de rae recevoir à merci.
P. S. — Le manuscrit de la Bibliothèque de
l'Arsenal B. L. F. 226 contient une version en
prose du poème de Macaire. Je l'ai su trop tard
pour enregistrer ce fait à sa place, assez tôt pour
le noter ici. J'en ai trouvé l'mdication dans le li-
vre récent de M. Léon Gautier, /t'5 Epopées fran-
çaises, ouvrage que je n'oserais louer, tant l'au-
teur s'y est montré bienveillant pour moi , si la
récompense: qu'il a obtenue de I Académie des
Inscriptions et Belles- Lettres ne mettait mes
éloges à l'abri du soupçon.
Le manuscrit indique par M. Gautier avait
passé par mes mains ; mais je m'étais contenté à
tort, pour en prendre note provisoire, du titre
de Mon^lane, sous lequel il figure dans la Biblio-
thèque de l'Arsenal. Le jeune et savant auteur
des Épopées Irançatses en a pris plus ample con-
naissance et a reconnu , jointe a divers romans
de la geste de Garin de Monglane, la version que
je signale après lui.
Préface. cxxxiij
Cette version, qui occupe environ le dernier
quart du manuscrit, a été faite évidemment sur
le poëme envers alexandrins résumé par Albéric
de Trois-Fontaines. Elle a l'avantage d'en donner
une idée bien plus complète que le sommaire du
chroniqueur; mais quand je l'aurais lue plus tôt
je n'en aurais pu tirer aucun secours pour la so-
lution des questions relatives au texte que je
publie.
SOMMAIRE.
Qus allons raconter une surprenante histo.irç
iqui avint en France il y a longtemps, après
lia mort de Roland et d'Olivier. Ce fut un
des traîtres de la race de Mayence, ce fut
Macaire qui en ourdit la trame et par sa félonie causa
la mort de maint vaillant chevalier.
Il n'y eut jamais au monde souverain plus puissant
que l'empereur Charlemagne, ni qui prît autant de
peine et endurât autant de souffrances pour glorifier
la foi chrétienne. Il fut toujours vainqueur des païens,
et personne au monde ne se fit plus redouter que lui.
Il n'écoutait pas conseils d'enfant; aussi vécut-il plus
de deux cents ans et jusqu'au temps où vinrent Guil-
laume et Bertrand. Il eut pour femme la fille d'un
puissant prince , l'empereur de Constantinople. La
dame s'appelait Blanchefleur; elle était belle, bonne,
loyale et de grand sens. P. 2.-5.
C'était dans le temps que Charlemagne tenait cour
plénière à Paris. Il y avait là nombre de ducs, de,
princes, de comtes, de fils de vavasseurs. Ogier le
Danois y était, et avec lui le duc Naimes, le sage
conseiller de l'empereur. Éloge du duc Naimes.
P. 5.-7.
cxxxvj Sommaire.
Mactire de Losane, ainsi l'appelait-on, avait tant
fait par ses largesses qu'il était en faveur à la cour,
prenait place à la table du roi et avait grande part â
son amitié Le traître n'en forma pas moins le dessein
de honnir Charlemacne et d'arriver jusqu'à la reine,
fût-ce par la force. Écoutez l'histoire Le jour de la
fête de saint Rtquier, la noble dame était dans son
verger, où elle prenait plaisir, avec d'autres dames,
i écouter une chanson chantée au son de la vielle.
Macaire survient, en comp.îgnic de plusieurs cheva-
liers, et bientôt il se prend â courtiser la reine :
• Dame, lui dit il, vous pouvez bien vous vanter d'être
la plus belle des belles, et c'est un vrai péché mortel
qu'un tel époux vous ait en son pouvoir. Si l'amour
nous unissait, vous et moi, ce serait Iji une union
sans pareille et bien faite pour les tendres étreintes,
les caresses et les baisers. >> La reine l'entend, le re-
garde et lui dit en riant: « Sire Macaire, que me
contez- vous là ? C'est pour m'éprouver sans doute ?
Un homme si sage ne peut avoir d'autre dessein. —
Cessez de le croire. Madame, répond Macaire. Il n'est
homme au monde qui vous aime plus que moi ; il n'est
peine que |e ne sois prêt â souffrir pour vous plaire.»
A ces roots, la reine comprend que ce n'est point un
jeu : « Macaire. lui dit-elle alors, tu ne me connais
pa- •- '" tien que je me laisserais couper tous les
D' 't que je consentirais à être brûlée vive
pour que mes cendres soient jetées au vent plutôt que
d'avoir urr- rd du roi. Si ji-
mais l'ente:.- . . . ..; :.^.:^. , )c le dirai aus-
sitôt i mon seigneur. Homme pervers , tu es bien
osé de parler ainsi de ton maître! S'il le savait, toutes
Sommaire. cxxxvij
les richesses du monde ne te sauveraient pas d'une mort
honteuse. Laisse-moi sur l'heure, et prends bien
garde de ne jamais reprendre semblable entretien. »
Macaire l'entend et s'éloigne , honteux et tout agité
de mauvais sentiments. P. 7-1 i.
Il ne songe qu'à son coupable dessein ; il y songe
nuit et jour, et s'il n'en vient à ses fins il se comptera
lui-même pour rien. Mais comment y réussir.? Il y
avait à la cour un méchant nain, fort aimé du roi et
de la reine: Macaire le va trouver et lui dit : « Nain,
tu es né à la bonne heure. Je te donnerai assez d'ar-
gent pour t'enrichir toi et les tiens si tu veux me ser-
vir à mon gré. — Ordonnez, dit le nain; je suis prêt.
— Eh bien, reprend Macaire, voici ce que tu feras.
Quand tu seras près de la reine, tu lui représenteras
combien je suis beau, et quelle union sans pareille
serait la nôtre, si elle voulait répondre à mes désirs.
— C'est assez, fait le nain, quand je serai près de
la reine, je lui dirai mieux encore. — Heureux nain,
reprend Macaire , tu recevras de moi assez d'ar-
gent pour enrichir toute ta parenté! — Soyez sans
crainte,» dit le nain; et il le quitte tout joyeux.
Macaire, non moins joyeux, s'en retourne à son hôtel.
P. 11-13
Le nain ne cesse de penser à son message , et
quand Macaire le rencontre, il ne manque pas de l'en-
doctriner. Enfin, un jour de fête, le nain s'approche
de la reine, va se coucher sous son manteau, et, selon
sa coutume, se prend à la courtiser. La reine, qui ne
pensait point à mal^ le caresse, le flatte de la main ,
et lui s'enhardit jusqu'à lui parler ainsi : « Je ne sau-
rais comprendre. Madame, que vous puissiez aimer
cxxxviij Sommaire.
Clurlemagne : en fait d'amour, il ne vaut pas un de-
nier, et vous éles si belle, si belle qu'il ne se peut
rien voir de plus beau. Si vous vouliez m'en croire,
je sais tel homme digne de vous par sa beauté, avec
qui vous pourriez avoir accointance. Cet homme,
c'est Macaire, le preux, le vaillant Macaire. Que je
parvienne i vous unir, et jamais vous ne vous lasserez
de lui, et vous pourrez bien vous vanter d'avoir l'a-
mant le plus beau qui se puisse trouver, u La dame
l'entend, le regarde et lui dit: u Tais-toi, fou, et
cesse de me parler de la sorte ; car tu ne tarderais
pas à me le payer cher. — Cessez vous-même, ré-
pond le nain, cessez, Madame, de penser ainsi. Un
seul baiser de Macaire vous le rendrait cher à ce
point que vous ne pourriez jamais lui en préférer un
autre. » Il en dit tant et tant qu'il fâche la dame. Klle
le saisit, en dépit qu'il en ait, le pousse et le jette en
bas du degré si rudement que sa chute lui froisse
toute la tète, a Va-l'en, vilain ribaud, lui dit-elle, et
revicns-y une autre fois ! » Macaire était en ce mo-
ment au bas du degré; il relève le nain, le fait em-
porter et panser. Le nain en eut pour huit jours à
garder le lit, au grand étonnement de la cour et du
roi lui-même qui le demande. Macaire l'excuse ; « Il a
fait une chute, dit-il, et s'est froissé la tète à un pi-
lier ; mais il ae tardera pas à se lever et à revenir à
la cour. M P. I )-i9.
La race de Mayence fut de tout temps une mau-
vaise race. Elle fit la guerre à Kenaut de Montau-
ban; elle trahit Roland cl Olivier, les douze pairs
et tous let/Vs compagnons. La voici maintenant qui
»'eo prend i la reine , et si cette engeance maudite
Sommaire. cxxxix
ne couvre de honte Charlemagne, ce ne sera pas
faute de le vouloir.
Après être resté huit jours au lit, le nain se leva et
reparut la tête enveloppée de compresses. Chacun en
glosa, et le roi lui-même ne put se tenir d'en rire. Le
nain, qui n'était pas un enfant, se garda bien de rien
dire à personne de sa mésaventure. Il se tint dès lors
avec les barons et ne se représenta plus devant la
reine. Elle, cependant, ne laisse pas de le demander ;
mais il se tient à l'écart, et prudemment. Pour toutes
les richesses de l'Orient, il n'irait plus l'entretenir ni
se mettre à ses ordres. Quant au traître Macaire, il
est toujours en peine et toujours rêvant à mal. Que
Dieu le confonde ! P. 19-2 1 .
Le félon, le pervers s'en vient trouver le nain et
lui dit: a Nain, j'ai à cœur l'outrage que tu as souf-
fert ; mais, si tu voulais en user à mon gré, je pour-
rais tirer vengeance de la reine : elle serait brûlée
vive. — Je ne désire rien tant, répond le nain. Si je
pouvais me venger d'elle, je n'aurais jamais été si
joyeux de ma vie. Quand je songe à la manière dont
elle m'a jeté en bas du degré, je suis outré de colère :
je ne respire que vengeance. — Eh bien, dit Macaire,
tiens bon et montre-toi. J'ai en main de quoi nous
venger tous deux. — Dites^ reprend le nain, et je suis
prêt à vous obéir, pourvu qu'il ne faille pas lui parler,
car, à cette heure, je la crains plus qu'un serpent, —
Nous serons prudents, dit Macaire. L'empereur a
coutume de se lever chaque nuit avant l'aube pour
aller à matines. Quand elles sont chantées, il s'en re-
vient aussitôt se coucher. Si tu veux te venger, il faut
discrètement , sans que personne t'entende, sans que
cxi Sommaire.
personne te voie, t'aller cacher derrière la porte de sa
chambre. Lorsqu'il sera levé, tu sortiras de là et
t'iras dépouiller de tes vêlements devant son lit ; puis
il faudra te coucher à côté de la reine. Tu es petit ;
tu te cacheras ai'ément. Quand l'empereur reviendra
et te verra dans son lit, il sera transporté de colère ;
mais il n'osera te toucher. A ses yeux, ce serait une
honte. Il appellera des siens et quand il t'interrogera
tu lui répondras hardiment que c'est la reine qui t'a
fait venir près d'elle, et non pas pour la première
fois. — Laissez-moi faire, dit le nain. Je m'en ac-
quitterai mieux que vous ne sauriez me le conseiller,
et pourvu que je me venge, je me tiendrai pour bien
récompensé. — Sois sans crainte, reprend Macaire,
je serai près de toi pour te défendre. — Et vous agirez
en baron, dit le nain. A cette heure, assez parlé. Je
sais ce que j'ai à faire. — Compte sur une belle ré-
compense, dit Macaire. Tu ne cours aucun risque.
Aux questions du roi, réponds que c'est la reine qui
t'a maintes fois appelé près d'elle. S'il ne veut se cou-
vrir de honte, il ne manquera pas de la faire brûler
sur un bûcher d'aubépine. — Je ne désire rien tant, »
dit le nain. P. 2 '.-27.
Aussi ne manque-t-il pas de suivre de point en
point les conseils du traître. Charlemagne, au retour
de matines, jette les yeux vers la couche impériale A
sa grande surprise, il voit sur le banc les vêtements et
dans son lit la grosse tête du nain. Il ne dit mot, mais,
la rage dans le cœur, il sort de la chambre et se rend
i la grande salle du palais. Il y trouve Macaire, qui
était de)i levé . avec quelques autres chevaliers.
m Venez , seigneurs , leur dit-il , venez partager ma
Sommaire. cxlj
douleur et ma colère! Là reine Blanchefleur, que j'ai-
mais tant, m'a trahi pour un nain. Si vous en doutez,
venez en voir la preuve. » 11 les conduit dans sa
chambre et leur montre le nain. A cette vue, les ba-
rons demeurent tout interdits. Cependant la reine
s'éveille, et, se voyant ainsi entourée, ainsi accusée,
elle est saisie d'effroi et ne trouve pas un mot pour se
défendre, a Seigneurs, dit Charlemagne, que me con-
seillez-vous ? » C'est Macaire qui prend le premier la
parole : « Bon roi, dit-il, à ne vous rien celer, si vous
ne la faites brûler, vous serez honni, et vous vous at-
tirerez le blâme de tous, à vous et à nous. » Écoutez
ce que fit ensuite le traître.
Il s'adresse au nain et lui dit : « Nain, comment as-
tu été assez osé pour entrer céans } Comment y es-tu
venu et par quelle volonté ? — Par ma foi , sire , il
faut vous le dire. Je ne serais jamais entré dans cette
chambre , et jamais je ne me serais couché dans ce lit
si je n'y avais été appelé par la reine, et non pas une
fois, mais cinquante. » Il répète ainsi la leçon de Ma-
caire, du maudit renégat que Dieu confonde! Char-
lem.igne jure que la reine sera brûlée vive. Pour elle,
courbée sous la honte, elle n'ose lever la tête, ne
tente point de se défendre, et ne fait que se lamenter.
On la saisit, on l'enferme. Le nain aussi est en-
fermé séparément. La nouvelle s'est bientôt répan-
due par tout Paris, où chacun témoigne un grand
deuil. On déplore l'infortune de cette reine si ave-
nante, si bonne, qui donnait tant du sien aux pau-
vres gens , aux chevaliers sans terre , et vêtait leurs
femmes. Chacun prie Dieu de la sauver des tour-
cxiij Sommaire.
ments cruels dont elle est menacée. Le roi lui-même
ne pouvait se défendre de la plaindre, car il l'aimait
tendrement; mais il ne pensait pouvoir lui faire grâce ,
tant il craigna t d'encourir le blâme. Macaire aussi
est toujours li qui le presse , qui le pousse à faire
justice, a sinon , dit-il, sachez bien qu'il n'y aura
qu'une voix contre vous , et que petits et grands vous
compteront pour rien, v P. }JJ^.
L'embarras du roi est extrême. La plupart des
barons et surtout ceux de la race de Ganclon sont
acharnés contre la reine et demandent sa mort.
Mais d'autres et lui-même se sentent attendris. Il se
décide cependant i la mettre en jugement. Il ap-
pelle près de lui et Richier, et le duc Naimes, et
d'autres barons de grand renom. Macaire est encore
li. Que Dieu le damne, lui et toute sa race; car ils
ne firent jamais qu'émouvoir noises et querelles! Le
traître ne fait entendre que de mauvaises paroles II
reoroche au roi ses longueurs; il ne les lui pardonne
pas. C'est bien â tort que Charles écoute le duc Nai
mes; il ne lui en reviendra que honte et blâme , à ce
point qu'il se fera chansonner par les petits garçons.
Naimes l'entend , la tète baissée, et tout gonflé de
douleur et de courroux. Il parle à son tour : « Noble
roi, écoulez-moi, et que Dieu me confonde si je dis
rien qui ne soit vrai! Vous demandez conseil. Je ne
suis pas de l'avis de ceux qui s'acharnent contre la
reine Blanchefleur. Ils ont hâte de la juger; mais ils
ne '-• roint â sa naissance S'ils savaient â quoi
peu. utir leurs discours, ils se tairaient et
attendraient pour juger la reine l'assentiment de son
père. Elle est fille d'un puissant prince; il y faut pen-
Sommaire. cxliij
ser. L'empereur de Constantinople a bien des terres
en sa garde et peut réunir bien des hommes en armes.
Croyez vous qu'il vous aime beaucoup quand il ap
prendra que sa fille a été si honteusement jugée?
Épargnez la reine , je vous le conseille , jusqu'à ce que
son père soit informé de tout par un messager que
vous lui adresserez, de telle façon que plus tard il
n'ait point prise sur vous. » Ainsi parle leduc Naimes,
au gré du roi , qui est sur le point de s'accommoder
de cette ouverture, quand Macaire se jette à la tra-
verse. «Noble empereur, dit-il, comment pouvez-
vous écouter pareil avis? Il faut vous aimer bien peu
pour vous conseiller d'ajourner le châtiment d'un
affront qui fait tant d'éclat. Voilà ce que je soutiens;
et si quelqu'un l'ose nier, qu'il s'arme et monte à
cheval. « Quand les conseillers du roi entendent Ma-
caire parler sur ce ton , ils n'ont garde de lui rien
contester. Personne ne lui répond. Le roi comprend
alors qu'il n'a plus qu'à ordonner sans retard le juge-
ment. Le duc Naimes le voit plier, et s'éloigne sans
en dire davantage. Il va quitter le palais; mais le roi
le retient. Il le prie de ne point lutter contre Ma-
caire, et de rester, cependant, pour voir comment
les choses finiront.
Le traître l'emporte : Charlemagne se décide à
juger la reine. Il la fait amener devant lui. A sa vue ,
il s'attendrit et ne peut retenir ses larmes. P. 3 5-43 .
Blanchefleur, si fraîche d'ordinaire, a perdu ses
vives couleurs. Elle est toute pâle et blême : « Ah 1
noble roi_, dit-elle, que vous avez été mal conseillé
pour me mettre ainsi en jugement à grand tort et à
grand péché ! Il vous aime bien peu celui qui vous a
cxliv Sommaire.
donné ce conseil. Je prends Dieu à témoin que jamais
je n'ai failli ni porté atteinte A votre honneur, que
jamais je n'en ai eu même la pen!^ée. — Vaines pa-
roles! dit le roi. Vous avez clé surprise en péché
mortel, et toute excuse vous e^t interdite. Il ne
vous reste plus qu'à penser à votre âme. Votre chA-
limenl s'apprête : qui trahit son seigneur doit être
brûlé. — Vous ^llez faire un grand péché, dit
la dame. — C'est une honte, dit Macaire au roi,
que de vous voir si longtemps en pourparicr avec
elle, w A ces mots Naiines branle la tète et dit en
lui-même : a Voili un jugement qui sera payé cher.
Charles ne verra jamais que pour son malheur la race
maudite qui l'a toujours trompé et tralii ! » P. 4J-45.
L'empereur qui règne sur la France est en gr^^.nd
émoi à cause de Blancheflcur, qu'il aime par-dessus
tout; mais la justice veut qu'elle soit punie, et c'est
bien malgré lui qu'il y donne les mains. Il ordonne Â
un de ses chambellans delà faire conduire au supplice
vêtue et voilée de noir. Un grand feu d'épines Cbt
allumé sur la place, devant le palais. La nouvelle s'en
répand par tout Paris, et chacun d'accourir : dames,
chevaliers, gensde pied et marchands. Tous pleurent la
reine de caur et d'âme. On la mène devant le bûcher.
Elle le voit, tombe à genoux et prie Dieu, le perc tout-
puissant , de n'oublier pas qu'elle meurt sans péché,
et de 1.1 venger avant qu'il soit longtemps de façon â
ce que nul n'en ignore. Écoutez maintenant, seigneurs
et bonnes gens, ce que fit le traître Macaire. Le voici
qui accourt devant le bûcher, portant le nain dans ses
brai. o Nain, lui demandc-t i , as tu jamais été avec la
dimt} — Oui, vraiment, seigneur, et bien plus d'une
Sommaire. cxlv
fois, » A ces mot3_, Macaire, devant toute l'assemblée,
le jette dans le feu en lui disant : «Va, traître! Tu as
déshonoré le roi; tu ne pourras pas t'en vanter! »
Mais ce qu'il en fait, c'est à dessein que le nain ne
puisse jamais rien révéler. Et maintenant il brûle, le
méchant nain. Et la reine demeure là devant , et
pleure, et se lamente, et se tord les poings, et prie
Dieu de recevoir son âme à merci. P. 45-49.
« Noble roi, dit-elle, faites-moi venir, pour Dieu,
un sage confesseur qui puisse m'absoudre de mes pé-
chés. » Le roi y consent, et fait mander l'abbé de
Saint-Denis. La reine s'agenouille devant lui et lui
confesse tous ses péchés, sans en oublier un seul. Elle
lui déclare ensuite qu'elle est enceinte du fait de
Charlemagne. L'abbé, homme sage et d'une grande
doctrine, l'interroge sur le crime dont elle est accusée.
Elle lui raconte comment Macaire l'a poursuivie et
lui-même et par l'entremise du nain, qu'il aura fait
servir encore à ses mauvais desseins le jour 011 Char-
lemagne l'a trouvé dans sa couche : « Sire abbé ,
ajoute-t-elle, je vous prie de m'absoudre de tous mes
péchés, hormis celui-là , que je n'ai jamais commis. »
L'abbé l'entend, la regarde et juge bien, à son lan-
gage, à sa contenance en face de la mort, qu'elle lui
dit la vérité. Il la reconforte, la bénit, et va trouver
le roi. P. 49-55.
L'abbé fait venir avec lui et réunit en conseil quel-
ques-uns des barons qui sont le plus chers à Charle-
magne : le duc Naimes, le Danois et plusieurs autres,
tous des meilleurs et des mieux apparentés ; mais pas
un seul de la race de Mayence. a Seigneurs, leur
dit-il, aux approches de la mort on ne cache plus
Macaire. j
cxlvj Sommaire.
ses péchés, on les confesse tous. J'ai entendu b
confession de la reine , et je la juge innocente du
crime dont on l'accuse. De plus, j'ai appris d'elle
qu'elle e>^t enceinte. Songez donc, noble roi, i ce que
vous aile/ faire. Songez qu'en ordonnant sa mort vous
pécheriez plus encore que celui qui accusa Dieu et le
fit clouer sur la croix. » Ainsi parle l'abbé. Le duc
Naimes voit bien à son langage que la reine n'est
pas coupable : « Sire empereur, dit-il, si vous voulez
suivre mon conseil, vous n'encourrez aucun blâme, et
serez au contraire approuvé de chacun. Puisque la
reine est enceinte, vous ne pouvez la faire périr
ainsi. Qu'il vous plaise donc de la faire conduire par
un des vôtres en pays étranger, loin de votre royaume,
avec ordre de ne ^e lai>scr voir ni regarder par per
sonne. — Bon conseil ! dit Charlemagne ; vous ne
m'rn sauriez donner un meilleur. Je le suivrai.» Aus-
sitôt on éloigne la reine du bûcher, et chacun en rend
grices i Dieu. Le roi lui dit : « Noble reine , vous
m'étiez bien chère; je ne puis plus vous aimer, mais
je consens à vous faire grâce de la vie , à condition
que vous alliez si loin qu'on ne vous revoie jamais. Je
vous ferai accompagner jusqu'aux frontières de mon
royaume. » A ces mots , la dame se prend à pleurer.
« Allez faire vos apprêts, dit le roi, et prenez de l'ar-
gent pour vos dépenses. » La reine obéit, et se retire
dans sa chambre pour s'apprêter au départ. Le roi,
cependant, fait mander un de ses damoiseaux, un pa-
rent de Morant de Rivier. nommé Aubri, le plus
courtois , le plus preux, le plus loyal qui se pût trou-
ver k la cour. « Aubri , lui dit il , il vous faut partir
avec la reine et l'accompagner |usqu'Ji ce qu'elle soit
Sommaire. cxlvij
hors du royaume. Après quoi, vous reviendrez. — A
vos ordres, sire, » répond Aubri ; et sans plus tarder il
se fait seller un palefroi , s'arme seulement de son
épée, et prend sur son poing un épervier. Il était
suivi d'un lévrier qui ne le quittait jamais. La reine,
montée aussi sur un palefroi , part avec lui , et tous
deux se mettent en route, au grand regret de chacun,
et même du roi. P. 55-63.
Dans le même temps , Macaire court à son hôtel ,
s'arme des pieds à la tête, et sort de Paris à l'insu
de tous, chevauchant sur les traces d'Aubri, qui che-
mine sans crainte avec la reine. Après une longue
traite, ils arrivèrent à une fontaine, près d'une grande
forêt. La dame voit jaillir l'eau et prie Aubri de la
descendre en ce lieu: «Je suis si lasse, dit-elle,
que je sens le besoin de boire. ^) Aubri se prête à son
désir, la prend dans ses bras et la dépose près de la
fontaine. La dame s'y abreuve , s'y lave les mains et
le visage , puis lève les yeux et aperçoit Macaire qui
arrive en grand hâte. Jamais elle ne ressentit pareille
douleur : « Aubri, s'écrie-t-elle, malheur à nous!
Voici le traître qui m'a fait bannir du royaume des
Francs. — Soyez sans crainte, répond Aubri, je sau-
rai bien vous défendre. » Mais voici venir Macaire :
« Tu ne l'emmèneras pas , dit-il à Aubri, et je dispo-
serai d'elle à mon gré. — Non certes, répond Aubri,
ou auparavant tu feras connaissance avec le tranchant
de mon épée. Quand l'empereur et le duc Naimes
et le Danois sauront pourquoi tu m'as suivi , toutes
tes richesses ne te sauveront pas des fourches. Arrière!
et ne cours pas à ta perte ! — Tu ne l'emmèneras pas,
dit Macaire, et si tu veux te défendre , tu vas mourir
cxlviij Sommaire.
de maie mort! « Il dit, et voyant qu'Aubri refuse de
lui livrer la reine, il pique son destrier et s'élance sur
le damoiseau , qui tire son épée et se met en défense.
Il eût bien résisté même à un chevalier s'il avait eu
son armure; mais que peut un homme sans autre
arme que sa seule épée, contre un adversaire armé de
toutes pièces r Bientôt la lance acérée de Macaire lui
traverse le corps et l'étend raide mort sur le pré.
P. 65-69.
La reine , saisie d'effroi à la vue de cette lutte , a
réclamé le secours de Dieu et de la Vierge, et s'est
enfoncée en pleurant dans le plus épais de la forêt.
Après avoir tué Aubri , Macaire ne la retrouve plus,
cl c'est pour lui un grand regret et un grand remords.
Il laisse Aubri gisant sur l'herbe, non loin de la
fontaine, et s'en retourne à la cour, espérant que le
meurtre demeurera à jamais inconnu. P. 69-71.
Aubri est là étendu sur le pré. Son lévrier est cou-
ché sur lui ; son palefroi pait l'herbe. Le lévrier de-
meura trois jours sans manger, et personne au monde
ne pleura jamais son seigneur mieux que ce chien ne
pleura son maître , qu'il avait tant aimé. Au bout de
trois )0urs , vaincu par la faim , il prend le chemin de
Pans, y arrive, court au palais et monte les degrés.
C'était i l'heure du dîner ; les barons étaient à table.
Une fois dans la salle, le lévrier regarde de tous côtés,
aperçoit Macaire, s'élance vers lui, et lui fait au
visage une grande morsure. Puis il prend du pain sur
la table, s'enfuit aux cns des convives , et retourne
près du corps de son maître. Macaire reste avec
sa plue , dont chacun s'étonne. Plusieurs ont re-
0Vdé le chien et se demandent si Aubri est de re-
Sommaire. cxlix
tour : ils trouvent que ce chien ressemble fort à son
lévrier. Rentré à son hôtel , Macaire se fait panser,
et dit à ses gens : « Quand je retournerai au palais,
si par aventure le lévrier y revenait , que chacun de
vous s'arme d'un bon bâton , et faites en sorte qu'il
ne puisse m'approcher. » P. 71-75-
Cependant le chien a mangé le pain qu'il a em-
porté; après avoir longtemps souffert la faim, il re-
prend le chemin de Paris et arrive une seconde fois
au palais à l'heure du dîner. Macaire est à table, le
visage encore enveloppé. Il se montre pour détourner
les soupçons. Le chien s'élance de nouveau vers lui ;
mais le traître est défendu par les siens. Le lévrier
prend encore du pain et s'en retourne près de son
maître. P. 75-77.
ce Sire, dit le duc Naimes à Charlemagne, voilà
qui est on ne peut plus étrange. Il faut savoir à quoi
nous en tenir , et pour cela nous tenir prêts à suivre
le chien quand il reviendra. — Ainsi soit-il , » dit
l'empereur. Le lévrier , poussé par la faim , ne tarde
pas à revenir et cherche encore à atteindre Macaire ,
dont les gens s'apprêtent à le repousser. Mais le duc
Naimes les arrête : « Sur votre tête , s'écrie-t-il , ne
le touchez pas ! « Ils obéissent, et l'empereur , le duc
Naimes , le Danois et nombre d'autres barons mon-
tent à cheval au plus vite pour suivre le chien. Ils
arrivent derrière lui au bois près duquel Aubri est
tombé, et où son corps répand une grande puan-
teur. Ils voient le chien sur son maître , et dans un
pré, non loin de là, reconnaissent le palefroi d'Au-
bri. P. 77-79.
« Ah ! noble roi, s'écrient les barons, quel malheur!
cl Sommaire.
— Qut faire? dil Charlemagne au duc Naimes. — H
est clair , répond k duc , que le lévrier a fait l'office
de justice. Sa haine a désigné celui qui sait tout.
Faitei saisir Macaire, et vous apprendrez de lui la
vérité. Mais, avant tout, que le corps soit porté i
Pans pour y être enterré avec honneur. » Le roi y
consent. Macaire est saisi et mis sous bonne garde.
Le corps d'Aubri, entouré d'herbes odorantes, c^t
porté i Paris et enterré en grande pompe. La foule ,
qui le pleure, commence aussitôt k crier justice.
Chariemagne se fait amener Macaire et lui dit :
« Comment se fait-il que chacun t'accuse de la mort
d'Aubri, et que son chien te désigne aussi comme le
meurtrier? Et si lu as tué Aubri, qu'est devenue la
reine, qu'il devait conduire en pays étranger pour ven-
ger mon honneur? — Bon roi, répond Macaire,
écoutez ma défense. Je ne suis coupable ni de fait ni
même par la pensée , et 1 qui m'accusera je suis prêt
a le prouver par les armes. » Personne n'ose démen-
tir un homme si bien apparenté. Le duc Naimes scn
aperçoit , non sans courroux , et dit au roi : a Ren-
voyez-le et prenez conseil de vos chevaliers. Il a bien
mérité d'être |ugé, et si la peur vous fait reculer,
vous n'êtes plus digne de porter couronne.» P. 79-8 j.
Chariemagne fait assembler ^aas retard tous ses
barons. Ils sont plus de cent qui se réunissent au
ptlaii, dans la grande salle voûtée. <> Seigneurs, leur
djl k roi , un grand outrage m'a été fait : la reine
honteusement accusée, Aubri mis à mort, en est-ce
zuti pour m'altrislcr l'Ame? Conseillez-moi, je vous
le demande , |e vous en prie, et n'ayez peur de qui
que ce soit au monde. » Les barons l'ont entendu;
Sommaire. clj
mais personne ne dit mot. Tous fléchissent , tous
s'inclinent devant la puissance du traître. P. 83-
8s.
Seul le duc Naimes prend la parole : « Noble roi ,
dit-il, je vois bien où en sont tous les barons ici assem-
blés. C'est la peur qui les fait reculer; ils redoutent la
puissance des traîtres. Pour moi , voici ce que je
pense. D un côté, il n'est personne qui ose s'attaquer
à la race de Mayence, ni entrer en lice contre elle.
Tous ceux de cette race sont si honorés, si bien appa-
rentés en Allemagne! D'autre part, désarmer la jus-
tice serait un grand péché. Que faire donc? Si l'on
m'en croit, et nul ne me blâmera , je pense que Ma-
caire, l'accusé, revêtu seulement d'un bliaut, soit armé
d'un bâton long comme le bras ; qu'une lice soit faite
sur la place, et qu'on l'y mette aux prises avec le
chien d'Aubri , son accusateur. S'il est vainqueur du
chien , il sera remis en liberté ; mais s'il succombe ,
il sera condamné à mort comme un traître et un mé-
chant renégat. » Ainsi parle le duc Naimes, et per-
sonne au conseil n'est d'un autre avis. Chacun l'ap-
prouve, y compris le roi. Les parents même de Ma-
caire acceptent avec joie cette épreuve , tant ils sont
loin de croire qu'il puisse être vaincu et maté par un
chien. P. 85-87.
Charlemagne fait donc dresser sans retard sur la
place , devant le donjon, une palissade bien close de
toutes parts. Puis il fait annoncer par un ban que qui-
conque l'oserait franchir serait pendu sans m.erci
comme un larron : sa volonté est qu'on assiste à la
bataille en paix et sans noise. Bientôt Macaire , sans
autre vêtement qu'un bliaut, sans autre arme qu'un
clij Sommaire.
bâton, «t introduit dans le parc, et le chien après
lui. P. 87-89.
Dès que le chien aperçoit Macaire, il lui court sus
et de ses dents aiguës le saisit au flanc. Macaire, à son
tour, le frappe rudement de son bâton, mais sans lui
faire lâcher prise. Ce fut une grande bataille, la plus
grande qu'on vit jamais. Tout Paris était accouru
pour voir ce jugement, et il n'y eut qu'un cri dans la
foule : « Sainte Marie, â l'aide ! que la vérité se
fasse jour; déclarez vous pour Aubri ! >< La lutte est
acharnée, inouïe, telle que les parents de Macaire en
sont consternés : c» Qui l'eût cru, disent-ils entre eux,
qu'un chien nous pût faire pareille confusion ? » Alors
un des leurs s'élance sur la palissade, il va la fran-
chir; mais un cri se fait entendre de toutes parts :
a Qu'on le pende sur la place ! i) Il l'entend et prend
la fuite. P. 89-91.
Aussitôt, par un ban que le roi fait crier, mille li-
vres sont promises à qui pourra le saisir. Un vilain
qui venait â la cité pour emplettes entend le ban ; il
avait i la main un bâton de pommier cl s'en sert
pour arrêter le fugitif. Il ne lui court sus que pour
gagner la som.-^e promise. Il le mène devant le roi et
reçoit les mille livres. Le roi fait pendre le traître à
l'endroit même où il a voulu franchir la palissade. Il
le fait brûler ensuite , â la grande confusion de toute
u parenté P. 9i-<)j.
Cependant la bataille continue toujours Le chien
ne cesse de déchirer de ses morsures les flancs de
M ' " ' ' lion , frappe le chien
•i' tig. Ceux de Mayence
sont en grand émoi. Ils voudraient bien faire la
Sommaire. cliij
paix à prix d'argent; mais le roi jure que tout
l'or du monde ne sauvera pas Macaire s'il est vaincu :
il sera brûlé ou pendu , selon le jugement des ba-
rons. Le lévrier, à force de le harceler, a lassé son
adversaire, qui ne peut plus s'aider ni de pied ni de
main. A ce moment, d'un bond furieux, il lui saute
au visage et le mord si cruellement qu'il lui enlève
toute la pommette d'une joue, Macaire pousse un
hurlement de douleur et s'écrie : « Où êtes-vous, tous
mes parents, qui me laissez ainsi accabler par un
chien .? — Ils sont loin de toi, dit le roi. Ce fut
pour ton malheur que tu vis Aubri et la reine. » Enfin,
le chien, dans un dernier assaut, prend Macaire à la
gorge et le tient si bien qu'il l'abat sous lui. Macaire
crie merci pour l'amour de Dieu : « Ah ! noble roi,
ne me laissez pas mourir ainsi, faites-moi venir un
confesseur ; je veux tout avouer. » Le roi y con-
sent avec joie. Il fait mander l'abbé de Saint-Denis.
P. 93-97.
L'abbé se rend près de Macaire, que le chien n'a
pas lâché. Il lui demande s'il veut dire la vérité, la
vérité qui lui est déjà connue par le récit de la reine.
Macaire répond d'une voix éteinte : « Confessez-moi
et absolvez-moi de tous mes péchés; je suis jugé à
mort, je le sais, et toute ma parenté ne me servira de
rien. — Vous avez bien sujet de le croire, répond
l'abbé, tant est grand votre péché. Et pourtant, si
vous en faites l'aveu, il se peut que par égard pour
votre haute noblesse, le roi ait pitié de vous. Je l'en
prierai moi-même; mais cet aveu, il faut qu'il l'en-
tende, lui, le duc Naimes et d'autres encore, sans
quoi il n'y aurait pas amende honorable, et le chien
cliv Sommaire.
ne vous lâcherait point. C'est vraiment ici un miracle
qu'un homme tel que vous ait été vaincu par un chien
Si Dieu l'a permis, c'est qu'il a voulu que le crime
éclatât aux yeux de tous. — Faitcs-en à votre vo
loDlé, w dit Macaire. Alors l'abbé appelle le roi, le
duc Naimes et tous les barons pour entendre les aveux
du coupable, n Prenez garde, lui dit-il, de me rien
celer ; car je sais dé|i tout. — Je ne dirai que la vé-
rité, répond Macaire, mais, de grâce, faites que le
chien lâche prise. — Ton crime est trop grand, dit le
roi il ne te lâchera que si tu l'avoues. » P. 97-101 .
Macaire confesse son crime, â commencer par la
requête d'amour repoussée par la reine. Il dit ensuite
comment il recourut â l'entremise du nain, et com-
ment il le jeta dans le feu pour qu'il ne pût le trahir.
Enfin, il avoue que le jour où la reine partit accom-
pagnée d'Aubri, il n'y put tenir, s'arma, monta â
cheval, se mit à leur poursuite et finit par tuer Aubri.
« Quant i la reine, ajoute-t-il, je n'en saurais rien
dire. Elle disparut dans le bois, et je ne la revis plus.
Je men revins alors, tourmenté par le remords. Que
Dieu me refuse l'absolution, si je n'ai pas dit la vé-
rité. — El moi, dit le roi, que je cesse de porter cou-
ronne si je minge avant d'avoir vu ta mort I N aimes,
dit- il encore, ce lâche coquin a trahi la reine; il m'a
tue Aubn que jaimais tant, quelle sera sa peine r —
Avisons-y, répond Naimes. Il faut d'abord qu'il soit
atUché i la queue d'un grand cheval et traîné par
tout Paris, et ensuite nous le ferons brûler vif. Nul
de ses parents n'osera s'en plaindre : au besoin, nous
en userions de mime envers eux.— Bien parlé 1 » s'é
cnent les barons. Le chien, cependant, tient toujours
Sommaire. clv
Macaire , et si serré qu'il ne peut bouger. Le roi le
prie doucement de lâcher prise pour l'amour de lui,
et le lévrier obéit aussitôt, comme l'eût pu faire une
créature raisonnable. L'abbé , avant de partir, donne
la bénédiction et l'absolution au pénitent. P. 1 01-105.
Suivant le conseil de Naimes de Bavière, le roi fait
saisir Macaire et le fait traîner par tout Paris. La
foule se rue derrière et crie : « A mort 1 à mort ! le
misérable qui a voulu honnir la reine et qui a tué
Aubri, le meilleur bachelier que se pût voir. «Après
l'avoir fait traîner ainsi , on le ramène à la place, on
allume un grand feu , et on l'y brûle , en dépit de
sa parenté , et à la grande confusion de la race de
Mayence. P. 105-107.
Le traître n'est plus , c'en est fait. Revenons
maintenant à la reine. Après la mort d'Aubri, elle
s'en va errant par la forêt, en grand'peine et en
grand émoi. A la fin, comme elle en sort, elle ren-
contre un homme portant une charge de bois qu'il
venait de couper dans la forêt pour gagner sa vie.
Le bûcheron, qui avait nom Varocher, la voit et lui
dit : « Dame, comment allez-vous ainsi seule, sans
compagnie aucune? Vous êtes la reine, si je ne me
trompe. Qu'avez-vous .? vous est-il arrivé malheur .?
me voici prêt à vous venir en aide. — L'ami, répond-
elle, tu sauras tout. Oui, je suis bien la reine, mais
bannie par le crime d'un traître qui m'a faussement
accusée. Je te prie donc, homme de cœur, gentil-
homme , de me prêter assistance pour que je puisse
me rendre à Constantinople, où sont mes parents. Si
tu y consens, tu en seras bien récompensé. Je te
mettrai à l'aise, je t'enrichirai II suffit, répond Va-
clvj Sommaire.
rocher; je ne vous abandonnerai de ma vie. Suivez-
moi jusqu'i mon logis, ici près, où j'ai ma femme et
deux beaux enfants. Je prendrai congé d'eux et nous
nous mettrons en roule. — A votre volonté, » dit la
reine. Tous deux s'en vont de compagnie jusqu'à la
maison du bûcheron. P. 107-1 1 1 .
Arrivé chez lui , Varocher dépose son fardeau et
dit à sa femme : « Ne m'attends pas avant un grand
mois. — Et où vas-tu ? lui demande t elle. — A la
grâce de Dieu , répond Varocher, je ne puis t'en dire
davantage u En même temps il se munit d'un gros
biton noueux. Varocher était grand, gros, carré,
membru, avec une grosse tète ébouriffée : l'homme le
plus étrange qui se put voir. Il se met en route. La
reine le suit. Ils traversent la France, la Provence,
toute la Lombardie, et arrivent à N'enise. Là ils s'em
barquent et passent la mer. Personne ne voit Varo-
cher san'. le regarder et sans rire derrière lui. A force
de voyager par monts et par vaux, ils parviennent en
Hongrie et descendent chez un bon hôte , nommé
Primerain, qui avait deux filles très-belles, une
femme très-sage et très-bonne , et qui était lui-même
un homme de beaucoup de sens, fort connu et prisé
des grands et des petits. A voir Varocher avec son
gros bâton noueux et sa tète si chevelue, l'hôte .
comaie tout le monde, le prend pour un insensé. Il lui
demande d'où il vient : a D'au delà des monts, ré
pond Varocher , et c'est ma femme qui me suit. »
P. I I l-M ^.
L'hôte veut que la dame soit bien servie. L'hôtessr
en a grand soin et lui donne tout ce qu'elle désirr
Elle la voit enceinte , et n'en est que mieux disposer
Sommaire. civij
Elle lui demande quel est ce grand diable qui l'ac-
compagne, armé de son bâton ; s'il est dans son bon
sens ou si sa raison n'est pas égarée, ce II est tou-
jours ainsi , répond la reine. Ne vous attaquez pas à
lui et ne le courroucez point, car il n'est pas d'hu-
meur facile. C'est mon seigneur et maître. — Que
Dieu le bénisse! dit l'hôtesse. Il sera servi et ho-
noré du mieux que nous pourrons. » En effet , on
donne à Varocher ce qu'il demande, mais par peur
plus que par complaisance. La troisième nuit après
son arrivée, la dame accoucha d'un très-bel enfant.
L'hôtesse le reçut, le baigna, l'emmaillotta. Elle sert
la reine et satisfait ses désirs aussi volontiers que si
elle était sa parente. Cependant Varocher, toujours
armé de son bâton , fait bonne garde et veille à ce
que l'enfant ne soit point ravi. La dame resta au lit
plus de huit jours, comme c'est la coutume dans les
villes. Elle venait de relever et s'entretenait avec
l'hôtesse lorsque Primerain la vint trouver et lui dit :
« Dame, vous nous avez apporté ici un beau fils;
c'est bien fait à vous. Quand il vous plaira qu'il soit
baptisé, je serai volontiers votre compère. — Je
vous en rends mille grâces , dit la reine, usez-en à
votre volonté et donnez à mon enfant le nom qui
vous plaira. — J'y ai déjà songé, reprend l'hôte. Il
se nommera, comme moi , Primerain. » P. 1 1 5-1 19.
Au bout de huit jours, Primerain vient prier la dame
de lui remettre son enfant pour le porter au baptême.
Il le prend, l'enveloppe dans son manteau et se rend
au moutier , suivi seulement de Varocher avec son
gros bâton sur l'épaule. Comme ils cheminent tous
deux, survient le roi de Hongrie, entouré de plusieurs
clviij Sommaire.
de ses barons, o Primerain , dit-il i l'hôte, où donc
allez-vous ainsi et que portez-vous dans votre man-
teau ? — Sire, ccst un bel enfant, celui d'une belle
dame et avenante qui descendit l'autre jour chez moi
et y accoucha. Je le porte au moutier, suivi de son
père que voici. » Les barons regardent Varocher et
ne peuvent se tenir de rire, car il leur fait l'effet d'un
homme de nen , d'un truand , d'un sauvage. Le roi ,
cependant, s'approche de Primerain , et soulève le
manteau qui recouvre l'enfant. Sa surprise est grande
lorsqu'il lui voit une croix blanche empreinte sur
l'épaule droite. A ce signe il reconnaît bien que ce ne
peut être le fils d'un truand. « Ne vous pressez pas ,
dil-il i Primerain . je veux assister au baptême de
l'enfant. — A la volonté de Dieu, » répond Primerain.
P.i 19-iii.
Le roi , sans plus tarder , se rend au moutier avec
Primerain et fait mander l'abbé : <• Abbé , lui dit-il ,
je vous prie de baptiser cet enfant pour l'amour de moi
comme s'il était fils d'empereur ou prince royal, par
son père et par sa mère, et de faire l'office avec la
plus grande pompe. » L'abbé se conforme aux désirs
du roi. il lui demande , au moment de baptiser l'en-
fant : a ComTient voulez-vous le nommer? — Comme
moi-même», répond le roi. L'enfant reçoit donc le nom
de Louis. Après la cérémonie, le roi dit i l'hôte :
• Ayez grand soin de la dame, )e vous prie , et que
rira ne lui manque. «> Il fait de plus donner de l'ar
gOR pou- au soi-disant père de renf;int
Si Varoc: ... , uit, il ne faut pas le demander.
L1)6te l'en revient avec lui et va trouver la reine
« Dane , liu dit-il . vous avez su)et d'être fière. C'est
Sommaire. dix
le roi de Hongrie qui a fait baptiser votre fils ; c'est
ce grand roi qui l'a nommé , et de son propre nom.
Votre fils s'appelle Louis , et son père ou soi-disant
tel a reçu de quoi pourvoir à ses dépenses. » La dame
apprend cette nouvelle avec joie. L'hôte , sa femme
et ses filles lui portent honneur bien mieux qu'aupa-
ravant, car ils savent sa bourse mieux garnie. Au bout
de quinze jours , le roi fait mander Primerain et le
charge de demander à la dame une entrevue. Elle
l'accorde de grand cœur, et se pare le mieux qu'elle
peut pour recevoir son royal compère. Le roi vient
à l'hôtel avec quelques-uns de ses chevaliers, et après
les saluts et les souhaits de bienvenue, la reine et lui
vont s'asseoir et s'entretenir à part sur un banc,
ce Dame, dit le roi de Hongrie, en faisant baptiser
votre fils je n'ai pas été peu surpris de lui voir sur
l'épaule un signe qui marque un fils de roi. Je vous
prie donc, noble dame, pour l'amour de Dieu, de
vous ouvrir à moi comme une commère en doit user
envers son compère, et de me dire sans détour, sans
faillir à la vérité^ d'où vous êtes, et pourquoi vous
errez ainsi avec cet homme en pays étranger. » La
reine l'entend et se prend à pleurer. Elle ne lui ca-
chera rien. P. 121-129.
« Noble roi, dit-elle, vous voulez savoir la vérité;
je vous la dirai. Je suis la femme de l'empereur Char-
lemagne, le meilleur prince qui soit au monde. Une
trame ourdie par un traître m'a fait condamner et ban-
nir de mon royaume contre tout droit et toute justice.
Dieu sait si jamais j'ai été coupable, même par la
pensée, du crime qu'on m'imputait! J'allais être li-
vrée à la mort lorsqu'à la prière de l'abbé qui m'avait
clx Sommaire.
confessée le roi me fil grâce de la vie et donna l'ordre
à un de ses chevaliers de me conduire en pays étran-
ger. Comme je m'éloignais de Paris, le traître qui
m'accusait me poursuivit armé de toutes pièces et tua
le chevalier qui m'accompagnait. Saisie d'effroi i
cette vue, |e m'enfonçai dans une forêt, où je trouvai
cet homme qui ne m'a plus quittée. Grâce à vos bon-
tés, je suis ici servie et honorée. Ne m'abandonnez
pas, noble roi, avant que mon père soit informé de mon
sort. Il ne manquera pas de m'envoyer les meilleurs
de ses chevaliers. Voilà, sire, toute la vérité. » Le
roi l'entend et voit bien qu'elle dit vrai, il s'incline
profondément devant die : « Dame, lui dit-il , soyez
ici la bienvenue. Vous y recevrez une hospitalité digne
de vous jusqu'à ce que votre père soit informé du sort
de sa fille. »- P. 129-1 33.
Le roi de Hongrie fit à la dame tous les honneurs
imaginables. Il lui fit donner les riches atours qui
conviennent à une reine, sans oublier Varocher. Il
ne la laissa pas à l'hôtellerie, l'emmena dans son pa-
lais et la donna pour compagne à sa femme. Il fallait
voir Varocher sous ses nouveaux habits! Il ne res-
semblait plus alors à un truand , et se voyant si riche-
ment vêtu il n'allait plus qu'avec les chevaliers. —
Le roi de Hongrie , sans plus tarder , fait équiper un
navire et envoie quatre messagers à l'empereur de
Constantinople pour lui apprendre que sa fille , injus-
lerrenl bannie de France, a trouvé asile en Hongrie,
ob elle attend ses ordres Les messagers arrivent à
Coastantinople , demandent audience à l'empereur , et
lui font le récit des malheurs de Blanchefleur. Grande
est la douleur de l'empereur en recevant ces nouvelles;
Sommaire. clxj
il ne peut retenir ses larmes. Son premier soin est
d'envoyer chercher sa fille; il songera ensuite à la
venger. Huit de ses parents, la fleur de la chevale-
rie, partent aussitôt, par son ordre, pour lui rame-
ner l'exilée. Dans le même temps, les messagers du
roi de Hongrie s'en retournent avec de riches pré-
sents. P. 133-143.
Arrivés en Hongrie, les envoyés de l'empereur de
Constantinople y sont accueillis par le roi avec de
grands honneurs. Blanchefleur, qui reconnaît en eux
des parents, court à leur rencontre et leur demande
des nouvelles de son père et de sa mère. « Dame, lui
répondent-ils , ils sont dans la douleur, et vous at-
tendent vous et votre enfant. » — Le départ de Blan-
chefleur s'apprête. Elle prend congé du roi et de la
reine de Hongrie et n'oublie pas son hôte Primerain.
Elle lui fit de grands présents, à lui et à sa femme,
et emmena avec elle une de leurs filles, qu'elle maria
richement plus t^ird. — Elle part, toujours suivie de
Varocher. Le roi de Hongrie la fait accompagner par
quatre de ses chevaliers. P. 143-147.
Revenons maintenant à l'empereur Charlemagne.
— Le jour où il avait trouvé le nain dans son lit, le
duc Naimes lui avait conseillé, avant de faire justice,
d'envoyer un messager au père de Blanchefleur pour
l'instruire du crime de sa fille. Un noble comte, nommé
Berart de Mondidier, fut chargé de ce message. Ar-
rivé à Constantinople, il y trouva l'empereur et l'im-
pératrice au milieu de toute la cour réunie pour célé-
brer une grande fête. « Sire, dit Berart à l'empereur,
le roi Charlemagne, le meilleur roi de la chrétienté,
m'envoie vers vous chargé d'un message dont je m'ac-
Macaire k
clxij Sommaire.
quitte à regret. Jamais reine , je puis vous l'assurer,
ne fut tant honorée par son époux que votre fille par
le roi Charles; mais pour elle, elle a oublié tous ses
devoirs envers lui. Il l'a trouvée en péché avec un
nain , et c'est pourquoi il vous mande par ma bouche
de ne point trouver mauvais qu'il fasse justice.^) L'em-
pereur l'entend et est saisi d'étonnement; mais l'im
pératrice, qui a élevé sa fille et qui connaît son cœur,
ne peut se tenir de répondre au messager : « Frère ,
vous avez perdu le sens. Je connais bien celle que
j'ai portée dans mes flancs , et ce que vous dites n'est
rien que fausseté. Il ne se peut faire que ma fille ail
été assez osée pour manquera la foi qu'elle doit à son
seigneur. C'est à tort qu'on l'accuse; à droit, je le
nie. Il n'est dame plus loyale dans toute la chrétienté,
et c'est le roi qui fait mal de la croire coupable. «
L'empereur ajoute : « Oui, c'est à la légère que le
roi de France accuse ma fille.... Avec un nain! J'en
suis si confondu que j'en perdrais la raison. Quand
tous serez de retour, vous direz de ma part à votre
roi qu'il se garde bien de jamais faire aucun mal à
ma fille. S'il l'a trouvée en péché, qu'il me l'envoie,
et sans retard, pour que je sache d'elle la vérité. Si
elle s'avoue coupable, malheur à elle! mais en atten-
dant ne la venez point accuser devant moi , car je ne
uurais mal penser de ma fille , et elle doit être ca-
lomniée par quelque mauvais renégat. N'oubliez pas
ce que je vous dis \h. Si son époux la fait juger sans
que je l'aie entendue, sans que j'aie appris d'elle la
tenté, ce sera pour mon cœur un grand deuil et )<•
nettrai toute ma puissance i la venger. -— Sire , dit
U sic&Mger , votre réponse lera fidèlement rapportée
Sommaire. clxiij
au roi de France. » Puis il prend congé de l'empereur
et repart. P. 147-15 5.
Chemin faisant, il apprend avec une surprise ex-
trême la nouvelle de la mort d'Aubri et du supplice
de Macaire. De retour à Paris, il s'empresse d'aller
à la cour rendre compte de son message. Grand est
l'embarras de Charlemagne quand il apprend que
l'empereur de Constantinople lui redemande sa fille.
« Que faire .? dit-il au duc Naimes. Conseillez-moi ,
je vous prie, — Il faut, répond le duc Naimes, faire
dire à l'empereur que vous aviez chargé un de vos
chevaliers de conduire la reine en exil, qu'il a été suivi
et tué par un traître, que vous ne savez ce que la
dame est devenue, mais que le traître a été brûlé. —
Vous êtes le meilleur conseiller du monde , reprend
l'empereur, et l'on peut se fier à vous sans crainte.
Quel bon prêtre vous auriez fait, et quels sages con-
seils vous auriez donnés aux fidèles! — Mon noble
seigneur, dit Naimes, il arrive qu'on rend un juge-
ment injuste et blâmable avec la confiance d'en être
récompensé au ciel. C'est ainsi qu'a été jugée à tort
la plus belle et la plus sage du monde. Mais aussi
comment penser que ce Macaire, votre ami, votre
compagnon , vous eût fait pareille trahison et eût tué
Aubri pour arriver jusqu'à la reine } Malheureuse
reine! Qu'est-elle devenue? Nous l'ignorons; mais je
ne perds pas l'espoir, et il me semble que nous la
reverrons vivante. Ayons patience. - Plaise à Dieu !
dit Charlemagne. — Puisque vous ne pouvez la re-
trouver, poursuit le duc Naimes, faites offrir de l'or
à son père, s'il veut une réparation. — Volontiers,
dit Charles; mais qui pourrons-nous charger de ce
clxiv Sommaire.
nouveau message ? u Sur l'avis du duc Naimes, Be-
rart de Mondidier esl encore choisi pour messager.
Il part et arrive à Constanlinople lorsque déjà Blan-
chefleur est réunie à son père et l'a instruit de ses
malheurs. P. 1^^-167.
L'empereur de Constanlinople, lorsqu'on lui an-
nonce la venue de Berart , fait défense à qui que ce
soit de parler de sa fille, en sorte que le mess-ger ne
puisse remporter de ses nouvelles. Berart est admis
au palais et s'acquitte de son message. « Sire mes-
sager, lui répond l'empereur, retournez près de votre
roi et dites-lui que je lui donnai jadis ma fille pour
épouse et qu'aujourd'hui l'entends qu'elle me soit
rendue. Comment a-l-il pu se persuader, votre roi,
que, même avec tout l'or de la chrétienté, il pourrait
obtenir qu'il ne fût plus parlé de ma fille? Il l'a chas-
sée de son royaume ; elle esl morte peut-être, dévorée
par les bètes fauves, et il s'en vient me demander
merci , comme si pareil méfait pouvait se racheter !
Je vous le répèle, vous pouvez repartir, et quand
vous serez de retour, vous direz de ma part au roi
de France que je le défie, et que s'il ne me rend celle
que |e lui ai donnée , je suis à Paris avant trois
mois ! » Berart s'en retourne avec celle réponse cl la
rapporte i Charlemagne, qui en demeure tout con-
sterné.
a Nous en avons mal usé, dit le duc Naimes, avec
un roi si puissant par le nombre et par la richesse de
ses vassaux et de ses parents. Ce fut une grande faute
que de bannir sa fille. S'il nous fait la guerre, no^ do-
maines seront perdus. Il ne laissera debout château
m forteresse, et brblera villes et bourgs. — A la vo-
Sommaire. dxv
lonté de Dieu, dit le roi. — Oui, sire, reprend Nai-
mes, la faute en est à vous et non à la reine, à vous
qui avez toujours cru les parents de Ganelon, en
dépit de leurs trahisons. Que vous dirais-je? Si l'em-
pereur nous attaque, nous nous défendrons; mais
c'est nous qui avons tort, et il a le droit pour lui. Re-
mettons-nous-en à Dieu. Je ne saurais en dire davan-
tage. P. 167-173.
Nous laisserons ici le roi Charles, et le comte Be-
rart, et le duc Naimes, pour retourner à l'empereur
de Constantinople. 11 frissonne à la pensée de l'ou-
trage fait à sa fille. S'il ne la venge, il ne se compte
plus pour rien. Il assemble ses comtes et ses barons
et leur demande conseil. — Avis de Florimont. — Avis
de Saladin. — Tous deux s'accordent à perser que
l'empereur doit sommer Charlemagne de lui rendre
Blanchefleur ou son pesant d'or. S'il n'y consent,
c'est la guerre. L'empereur suit ce conseil. Quatre
de ses barons, Florimont, Gerart, Renier et Gode-
froi vont à Paris notifier au roi de France les volon-
tés de leur seigneur. — Réponse de Charlemagne :
11 ne peut accorder ce qu'on lui demande ; car de
Blanchefleur, il n'en a nulles nouvelles, et pour l'or,
il ne saurait où en prendre assez. « En ce cas, disent
les messagers, préparez-vous à la guerre. Nous vous
défions au nom de l'empereur notre maître. — A la
volonté de Dieu, dit Charlemagne. Nous saurons
bien nous défendre. » A ces mots Naimes de Bavière
dit aux messagers : « Frères, votre empereur a grand
tort, je dois vous le dire. Dès que l'épouse est unie
à l'époux, elle n'appartient plus ni à son père ni à sa
mère. Celui qui l'a prise pour compagne devient son
clxvj Sommaire.
seigneur el inailre. 11 ne peut se séparer d'elle ; mais
en cas d'adultère il la peut mettre Jt mort. Que votre
empereur cesse donc de redemander sa fille. Morte ou
vive, elle ne lui sera pas rendue, et il n'aura ni elle
ni son pesant d'or. S'il veut porter la guerre en
France, il y trouvera de vaillants chevaliers qui n'ont
pas leurs pareils au monde. » Les messagers renou-
vellent leur défi et prennent congé de Charlcmagne.
Ils rapportent sa réponse à l'empereur de Constan-
tinople. • Si vous le défiez, disent-ils, il vous défie
aussi et ne manque pas de chevaliers qui ne craignent
point les vôtres. — Avant qu'il soit longtemps, dit
l'empereur, Charlemagne saura à quoi s'en tenir. L'un
de nous deux sera réduit A néant. » L'empereur con-
voque tous ses vassaux; en moins d'un mois il en a
réuni cinquante mille. Sa fille et son petit-fils l'ac-
compagneront. Le preux, le vaillant Varocher ne res-
tera pas en arrière, il s'arme â sa guise et se taille un
grand bhon noueux, gros et massif, dont il ne se sé-
parera pas. L'armée se met en marche et chevauche
vers la France. Que Dieu soit en aide à Charlemagne!
P. »7}-i>i9
Arrivé sous les murs de Paris, l'empereur de Con-
ilaniinoplc fait déployer les lentes et les pavillons.
A cette vue, le roi de France ne peut retenir ses lar-
mes. Il appelle le duc Naimes, son sage conseiller:
• Naimes, lui dit-il, j'ai bien sujet de m'attrister
qaand |e me vois dans une telle détresse. Ce fut pour
mon malheur que l'cpuusai hianchcfleur, et toi, Ma-
caire, traître maudit, pourquoi t'ai-je accordé mon
amitié ' Tu m'en as récompensé par la trahison ! —
Hoorquoi en lamentations.' dit le duc Naimes. Ne
Sommaire. clxvij
vous souvient-il plus du temps passé, et la race de
Mayence ne vous a-t-elle pas toujours trahi ? C'est
encore par elle que nous voici réduits à une telle ex-
trémité. C'est par le crime de Macaire que nous
avons en face de nous de mortels ennemis qui devraient
être nos amis. La guerre et ses malheurs sont à nos
portes. On ne vit jamais en France pareille calamité.
Que Dieu et sainte Marie nous soient en aide ! Pour
moi, je ne sais que vous dire. Le mieux serait encore
de nous armer et de sortir de la ville pour nous dé-
fendre. Mieux vaut mourir que de rester ici en prison,
puisque l'empereur ne veut entendre parler ni de
merci ni de pardon et refuse toute rançon. — Qu'il
en soit donc ainsi , » dit Charlemagne. Puis il fait
assembler ses barons. Ils sont plus de trente mille qui
montent à cheval sous la conduite du Danois , de
Naimes et d'Isoré. Les portes de la ville sont ouver-
tes; ils se mettent aux champs. P. 189-197.
De son côté, l'empereur de Constantinople fait
prendre les armes à ses chevaliers; ils sont bien
quarante mille. Varocher ne se comporte pas en
truand : s'il n'a ni palefroi ni destrier, il n'en marche
pas moins derrière avec les gens de pied, armé de son
grand bâton, qu'il n'a pas oublié. En voyant l'armée de
Charlemagne, il donne un souvenir à sa femme et à
ses enfants, qu'il n'a plus revus depuis le jour où il
rencontra la reine. A le voir jouer de son bâton, on
dirait un diable. — Il faut raconter un exploit de ce
bon Varocher. Comme il connaît bien chemins et sen-
tiers (1), il en profite pour pénétrer la nuit au camp de
I . Le texte ajoute que Varocher connaît bien aussi les
clxviij Sommaire.
Charlemagne, où on le prend pour un écuyer. Il s'in-
troduit ainsi au quartier du roi, là où il sait que sont
les bons destriers. Il se fait seller le meilleur, et ainsi
monté revient vers les siens en s'ccriant : « Monjoie !
chevaliers, levez-vous sans tarder; je viens de butiner
au camp de Charlemagne. j'ai son meilleur destrier;
il sera fort en peine au moment de monter à cheval ! u
A cet appel les chevaliers courent aux armes, et le
camp français est assailli. Grande est la déconvenue
de Charlemagne : il ne retrouve pas son destrier, et,
pour surcroît de souci, le duc Naimcs, à bout de
sagesse et de ressources, ne trouve que des reproches
i lui adresser et des malheurs à lui prédire. P. 197-
201.
Les deux armées sont en présence; la lutte s'en-
gage. — Récit de la bataille. — Joute de Floriadent
et d'Ogier le Danois. — Blanchefleur, de la tente de
son père, assiste à la mêlée, et voit tomber nombre de
chevaliers français. Elle se rappelle qu'elle est leur
reine, et ne peut retenir ses larmes. « Ces gens que
vous faites tuer, dit-elle à son père, sont pour moi
des amis, des frères! — Ma fille, lui répond l'empe-
reur, il n'en peut être autrement ; il faut que je cou-
vre de honte ce roi à qui je vous donnai jadis pour
épouse, el vous ne sauriez vous en plaindre, vous
qu'il a si cruellement outragée et bannie du royaume
de France. Pour moi , )c ne pourrais oublier pareille
injure. Charles vous a traitée comme une concubine;
tHtrftî éf Pafli ft ht h^tfff dft rirhrs chrfaliers ; mais i
qnoib'- ouslrsmuri
C'est i 1. . . . _ ;ii girdc.
Sommaire. clxix
il m'en souviendra toute ma vie. — Père, lui dit la
dame, mon seigneur ne sait pas que je suis près de
vous ; s'il le savait, il se repentirait de son erreur et
vous demanderait son pardon. — Il ne l'aura, répond
l'empereur, que quand je serai vengé.» P. 201-21 1.
A ces mots survient Varocher ; il amène à l'em-
pereur deux des meilleurs destriers de Charlemagne,
deux destriers aragonais. « Sire, dit-il, je vous fais
don de ces coursiers, que j'ai pris dans les tentes de
Charlemagne et du duc Naimes. Je ne suis qu'un
garçon, mais s'il vous plaisait de me ceindre l'épée
au côté, et si je pouvais, comme d'autres, m'appeler
votre chevalier, j'entrerais en lice pour combattre le
meilleur champion qui soit dans l'armée du roi de
France. — Nous vous accordons votre requête, dit
l'empereur. — Et avec grande raison, ajoute Blan-
chefleur; il n'est pas au monde d'homme plus loyal,
et je ne puis oublier qu'il abandonna sa maison , sa
femme, ses enfants, pour m'accompagner jusqu'en
Hongrie et pour veiller sur moi. — Nous le savons,
dit l'empereur, et il ne restera pas sans récompense. »
Aces mots il appelle ses ducs et ses barons. Blanche-
fleur, aidée des dames qui l'accompagnent, fait revê-
tir à Varocher une riche tunique de soie. L'empereur
lui ceint l'épée au côté, un duc lui chausse l'éperon,
et le nouveau chevalier jure que Charlemagne trou-
vera en lui un mauvais compagnon. P. 211-215.
La reine fait don à Varocher d'un bon haubert et
d'un heaume au cercle doré. Ainsi équipé, il monte
sur un destrier rapide, s'arme d'une lance au fer
acéré, et, un écu d'ivoire au cou, manœuvre si bien
son coursier, qu'on ne reconnaîtrait plus en lui le
clxx Sommaire.
truand, et qu'il a tout l'air d'un noble chevalier, il
voit bientôt se réunir à lui un millier de compagnons,
âpres au gain, qui le reconnaissent pour chef et lui
jurent de le servir loyalement. Varocher les tiendra
quittes de sa part de butin, il les en prévient; mais il
veut qu'ils se montrent bien, et dès le lendemain ma-
tin il leur en fournira l'occasion Ils iront au camp de
Chariemagne, et là ils trouveront de quoi enrichir
tous leurs parents : or, argent, destriers, palefrois,
mulets ; aucune proie ne leur manquera. F. 2 1 5-2 1 9.
En eflfet, ils montent à cheval avant l'aube, et, par
un chemin détourné qui les conduit près de la ville, ils
s'introduisent dans le camp de Chariemagne, en criant
comme le guet quand il fait sa ronde par les champs.
Les Français les entendent, croient qu'ils sont des
leurs, et les laissent ainsi pénétrer dans les tentes de
Chariemagne et de ses chevaliers. Là, ils prennent tout
ce qui leur agrée, changent leurs mauvais chevaux
pour de bons, enlèvent les armures, les vêtements,
l'or et l'argent, de façon que tel qui s'était endormi
riche se réveille pauvre le matin. Après cet exploit,
Varocher et ses compagnons s'en reviennent à leur
camp chargés de butin. Va chacun de se demander :
• Où sont-ils allés prendre toutes ces richesses ? —
Dans un lieu où il en reste encore , » dit Varo-
cher. Cette réponse lui vaut plus de deux mille nou-
veatui compagnons , qu'il ne refuse pas. Varocher
donne u part de butin à l'empereur, i Blanchcfleur
et A son jeune 61s. Mais la reine de France n'en dé>
plore pas moins ce pillage : c'est son bien, pense-
t-eile, que se partagent ainsi des maraudeurs qui ne
l'ont pas gagné.
Sommaire. clxxj
Charlemagne, à son lever, voit sa chambre déva-
lisée et ne retrouve pas son cheval à l'écurie ; il ne
sait qui accuser de ce larcin. « Sire, lui dit le duc
Naimes, ne vous plaignez pas à moi : si vous avez
perdu, je n'ai pas gagné ; car moi non plus je ne re-
trouve pas mon cheval. » Plus d'un ne fit que rire
de cette mésaventure ; mais de ces rieurs il y en eut
de tels qui, après avoir bien cherché, ne retrouvèrent
ni leurs bonnes lances, ni leurs hauberts, ni leurs
écus. Ce riche butin était aux mains de Varocher et
de sa compagnie. Le roi. qui n'avait garde de s'en
douter, soupçonna nombre des siens, qu'il fit prendre
et garrotter. P. 219-225.
Bientôt Charlemagne est assailli une seconde fois
dans son camp ; il court aux armes avec ses barons,
et une nouvelle bataille s'engage. — Récit de la ba-
taille. — Prouesses de Varocher. — Il rencontre le
duc Naimes, et lui assène un tel coup qu'il lui fait
presque vider les arçons. « Sainte Marie ! dit le duc,
ce n'est pas un homme, c'est le diable en personne;
je ne reçus jamais pareil coup d'aucun chevalier. »
Naimes tire son épée pour prendre sa revanche; mais
Varocher ne l'attend point : il sent bien qu'il n'a pas
affaire à un bachelier. Comme il tourne bride, Charle-
magne arrive près du duc : « Voyez-vous cet enragé .?
lui dit Naimes. Il faut qu'il ait le diable au corps; il
vient de me donner un tel coup d'épée, qu'il m'a jeté
à la renverse sur ma selle; c'est une grâce de Dieu
qu'il ne m'ait point entamé. — Et ne serait-ce pas,
dit Charlemagne, le méchant ribaud qui m'a volé mon
destrier ? Je le croirais volontiers à le voir chevau-
cher. Si je puis l'approcher, il me le payera cher ! »
clxxi) Sommaire.
Mais CM menaces n'atteignent point Varocher, qui nr
cesse de courir de çâ et de là. P. 22^-2 jj.
En chevauchant ainsi , il rencontre Berart de
Mondidier, et reçoit de lui un coup qui brise les
pierreries de son heaume, mais sans le pénétrer. Va-
rocher frappe à son tour, et si rudement qu'il désar-
çonne Berart et le fait prisonnier. Il le conduit à la
tente de l'empereur de Constantinople et le remet à la
garde de Blanchefleur. La reine reconnaît en lui un
de ses chevaliers, le fait désarmer et revêtir de riches
habits de soie. Berart tombe à ses genoux ; sa joie
est extrême en la revoyant; tout l'or de Bavière ne
le rendrait pas plus heureux. Blanchefleur lui de-
mande des nouvelles de Charlemagne. « Dame, lui
répond Berart, il ne peut se consoler de vous avoir
perdue; il n'ose plus espérer; il vous croit morte.
Mais vous, dame, comment pouvez-vous souffrir cette
guerre où meurent tant des vôtres? Moi-même,
n'était la protection de Dieu, j'aurais succombé aussi
sous l'épée de ce truand qui vient de m'amener ici.
— Il est preux et vaillant, lui dit Blanchefleur, et
personne n'a rendu â mon seigneur autant de services
que lui. » Puis elle raconte à Berart tout ce qu'elle
doit i Varocher, â ce nouveau chevalier qui n'était
qu'un vilain quand elle le rencontra. « Il a bien
changé, dit Berart; personne aujourd'hui ne porte
mieux que lui le haubert. Mais quelle joie pour le roi
de France, s'il vous savait encore vivante! De sa vie
il n'en aurait ressenti une pareille. — Il faut le laisser
faire pénitence, dit la reine, pour m'avoir si injuste
ment jugée, si honteusement bannie. Et cependant,
)e ne puis me défendre de compatir aux souffrances
Sommaire. clxxiij
des siens; mais ce n'est pas moi, c'est mon père qui
a voulu cette guerre pour me venger. » P. 233-239.
Pendant que Berart et Blanchefleur s'entretiennent
ainsi, la bataille continue, terrible, acharnée. Elle a
duré tout le jour, lorsque Charlemagne appelle à haute
voix l'empereur de Constantinople, qui se rend près
de lui. Les deux souverains ont une entrevue seul à
seul, ce Sire empereur, dit Charlemagne, comment
avez-vous pu vous résoudre à venir en France assié-
ger ma cité? Je déplore amèrement le sort de votre
fille; mais si elle est morte, du moins vous ai-je bien
vengé du traître qui l'avait accusée. Et de plus, je
suis prêt encore à vous accorder telle réparation que
vous voudrez. » — L'empereur refuse : « Vous avez
été , dit-il j sans merci , sans pitié ; vous avez chassé
ma fille de son royaume; vous l'avez envoyée en exil
sous la garde d'un seul chevalier que Macaire a tué.
Notre querelle ne peut prendre fin à moins d'un com-
bat singulier entre deux champions. » — Charle-
magne accepte ce combat. « Que demain , dit-il , au
lever du soleil, un de vos chevaliers soit armé; un des
miens sera prêt aussi. Si mon champion est vaincu,
je m'inclinerai devant vos volontés, et vous tirerez de
moi telle vengeance qu'il vous plaira. Mais si c'est
votre champion qui a le dessous , vous retournerez
dans votre empire et il y aura entre nous paix et
amitié. » L'accord conclu, les deux princes se sépa-
rent et rentrent dans leurs camps. Charlemagne ap-
pelle près de lui le duc Naimes, le Danois et maint
autre baron. Il leur fait part de son engagement, que
chacun approuve. Le Danois s'offre à combattre ; le
roi l'agrée. De son côté , l'empereur de Constanti-
Clxxiv SOMMAIRK.
nopic annonce aussi lahataille à sfs chevaliers : <> Qui
sera notre champion ? » Leur demande-t-il ; et tous
de répondre: « Varochcr lépreux. — Volontiers, >»
dit Varocher, à la grande joie de l'empereur et de ses
barons. P. 259-24^.
Quand BlancI cfleur apprend la nouvelle, quand
elle sait que Varocher aura pour adversaire le Danois,
le plus hardi , le plus brave chevalier qui soit au
monde , elle s'en émeut , elle fait mander son fidèle
défenseur : a Varocher , lui dit-elle , c'est une folie
d'avoir relevé ce gant. Vous ne connaissez pas celui
que vous aurez ù combattre; il n'est pas de guerrier
plus redoutable qu'Ogier le Danois. — Je ne le re-
doute pas, dit Varocher, et vous prie, pour l'amour
de moi , de quitter ce souci. Quand Roland et Oli-
vier vivraient encore, je ne les craindrais pas davan-
tage, r Berart de Mondidier, qui est demeuré près de
la reine, lui dit : <i Dame, Varocher est preux et vail-
lant; j'ai reçu de lui un coup comme jamais aucun che-
valier ne m'en a donne. Mais il faut qu'il ait une bonne
armure ; car Ogier a une épée dont le tranchant est bien
vif. Courtain , ainsi l'appellent les Allemands et les
Bavarois, coupe le fer, le rubis ou l'acier plus aisé-
ment que la faux ne fait l'herbe du pré. — J'y son-
geais, dit la reine. HAtez-vous donc, ajoute Va-
rocher, car il me tarde d'être en face de mon adver
Mire. — Sire Varocher, dit Bcrart, c'est un bon
sentiment , mais dont vous pourriez bien vous repen-
tir. Tel rêve de vente ou d'échange qui finit souvent
par perdre beaucoup du sien. Vous ne connaissez p.is
le brate Danoi» : il n'est point de meilleur chevalier
cHex Ici pajeas ai cher les chrétiens. — J'ai bien en-
Sommaire. cIxxv
tendu parler de lui , dit Varocher , mais je ne l'en
crains pas plus pour cela. Il faut que vous sachiez que
depuis que mon seigneur m'a armé chevalier je suis
devenu orgueilleux et fier, si bien que lorsqu'il m'ar-
rive de penser à mon ancien métier de bûcheron et
aux fardeaux dont je me chargeais comme une bête de
somme , je ne me sens nulle envie de retourner au
bois. En ce temps-là jetais vêtu comme un truand et
je n'avais pour arme qu'un bâton de pommier. Aujour-
d'hui, mes vêtements sont ceux d'un chevalier, et je
porte au côté l'épée d'acier à la lame fourbie. Je vi-
vais au milieu des bêtes fauves ; maintenant j'habite
une résidence impériale, et, quand je veux, des cham-
bellans m'en ouvrent les portes. — Tu as si bon es-
poir, dit la reine, et tu parles si bien que je ne trouve
plus rien à te dire ni à t'opposer. Je ne laisserai pas
toutefois de prier pour toi Notre-Seigneur , le vrai
justicier , de permettre que tu reviennes sain et sauf
de cette bataille. — Assez de paroles, dit Varoclser;
faites-moi apporter mes armes. — Volontiers, » ré-
pond la reine. P. 245-2^.
Elle fait apporter à Varocher les meilleures armes
du monde. Il endosse le haubert, chausse l'éperon,
ceint l'épée et lace le heaume, un heaume que porta
jadis le roi Pharaon et qu'aucune lame ne peut en-
tamer. Il monte sur un rapide destrier d'Aragon , pend
à son cou un bon écu , et s'arme d'une lance au fer
tranchant. » Dame, dit-il à Blanchefleur , je m'en vais
à la grâce de Dieu. — Et suivi de mes vœux, dit la
reine. » Varocher pique son destrier, court à l'empe-
reur et lui dit : « Sire , je me rends au champ de ba-
taille; j'espère en revenir vainqueur. — Que Dieu
clxxvj Sommaire.
vous bénisse ! dil l'empereur. S'il m'accorde de reve-
nir k Conslantinople , |e vous donnerai de l'or et une
bonne terre avec château et donjon , de façon à vous
rendre riche pour le reste de vos jours. — J'accepte-
rai, répond Varocher, à la charge de l'hommage,
comme de droit. » L'empereur lui donne sa bénédic-
tion, el Varocher, plus fier que lion ou léopard , en-
fonce les éperons dans les flancs de son cheval. Il ar-
rive bientôt à la tente de Charlemagne et s'écrie à
haute voii : « Roi de France et de Laon , où est vo-
tre champion ? Est il prêt à combattre , oui ou non ? »
Charles et le duc Naimcs l'entendent : a Voyez, di-
sent-ils , ce mauvais garçon ! n'a-t-il pas le diable au
corps .^ » — Ogier aussi l'a entendu, à sa grande con-
fusion. Il court à sa lente, s'arme en toute hâte, monte
à cheval et sans mot dire s'élance à la rencontre de
Varocher. a Voyez, dit Charlemagne au duc Naimes,
avec quelle ardeur le Danois court à la bataille !
Plaise à Dieu, ajoute le duc, qu'il en revienne vain-
queur, et qu'il puisse rétablir la paix entre des pa-
rents désunis. » P. 2JI-2J7.
Ogier est en face de Varocher : <« birc chevalier,
lui dit-il , je ne m'attendais pas à être devancé. Vou-
lez-vous faire l'épreuve de votre valeur ou l'aveu de
votre défaite } — Avez-vous perdu le sens? lui répond
Varocher. Pensez-vous donc que je sois venu ici pour
chanter des chansons , pour me divertir , et non pour
mettre l'épée au ventr Allons, si vous êtes digne
de votre renom, vous ne reculerez pas devant moi
— C'est entendu , » dit le Danois. A ces mots , ils se
doDoenldu champ, puis s'élancent l'un contre l'autre
en brandissant leurs lances. Ils s'entre choquent si ru-
Sommaire. cxxvij
dément que leurs écus volent en éclats; mais leurs
hauberts résistent et les protègent. Les deux chevaux
plient et fléchissent du genou ; les deux lances tom-
bent à terre en tronçons.
Le combat recommence à l'épée. Varocher en frappe
le premier. Il ne peut entamer le heaume d'Ogier,
que Dieu protège; mais il lui tranche le devant de
son haubert. « Sainte Marie! dit Ogier, quel fil a
cette épée ! Il ne m'aimait guère celui qui en fit don. »
A son tour , le Danois atteint Varocher sur la tête
d'un coup si terrible qu'il le fait plier en avant sur
l'arçon de sa selle. « Sainte Marie, refuge des pé-
cheurs, s'écrie Varocher, défendez-moi contre la mort!
— Me reconnais-tu? dit Ogier. Allons, rends-toi
sans plus tarder! — Vaines paroles! répond Varo-
cher; je ne suis pas encore à ta discrétion. » Et tous
deux reprennent la lutte avec une nouvelle ardeur.
Bientôt leurs armures sont en pièces , hormis les
heaumes. Ogier admire la vaillance de son adver-
saire : « Sire chevalier, lui dit-il, comment vous
nomme-t-on à la cour de l'empereur que vous ser-
vez.? — J'ai nom Varocher. Il y a peu de temps que
je suis chevalier; je n'étais d'abord qu'un vilain vi-
vant dans les bois. Mais l'empereur , en reconnais-
sance d'un service que je lui ai rendu , m'a conféré
la chevalerie. Si le roi Charlemagne savait certain se-
cret que je ne puis révéler, loin de t'envoyer ici pour
me combattre et pour me tuer, il me prendrait en
amitié, il me chérirait. — Noble chevalier, dit le
Danois, s'il vous plaisait de me confier ce secret,
peut-être pourrions-nous, vous et moi, mettre fin à ce
combat et nous accorder tous deux sans coup férir .?
Macaire. l
clxxviij Sommaire.
— Si je vous le confie , dit V.irocher , me promettez-
vous de le garder fidèlement et de n'en faire part à
qui que ce soit? — Je vous le jure. — En ce cas,
reprend Varocher, vous saurez tout. » Il lui raconte
alors ce que devint la reine après la mort d'Aubri;
comment il la rencontra et la conduisit en Hongrie,
où elle accoucha d'un fils , et comment elle revint à la
cour de l'empereur son père, a C'est pour la venger,
ajoute-t-il, qu'il a réuni cette grande armée, et je puis
vous donner l'assurance qu'elle est à celte heure saine
et sauve dans la tente impériale, elle et son jeune en-
fant. » P. 2^7-267.
C^and le Danois entend Varocher parler ainsi, il en
ressent plus de joie que si on lui donnait le royaume
de Bavière. Il remet l'épée au fourreau et s'incline
devant son adversaire : a Varocher , lui dit-il , vous
m'êtes devenu bien cher. A Dieu ne plaise que je
continue i jouter contre vous. Je vous aimerai désor-
mais comme un frère, et je n'aurai rien que je ne par-
tage avec vous. Je retourne près de Charlemagne. 11
ne saura pas comment les choses se sont passées : je
lui dirai que vous m'avez désarçonne, et la paix sera
faite. — Grande charité! dit Varocher. Ne tardez
donc pas davantage, d A ces mots , ils se sépareot.
Ogier revient au camp français, où il annonce sa pré-
tendue défaite, puis il se dépouille de ses armes et
court s'agenouiller devant le roi : « Bon roi , dit-il ,
il (aat que j'en fasse l'aveu : je suis vaincu. J'ai été
nuté par le meilleur chevalier de la chrétienté. Je
ne puis plus que vous prier de faire la paix avec l'em-
pereur. — J'y serais tout disposé, dit Charlemagne,
s'il voulait se itisver fléchir et me pardonner la mort
Sommaire. clxxix
de sa fille. — Envoyez-lui donc, dit le Danois, un
habile messager, qui sache bien parler et qui réussisse
à l'attendrir. — J'y songeais, reprend le roi; mais qui
charger de ce message ? — Qui .? répond Ogier : le duc
Naimes, et moi avec lui. — Volontiers, dit Charlema-
gne. Je n'en saurais choisir deux meilleurs. » P. 267-
273-
Le duc Naimes et le Danois partent donc de com-
pagnie pour se rendre au camp de l'empereur de Con-
stantinople. C'est Varocher qu'ils rencontrent tout
d'abord , comme il était convenu entre lui et Ogier.
Le duc Naimes et le Danois le prennent chacun par
la main et tous trois se présentent ainsi devant l'em-
pereur, qui se lève pour les recevoir. Il fait asseoir
Naimes à sa droite , Ogier à sa gauche. Varocher
reste debout devant eux. Les deux messagers attirent
les regards, et chacun admire leur bonne mine. C'est
le duc Naimes qui prend la parole : «Juste empereur,
dit-il, daignez m'écouter. Je ne vous dirai rien que
de vrai. En ce monde, ce qui est fait est fait et ne
saurait être effacé ni anéanti. Je ne puis donc que
vous prier, au nom du Tout-Puissant, d'accorder un
généreux pardon à Charlemagne votre allié, qui se
mettra à vos ordres, lui et tous les siens. — Lors-
que je mariai ma fille à votre seigneur, répond l'em-
pereur, je n'avais ni parent ni ami qui me fût plus cher
que lui. C'est Charles qui en a mal usé envers moi,
envers ma fille ; c'est lui qui nous a outragés tous deux
en la condamnant à être brûlée vive. Une accusation
honteuse a pesé injustement sur elle ; mais je ne puis
me défendre de vous tirer d'une erreur oîi vous êtes.
Grâce à Dieu, ma fille n'est pas morte. Elle est en
clxxx Sommaire.
santé et en joie, et si vous en doutez, elle-même va
vous détromper. » Puis, s'adressant à Varocher >
il lui dit en riant : « Sage et vaillant chevalier, ren-
dez-vous sans retard auprès de Blanchefleur et ame-
nez-la en ma présence pour que Naimes et Ogier la
puissent voir. » Varocher obéit. Il se rend près de la
dame, qu'il trouve dans sa chambre avec le prisonnier
Bcrart. a Dame, lui dit-il, je vous apporte une
bonne nouvelle. L'empereur votre père vous mande
de venir près de lui , et dans vos plus beaux atours,
pour témoigner du soin qu'il a pris de vous. Deux de
vos sujets français, Ogier et Naimes , désirent de vous
voir, w La dame rend grâces à Dieu, se revêt de ri-
ches habits, rattache ses cheveux avec un fil d'or et se
rend à la tente de son père. P. 27J-279.
Dès que les deux barons l'aperçoivent, ils courent
se jeter â ses genoux. Le duc Naimes lui fait part de
sa mission ; il la supplie de les aider à la conclusion
de la paix, et de consentir à rentrer dans son royaume,
où l'attendent les hommages de tous ses sujets. La
reine hésite ou feint d'hésiter; elle rappelle au duc
tout ce qu'elle a souffert depuis le jour où elle fut si
honteusemenl jugée; elle lui apprend tout ce qu'elle
doit i Varocher; enfin elle lui dit : « La paix dé-
pend de mon père ; il peut disposer de moi â son gré.
Il m'a nourrie, moi et mon enfant, depuis que j'ai
quitté la France; s'il consent à pardonner, j'en aurai
grande joie. — C'est parler sagement , » dit le duc
Naimes ; puis, s'adressant à l'empereur et sinclinanl
profondément devant lui : « Sire empereur, lui dit-il,
je vous en conjure par le Dieu qui naquit i Bethléem,
faites la paix avec Charlemagne et rendez-lui la reine I
Sommaire. clxxxj
elle est à lui, personne n'a droit de la lui enlever. —
Si j'acquiesce à la demande de Charles, répond l'em-
pereur, sachez bien que ce n'est pas sans regret, lors-
que je me rappelle l'opprobre qu'il a fait endurer à
ma fille; et cependant j'y consens; terminez cette
grande querelle à votre gré. » A ces mots, le duc
Naimes s'incline et remercie humblement l'empereur.
La reine laisse éclater sa joie : « Naimes, dit-elle, si
Dieu me prête vie, vous serez bien récompensé de ce
service ; mais, avant tout, prenez avec vous mon en-
fant et menez-le devant son père, qui ne l'a jamais
vu. — Dieu ! s'écrie le Danois, quel riche présent ! »
La reine remet gracieusement son fils aux mains du
duc Naimes. Les deux messagers prennent congé de
l'empereur, et s'en vont avec l'enfant, que le fidèle
Varocher ne laisse pas partir sans l'accompagner.
P. 279-285.
Comme ils approchent du camp de Charlemagne,
chevaliers et gens de pied accourent au-devant d'eux
pour savoir s'ils auront la paix; ils voient l'enfant et
s'émerveillent de sa beauté. Avec sa tête blonde sur-
montée d'une plume de paon, le petit damoiseau est
le plus beau du monde, plus beau même qu'Absalon.
Quand ils sont près du roi, Charles dit à ses deux
barons : a Quel est cet enfant.? où l'avez-vous trou-
vé? On n'en vit jamais un plus beau. — Quand vous
saurez son nom , répond le duc Naimes , il vous
sera plus cher que la prunelle de vos yeux. » Comme
il dit ces mots, ô miracle! voici l'enfant qui quitte la
main du duc Naimes, court près de Charlemagne, et
le prenant par le menton : « Père, lui dit-il, je sais
bien comment ma mère a quitté le royaume de France.
Je suis votre fils, n'en doutez pas, et si vous ne me
clxxxij Sommaire.
croyez point, regardez la croix blanche que je porte
sur l'épaule droite. » Le roi l'entend, et, s'adressant
au duc Naimes : a Que dit cet enfant, Naimes ? Je
ne comprends rien à son langage. D'où est-il ? Qui
est-il ? — Quand je vous l'aurai dit, répond Naimes,
ce sera une )oie pour tous comme jamais il n'y en
aura eu en France. Ce jeune enfant que vous voyez,
je puis vous assurer, je puis vous jurer qu'il est votre
61s; Blanchefleur sa mère n'est point morte; je l'ai
vue tout 4 l'heure. — Est- il bien vrai r dit Charle-
magne ; |'ai peine à le croire, car si elle vivait, aurait-
elle pu voir ainsi succomber les siens? — Je vous le
jure, reprend Naimes; je l'ai vue, je lui ai parlé, et
la paix est faite si vous le voulez. — Nous ne l'au-
rons que trop tard ! » dit Charlemagne. Puis il se
prend i regarder l'enfant : « Beau fils, lui demande-
l-il, comment se nomme ta mère? et ton père, com-
ment l'appelle-l-on ? — Ma mère se nomme Blanche-
fleur, répond l'enfant, et elle m'a dit que Charle-
magne était mon père. » Le roi le regarde encore, le
baise et lui dit : « Beau fils, vous devez mètre cher ;
après ma mort, vous régnerez sur la France, sur la
Norm indie, sur la Bavière. — Songeons avant tout à
la paix, dit le duc Naimes, et que vous puissiez bien-
tôt ramener la reine en France. — C'est vous, dit le
roi, que je charité du soin de mettre fin à la guerre.
— Sirc. répond le duc Naimes, j'ai vu la reine, j'ai
conféré avec elle, |e connais ses intentions : c'est que
vous ayez une entrevue, seul à seul, avec son père.
Li, vous vous accorderez tous deux et conclurez b
pan » P. 28^-29^.
Charlemagne y consent, l'entrevue a lieu. Pendant
que les deux princes sont en pourparler, voici la reine
Sommaire. clxxxiij
qui vient tout à coup interrompre leur entretien.
Charlemagne la voit et sourit doucement. Elle lui dit :
« Noble et puissant roi, je veux tout oublier. Vous
avez tiré vengeance de Macaire, du traître qui, après
m'avoir accusée si honteusement, fut encore le meur-
trier d'Aubri. Je suis votre femme, et ne connais point
d'autre seigneur que vous. Faites la paix, j'y souscris
pour ma part. — Sages paroles ! dit le duc Naimes.
Arrière donc tous les mauvais souvenirs! — Sire
empereur, dit Charlemagne tout ému, notre confé-
rence ne sera pas longue : si je vous ai offensé, je suis
prêt à faire amende honorable. Que vous dirai-je? Je
m'en remets à Dieu et à vous. J'étais de votre famille,
et j'en serai encore si la reine y consent. — Avec une
joie sans pareille, dit Blanchefleur. Mais, Sire, ajoute-
t-elle_, je vous le dis sans détour, gardez-vous de ja-
mais recommencer. » P. 293-297.
La paix conclue, les princes entrent à Paris, et la
reine au doux sourire revoit avec bonheur son palais.
Après quinze jours de fêtes, l'empereur de Constan-
tinople et le roi de Hongrie prennent congé de Char-
lemagne et s'en retournent dans leurs États. Charles
demeure à Paris, sa cité, où il siège avec la reine à
sa droite. P. 297-301.
Depuis le jour où Varocher avait quitté sa femme
et ses enfants pour accompagner Blanchefleur, il ne
les avait pas revus, et ce jour était déjà loin. Quand
il voit la guerre finie, il dit à la reine : « Dame, il
vous souvient que lorsque je me séparai de ma femme
et de mes enfants, je les laissai dans une grande pau-
vreté ; mais aujourd'hui, grâce à Dieu et à vos bon-
tés, j'ai de l'or, j'ai un palefroi, j'ai un destrier; je
suis à l'aise pour le reste de mes jours. Souffrez donc
clxxxiv Sommaire.
que je prenne congé de vous » La reine y consent, le
comble de présents à charger un char, et lui dit :
« Allez V^arocher ; mais n'oubliez pas, dès que vous
Je pourrez, de revenir à la cour. » Varocher le pro-
met, et part avec une suite peu nombreuse : quatorze
compagnons seulement, il n'a pas oublié le chemin
de sa demeure. Sur le point d'y arriver, il aperçoit
ses deux fils qui reviennent du bois avec une pe-
sante charge, comme leur père les y avait accoutu-
més. Touché de pitié à cette vue, il s'approche d'eux
et met i bas leurs fardeaux. Les deux garçons, ainsi
rudoyés, se saisissent chacun d'un grand bâton et
s'élancent sur leur père. Ils l'auraient frappé; mais
lui, faisant un mouvement de retraite, leur dit :
a Vous serez braves, je le vois. Beaux fils, ajoute-
t-il, ne reconnaissez-vous pas votre père? Me voici
de retour, et je reviens avec assez d'or pour vous
rendre riches le reste de vos jours. Vous monterez de
bons destriers et serez tous deux armés chevaliers. »
A ces mots, les enfants l'ont reconnu, avec quelle
joie, on le devine. P. joi-joj.
Quand Varocher entra dans sa maison, il n'y trouva
ni riches habits, ni pain, ni vin, ni chair, ni poisson ;
sa femme n'avait point de pelisse, et était mal accou-
trée, elle et ses deux garçons. Varocher, sans plus
tarder, leur donna â tous des vêtements de soie et de
coton ; il fit apporter chez lui tout ce qui est à l'usage
d'une bonne maison, et se fit élever un palais avec
don|on. Il fut institué champion i la cour de Char-
lemagne. P. joj-joj.
ici finit la chanson. Que Dieu vous bénisse!
MACAI RE
Macaire.
MACAIRE
m)i conleron d'une mervilc gran
>k ";\ <^ vcne in França dapois por longo tan,
J5 Pois qe fo mort Oliver e Rolan ,
Li quai fi faire un de qui de Magan ,
Dont manli çivalcr mori di cristian ;
K por Marchario fo tuto quelo engan.
Undc, segniur, deço siés çertan
(^c dapois, e darer e davan ,
En crestentés non fo hom si sovran
(>>fno fu l'inpercr K. cl man,
Ne qe tanto durasc pena e torman
Por asaitcr la loi di cristian.
Contra pain el fo tôt li sovran ,
F. plus doté el fo da tota çan.
El non ouir mie le conscio d'infan ,
R por ço duro le plus de docento an ,
MACAIRE
I conterons d'une merveille grant
Qa'avinten France moult grant pièce a de tens,
Puis que mort furent Oliviers et Rolans :
C'est de Maience d'un cuivert soduiant ,
Dont en morurent maint chevalier vaillant ;
Li fel Macaires ceste oevre ala brassant.
Oies, seignor, sachiés certainement
Que depieça, et deriere et devant,
Hom si sovrains ne fu et mont vivant
Com Kallemaines , li riches rois puissans ,
Ne qui autant soffrist peine et torment
Por essaucer la loi de crestiens.
Contre paiens fu toudis conquerans
Et plus dotés fu il de tote gent.
Conseil d'enfant naloitmie escoutant,
Et si dura le plus de deus cens ans.
MaCAIRE. 17—58
Tanlo que cl vene c Cuglcmo e Bcltran.
Una dama avoit d'un parcnlé gran ,
Fila d'un enpcrer qe oit gran posan ,
De Coslanlinopli , ensi l'apela la jan.
Blançiflor avoit nome celc dan,
Loial c bone, c de grand esian.
Or entcndcrés la fin d'e$ roman ;
Qc Dco vos beneie e mescr san Joan !
COMENT K. TENOIT CRANT CORTE
ENTRE Paris.
Gran cort manten K. 1 inperaor
Entro Paris, son pales maior.
liée estoit mant filz de valvasor
E manti dux , princes e contor,
E le dux N. so bon conseleor.
Unqes el segle non estoit nul milor,
Ne qe de foi tant amase son scgnor,
Ne qe tanto durase c pena e dolor.
Sor tôt les autres estoit coreor,
Unde da Dco cl n'avc gran restor,
Da Dco dcl celo, li maine criator.
Quatro filz oit de sa çentil uxor
Qc fo di doçe per e fo fin çostreor.
En Roncival fo morti à dolor,
17— î8 MACAIRE.
Et tant que vinrent Guillames et Bertrans.
Kalles otfeme d'un parenté moult grant.
Fille à un roi d'une cité puissant j
Costantinoble , si l'apele la gent.
La dame otnom Blancheflory au cors gent^
Léal et boine et de grant esciant.
Or escoutés la fin cestui roman ;
Dex vos garisse et H ber sains Jehans !
CoMENT Kalles tenoit grant cort
A Paris.
Grant cort tint Kalles l'emperere Francor
Droit à Paris , en son palais maior.
Illec estaient maint fil de vavasor.
Maint duc i furent , maint prince et maint conter.
Et li dus N aimes , ses boins consellor.
Onques el siècle n'en vit nus hom meillor
Ne qui de foi tant amast son segnorf
Ne tant por lui soffrist peine et dolor.
Sor tas les autres avoit cil la valor.
Si que de Dieu il en ot grant resîor,
De Dieu de glore , l'umainne criator,
Qjiatrefis ot de sa gentil oissor,
Qui des pers furent et hardi jostéor.
En Ronscivals mort furent à dolor,
MaCAIRE. ;9— 6i
Quando fo rr.orto R. li conlor,
For li malvfs Gaino , li traïtor,
Quant li traî à li rois almansor,
A li rois Marsilio, dont pois n'ave desenor,
Dont fo çuçè i modo de traïtor.
COMENT MaCARIO VOLSE VERCOCNER K.
Cran cort manten K. man l'inperer
De gran baron, de conti e de prinçer;
Mais sor tôt i fo dux N. de Bavier
E li Danois qe l'omo apela Oger.
Tant avoit fato li traïtor losençer,
Con son avoir c besanl e diner,
Qc in la cort son ama e tenu çcr :
E con li rois n'ont à hoir e à mançer,
E un li est de lor plus ançoner.
Machario de Losane se fait apeler.
Or entendes dcl traïtor loscnçer
Como vose li rois onir c vergogner,
E por force avoir sa muler.
Qe una festa def baron san Riçer
La çenlil dame estoit en son vcrçcr,
Cun mante dame s'estoit à déporter ;
Si se fasoit davanti soi violer,
E una cançon e dir e çanter.
39— éj MACAIRE.
Là h fil mors Rolans , // boins conlors,
Por Ganelon , h malvms îraïtor,
Quant les traî al félon aamacor,
Al roi Marsile , dont puis ot desenor.
Dont fa jugiés à loi de traïtpr.
COMENT MaCAIRES VOUT VERGOIGNER KalLOK.
Grant cort tint Kalles l'emperere au vis fier
Dehaus barons j de contes, de princiers.
Sor toz ifu dus N aimes de Baivier
Et li Danois que l'en apele Ogier.
Tant avoit fait li cuivers losengiers
Par son avoir et besans et deniers
Qu'en la cort fa amis et tenus chiers :
O le roi siet au boire et au mangier.
Et s'est li uns de ses drus plus privés.
Se fait Macaire de Losaneapeler.
Or entendes del cuivert losengier
Com vont le roi honir et vergoignier^
Par droite force et avoir sa moillier.
A une f este del baron saint Riquier,
La gmtis dame estait en son vergier
0 mainte dame por son cors déporter;
Si se fesoit devant soi vieler,
Une chançon et dire et chanter.
MaCAIRE. (s— 8&
E Machario enlro en fe vfrçtr;
Avec lui avoil nunti çivaJcr.
E coraenço la dama h donoier.
« Dama, fait il , ben vos poés vanter
« Sor lot dames qe s« poust Irover
« Plus bêla dama hom noi poust reçater ,
• E ben estoit un gran pecé morter
« Quant uu tel home v'oit i governer.
« Se moi e vos saames acompagner,
« Plus bêla compagne non se poust trover
« Por gran amor, estrcnçer c baser. »
La dama l'olde, si le prist i guarder
E en riando si le prist à parler :
« A» ! sire Machario, vu si e pro e ber,
« Queste parole qe vos oido conter
o E so ben qe le dites por mon cors asaçer. »
Dist Machario : « El vos fali li penser;
« El no e , dama , deçà ni delà da mer,
« Qe sovra nos e digni de vos amer,
• Et no e pena qe pocso endurer
« Qe 0 non fcse por vocors déliter. »
La dama l'olde q'd non dis por gaber ;
Ça oidirés como li responde arer.
« Machario, dist ela , tu non sal mon penser ;
« Avanti me lairoie tôt le menbre couper
« Et en un foi^ e ardcr e bruser,
• E in apreso b polvere i venter.
62— S8 MaCÂIRE.
Ez vos Macaire entrant ens et vergier ;
Ensemble o lui avait maint chevalier.
Et comença la dame à dosnoier.
« Dame , fait il , bien vos poés vanter
« Sor totes dames que on péust trover
« Nule plus bêle ne péust on esmer;
« Et ce est bien ans grans pechiés mortes
« Quant uns tes hom vos a à governer,
■ « Se je et vos fussiens acompaigné ,
« Tel druerie ne péust on trover
« Por bien amer^ acoler et baisier. »
La dame Vot , si le vait esgarder
Et en riant si li prist à parler :
« Sire Macaires , tant estes preus et ber,
« Ceste parole que je vos oi conter
« Bien sai la dites por mon cors esprover. »
Et dist Macaires : « D'el vos covient penser;
« Que nen est, dame^ deçà ne delà mer,
« Nus hom qui puist miex de nos vos amer^
a Et si n'est peine que péusse endurer
« Que nelfesisse por vo cors déliter. »
La dame Vot que nel dit por gaber.
Or orrés ja com li respont arrier,
Dist la rome : « Tu ne sais mort penser;
a Ains me lairoie tos les membres coptr
« Et en un feu et ardoir et bruisier,
« Et en après la poriere à venter^
10 MACAIf<E. 89^109
o Qe mais pensese mal de l'inperer.
n E se mais vers moi c v'oido si parler
o E derier moi tel rason conter,
a A mon sire le diro senza entarder.
a Malvasio hom, con l'olsas tu penser
« De ton segnor tel parole parler ?
a S« l'olsoit, no t'en poroit guarenter
« Toto l'avoir qe se pousl irovcr
M Qjelo no te faist i dos fors apiçer,
• Tosto da moi vos deçà descvrer,
a E ben vos guardés de micha mais parler,
o De tes paroles à moi derasner. d
Machario l'olde, s'en pris à vergogner;
î)a le se parte cum toto mal penser.
COMENT LA RaYNE RETORNE DAL CARDIN
E COMENT OYT CRAN DOLLO.
Blanciflor la raine fu arcre lornc,
Sor son paies s'en fo reparié.
De dol et d'ire oit son cor abusmé.
E Macario se ne fo Iravalé ;
S'el no la c>it i soa volunté,
De son viia non cura anpcio pelé,
E die e ooit por le ^toit en pensé.
î-jOQ Macaire, II
« Queja dou roi osasse mal penser,
« Se mais vers moi vos en oi si parler
« Ou tel raison derrière moi conter,
« A mon scgnor le dirai sans targier.
« Malvais ribaus , corn l'osas tu penser
« De ton segnar tel parole parler^
a Se il l'oïst, ne t'en porroit garder
a Trestos Vavoirs que on péust trover
a Ne tefesist as forches encroer^
« Or tost de moi vos estuçt deseyrer,
« Et bien gardés uimais ne m'aparlésy
« Ne tés paroles vers moi ne deraisnés. »
Macaires l'ot j prist s'en à vergoignier;
D'ele se part à tout moult malpenser ^
COMENT LA ROINE RETORNE DEL JARDIN
ET COMENT OT GRANT DUEL.
Or est arierc la roine torné,
En son palais si s'en est repairié^
De duel et d^ire ot son cuer abosmè.
Et s'est Macaires traveillié et peini;
Se ne fait d'ele tçte sa volentéy
Il ne se prise vaillant .1. ail pelé y
Et nuit et jor por ele ert ç(i pmsÀ^
12 MaCAIRC. 110— 1)6
Si se porpense por soa malvasité
Cornent la poroit avoir ençegnié.
U nano estoit en la cort l'inperé ,
Dal roi e da la raina estoit molto amé.
Machario ven à lui , si l'oit aderasné.
« Nan , fait il , en bon ora fusi né !
« Tanti te donaro de diner moené
« Qe richi fara tu tuto ton parenté ,
o Se tu fara ta moia volunté. »
E cil le dist : « Ora si comandé
f Ço qe vos plas, e son aparilé. »
Dist Machario : o Oés voio qe vu façé.
« Quando à la raina vu serés acosté,
c Vu le dires de moia belté ,
a E s'ela faist la moia volunté ,
a Plus bêla compagnia non seroit trové. »
Dist li nan : o Ora plus non parlé.
o Quando cum le eo sero acosté,
« Meio le diro qe no m avés conté. »
Dist Machario : a In bona ora fust né!
o Tant avoir cl te sera doné ,
« Richo fara tuto to parenté. »
Dit! li nan : « De nian vos doté, n
Da lu :e parte tuto çoiant e lé.
E Machario fo i sa mason torné,
Çoiant fo e baido e aie.
E i la cort fo li nan aie.
no— ijé MACAIRE. 13
Si se porpense par sa grant maîvaistié
Corn la porroit deçoivre et engignier.
En la cort ert uns maus nains bocerés
De la roine et don roi moult amés.
Cil vint à lui , si l'en a araisné,
« Hé ! nains , fait il , de bone ore fuis nés !
« Tant te donrai de deniers monéés
« Riche en feras tôt le tien parenté ,
ce Se tu veus faire la moie volenté. »
Et cil li dist : « Or me soit comandi
ce Ce que vos plaist, et sui aparilliés, »
Et dist Macaires : ce Oés que vos ferés.
ce Lez la roïne quant serés acostés,
ce Vos H dires de la moie belté ,
ce Et sefesist la moie volenté ^
ce Tel druerie ne poroit on trover. »
Et dist li nains : ce Or n'en soit plus parlé,
ce Lez la roïne quant serai acostés ,
ce Miex li dirai que ne m'avés conté. »
Et dist Macaires : ce De bone ore fuis nés !
ce Si grans avoirs te sera ja donés
ce Riche en feras tôt le tien parenté, »
Et dist li nains : ce De rien ne vos dotés, v
De lui se part tos joians et tos liés.
Et rest Macaires à son ostel tornéSy
Si s'en repaire baus et joians et liés.
Et à la cort s" en est li nains aies.
14 Mac Al RE. t)7— M9
COMINF LI NAM PAROLE.
Or fu li nan retornéo arer.
Tulo quel çorno non fine de penser
Cornent doit â la raina parler.
E Machario , quando li pot trover,
El non cesa da lui adester
Cornent deçà quel pla fincr.
E una festa del baron san Riçer,
La raina estoit desor un so soler
Con altrc dame por son cor déporter,
Si se fasoit davant soi violer
E mant si fasoit baler e caroer.
Le malvas nan si le vait aprosmer;
Apreso la raine si le vait acostcr,
E in apreso soto son mantel colçer.
Como estoit uso la pris à donoier.
E la raine, qi non oit mal penser,
Si le prist bêlement carecer.
Et clo la prist malamcnt parler,
o Dama , fait il , molto me poso mervelcr
a Como vos poés K. mainoamer;
a Por dame donoier el non val un diner,
a E vos estes tanto bêle e si avés le vis cler
« Qe vostra bclté no se poroit esmer.
137— iî9 MACAIRE. 15
COMENT LI NAINS PAROLE.
Or vait H nains , tornés s'en est arrier.
Tôt icel jor ne fine de penser
A la ro'ine cornent doie parler.
Et quant Macaires le nain puet encontrer,
Ne cesse mie de lai amonester
Cornent le plait à chief doie mener.
A une feste del baron saint Riquier,
La ro'ine ert desor un suen solier
0 d'autres dames por son cors déporter,
Si sefesoit devant soi vieler
Et sifesoit baler et caroler.
Et H maus nains la vait aproïsmer ;
Lez la roïne se vait il acoster
Et en après sos son mantel cûuchier.
Si com soloit la prist à dosnoler.
Et la roïne, qui nen ot mal penser,
Tôt bêlement le prist à aplaigner.
Et il U prist malement à parler.
c( Dame, fait il, moult me puis merveiller
« De Kallemaine com le poés amer;
« Por dosnoier ne vait il .1. denier.
ce Et tant bêle estes et avés le vis cler
ce Ne se poroit vostre beltés esmer.
i6 Macaire. 160—186
a S« vu volés à mon conseil ovrcr,
« E vos faro à tel homo acosler
« Plus bel çivaler no se poroit trover :
« E queslo si e Macario li ardi el li fer.
u Se vu c lu ne poisi aconler,
a Uncha de lui no ve porisi saoler,
a E bcn vos porisi entre vos vanter
a Del plus bel dru qe se pousl trover. »
La dama i'olde , sil prist i guarder.
a Tasi , mato , fait ela , no me usar sle parler,
« Qe tosto le porisi cerament conprer.
— Dama, fait il, lasa sler quel penser;
« Se so un baso Machario v'avese doner,
« Por nul homo no l'averisi cancer. »
Tanlo le dise li nan e davan e darer
Qe i la dama le prist si noier
Qjcia pois le prist contra le son voler,
Q'elo no se pote da le defenscr.
Çoso de quel soler ela le fa verser,
Si le fa malament trabuçer
Qe la testa li fa in plusor lois froscr.
« Va ne , dist la raina , malvasio liçer,
« E no creqe un allra fois me vegni quest nonçer ! »
Ql^ttt le nan fo trabuçé çoso de li soler,
Machario fo desoto, q'era de mal penser.
Le nan el prist si se nel fe porter ;
Por mires mando, si le foit liger.
léo— 186 MaCAIRE. 17
« Se vos volés par mon conseil ovrer,
« Vos ferai je à tel home acoster
a Plus bels de lui ne se poroit trover :
a Ce est Macaires , U hardis et H fiers e
a Se vos et lui en péusse acointer,
a. Ne vos porriés onc de lui sooler,
« Et en vo mer bien vos porriés vanter
« Del plus beau dru que l'en péust trover. »
La dame l'oty si le prist à garder.
« Tais, fol j fait elc, ne m' user ce parler;
a Tost le porois chierement comperer.
— Dame , fait il , tôt ce laissiés ester.
« Se vos éust sol un baisier donéj
« Por nesun home nel vorriés mais changer. »
Tant dist li nains et devant et derrier
Que à la dame si prist à anoier
Puis le saisit maugrésa volenté.
Que ne se pot encontre ele tenser.
Jus del solier l'a ele fait verser,
Et si le fait malement trebuchier
Lifait la teste en plusors leus froissier .
Dist la roine : « Va t^en^fel pautoniers,
« Et autrefois ne mevien tel noncier! »
Quant li nains fu trebuchiés del solier^
Là fu Macaires j qui ert de mal penser.
Le nain prist il si l'en a fait porter ;
Mires manda j si lefist il bender.
Macaire. 2
l8 MaCAIRE. ll7~io9
Plus de octo jomi stete ne se pote lever,
Donde la cort s'anoit k merveler.
Meesmo li rois li fasoit demander,
Etutaora Machario li anoit scuser,
Qe caû ert à costé d'un piler,
Le çevo cil frosé , ma tosto anera lever,
Qc à la cort pora reparier.
COMENT Ll N\N FU DURES.
Secnur, or entendes e siés certan
Qe la cha de Magançe , e darer e davan ,
Ma non ceso de far risa e buban ;
Senpre avoit guère cun Rainaido da Mote AI ban.
Et si trai Oliver e Rolan ,
E li doçe père e ses compagna gran.
Or de la raine voie far iraïman ;
Par son voloir elo non rcman
Q^elonon onischa l'inperer K. man.
Ole jomi stetc à lever celé nan;
E quando fo levé , si se fe en avan,
La lesta oit enbindea stroitament d'un pan,
Dont ne parlent le petit e li gran.
Meesmo li rois s'en rise planeman.
E quello nan non fo mie enfant ,
A Dula persooa qe estoit vivan
I
187—209 Macaire. 19
Plus de uit jors jut j ne se pot lever,
Dont en la cort se vont esmerveiller.
Li rois méismes le fesoit demander ^
Et Valait sempres Macaires essoiner.
Que Mus ert encoste d'un piler,
Chiefotfroissié, mais tost s'iroit lever j
Si qu'à la cort poroit il repairier.
COMENT LI NAINS FU DURES.
Segnor, oih , sachiès à escient
Que de Maience celé malvaise gent
One ne cessa mener noise et bobant;
Guerroia sempres Renaut de Montauban ,
Et si traï Olivier et Rolant,
Les .XII. pers et lor compaigne grant.
Or veut trair la roine au cors gent;
Par son voloir n'ira ja demorant
Que ne honisse Kallemaine le franc.
Uit jors malades fu li nains acouehans;
Quant levés fu , si se trait en avant,
Chief ot d'un paile bendè estroitement ,
Dont chascuns parle , // petit et li grant.
Li rois méismes en a ri bonement.
Et li maus nains , qui n'ot pas sens d'enfant ,
Ja à nului que fust el mont vivant
JO MaCAIRE. Jio— a;i
De la raine cl non dise nian.
Cun le çivaler stete d'açel jor en avan ,
Plus da la raina el non vail davan.
Por q'el conose sa ira e mal talan ,
N'en fo pais oiso da le cire davan.
E la raine le quer e sil deman ;
E li nan fu sajes , si stoit pur da lunlan.
Q[le donasl toi l'avoir d'Orian,
No li aliroit da celc jor en avan
Plus aparler ne aler en ses man.
E li maivas home qi sla senpre en lorman ,
Scnpre se porpensc à far Iraiman.
Deo le confonde, le père roi man !
Por lui fo la raine meso in gran torman ,
Cun vos oldirés, se serés alendan.
COMENT MaCARIO CÛNSEIA LI NAN.
Li mal Macario, li fcl el seduant,
Ven à li nan si le disl en oiant :
« Nan , fait il , de loi se son dolanl
V Se lu ai eu onla ni engobramanl ;
• Ma se volisi ovrer à mon lalant ,
u De la raine prendcresc mo vençamant :
u Arsa scroii i li fois ardant. »
Dist li oan : u Et altro non demant.
310 — 232
Macaire. 21
De la roïne nen a mais dit noient.
0 les barons se tint d'ore en avant,
A la roïne plus ne vait en présent;
Quar il conoist s'ire et son mautalent^
Ne H osast aler seoir devant.
Et la roïne le quiert et sil demant]
Mais cil fu saiges, si se vait aloignant.
Qui H donast tôt lavoir d'Orient.,
Ja ne liroit de cel jor en avant
Plus aparkrne faire son commant.
Et H cuivers est sempres en torment
Et traïson sempres vait porpensant.
Diex le confonde, li pères raemans!
Par lui fu mise la roine en grant torment,
Corn vos orréSf se estes atendant.
COMENT MaCAIRES CONSEILLE LE NAIN.
Ll maus Macaires, li fel, li soduians,
Al nain s'en vient, si li dist en oiant :
« Hé! nains, fait il, de toi sui je dolens
a Se as eu honte et encombrement;
« Mais se volsisses ovrer à mon talent,
(c De la roïne prendroie vengement :
(c Arse et brute seroit enjeu ardent. »
Et dist li nains : « Et autre ne demant.
2
22 MACAlKh. an— >(6
a Se eo de lei me veist vençamant,
« Si çoiant non fu uncha à mon vivant.
€ Quant me remembre cun me çito avant
1 Çoso de li soler, oitra me mal talant ;
« De moi vençer a ço molt gran talant. »>
Dist Machario : a Vu si pro e valant,
« Et eo vos donaro tant cro e arçant
j Richi en sera tôt ii ves parant.
«» Penseo m ai tuto ii traïmant
«i Como d'cle se vençaren al presant. »
Distii nan : « Dites le moi davant,
Et eo li faro tuto li vestre comant ;
a Mais de le parler no me deisi niant,
« Qe plus la doto non faroie un serpant. «>
Dist Macario : « Nu faron saçemant.
«' Usançaest de l'inpererdi Frant,
o Cascuna noit, avan l'aube aparisant,
o A le matin el se leva por tanp ;
• Quant elc estoit çanté, si s'en torna eramant
o Entro son leito, en la çanbra coiçant.
« Se lu vo far vendcte, fa la ensemanl
« Si saçement que nés un note sant :
• Derer da l'uso l'alira acovotant
• Q]^cl no te vcza nés un hom vivant.
I
253— 2jé MaCAIRE. 25
a Se je pêusse d'ele avoir vengement ,
« One si joians ne fusse en mon vivant.
<( Quant me remembre com me geta avant
« Jus del soUery à poi d'ire nefent;
a De moi vengier ai je moult grant talent. »
Et dist Macaires : « Soies preus et vaillans ,
« Et vos donrai tant or et tant argent
a Riche en seront îuit H vostre parent.
a Porpensè m'ai trestot iengignement
« Com nos porrons vengier d'ele erranment. »
Et dist il nains : « Dites le moi devant ^
« Et je ferai tôt le vostre commant;
« Mais iaparlernt me dites noiant,
a Que plus la dote ne feroie un serpent. »
Et dist Macaires : « Fesons le saigement.
<i // est costume l'emperèor des Frans ,
« Chascune nuit, ains l'aube aparissanty
« Que il se lieve à matines par tans ;
« Quant sont chantées , si s'en terne erranment
« Dedens son Ht, en la chambre couchant.
« Se quiers vengance , fai la par tel covent
« Si saigement nus ne te soit sentant :
a Deriere ihuis Viras acovetant
« Que ne te voie nés uns el mont vivant.
MaCAIRE. 5(7— 180
De çœ meesme parole.
a Nan , dist Machario, se tu vo bon ovrer,
a De una colsa eo te voio conscler,
« Qe aprcso la çanbre le dizi acovoter
n Qe nul homo te posa veoirni esguarder.
« Quando li rois si s'aneroit lever,
« Por aler al maitin à so ora çanter,
«« De manlenant tu t'anera lever,
« Davanti son Icit tu t'anera despoiler,
o Aprcso la raina tu t'anera colçer.
a Tu c petit, si t'anera convotcr,
0 Quando li rois reparira darcr,
a Entro le leto el t'anera trovcr.
o Senpre di toi el avéra mal spcr,
«• De toi ofcndrc li paroit vituper ;
« El ne fara quérir et demander,
e E quando li rois t'en ira à demander,
a Tu dira senpre , no te di car doter,
« Qe la raina l'ega fato aler,
« Sovcnte fois et aler et torner. »
Dist te nan : a Lasa â moi quel penser;
a Mcio le faro net savere deviser
« Se me reese d'cle pur vençer,
e Ça maior don non voio ni non requer. ■
Di>t Macario . h No l'rstove doter;
257—280 Ma CAIRE. 2$
De çou meesme parole.
a Nains, dist MacaireSj se tu vuds bien ovrer,
« Gentil conseil te saurai bien doner,
« Qu'emprh la chambre t'estuet acoveter
« Qu^on ne te puist ne véoir nesgarder.
« Quant l'emperere si s'en ira lever j
« Por aler s'ore à matines chanter,
a De maintenant et t'en devras lever,
« Devant son Ht t'en iras despoil 1er y
a Lez la roine te covenra couchier;
a Tu ies petis , t'iras acoveter.
a Et quant H rois ertarrier repaires
a Et il t'aura ens cl lit atrovéj
o Ja n'aura il envers toi qu'àirer.
a De t'adeser li sembleroitviltés;
« // en fera et quérir et mander,
« Et quant li rois fen ira apeler,
c Ja li diras , ne te covient doter,
a Que la roine t'ait fait îaiens aler,
o Sov ente fois et aler et torner. o
Et dist li nains : a Laisse moi ce penser;
o Miex le ferai nel saurois deviser.
« Se m'avenist ancor d'ele vengier,
a Ja maior don ne vuel ne ne requier. »
Et dist Macaires : a Ne t'estuet esmaier;
26 MaCAIRE. a8i-)a7
« Apreso sero por ton cor defenscr. »
Disl li nan : « Vu farés como ber.
« Or vos Usés e lasés moi ovrcr,
tt Que je so ben ço que li ait mcster. »
Dist Machario : « Tu n'atendi bon loer.
<> Ça de ces ovra no t'en pora blasmer :
« Quando li rois t'en aoera demander,
•• Senpre dira, e no t'avera doter,
a. Qc sovente fois ela t'ega fato aler.
« L'nde li rois, s'el no se vora vergogner,
« Ad albe spine elo la fara bruxer. »
Dist le nan : a Et altro non requer. u
Li nan remis al paies droiturer,
E Macario s'en vail cum li altri çivaler
Entro sa çanbra à dormir et à polser.
Et li mal nan s'en vait acovoter
Derer da l'uso de la çanbra prinçcr.
E al maitin, quando li rois se vait lever,
Si como el prisl l'uso à trapaser,
El cil nan ne se fe mie lanier :
Davanli le Iclto se vait aseler
Et se despoile , si se pris à deschalçer.
Descr ta banca lasa so drape ester,
Entro le leto se vait acolçer.
Et [Ija raina se dorme , qe non a mal penser.
Nen cuidoit mie ço qu'cle poust encontrcr :
De traiter oui homo se poit guarder.
■307
Macaire. 27
« Empres serai por ta vie tenscr. »
Et dist H nains : ce Vosferés corne ber.
ce Or vos taisiés et me laissiés ovrer,
ce Que je sais bien ce qu'il i ait mestier. »
Et dist Macaires : ce En aten bon loier.
ce Ja de ceste oevrc ne feras à blasmer :
ce Quant Vemperere t'en ira apeler,
« Sempre dirasy et ne festuet doter,
(c Sov ente fois 0 soi t'ai fait aler.
<c Dont, se ne vuet H rois se vcrgoignier,
(( A aube espine il la fera brusler. »
Et dist li nains : ce Et autre ne requier. ^j
Li nains remest ens el palais plenier;
Vont s'en Macaires et Vautre chevalier
Ens en lor chambre dormir et reposer.
Et li maus nains s'en vait acoveter
Deriere Vuis de la chambre roiel.
Et le matin, quant s'est li rois levé.
Si come Vuis se prist à trespasser,
Et icil nains ne fu mie laniers :
Devant le lit si se vait asegier
Et se despoille et prent à deschaucier.
Desor la banque laisse ses dras ester
Et si se vait ens el lit acouchier.
Et la roïnc se dort sans mal penser.
Ne cuidoit mie que péusî encontrer :
De traïtor ne se puet nus garder.
>S Macaire. ioB— no
COMENT LI ROIS SE LEVE.
Ll rois se levé quant le matin fosoné,
A saçapela eio s'en fo aie;
De nula rcn non ait mal pensé.
Et II mal nan fo en son leto colçé.
Et quant matin en fo dito e çanté,
Arer s'en tome como esteit usé.
E quant el fo en sa çanbra entré,
Davant son leto el oit reguardé,
Vi sor la banche qui pani soso e«;tc.
Quando levi, molto se n'e mervelé,
E pois en le leto vide del nan le çé :
Anq' el fust petit, groso l'oit cquaré
Ne le dise ren, tuto fo trapensé.
Quando le vi, tuto fo trapensé.
Granl oit li dol par poi non fo racés.
For de la çanbre, sença nul dcmoré,
S'en fo ensu sor la sala pavé.
Machario li irove, que ça estoit levé.
Qe de quel* ovra estoit ben doté.
Di altri civalcr li furent plus de se,
Li rois li apcle, si li uit demandé :
a Segnur, fait il, avec moi vené,
« Se Icverés mon dol et ma ferté.
3o8— J30 MaCAIRE. 29
COMENT LI ROIS SE LIEVE.
Ll rois se lieve as matines soner^
A sa chapele est maintenant aies ;
De nule rien n'est il en mal pensé.
Et li maus nains fu en son lit conciliés.
Et quant matines ot on dit et chanté ,
Arrier s'en torne corn ert acostumés.
Et quant est Kalles ens en sa chambre entrés ,
Devers son Ut se prist à resgarder.
Voit sor la banque ices dras sus ester ^
Et quant les voit, moult s'en est merveille.
Puis a véu el Ut dou nain le chief:
Cilfu petis , mais l'ot gros et quarré.
Nostre emperere ne li a mot soné ,
Quant l'a véu , ains est tos trespensés.
Grant duel en ot, par poi n'est esragiés.
Fors de la chambre, ni a plus demoré ,
S'en est issu en la sale el pavé;
Macaire i trove qui ja estoit levés ,
Qui de celé oevre bien se pooit doter.
D'autres barons i furent plus de set.
Li rois les voit , si les vait apeler.
a Segnor,fait il, or avec moi venés,
a Si leverés mon duel et ma fierté
;o Macaire. n«— IJ7
« Qe me fa Blanciflor, qe tant avoit amé ;
c Qc por un nan cla m'a vergogne.
a Se non créés, venés , si la veré. »
Toti li ont en sa çanbra mené ,
Le nan el goil toi primeran moslré.
Quant cil le veent, molto se n'e mervelé.
E la raine si se fo rcsveilé ;
Quando vi qui baron , tota fo spavenlé.
D€ soi défendre nient en fust parlé.
a Segnur, disl li rois, qe conseil me doné ? >»
Li primeran Machario oit parlé.
o Bon rois, fait il, nen vos sera celé,
a Se vos ne la brusés , vu serés desoré ,
o Et nu con vos nu seri vitoperé
n Da tôt li mondo e davant e daré. «
Volez oîr del traïtor renoié ?
Le nan el oit qucri e demandé.
a Nan , fait il , di mo por ton veric
a Con fo tu oiso eser ça entro entré ?
« Con le venis tu e por quai volunté ?
— Monsegnor, dist le nan, e voio qe vu saçé
a Nen seroie mie in sta çanbra entré,
« Ne in ste leto non seroie colçé,
« S« no le fose clamé et apelé
c Da la raine, por far sa volunté ,
c E una fois e ben quaranta se. »
Coii diitli nan con li fo ordeoé
Ht— ÎJ7 MACAIRE. 31
(' De Blancheflor que tant avoie ami;
« Que por un nain ele m'a vergoigné.
« Se nel créés , venés , si la verres. »
T restas les a en sa chambre menés ,
Le nain lor a tôt primerain mostré.
Quant cil le voient, moult s'en sont merveille.
Et la roïne si se vait esveillerj
Les barons voit, n'ot en soi qu'esfraer.
De soi desfendre noient n'en fu parlé.
ft Segnor, dit Kalles , quel conseil me donés ? »
Tôt primerains Macaires a parlé.
« Bons rois , fait il , ja ne vos ert celé,
a Se nest bruïe , vos serés vergoignés ,
« Et nos 0 vos en serons tuit blasmè
« De tote gent et devant et derrier. »
Volés oïr dou cuivert renoié ?
Le nain ot il et quis et demandé.
« Hé! nains , fait il , or me di par verte
« Corn osas tu estre çaiens entrés ?
« Corn i venis et par quel volenté ? »
Dist H nains : « Sire, par foi, vos le saurés :
a Ja ne seroie en ceste chambre entrés ,
« Ni en cel lit ne seroie couchiés ,
a Se je n'i fusse mandés et apelés
« Por la roïne faire sa volenté,
a Et une fois et bien quarante et set. »
Si dist li nains com H ot ordené
)2 MaCAIRE. h8— )8o
Da Machario, li faiso renoié.
Quel le destrue c'a li mondo in posté !
E rinperer oit plevi e curé
Qc la raina sera arsa e brusé.
De escuser soi la raina non fo moto parlé ;
Tal vergogna oit non oit le çevo levé ,
Ëla se dama dolenta, mal aguré.
COMENT FO PRESA LA RaINA.
Quant la raine oit vécu quele jenl
E vi li rois de tanto mal talent ,
Machario vi apreso lui ensement
Qc l'acusa duro et asprament
Pur debruser e no d'altrotorment ,
Donde fo presa d'acclle maie jent.
En une part la mené secretament
Li nan da une altre part, darai pendent
Que la novcle s'csparse por la jent ,
Forme Paris , e darcr e davent.
Çascune la plure, d'cle furent dolent ,
Porqe tanto estoit savia et avinent,
[)ei so donava i la povera cent ,
A li poveri çivaler qi non avoit teniment ,
A ses mulcr dava le vestiment.
Cascun pregava Deo dolçement
358—580 Macaire. 3j
Lifd Macaires, H cuivers renoiés.
Cil le destruie qui tôt a à jugier !
Et Vemperere ot plevi et juré
Ardoirfera la ro'ine et brusler.
De soi desfendre n'a ele mot sonè;
Tel vergoigne ot n'en a le chief levé ,
Maléurée , lasse se vait clamer.
COMENT FU PRISE LA ROINE.
Quant la roïne ot véu celé gent
Et voit le roi qui tant a mautalent ,
Macaire voit empres lui ensement
Qui l'achoisonne et dure et asprement
D'estre bruïe et non d'autre torment ,
Dont prise fu d'icele maie gent.
A une part l'en mènent coiement
Et le nain d'autre à celée , entretant
Que la novele s'espandoit par la gent ,
Parmi Paris , et derrier et devant.
Chascuns laplore , d' ele furent dolent ,
Que tant estoit saiges et avenans,
Dou suen donoit tant à la poure gent ;
As chevaliers qui n'orent tenementj
A lor moilUers donoit le vestement.
Chascuns prioit Damedieu doucement
Macaire.
j^ MaCAIRE. ;8i-40!
Qe la gardase d'aco si fer tormenl
Como «toit de le fogo ardent.
Meesmo l'inperer d'ele era dolent,
Q;c1o l'amava de fe e dolçemeni ;
Mais tanto temoit li blasmo de la jent
Qc de l'escanper el non po far nient
Q^ela non mora à dol c à torment.
E cil Macario , cun tuti ses parent,
Encontra le senpre stava vi atent
De condur le à le fogo ardent.
Conseil dona à li rois spese fois o M.vmt
Qe d'ele faça tosto le çuçement :
u E se nol faites , sacè ad esient
c Qc blasmé en serés entre tota la jent ;
a Petit e grandi vos lira por nient. »
COMENT Macario acusoit la Raine.
QUANDO li rois intende li baron,
Desovra tôt li parent Gainelon ,
Q<î contra la raine furent si enpron
De le oncir sença recnçon ,
Le rois la plure el le duc Naimon.
Li enperere , quando vide la tençon
Qe altri pin . e altri non sa bon ,
De çuçer la raine fasoit mencion.
38S--40J Mac AI RE.
Que la garist de si très fier torment
Corn d'estre vive getée en feu ardent.
Li rois méismes estait d'ele dolens ^
Que il Vaimoit de fi et tinrement;
Mais tant dotoit le blasme de la gent
De l'espargnier ne pot faire noient
Qu'ele ne muere à duel et à torment.
Et cil MacaireSj o lui tuit si parent,
Sempres estoit encontre ele atendant
De la conduire et mètre cl feu ardent.
Le roi conseille mainte fois et sovent
Que d'ele tostface le jugement :
« Et se nel fêtes , sachiès à escient
« Blasme en aurés entre tote la gent;
« Petit et grant vos tenront por noient. »
COMENT MaCAIRES ACUSOIT LA ROINE.
Quant ot U rois entendu les barons ,
Desore îos les parens Ganelon ,
Vers la roïne que furent tant embronc
Que de Vocire sans point de raençon ,
Des iex la plore o le bon duc Naimon.
QuanCTemperere a véu la tenson
Que as uns plaist, n'est mie as autres bon ,
De la roinejugier fist mencion.
35
)6 Macaire.
404— 4 îo
Li rois si ie à seno de saçes hon :
Li rois n'apcla c Riçer c Nainion,
E des autres qe furent de gran renon
Si le fo Machario, que le cor Deo mal don !
Cil le destrue qe sofri pasion ,
Qe lui e qui de Magance son
Senpre in le mondo i ten risa e tençon !
Or fu asenble à far questa çuçeson.
Li mal Macario nen dist si mal non
Contra la raine c'oit clera façon ;
El dist al rois : « Entendes moi, K.
a Qui qi vos ame , si vos tcnl un bricon
u Quant la justisie vos en menés si Ion ,
« E se creeiés al duc Naimon ,
a Vu serés desoré e vitupéré cl mon ,
o Questc tal colse qe le petit garçon
o Si ne çanta de vu mala cançon. »
N. Tintent , si ten le çevo enbron ;
Tel dol en oit par poi d'ire non fon.
Ça parlera , oldando li rois K. :
a Çentil rois sire , intendés ma rason :
c Deo me confonda qe sofri pasion
« S'eodiro altro (je voir non.
u Vu demandés conseil , e les lecontradion
a Si cun çelor qe oit mal cntcncion
« De la raina qe Blanciflor oit non.
a D'ele i foit grande la çuçeson ,
404—430 MACAIRE. 37
Li emperere sifist que sages hon :
Il en apele et Richier et Naimon ,
Et asés d'autres qui sont degrant renon.
S'ifu Macaires , cui li cors Deu mal don !
Cil le destruie qui sofri passion ,
Que il et cil qui de Maience sont
Tôt jor cl mont murent noise et tenson !
Or sont ensemble au jugier li baron.
Li mais Macaires nen a dit se mal non
De la ro'ine qui clere ot la façon ;
Distau roi : « Kalles , entendes ma raison.
« Qui qui vosaint, si vos tien à bricon
(c Quant lajoutice vos en menés si lonc ,
« Et se volés croire le duc Naimon ,
« Honte en aurés et reprovier ci mont ,
« En tel manière que li petit garçon
a En chanteront de vos maie chançon. »
N aimes V entent , si tint le chief embronc;
Tel duel en ot par poi d'ire ne font.
Ja parlera , oiant le roi Kallon ;
« Gentis rois sire , entendes ma raison :
« Diex me confonde qui sofri passion
« Se je di chose qui ne soit se voir non.
« Conseil querés ; tel i contrediront
« Si come cil qu'ont maie entencion
«• Vers la ro'ine qui Blancheflor a non .
« Jugier la vuelent par grant a'irison,
?^ MaCAIRE. 4U— 4n
« Ni no sa mie de qi fila ela son.
« Si saust ben qe avenir poron ,
« I laseroit m no la çuçei on ,
« Trosqua i saveroit d'ele la çuçeson
< Se son pcr le volcsc o non.
« S'el a peçc, ensi cun nu irovon ,
« Digna e de mort ; se proer se poron
« Colsa como no , nu la resplenteron.
COMENl N. PAROLE.
" Emperer sire, disl N. de Baiver,
« Non crés pais conseio de liçer.
« Grande est l'ovra qi la vol deviser;
« Blanciflor la raine, c'oit le viso tant cler,
« Soa fila estoit qi e grant enperer,
■ De Costantinopoli , ensi se (a clamer.
" Molto oit tcre à tenir e guarder,
« Si poit de gent far asamiler.
- C^ando oldira le novele conter
<• De soa file si vilment ^uçer,
" E no cre qe vos ami la monta d'un dîner.
« Asa fo» po far guère, onta c engonbrer.
• E vos dono conseilo que la deçà conserver
" Tant qe i son per vu manda mesaçer
" Tôt r.if.iirf r (!irr r r.r.nrr .
43J— 455
Macaire. 39
« Et si n'ont cure quels est s'estracion.
« Se bien séussent corn ehevir en porront ,
« Ja nefesissent del plait plus lonc sermon ,
ce Trosque séussent de celé amendison
ce Li rois ses pères se la volsisto non.
ce S'ele i a colpes , et s'ensi le trovons ,
c< A mort soit mise; mais seprover puet on
ce Chose que noUj nos la respiterons. »
COMENT NaIMES PAROLE.
ce SiRE empcrere , dist Naimes de Baivier^
« Ne créés pas conseil de pautonier.
ce Crans est l'ovraigne qui la vuet deviser;
(c Que Blancheflor , la roïne al vis cler,
ce Fille est à roi qui tient moult grant regnier,
ce Costantinoble j ensisefait claimer.
ce Moult a de terre à tenir et garder^
ce Et si puet faire moult de gent asembler.
ce Quant oira les noveles conter
ce De soe fille à tel vilté jugier,
ce Ne croi vos aime la monte d'un denier.
ce Asés vos puet honir et encombrer;
ce Conseil vos doin que V allés espargnier
ce Tant qu'à son père vos mandiés mesagitr
ce Trestot l'afaire et dire et deraisnier,
40 Mac A IRE. 4U— 477
u E po no v'en pora reprender ni blasmer. »•
Li rois l'inlent , molto le pris à graer.
Otrié l'ausl , quant Machario le leçer
Se le vait lot à contrarier.
E si le disl : « Çentil cmperer,
<v Con poés vos ces conseil ascoiter
« Qe ces vos done qe ne vos ama un diner,
u Quant vol qe metés en resplaiter
« Questa justisie qu'e de tan vituper
'» Qe no se poit par nesun hom celer?
tt El s'el est nul que la voia contraster,
« Prenda ses arme e monti en destrier. »
Quant cil l'entendent qe deveienl conseler,
Quando oldent Macario si alternent parler.
Mal aça quel qe voia sego lencer ;
Ne le fo nul qe le responda arer.
Dont vi li rois n'en poit por altro aler
De la justisie no se faça sens tarder.
Quando vi N. li rois asoploier,
De ilec se parte et laso li parler;
De le palais quando se volse dévaler,
Qu^nt l'inperer no li consent aler.
COMENT U Rois parole.
Quando N . oit la parola oie ,
I)e çuçrr la raine li paroit Rran stoltie ,
454-477 MaCAIRE. 4I
« Ne VOS en puistpuis reprendre et blasmer. »
Li rois l'entent, moult le prist à gréer;
Ja l'oîriast, quant li fel pautoniers
Isnelement le vait contralier.
Et si li dist : « Emperere , frans ber,
« Corn poés vos tel conseil escouter
« Que cil te done qui ne t'aime un denier,
« Quant il vos loe de mettre en respitier
« Cestejoutice oh tant a reprovier
« Que par nul home ne se puet ja celer?
« Et s' aucuns est qui ce voille noier,
« Prenge ses armes et si monte el destrier! »
Quant cil l'entendent qui sont au conseiller,
Quant Macaire oient si hautement parler,
Mal de celui qu'osast vers lui tenser.
Nés uns n'enfu qui li responde arier.
Dont voit li rois n'en puet par el aler
Del jugement nelface sans targier.
Quant voit dus Naimes le roi asoploier,
D'illec se part si laisse le parler;
Ja del palais s'en voldra dévaler,
Quant V emperere ne le consent aler.
CoMENT LI Rois parole.
Quant // dus Naimes a la parole oie ,
Et don jugier li pert grans estoutie ,
42 MaCAIKL. 478— )oo
De contrarier Macario li pareil gran folie.
Voluntcra s'en alasl , quant li rois li contralie
Et li rois dolçement le preie
Qe cun Macario, non contrarij ne mie ,
Stia i veoir cun l'ovra sera finie.
EqucI Macario, c'oil le cor enbrasie
Contre la raina, qe peçé nen oit mie ,
Por ço que far non volse la soa comandie ,
Quant li rois Tintent , sa parola oit agraie,
De çuçer la raina s'encor il se plie.
Davant se la fa mener vestua de samie ;
Le rois la guarda, le cor sego omilie ,
Si la pluro , veçando la baronie.
COMENT PARLO LA DAME.
Davanti II rois fo la raina mené ,
E fo vestua d'une porpora roé.
Sa faça qe sol cscr bel e coloré
Or est venua palida e descoloré.
Li rois l'eguarda, por le n'oit pluré.
H quela li guarde, si le oit dito e parlé
•' 0 çentil rois , mal conseil a pié
« Quan lu me çuçi i torto c X peçé !
M Colu qe i toi a le conseil doné
u No t'ama ren d'un dîner mocné.
478- joo Mac AI RE. 45
Et à Macaire contrestergrans folie.
Ja s'en alastj nefustle contralie
Et doucement l'emperere le prie
Que à Macaire il ne contreste mie ,
Remaigne à l'oevre véoir com ertfenie.
Et cel Macaire, c'ot el cuerdèablie
Vers la ro'ine , qui pechié nen ot mie ,
Por ce que faire ne vout sa comandie ,
Quant l'entent Kalles , sa parole a gréie ,
De la ro'ine jugier si s'asoplie.
A lui l'amènent de samit revestie;
Li rois l'esgarde , eus el cuers'umelie ,
Sil'aplorée, voiant la baronie.
COMENT PARLA LA DAME.
Devant le roi la ro'ine ont mené ,
Sifu vestue d'un ch'ier pa'ile roi. '
Bel ot le vis corne rose en esté;
Or l'a tôt pale et tôt descoloré.
Li rois l'esgarde , por ele en a ploré.
Celé le voit , sel prent à araisnier :
« Hé! gentis rois , com mal fuis consilliés
« Quant tu méjuges à tort et à pechié!
c« Cil qui vos a si fait conseil doné
« Ne t'aima mie un denier monéé.
44 Macaire.
a Deo sa 11 voir, la voira maesté ,
«t Se contra to honor eo fi uncha peçé
«« Ne sa ma l'avi en cor ni en pensé. »
Dist II rois : u De nient parlé.
« Atrové estes in le mortel peçé
" Si que escuser de ço ne vos poé.
o De vestra arma or vos porpensé ;
*> Vestra justisia est ça ordené.
" Qui fal à son segncr doit eser brusé.
Dist la dama : « Vu fari gran peçé# »
Dist Machario : « El vos torna à vilté
a Quandocun le tanlo derasnc. ••
N. l'oldi , si n'oit le çevo corlé
Et infra soi planero conselé :
" Questa )ustisia çer sera compré ;
<• Mal vera K. de Gaino li parenté,
« Qe senpre l'oit traT et engané. »
COMENT K. OIT DOL.
Li enperer k cui Krança apant
De Blançiflor el fo gramo e dolant.
Plu» la amoit de ren qe fust vivant ;
Maitpor la justisie non poitaler avant
Qe de le non iiÇ2 çuçcment ,
Tutol malgré, qi \Vn ne m çjni
JOI — JJ)
501—525 Macaire. 45
« Diex sait le voir, la voire majesté ,
« Contre t'onor se je fis onc pechiê
« Ne se me vint en cuer ne en pensé. »
Et dist li rois : « Por noient en parlés.
« Atrovée estes ens el mortel pechié
(( Si qa'escuser de ce ne vos poés.
« De la vostre arme or tost vos porpensès ;
tt Vos jugemens est huimais ordenés.
«. Qui son segnor faut doit estre bruslés! v
Et dist la dame : « Vos fériés grant pechié. '^
Et dist Macaires : « Ja vos tome à vilté
« Quant avec elesi lonc tens deraisniés. »
N aimes l'oï, s'en a le chief crollé;
A soi méisme a dit sans delaier :
« Cil jugemens sera chier comperé; .
« Mar verra Kalles le félon parenté,
n Qui tozjors l'a trait et engané! »
Comment Kalles ot duel.
Li emperere oui douce France apent
De Blancheflor fu et grains et dolens ,
Que il Vamoit sortote rien vivant;
Mais por joutice ne pot aler avant
Ne face d' défaire le jugement ,
Toi maugré lui , qui qu'en rie 0 qu'en chant.
46 MaCAIRE. )a4— iw
Li rois comande .\ h ses canierlant
Qe cela dame iroa davant,
De noir soia vestue e bindea ensemant ,
Si como femeqi vait i tormant.
Desor la place de li pal^ davant
Fo aporté legne , espine qc pongant ,
Inluminer li fait ungran fogo ardant.
Pormi Paris et darer et davant
Pu la novela portea por la çant.
Ne remis dona qe fust de valimant ,
Ne çivaler , péon ni merçaant ,
Qe non vegna à la plaça veoirle çuçemant.
Çascun la plure de cor c de talant.
E Blanciflor si fo mené davant
Suso la place, davant li fois ardant.
Quando la vi le fois , en çenolon se rant ,
E dolçement prega Deo onipotant
Qe de qucla juslisie li soia rcmenbrant ,
Si como mor sença nul falimant ;
Ne mostri Deo vendeta in brève tanp
Si qe le sa^a le petit et li grant.
Or cntandés , segnur e bona çant ,
Se qe fe Machario le seduant.
El fo venu da li fois davant ,
Li nan cl porte cnbraçc soicmant,
Et po après à domander li prani.
« Nan, nan, fait il, di m'o segurrment,
524— jjo Macaire. 47
Li rois commande à un suen chambrdenc
Menée soit la dame tôt avant,
De noir vestae et bendée ensement ,
Si come feme que l'en mené à torment.
Desor la place del palais là devant
Aportent bois et espine pongnant ,
Si font esprendre un moult grant feu ardent.
Parmi Paris et derier et devant
Fu la novele portée par la gent.
N'i remest dame quifust auques vallans ,
Ne chevaliers ne péons ne marchans ,
Illec ne viegne véoir le jugement.
Chascuns la plore de cuer et de talent.
Et Blanchcflor menée est tôt errant
Sus en la place devant le feu ardent.
Quant l'a véu , à genoillons se renty
Et prie Dieu , le père omnipotent ,
Ctste joutice n'aille en obli mettant,
Si come muert sans pechié tant ne quant;
Venjance en monstre Damediex ains lonc tens ,
Si que le saichent li petit et li grant.
Or entendes , segnor et boine gent ,
Que fist Macaires , // cuivers soduians.
Devant le feu ez le vos acorant ,
Entre sa brace le nain s'en vient portant ,
Et puis tantost à demander li prent.
« Nains , nains , fait il, ne me le va celant,
4S Macaire. n>— (7?
« Fus tu cun la dame uncha à ton vivant .'
— Oil voir, sire, una foise sesant
c Son stat cun le in leto et altremant. »
Quando Machario l'olde, vcçando tote jant ,
En le fois le rue si dis : a Va, seduant ,
tt Honi a tu li rois , ne t'ençira vantant ! »
Et ensi le fait arder in fois ardant.
Por ço le fi Machario que mais en son vivant
Dequella colse ma nondeise niant.
Or fo li nan arso , qe fe li tradimant ;
Çascun qe le voit , e petiti e grant ,
En laudent Deo e la majesté sant.
E la raina foiiec davant ,
E plura e plançe e ses man destant,
E prega Deo e la majesté sant
Merçe aça de sa arme à li son comant.
COMENT LI Rois APELK LA RaINE.
La raina fo davanti l'inperaor,
Et ilec stoit i dol e i plor.
E prega Deo, li mainc redentor,
Qe de soa arma faça li mcior,
Qe aler posa à la gloria maior,
Li rois apete, si le dis por amor :
a Çentil rois sire , por Deo le crcalor,
5JI— Î7Î Macaire. 49
« Avec la dame fuis onc en ton vivante
— 0/7 voifj sire, une fois et bien cent
« Fui avec ele el lit et autrement. •»
Quant l'oit Macaircs, voiant tote la gent,
El feu le rue si dist : a Va, soduians ;
« Le roi honnis , ne t'en iras vantant f »
Ensi le fait ardoir elfeu ardent.
Por ce le fist queja en son vivant
De celé chose mais ne desist noient.
Or li nains art, U traître pus lens ;
Chascuns le voit , li petit et li grant ,
La maïstè de Dieu en vont loant.
Et la roine remaint illec devant,
Et plore et plaint et ses poins vait tordant.
Et prie Dieu cui tos li mons apant
Qu'il ait de s'ame merci par son commant.
Comment li Rois apelle la Roine.
La roïne est devant l'emperéor;
Illec se tient et à dol et à plor.
Et prie Dieu , l'umainne rèentor,
Que voille faire de s'ame le meillor,
Que aler puist à la gloire maior.
Le roi apele, si li dist par amor:
« Gentis rois sire , por Dieu le criaîor,
Macaire.
^0 MaCâIRE. 574—596
« Faites à moi venir un saçes confesor
m Qc moi sâça conseler de me peçé maior. r>
Disl li rois • o Volunter, sens demor. o
L'abés de San Donis, e no so nul milor,
Toslo le fe venir, qi ne çanli ni plor.
COMENT l'aBES PAROLE.
A gran mervele fu saces l'inperer ;
L'abés de San Donis eio fa demander,
Davanti la raine elo fait à présenter.
K Dama, dist l'abés , volés vos confeser ? »
Disl la raina : u E vos e demande e quer. »
Davanti l'abés se vait ençenoler,
Tuti li so peçé li oit dito e conté ;
Ne pur un solo ela no li oit lasé ,
Quanti se n'oit i son tempo remembré.
Et in apreso li oit aderasné
Como cstoit ençinte d'un arité
Lequal estoit del rois de crestenté.
E i'abes fo saço e dotriné ;
Por rason la oit ademandé
De cclla colsa dont estoit calonçé.
Di&t la raina : u Diro vos venté ;
« Dec me confonde se diro falsité.
m Çcntil abes, c voie qe vu saçé
pi— ^^6 Mac AI RE. 51
w Fai moi venir un saige confesser,
« Qui me conseille de mes pechiés maiors. »
Et dist il rois : «. Volentiers , sans demor. »
De Saint Denis l'abé, n'en sot meillory
Fist tost venir j qui qu'en chant a en plort.
COMENT l'aBES PAROLE.
kgrant merveille fu Kalles droituriers ;
De Saint Denis a fait l'abé mander,
A la roïne si Va fait présenter.
« Dame, dist l'abes , voles vos confesser? u
Dist la roïne : ce Ce vos demant et quier. »
Devant l'abé se vait engenoiller,
Tos ses pechiés H a dit et conté ,
Nés un tôt sol nen ot ele laissié ,
Quanquc s'en ot à son tens remembré.
Et en après li prent à deraisnier
Si com ençainte de fil 0 de fille ert
Que Kallemaines ot en ele engenré.
Et l'abes fu saiges et dotrinés;
Si l'araisonne et li a demandé
De celé chose dont la vont encorper.
Dist la roïne : «. Vos en dirai verte;
a Dex me confonde se je difauseté.
a Gentis sire abes,ja ne vos quier celer
52 MaCAIRF. {97— 6ï}
a Qe una fois qc eo estoia déporté
n En un çardin , ces me fo encontre,
a Li mal Macario si me fo acosté,
« De drueria m'avoit apelé
« Si como falso , malvasio renoié.
« Et eo da lui bcn me fui défense,
c E malament eo li resposi are,
« E se mais m'aust ces rason conté,
« A mon segnor li averoie derasné.
« Or savès vos qe me fe cil malfé ?
•< A moi avoit li nano envoie
a Con ste parole q'il m'avoit conté.
« Et eo quel nan avi ben page,
« Donde le çevo el n'oit ensanglenté
'« Et in apreso quel traito renoié
« Con quel nan el se fo conselé ;
a Entro ma çanbre lo mis à la celé,
n Quando li rois fo al matin aie,
'« Et m mon lelo fo cel nan colçé
'< Si qe li rois li Irovo quant fu reparié.
« Et eo me dormia , tuta fo spaventé
« Quant vi li rois e li altri çivalé.
« Adoncha fu e presa e lige ,
a E i li fuis eo son como çuçé ,
• A gran torto e à mortel peçé.
•' E vos o (i.lo tuta la vérité ;
« Unde e vos , nobelme abé ,
I
597— 62J Macaire. 53
« Que une fois que j'ierc à déporter j
« En un jardin , mal me fu encontre.
« Lifel Macaires si me vint acoster^
.< De druerie me prist à apeler
« Si corne faus et malvais renoiés,
a Et je vers lui me soi je bien tenser,
ce Et malement H respondi arrier,
« Se tel raison me venist mais conter,
w A mon segnor l'iroie deraisnier.
a Or savés vos que me fist cil maufès ?
u Le nain me prist tantost à envoier
« 0 les paroles queja me vout conter.
« Et je le nain oije moult bien paie,
'- Dont il en ot le chief ensanglentè.
« Et en après cil cuivers renoiés
ce Avec le nain se prist à conseiller;
ce Ens en ma chambre le mist il à celé.
ce Quant fu H rois à matines aies,
(c S'en vint li nains ens en mon lit couchier
ce Si que li rois ri trove au repairier.
ce Je me dormois , si n'oi qu'espoenter
ce Quant le roi vi o d'autres chevaliers.
ce Adont me vont et saisir et hier
ce Et à morir en feu ardent jugier,
ce A moult grant tort et à mortel pechié.
ce Or vos ai dit tote la vérité;
ce Dont vos pri je, sire abes , parpité,
54 Macaire. 614—646
n Qe tuti li altri p^é vu mf perdoné;
<« Ma de questo perdon no vos queroé. »
L'abcs Tintent, ferament l'oit guardé.
Et olde la dama ço que l'oit parlé
A la justisie quant estoit çuçé.
Or voit il ben q'ela dise vérité.
L'abes fu saçes e ben doté ,
E dolçemant la oit reconforté ,
Et si la oit benéi c sagré.
Si l'oit ascolta de tute li so peçé.
Quant a ço fato, si s'en retorna are.
O VI li rois , cela part est aie ;
Ça li sera mante rason conté.
CoMENT LA Raine se confesse,
L'abes fu sages e ben dotrinés;
E que la dame oit ben aderasnés ,
Nesun peçé oit en le trovés
Dont posa eser de nient grauavès.
O VI li rois , cela part est aies ,
E pois apela di baron plu privés :
N. Il dux, li saço e li dotés,
E II Danois qe tant est prisés.
A un conseil n'oit manti menés ,
De le milor et de meio enparentés ;
624—646 Macaire. j5
« Que mes pechiés tresîos me pardonls ;
f« Mais de cestui pardon ne vos reculer. »
L'abes l'entent ^ si la vait esgarder^
Et et la dame si com l'a aparlé
Quant à morir ert ja ses cors jugiés.
Or voit il bien qu'ele dist vérité.
Saiges fu l'abes, et bienfu dotrinés ;
Et doucement la vait reconforter,
Et si la vait benéir et sacrer.
Si l'a oie de trestos ses pechiés.
Quant à ce fait, si s'en retorne arrier.
Où voit le roi, celé part est aies;
Ja H vorra mainte raison conter.
COMENT LA ROINE SE CONFESSE.
Saiges fu l'abes et bien fu dotrinés ;
A ce que Vot la dame deraisnié ,
Nés un pechié n'ot en ele trové
Dont on la puist de noient agrever.
Où voit le roi , celé part est aies ,
Et puis apele des barons plus privés :
Naimon le duc , le saige et le doté ,
Et le Danois qui tant fait à proisier.
A un conseil en a plusors menés,
Tos des millors et miex emparentés ;
«■M
56 Macaire. 647—6^9
Mais de qui de Magençe no le fo un clames,
u Segnor, dist Tabès, e voio qe vu saçés,
«^ Quant à la mort l'omo est aprosmés,
^- Di so pcçé nesun oïl celés
u Qc ni on die toi la vérités.
La raina est avec moi confescs ;
« Toti li so peçé m'a dito e patentés ,
a Si ço trois ben ço qu'cla oit ovrés ,
« Ela poit estre de tel colsa calonçés
« Qc ja mais por le non fo dito ni pensés,
o E de un allra ren m'oit apalentés
a Qe inçinta estoit de filz e d'arités.
0 Unde, çentil rois, guarda que vu façés,
a De le oncir seroit maior peçés
o Que non oit cil qe Dco oit acusés,
•« Donde elo fo sor la cros encioés. »
N. l'oldi, si l'entendi asés.
A le parole qe l'abes oit contés,
El conoit tota la vérités ,
E de cella colsa qe la dama e calonçés
E calonçea à torto et â peçés.
COMENT N. PAROLE A K.
• Enperlr Sire, dist N. de Baiver,
Se VOS voles i mon conseil ovrer,
($47—669 Mac A IRE. 57
Mais de Maience nenfu nés uns claimés.
« Segnor, dist l'abes , ce sachiés de verté^
c( Quant à la mort est l'hom aproïsmés ,
ce Des suens pechiés nés un ne vuelt celer,
« Que il n'en die tote la vérité.
« J'ai la roïne oie au confesser ;
« Tas SCS pechiés m'a gehis et contés,
« Si truis ge bien, à ce qu'ele ot ovré ,
« De tel forfait la puet on encorper
« Si corn par ele nefu dis ne pensés.
ce D'une autre rien m'a ele acertené,
« Si corn enceinte de fil o de fille ert.
« Dont , gentis rois , gardés que vos ferés ;
a Que d'ele ocire seroit plus grans pechiés
« Que n'en ot cil qui Dieu ot acusé,
« Dont il en fu sor la crois encloés. »
Naimes l'oï, si l'entendi asés.
A ces paroles qu'il oit l'abé conter
A conéu tote la vérité ,
Et que la dame, quant la vont encorper,
Encorpée esta tort et à pechié.
CoMENT Naimes parole a Kallon.
<c Sire emperere, dist Naimes de Baivier,
a 5^ vos volés par mon conseil ovrer.
■aMHMI
5^ Macaire. «70—^96
a Un tel conseil vos avero doner
n Qe da la jent vu n'averi bon loer,
« Ne nul sera qe vos posa blasmer.
« Se la dama est inçinta, granl seroit li danger
« De le malement çuçcr.
a Ma, s'el vos plas e volez otrier.
a Vu la farés ad un di ves bailer
'« Qe ne la deçà e condur e mener
a Fora de tôt li veslre régner.
«« E â le averi dir e comandcr
« Q^cla no se lasi ni veoir ni guarder. »
Dist li rois : « Quest'e ben da graer ;
" Meltre conseil ne me pores doner.
« Da q'cl vos plas , cl eo li voie otrier. »
Adoncha fait la dama arer torncr,
Et da li fois la fait desevrer.
Tota la jent en pris Deo adorer.
Li rois vi la raine , si le prist à conter :
« Çentil raina , molto v'avea çcr ;
« Colsa avi fato d'onda ne vos poso amer,
« E vos voio la viu pcrdoner;
« Mais el vos convent in tal pan aler
" Qe mais no ve posa veoir ni esguarder.
« E vos faro très ben acoopagner
« Tant qe serés fora de mon terer. ».
La dama l'olde, si comença i plurcr.
Dist li rois : - Alcz vo coroer.
670—696 Macaire. 59
« Un en ûurés, sel vos donrai itel
« Que de la gent en aurés bon hier,
« Ne n'en ert nus qui vos en puist blasmer,
« S'ele est enceinte , grans serait H dangiers
« De la ro'ine si malement jugier.
« Mais , se vos plaist et volés l'otrier,
« Vos laferés à un des voz bail lier
« Que il l'en doie et conduire et mener
n En terre estrange , fors de vostre regnier.
« Si H convient et dire et comander
« Que ne se laisse ne véoir n'esgarder. »
Et dist li rois : « Bien fait à otrier ;
« Meillor conseil ne me porriés doner.
« Dis que vos plaist, et je le vueil gréer. »
Adonc la dame fait ariere torner,
Del feu la fait partir et desevrer.
Tote la gent en prist Dieu aorer.
Li rois la voit, si li prent à conter :
« Gentis roïne , moult vos avoie chier ;
a Faite avés chose dont ne vos puis amer,
« Et je vos vueil la vie pardoner;
« Mais vos covient en tel contrée aler
« Ne vous puist on ne véoir n'esgarder.
w Et vos ferai tris bien acompaigner
« Tant que serés defors de mon terrier, -i
La dame Vot, si commence à plorer.
Et dist li rois : a Aies vos conréer,
5o MaCAIRE. 697-7M
« En vcstra çanbre e vestir e çalçer,
c Et prcndés de l'avoir qe aies por spenser. »
Disl la raina : « El co li voio olrier ;
<( Voslrc voloir non voio slralorncr. >»
Enlro sa çanbre se voit ad atorner.
E rinpercr non volse l'ovra oblier :
Un son donçcl clo fe apelcr,
Li quai csloit parant de Moranl de River.
En tota la corl no se poroit trover
Nul damiscl plus cortois e ber
Ne qe plus amase l'onor de l'inperer.
Albaris oit non, cnsi se fait clamer.
Plus est loial de nul altro çivalcr.
Le rois le vil, si le prisl apeler :
u Albaris sire , alez vos pariler;
u Cun la raine el vos convent alcr,
« El in tal lois nu la deçà mener
« Tant q'cla soia fora de mon terer.
a E quant averi ço falo , si v'cn lorncz arer. »
Disl Albaris : u Ne le poso contraster;
u Vestre voloir eo faro volunter. »
Adcncha Albaris no sen volse cnlarder ;
Son palafroi el se fe cnselcr
E çinse li brando , non cil altro corer ;
Kl in man cl porte un sparaver.
Tulor li vail darer un so livrer.
l^ dama fait sor un palafroi monter,
^1—ir^ MaCAIRE. 6i
« En vostre chambre et vestir et chaucier,
« Et de l'avoir prendés por despenser. »
Dist la roïne : « Et vueil je l'otrier;
« Vostre voloir ne vueil je trestorner. »
Ens en sa chambre se vait ad atorner.
Et l'emperere ne vont l'ovre oblier :
Un snen donsel a il fait apeler,
Parensfu il de Morant de Rivier.
En tote cort ne se péust trover
Nus damoisiax plus cortois ne plus ber,
Ne qui l'onor don roi éust plus chier.
Aubri ot nom^ ensi se fait claimer.
Plus est loiaus de nesun chevalier.
Li rois le voit, sel prist à apeler :
« Auberis sire , aies vos aprester;
c< 0 la roïne vos covient il aler,
« Et en tel lieu nos la devis mener
« Tant qu'tle soit defors de no terrier;
« Et quant aurés ce fait , tornés arier. »
Dist Auberis : « Ne le puis contrester;
« Vostre voloir ferai je volentiers. y>
Donc Auberis ne se vont àtargier;
Son palefroi se fait il enseler
Et ceint le branc , sans plus, à son costé ;
Et sor son poing portoit un espervier.
Tosjors li vait deriere uns suens lévriers.
Un palefroi fait la dame monter,
62 Macaire.
Vu la mené, qi ne doia noier,
Por le çamin se misl ad erer.
Gran dol ne moine péon e çivaler,
Meesmo li rois cum N. de Baiver.
COMENT s'en VAIT ALBARIS.
Quant Albans icnvait dcscvrant,
Gran dol ne mené le petit et li grant;
Meesmo li rois la plure tendrement.
El cil s'en vait por le çamin erant.
Quant Machario veoit qe estoil en tant ,
A son osier el s'en vent corant.
Cil le deslrue qe formo Moisant !
Por lui fo la raine mesa in gran tormant.
Elo s'armo d'arme e de guarnimanl,
Et si monto sor un auferant.
Prist una tarçe , i li col se la pant,
Et in sa man una lança trcnçant.
De Paris ese soeve e belemant,
Ker Albans el vait civaiçant.
Et Albaris s'en vait cun la dama ensemant
Ne se doUva de persona vivant.
Las! qe li rois no sa del traimant
Qe II oit fato Mrichario le seduatK.
Tant s'est Albaris aies avant
7»4— 746
734—746 Mac AI RE. 63
0 lui l'en mené, cui qu'en doic anuicr^
Par le chemin si se mist à l'errer.
Grant duel en mènent péon et chevalier,
Li rois mlismes 0 Naimon de Baivier,
COMENT s'en VAIT AUBERIS.
Quant Auberis s'en vait si desevrant ,
Grant duel en mènent li petit et H grant;
Li rois mêismes en plore tenrement.
Et cil s'en vait par le chemin errant.
Quant voit Macaires que il en estait tens,
A son ostel il s'en vient tôt corant.
Cil le destruie qui forma Moïsant!
Por lui fu mise la roine en grant torment.
D'armes se vest et d'autre garnement ,
Si est monté desor un auferrant.
Prist une targe et al col se la pent.
Et en sa main une lance trenchant.
De Paris ist souef et bêlement,
Riere Auberi si vait il chevauchant.
Et cil s'en vait 0 la damt ensement;
Ne se dotoit de persone vivant.
Las ! que li rois ne set l'encombrement
Que li ot fait li cuivers soduians.
Tant a erré Auberis en avant
64 Macaire.
747— 77 J
Qjel çunse ad une fontane , à costé d'un pendant
De una selve mervilosa c grant.
La raina la vi , à covoter la prant;
Ela dist ad Albaris ennoiant :
« Albaris sire , e vos pre e demanl
« Qe à la fontane me mêlés davant.
a Si son lasèe de hoir n'o talant. »
Dist Albaris : a Vu parlé saçemant. >»
Flo desis del palafroi anblant ,
Ven ^ la dame, en ses braçe la prant,
Del palafroi la desis mantenant ,
Sor la fontane Ta mis en séant.
E la dama ne boit qi n'oit gran talant .
Si sa lava le man e le vis ensemant.
Pois si a levé le çevo, si s'a guardé davant
E vide Machario venir esperonant,
E si cstoit armé d'irmc e de guarnimant.
Quando le vi , nen fo mais si dolant;
Molto duramenl à lamenter se prant :
tt Albaris , fait ela , cl nos va malemant ,
a Qe de ça ven li malvas seduant
u Par cui e son caçea del reame de Franc. r>
Dist Albaris : « No vos doté niant ;
a Ben vo savero défendre à tuto me poant. >»
Atant ecote vo:^ li traitor seduant ;
Ad Albaris clo dist ennoiant :
« Tu no la po mener par nula ren vivant.
I
747—773 Mac AI RE. 65
Qu'une fontaine encontre à un pendant ,
D'une forest et mervillose et grant.
Là voit la dame , à covoiter la prent ,
A Auberi si a dit en oiant :
« Auberis sire^ et vos pri et demant
« A la fontaine que me metiés devant.
a Tant sui lassée de boivre en ai talent. »
Dist Auberis : « Vos parlés saigement. »
A pié descent dou palefroi ambiant ,
Vient à la dame^ en sa brace la prent,
Dou palefroi la descent maintenant.
Lez la fontaine mise l'a en séant.
La dame en boit qui en ot grant talent ,
Les mains se lave et le vis ensement.
Puis le chief levé , si a gardé devant
Et voit Macaire venir esperonant,
Tôt armé d'armes et d'autre garnement.
Quant l'a véu , ne fu mais si dolens ;
Moult durement à dementer se prent.
« Aubris, fait ele , // nos vait malement ,
a Que deçà vient li malvais soduians
a Par qui sui fors dou réaume des Frans. »
Dist Auberis : « A^^ vos dotés noient;
a Bien vos serai à mon pooirgarans. »
Atant h vos le cuivert soduiant;
Ad Auberi si a dit en oiant :
« Tu ne l'en pues mener por rien vivant;
Macaire. 5
66 Mac AI RE. 774-.7<)6
« Dde faro tôt li mon lalant.
— Ncn fari, dist Albaris , por lo men esiant,
•« Ançi çfrcharw del trençer de mon brant ! »
COMENT MaCARIO PAROLE ALBARIS.
« Machario, dist Albaris, e no vos quer noier,
o Tu m'e por mal avenu darer,
a Por la raine qe m'e donea à guier.
« Quant li savera K. maino l'imperer,
« E li Danois , el dux N. de Baiver,
« Tôt ton avoir no t'avera çoer
« Qjelo no te faça à dos fors apiçer.
u Toma arer, nove dar cngonbreir;
« Ço qe lu pensi no te val un diner. »
Dist Machario : « Tu no la po mener,
o E se de ren tu la vo defcnser,
« El vos estoit à mala mort finer. »
Quant Machario vi q'el no la vol bailcr,
Dccontra lui el ponce son destrcr.
E Albaris si fo pro c liçer;
El tra la spea si le va calonçer.
Se Albaris aust eu son corer,
Ben l'aûst defesa contra un çivaler.
L'un contra l'autre lasa le çival aler.
Albaris teot li brant forbid'açer,
774—796 MACAIRE. 67
ce D'ele ferai trestot le mien talent. »
DistAuberis : « Non f ras, mienensienty
« Ains tasterés del trenchant de mon branc ! »
COMENT AUBERIS PAROLE A MACAIRE.
DiST Auberis : « Ja nel te quier noier,
« Tu m'es por mal avenus cà derrier,
« Por la roïne que je ai à guier.
« Quant le sara Vemperere au vis fier,
« Et li Danois j et N aimes de Baivier,
« Tos tes avoirs ne te porra garder
a Que ne te face as forches encroer.
« Arrierte trai , ne quérir encombrier;
ce Ce que tu penses ne te vaut un denier. »
Et dist Macaires : ce Tu ne l'en pues mener,
c< Et se de rien tu veus son cors tenser,
(c Ja t'estovra de maie mort finer. »
Quant voit Macaires que ne la vuet baillier,
Encontre lui vait poignant son destrier.
Et Auberis sifu preus et legiers;
Trait a s'espée, si la vait chalengier.
S' Auberis fust fervcstus et armés,
Bien la tensast encontre un chevalier.
L'un envers l'autre lait le cheval aler.
Auberis tint le branc forbi d'acier,
68 Macaire. 7«»7— 819
Dever Macario s'en vait cun çengler.
E Macario ponce e broça li destrer,
E brandist l'aste à li fer d'açer.
Macario est armé de arme e de corer ,
E Albaris non ait se no li branc d'açer,
Si q'el po mal cun Machario plaider.
Grant fu la bataile d'anbes dos çivaler.
L'omo q'e desarmé non val un diner
Contre celu qcoit son corer.
Machario fer Albaris de la lança plener ;
El non oit arme qel posa dcfenser,
Pormi le cors lemisl'espé d'açer,
Mono le cela in le pré verdoier.
Quant la raina vi le pla si aler,
En tant como la vi la bataila durer,
Si duramenl se pris à spavcnlcr
Entro le bois s'est aie afiçcr
Q^el no la posa avoir ni reçatcr.
Tutora prega Deo, li vor justisier,
Qe guardi Albaris da mortel engonbrer.
COMENT SE CONDATE MaCARIO CON ALBARIS.
QUANDO la raina a vécu quelo stor,
A grant merveile ela oit gran paor.
Deo redame , li maine criator.
797—819 Mac Al RE. 69
Devers Macaire s'en vait corne senglers.
Et point Macaires et broche le destrier^
Et brandist l'anste ou ot bon fer d'acier.
Cil est don totfervestus et armés,
EtAuberis n'otfors le branc d'acier^
Si que mal pot à Macaire plaidier.
Crans fu la joste d'ambedeus chevaliers.
Hom desarmés ne vaut mie un denier
Contre qui est armés et haubergiés.
Macaires fiert Aubri un cop plenier;
Et cil n'ot arme dont se péust tenser ;
Parmi le cors li mist l'espié d'acier,
Mort l'abati en Verbe vert del pré.
Quant la ro'ine voit le plait si aler,
Tant come voit la bataille durer,
Si durement se prist à esmaier
Que ens el bois s'est alée afichier,
Que ne la puist avoir ne recovrer.
Or prie Dieu, le voirjouticierj
Qu'Auberigart de mortel encombrier.
COMENT SE COMBATI MaCAIRES A AUBERI,
Quant la roïne a véu cel estor,
A grant merveille ot ele grant paor.
Dont Dieu reclaime, lumaine criator.
0 MaCAIRE. 8ao— S41
E la vcrçcne polçele qi le faça secor.
En le gran boscho, en le maior erbor,
Ela se fiçe et à dol et à plor.
E quant Machariooit morto cil valvasor,
Elo reguarde environ et intor;
Quant no la trove , el oit gran tristor,
De ço q'el oit fato el oit gran dolor.
El laso Albaris çasando à l'arbor,
Près la fontane de la vcrde color ;
Arer relorne à la cort l'inperaor.
Ne cuita qe hom le saça ni grant ni menur.
E la raine s'en vait cun gran paor
Parme cel bois menando gran dolor.
Deo la condue qe fa naser le flor !
D'ele lairon trosqa un altro jor
Como en le bois duro gran langor.
COMENT FU MORTO AUBARIS.
OKf o Albaris en le préo versé,
E M)n levrer M)r lui fo acostè.
Le palafroi manuc de I erba por li prè.
Trois jomi slcte le livrer q'el non oit mançé ;
Nen fo ma criatura in cesto mondo né
(^e K)n \egnor aça mcio pluré
820—841 Macaire. 71
Et sainte Vierge, que liface secors.
En la grant selve, ens cl maior herbor
Ele se fiche et à dol et à plor.
Et quant Macaires ot mort le vavasor,
Il se resgarde environ et entor;
Quant ne la trove , il en ot grant tristor,
De ce qu^ot fait si ot il grant dolor.
Auberi laisse gisant emmi Vherbor^
Lez la fontaine dont vers est la colors ;
Arier s'en tome à cort l'emperéor.
Séu n'ert cuide de grant ne de menor.
Et la roïne s'en vait à grant paor
Parmi le bois démenant grant dolor.
Diex la conduie qui fait naistre la flor !
D'ele lairons trosqu'à un autre jor
Si corn el bois endura grant langor.
COMENT FU MORS AUBERIS.
Or est Aubris ens el prael versés,
Et ses lévriers sor luifu acostés.
Li palefrois paist Vherbepar le pré»
Trois jors i fu li lévriers sans mangier ;
El mont ne fu nus hom demerc nés
Qui son segnor ait onques miexploré
Il MaCAIRE. 841—868
Con cel levrer qe tant l'oit amé.
E quando tros jorni furent trapasè ,
La famé fo si grande à le levrer monté
N'en pote plus ilec avoir dure.
Dever Paris elo fo açaminé.
Tant est aie q'el fo â la cité ,
Ven al paies , monto sor le degré.
E f 0 à cel ore q'el estoit aparilé,
A le table erent leçivaler aseté.
Quant le levrer fo sor la sala monté ,
Elo reguarda avanti et are ;
O vi Machario, cela pari est aie
O il estoit as tables aseté.
Sovra la table fo le levrer lancé ,
Entro le vis li oit asaçé
Si le dono una gran morsegé.
E pois n'oit pris di pan quanti n'oit saçc,
Via s'en vait quant le cri fo levé.
A son segnor elo fo rctorné,
O il estoit en le canpo versé.
Et Macario remis à la tabla navré.
Ça^un qe le véoil se n'est amervelé ,
E da ptusur fo le levrer guardé ,
Qe entro soi ont dito e parlé :
Se Albarii fust arer retorné
Qe cum la roine l'oit K. envoie f*
Al son levrer quel est aiomilé.
842—868 MàCAIRE. ']}
Que. cil lévriers., qui tant l'avait amé.
Et quant trois jor furent si trespassé,
Trop grans fains a le lévrier sormonté
Que plus lonc tens ne pot illec durer.
Devers Paris s'est droit acheminé.
Tant a erré qu'il vint en la cité y
Al palais cort, si monte les degrés.
Etfu à l'are qu'il ert aparillié,
Qu'as tables erent li baron asegié.
Quant li lévriers en la sale est montés ,
// se resgarde et avant et arrier;
Où voit Macaire, celé part est aies
Où li traître ert assis au disner.
Li lévriers s'est sor la table eslaissé ,
Parmi le vis a Macaire adesé ,
Et en la char forment Va entamé.
Puis dou pain prist tant qu'il en et asès ,
Sa voie en vàit quant li cris fu levés ,
A son segnar si en est retornés
Là où il ert emmi le champ versés.
Et cil remest à la table navrés.
Nus ne le voit nen sait esmerveillés ,
Et des plusars fu li chiens esgardés ,
Qui entre soi ont et dit et parlé :
Se Auberis fust ariere tomes
Qu'a la roïne ot Kalles envoie f
Qu'au suen lévrier cil a moult resanlé.
74 Mac AI RE. i^f— 89^
E Macario f 0 à sa mason aie ,
Por mires mande qe le onl bindé.
E Macario oit sa gent apelé.
tt Segnur, fait il, se de nient m'amé,
u Quant eo sero à li palais aie
u Et à table eo sero aseté ,
u Se quel levrer sera reparié ,
u Çascun de vos aça un baston quaré ;
tt Faites qe i moi el non soia aprosmé. »
E cil le dient : a Volunter e de gré ;
» Nu faron ben la vostra volunlé. »>
E li can oit de cel pan mangé
Qe il avoit de la tabla porté.
Tcrço çorno stete q'el non fo sevré ,
E quant il oit la famé asa duré ,
Dcver la cort el fo açaminé
Pur à quel ore qu'il estoit parilé.
Et Macario estoit à le table aseté ;
Ancora avoit le viso inbindé.
Venu estoit à la cort c si se fo mostré
Por qe la gcnt n'aust mal pensé.
E le livrer fo sor li f aies monté ,
Tosto el fust à Macario aie ,
Quant celé jcnt da li baston quaré
Le escrient , si le done de gran colé.
E licao fu à la tabla aie,
Prrnâr Ji pjti. m fo vi.i scinpé ,
869—895 Macaire. 75
Et fu Macaires à son ostel aies;
Mires manda , qui sa plaie ont bendé.
Et a Macaires sa gent si apelé.
« Segnor,fait il, se de noient m'amés ,
« Quant au palais je serai retornés
« Et que serai as tables asegiès ,
« Se ancor fust cil lévriers repairiés,
ce Chascuns de vos ait un baston quarré;
« Faites qu'à moi ne soit apro'ismés. »
Et cil li dient : « Vol entiers et de gré ;
« Bien ferons nos la vostre volenté. v
Et li chiens ot de celui pain mengié
Qu'il en avoit de la table porté.
Trois jors remest , que n'en est descvrés ,
Et quant il ot la fain as ses duré ,
Devers la cort se rest acheminé
Droit à celé ore qu'il ert aparillié.
Et ert Macaires à la table asegiés ;
Ancor avoit le vis enmalolé.
A la cort ert venus, si s' ert mostré
Por que la gent nen éust mal pensé.
Et est li chiens sus el palais montés ,
Et vers Macaire se fust tost eslaissié,
Quant celé gent 0 lor bastons quarrés
Forment le hue et de grans cops lefiert.
Et à la table s'en est li chiens aies ,
Dou pain a pris, si s'en esteschampt ,
-^ MaCAIRE. 896-918
Dont loi )enl en fo amervellc.
A son segnor el fo reparié.
COMENT N. PARLO A K..
Naimes apelU linperaor Karlon.
« Mon sir, fait il, entendes ma rason :
« Questa mervil jamais non vi nul hon.
« Se m'en créés, nu si en la faron :
„ Nu seren parilés çivalcr e peon ,
« Quant le livrer vira, qe nu le seguiron.
.. Non e sença mervilc de ço qe nu veon. >
Dist rinperer : u A Deo bencçion. ».
E le levrer non fi arestason ;
Quant avoit famé , non fc demorason,
A Paris vene, como auseson.
Quant fo al paies , sor le mastre doion ,
Le levrer guarde cntor et environ .
Por veoir Macario se el poust 0 non.
E qui qi aient en ses man li baston
Féru !i aust , sel non fu Naimon
Qe le contrarie si le crie ad alto ton :
n No le toçés por li oeli dcl fron. "
Cil le lasenl , 0 il volisl 0 non.
E i'inperer el duc Naimon ,
E li Danois cun molti altri baron,
896—918 Mac AI RE. 77
Dont tote gent se prist à merveiller.
A son segnor est H chiens repairiés.
COMENT NaIMES PAROLE A KaLLON.
Naimes apele Vemperèor Kallon.
« Sire, fait il , entendes ma raison :
« Itel merveille ja ne vist mais nus hon.
« Se m'en créés , nos ensi la ferons :
« Nos serons prest , chevalier et péon ,
« Quant H lévriers venra , que le sivrons.
« N'est sans merveille de ce que nos véons. »
Dist l'emperere : « A Dieu benéiçon. »
Et li lévriers ne fist arrestison ;
Quant il otfain , ne fist demorison ,
A Paris vint , si com oi avons.
Quant au palais fu , el maistre donjon ,
Li chiens esgarde entor et environ
Se il péust véoir Macaire 0 non.
Et cil qui ont en lor mains le baston
Ja le ferissent, quant Naimes li preudon
Les contralie, si lor crie à haut ton :
« Ne le touchiés por les .II. iex dou front. »
Et cil le laissent j 0 volsissent 0 non.
Et l'emperere 0 le bon duc Naimon ,
Et li Danois 0 moult d'autres barons,
78 Macaire. ^19—041
A çival monlarenl qi tôt meio poon ,
E seguent li cam ;\ força ci à bandon.
Tant alirent, q'i no demoron,
Qe à li bois li s'aprosmon
Unde gran fle de lo morto venon ,
E voit le can qe sor lui s'areston.
Quant i le voit , arer se Iraon.
Forme li pré i guardent c vcon .
Li palafroi d'Albaris coneon ;
Quant i le voit , grant dol en demcnon.
COMENT ATROVENT ÀLBRAIS MORT
Quant l'inperer oit pris à guarder,
Conoit li palafroi d'Albaris en primer,
Et in apreso conoit li levrer,
Çascun començe altament à crier :
" Questo c gran dalmaço , nobel enpercr !
K. apcla dux N. de Baiver :
Conselcs moi , je vos voie en proier >■
E dis! N. : « Questo no se po celer
' Qe la lustisie si fait li levrer ;
" Colu q'el plu ait sa tôt le mesler :
" Ora faites Macario pier,
•• Qjel vos savera tôt li voir conter.
" E i Parii faron li corpo aporter
919—94» MACAIRE. 7^
Es chevaus montent qui miex miex , à tenson ,
Et le chien sivent à force et à bandon.
Tant sont ail , n'ifont demorison ,
Que au bois sont arivé de randon ,
Dont flairors ist dou mort à grantfuison ,
Et le chien voient ester sor lui amont.
Quant l'ont vèu, ariere trait se sont.
• Parmi le pré esgardent environ ,
Le palefroi d'Aubri conlu ont;
Quant l'ont vêu , en font grant plorison.
COMENT AUBERI ATROVENT MORT.
Quant Vemperere se prent à esgarder^
Le palefroi d'Aubri conoist premier ,
Et en aprïs si conoist le lévrier.
Chascuns comence hautement à crier :
« Hé! gentis rois , ci a grant encombrier! »
Kalles apele duc Naimon de Baivier :
« Conseillés moi , je vos en voil proier. )>
Et dist dus N aimes : « Ja ne se puet celer
« Que la joutice si a fait U lévriers ;
« Cil que plus het en sait tôt le mestier :
« Macaire faites de maintenant cobrer,
« Que tôt le voir vos en saura conter.
ce Et à Paris ferons le cors porter
80 MACAlRt. 941—968
« E allamenl li faron enlerer,
0 De la justisie pois averon demander. »
Dist l'inperer : « Vu parlés como ber ;
u Ço qe vos plail non voio contraster. »
Adoncha fait Machario pier,
A soa jent beo le fait guarder.
Li corpo e fraido , nul homo li voit toçer ;
Erbe prendcnt oliose e cler,
Al meio qe il poit le fi à Paris porter,
Con gran honor le font cnterer.
Do î cun le plure peon e çivaler,
Dame c polçele e petit baçaler !
Quando fo seveli , li rois retorna arer
Et avec lui dux N. de Baiver.
Tota la jent començent â crier,
Pur de justisia prcndent à roicr.
E li rois se fait Macario amener.
« Machario , fait il , molto me poso merveler
M Quando eo t'oldo à tota jent acuser
«' De la mort d'Albaris qe era pro e ber ;
'■ Droit al can te veço calonçcr.
" Se tu as morto Albaris, qe est de ma muler
" Qe Albaris co la dea mener
" En estranço pais por mon cor vcnçer ? »
Dist Macario : « Bon rois , lascz ester ;
• Queue parole i moi aderasner.
• Maik no lefi ne no l'avi enpenser;
942—968 Mac A IRE. 8l
« Et hautement le ferons enterrer,
« De la joutice puis verrons demander. ):»
Dist Vemperere : « Vos parlés come ber ;
c< Ce que vos plaist ne voil je contrester. »
Adont Macairefait maintenant cobrer,
Et à sa gent si l'a fait bien garder.
Li cors est frois que nus ni vait toucher ;
Herbes ont pris qui moult flairent souef.
Au miex que poent l'ont à Paris porté ,
A grant honor le font il enterrer.
Diex ! com le plorent péon et chevalier,
Dames , pucelles et petit bachelier !
Quant fu en terre , li rois retorne arier,
Ensamble o lui dus Naimes de Baivier.
Tote la gent comencent à crier,
Por Dieu joutice se prenent à rover.
Et se fait Kalles Macaire amener,
Et si li dist : « Moult me puis merveiller
« A tote gent quant je t'oi demander
« La mort Aubri qui tant ert preus et ber,
« Et droit au chien te voije encorper.
« S' Aubri as mort , que est de ma moillier
« Que li donnai à conduire et mener
c( En terre estrange por nostre cors vengier ? »
Et dist Macaires : « Boins rois , laissiés ester ;
ce Ceste parole me laissiés deraisnier.
«• Mais ne le fi. ne ne l'oi en pensé ;
'■ Macaire. 6
82 M A CAIRE. 969—991
•« E qi de ço me vole calonçer
<y Aprestè sui por bataia proer. »
A stc parole vint N. de Baiver,
Oidi li traito si altament parler
Por li so parenté no le oisa nul contraster.
N. le guarda , n'ait en lui qe irer,
El dist al roi : « Or le lasez aler,
« E prendés conseil da li ves çivaler.
M De le çuçer fari à son loer
« E se por paure vu ve rctra arer,
a Nen seri degno d'cser mai enperer. »
CoMENT LI Rois prist consil.
Li enperer nen demoro ne mie ;
Fe asenblerlota sa baronie,
E furent plus'de cento de gran çivalene ;
Sor li paies de la sala antie
Fu asenblés , qi ne plançe ne rie.
u Segnur, dist li rois , nen lairo nen vo die
« Fato m'cstoit una gran stoltie :
" Calonçé m'estoit ma muler donde son vergognir.
a Ne morto Albaris , don son gramo e irie.
■ CoDceiès moi , c vos demande e prie ,
a Ne non guardés por paure d'omo qe sie. >»
Quant li baron ont la parola oie ,
969—99' M A CAIRE. 83
« Et qui de ce me vorra encorper^
« Vez moi tôt prest par bataille prover. »
A ces paroles vint N aimes de Baivier ;
Le gloton ot si hautement parler
Por son lignage nus n'ose i contrester.
Naismes l'esgarde , not en lui qu'aïrer.
Et dist au roi : « Or le laissiés aler ;
« Conseil p renés des vostres chevaliers.
« De lui jugier fériés à son hier;
« Se por paor vos retraiés àrier,
« N'estes mais dignes de corone porter. y>
CoMENT Li Rois prist conseil.
Li emperere nen a demoré mie;
Fist asenbler tote sa baronie.
Plus de cent furent de grant chevalerie ;
Sus el palais, en la sale votie
Asenblé furent , qui qu'en plort 0 en rie.
« Segnor, dist Kallcs , ne lairai ne vos die
« Faite me fu une grans estoutie :
«■ A grant vergoigne ma moilUcr chalengie ,
« Mors Auberis , dont en ai Vame irie.
« Conseillés moi , si vos demant et prie
« N'aies paor d'ome qui soit en vie. »
Quant H baron ont la parole oie ,
S4 MaCAIRE. 99J— iou
Mal aça quel qe un moto en die.
Por li trailor çascun si s omilic ,
Tant dolent la soa scgnorie.
COMENT N. PAROLE.
Tôt primeran N. oit parlé :
' Çenlil rois sire , e voio que vu saçc
• De li baron qi son qui asenblé
• E veço ben tuta sa volunté ,
a Qe por paure cascun se trait arc ,
rt Tant dotent di traiti la poesté ;
a Mais eo diro un poi de mon pensé.
' Qui de Magançe son grandi e honoré ;
u En Alamagne non e mcio enparenté ,
<i Ne non est homo en lacrestcneté
« Qe sego volust faire bataia en pré ;
a Et laser la justice scroit gran peçé.
a Un conscilo eo donaro segondo ma volunlc ,
« E non cre qe da nul eo en sia blasmé.
Q^cl se prenda Macario qi n'est calom^é ,
" E m guarnelo elo sia despoilé ,
u E in man aça un baston d'un braço smesuré ,
« E sor la plaça soia fato un astelé ;
" Machario t li can soia dentro mené ,
• Co est II can d'Albarit , qe fo morto trové ,
I
992—1014 MaCAIRE. 8$
Mal de celui qui un sol mot en die.
For le cuivert chascuns si s'umelie ,
Tant ont doté la siene segnorie.
COMENT NaIMES PAROLOIT.
Tôt primerains a dus N aimes parlé :
«■ Gentis rois sire , ne le vos quier celer,
« De ces barons qui sont ci assemblé
« Etvoije bien tote lorvolenté,
ce Que por paor chascuns se trait arier,
« Des traïtors tant dotent la posté;
« Mais je dirai un poi de mon pensé.
« Cil de Maience sont grant et honeré;
« En Alemaigne n'est miex enparentés ,
« Ne nen est hom en la crestienté
« Qu'à eus volsist faire bataille en pré;
« Et de laissier joutice , ert grans pechiés.
« Conseil donrai selonc ma volentéy
« Et ne croi mie de nul en sois blasmés.
« Pris soit Macaires qui en est apelés ,
« Et en bliaut si soit il despoilliés ,
« Et d'une brace ait baston mesuré,
« Et sor la place si soit fais uns plaissiés ;
(c // et H chiens soient dedens mené ,
a Lt chiens Aubri, quifu mors atrovés ,
86 Macairk.
loi 5 — lo;
»« Donde Macario n'estoit calonçé,
t< Si cum li can li oit au en aé.
« Se li can est vinlo , el soia délivré.
M E se Machario c por lui afolé ,
» De mantenent el soia çuçé
t( Como traites e malvasio renoié. •>
Quant qi qc erent i li conseil privé
Oldent N. cornent ont parlé ,
Çascun li oit molto ben agraé,
Ne le fo nul qe se traïst are.
Meesmo li rois li oit otrié.
Li parenti de Machario en fon çoiaru c ic ,
N'en cuitoil mie le fato fose si aie
Qe por un can fose vinto ni maté.
COMENT Macario fe u bataille
COM LI CAM.
ÇOIANT fo li parenti Gainelon
Del çuçement c'oit dito Naimon ;
N'en cuitoit mie si alast la rason
Qe por un can fose vinto un tel baron.
E l'inperer qc K. oit non
N'en volve fare nula dcmorason.
Desor la place, davanti li do)on,
Uni gran itele a fait lever en son,
Molto ben sera entorno et environ.
10! j— 1037
ACAIRE. 87
<c Dont puis enfu Macaires encorpésy
« Si corn li chiens l'éust coilU en hé.
« S'// vainc le chien , si soit il deslivrés;
« Et si Macaires est don chien afolés ,
« De maintenant à mort soit il jugiés
« Corne traître et malvais renoiés. •»
Quant cil qui là sont al conseil privé
De Naimon oient cornent il ot parlé ,
Chascuns li ot sa parole gréé ,
Ne nus n'enfu qui se traist arier.
Li rois méismes bien li ot otrié.
Et de Macaire li parent en sont lié;
Ne cuident mie li plais sifust aies
Que par un chien fust vaincus ne matés.
CoMENT Macaires fist la bataille
AVEC LE CHIEN.
JoiANT en sont li parent Ganelon
Quant o'i ont le jugement Naimon;
Ne cuident mie si alast la raisons
Qu'uns chiens péust mater un tel baron.
Et Vemperere qui Kallon ot à non
Ja n'en vout faire nule demorison.
Emmi la place, par devant le donjon ,
Un grant plaissié a fait lever en son ,
Moult bien serré entor et environ.
88 Macaire. 10^8—1060
Pois fa crier un bando , qe, s'el fose nul lion
Qe la pasese , sença redencion
Apendu ert à fors como laron ;
Çascun guardi la bataile in pax , sença tençon.
Adoncha li rois non fe areslason :
Toi primeran Machario prendon ,
En guarncio i le despoleron
E in sa main li dono un baston
Qe de un braço estoil voire Ion ;
Elo no li n'oit nul autre guarison.
Quant a ço fato, in la stalea li meton,
E pois le mis le levrer, qi ne pisi o non.
Quant le lèvres fo dens , el se guarda environ ;
O vi Mach;»rio , el se core à randon.
COMENT U CAN VAIT SOVRA MaCARIO.
QUANDO 11 can oit Machario véu,
Sevra li cor cun li denti agu
E por li flanco clo Toit prendu.
E cil li oit cun li baston féru
Una gran bote e por flanco e por bu.
E cil a lu fer cun li denti agu.
Si ^aode fo la bataile , n'en fo maior véu.
ToU ta lenf qe in Paris fu
Por vfoir la |U%titie !w>nt i la plaça venu.
1058— ioéo MaCAIRE. 89
Puis fait crier un ban : que , se nus hon
Le trespassast , sans nule raençon
A forches ert apendus corn larron ;
En pais , sans noise , la bataille esgart on.
Adonc H rois ne fist arrestison :
Tôt primerains Macaire cobré ont ,
Sol en bliaut si despoiller le font
Et en sa main li donent un baston
Qui une brace avoit sans plus de lonc ;
Si nen ot il nule autre garison.
Quant ont ce fait , ens el plaissié mis l'ont,
Puis le lévrier, qui qu'en poist 0 qui non.
Quant furent ens , li chiens garde environ ;
Où. voit Macaire, là cort il derandon.
COMENT LI CHIENS VAIT SUS A MACAIRE.
Quant ot li chiens Macaire apercéu ,
Des dens agûes li est sore coru
Et par le flanc si l'a aconscu.
Et cil li ot dou bâton referu
Une grant bote et par flanc et par bu.
Et cil des dens agûes l'a mordu.
Gransfu l'estors, n'en fu maior vèus.
Tote la gent qui dedens Paris fu
Por la joutice vêoir i sont venu.
C)0 MALAlKh. 1061 — io8j
Qt tôt quant ont levé ii u ,
E braent écrient : u SanU Maria, aiu !
« Ancoi ne soia la vérité véu ;
« Por Albaris mostrez vestra vertu. »
Si grant fu la bataile , n'en fo tel véu
Como en quel çorno en furent mantenu.
Quant Ii parenti Macario se ne aperçéu ,
Dient enscnbre : a Cun nu son decéu !
a Par un can démo eser confondu ? »>
Un de lor fu sor la slalca salu ;
Dentro iust aie, quant esclamé Ii fu
Qe mantenent elo sia pendu
Entro quel lois 0 il estoit salu.
Quant cil Tintent, en fua fo metu.
COMENT FU GRANT LA BATAILLE.
Va s'en ii (railo , no se voisc entardcr.
Quando Ii rois fait un bando crier
Çascun de qui qi le pora pier
Li rois II fara mile livre doncr.
Quant un vilan otdi Ii banoier
Qe venoit da la vile i comparer,
A la cité por comparer scier;
En u man oit un baston de pomer;
Elo l'intopo al paur d'un placer,
io6i-io8î Macaire. 9f
A une vois tait ont levé le hu ,
Braient et crient : « Sainte Marie, aiu !
te Ancui en soit li voirs apercéus ;
ce Por Auberi mostrés vostre vertu! »
Crans fu l'estors , n'en fu mais tés véus
Si corne l'orent celui jor maintenu.
Quant li parent Macaire Vont véu ,
Dient ensemble : « Corn sommes decéu!
a Béassions estre par un chien confondu ? »
Sor le plaissié uns des lor saillis fu ;
Ens fust aies, quant escrié lifa
Que maintenant soit il pris et pendus
En celui lieu où. il s'ert embatu.
Et cil s'en fuit, quant il Fot entendu.
COMENT FU GRANS LA BATAILLE.
Vait s'en li glous , ne se vont atargicr.
Atant li rois a fait un ban crier
Chascun de cels qui le porra cobrer,
Il lifera mile livres doner.
Quant uns vilains oï le banoier
Qui de la vile venoit à comperer,
A la cité por soliers achater;
En sa main ot un baston de pomier;
Il l'en arrestc au passer d'un placer.
92 MaCAIRE. 10I4— 110^
Sovra ii cor si le voit à pier,
Por Ii avoir de voire guaagner.
Davant Ii rois Ii vait à présenter.
Li rois le vi , molto Ii parse agraer ;
Le mile livre li fait doner.
Pois fait celu e prender e liger ;
En ccle lois 0 il volse paser
Por la gorça elo li fc apiçer,
E pois apreso cl arder c bruser.
Cran dol n'oit qui del so parenter;
Mais por li rois i no oisa mostrer.
Que la bataile fo lanto dura e fer
Non est nul homo qe le poust conter.
A l'ademan apreso li vesprer
Si ne duro la meslea e li çostrer.
COMENT FU CRANT LA BATAILLE TRA M.
t LI CAN.
Gkan fu la mesiée cntro Machario c li can ;
Major non vi nesun homo vivan.
Lo can li morde por cosles e por flan ,
E cil le done de li baston sov;<n
Porme la leste, si qe n'ese li san.
Qui de Magancc ne fo en gran lorman ;
Voluntera alrovast paro qe fusl aven?n
I
io84— noj MaCAIRE. 95
Sore H cort et si le vait cobrer,
Tôt por l'avoir et deniers gaagner.
Devant le roi l'a en présent mené.
Li rois le voit , moult lifait à gréer ;
Les mile livres li a fait deslivrer.
Puis fait celui et prendre et hier;
En celui lieu oh il vont trespasser
Si le fait il par la gueule encroer,
Et en aprls et ardoir et brusler.
»" Grant duel en ont cil de son parenté ;
Mais por le roi ne l'osassent mostrer.
Etfu l'estors et si durs et si fiers
Nen est nus hom qui le péust conter.
A Vendemain dusques à l'avesprer
Si en dura l'estris et li josters.
COMENT FU GRANS LA BATAILLE D^ENTRE MACAIRE
ET LE CHIEN.
Entre ambedeus fu la bataille grans ;
Maior ne vi nus hom cl mont vivant.
Li chiens le mort par costès et par flans ,
Et cil li donc del baston moult sovent
Parmi la teste, si que en ist li sans.
Cil de Maience en sont en grant torment;
Bien atrovassent pais que fust avenans
94 MaCAIRE. 1106— iijj
Por oro et avoir e dîner e bcsan ;
E li rois cura Deo c mcser san Jouan
Qe no li valira tuto l'or qe fu an
Q^el non sia çuçés, sel vinçe li can,
Arso en fois o apendu al van ,
Al plasir son baron fara li çuçeman.
Grande fo la bataile tuto jor man à man :
Et li levrer li va si adestan
Qe Macario è si laso estan
No se po aider ni de pe ni de man. *
Por ira e maitalent li va sovra li can ,
Enlro le viso le mordi si fereman
Le pomel de la golta li tôle toto quan.
E Macario si brait e crie alteman :
« 0 estes vos aie , tôt li me paran ,
" Qç no me secorés encontre da un can P w
Dist l'inperer : a I te sonda luntan.
« Mal veisi Albaris e madama enseman,
•i Qe onceisi i dol e à torman. ï>
Volez oir, segnur, cornent l'a fc li can '
Sovra Machano el va por maltalan ,
A la gola le pn&t lil ten si fereman
Qu'elo l'abati eo tera à li plan.
E cil cria merci por Deo e por li san :
• 0 çentil rois , nobele c sovran ,
• No me lasar morir à tel torman !
a Fa moi venir un qualf hr r.apclan .
iioé— II32 Macaire. 95
Por or, avoir, et deniers et besans ;
Mais li rois jure et Dieu et saint Jehan
Ne li vaura tos l'ors qui fu antan
Ne soit jugiés , sel chiens le vait vaincant ,
Et àrs en feu ou apendus au vent ,
Corn si baron feront le jugement.
Tote jor fu main à main l'estors grans ;
Et li lévriers le vait si adesant
Que est Macaires si las en son estant
Ne puet s'aider ne de pie ne de main.
Vait sus li chiens par ire et mautalent,
Parmi le vis le mort si fièrement
Que de la joue le pom li taut tôt quant.
Et brait Macaires et crie hautement :
ce Oh estes vos ail, tuit mi parent,
« Qu' encontre un chien ne m'estes secorant? »
Dist Vemperere : « De toi sont il lointain.
a Mar vis Aubri et ma dame ensement,
« Que as ocis à duel et à torment. «
Oés dou chien com se va combatant :
Sore à Macaire cort il par mautalent ,
Au col le prent sil tient si fièrement
Que à la terre le vait jus abatant.
Et cil por Dieu en vait merci criant :
« Hé ! gentis rois qui sor tos es poissans ,
a Ne me laisser morir à tel torment!
« Un confesser me mandés maintenant,
()6 Macaire. lin— un
a Qc voio conter loi li mon engan. »
Li rois l'inlendc sin fo Icgro e çoian.
L'abés da San Donis fa apeler manteiian ;
El cil le vene volunlera por lalan.
COMENT K. FA AP£LKR l'aBÉS.
Le enperer nen fo pais demoré ;
L'abés da San Donis el oit demandé .
E cil li vent volunlera et de gré.
Li rois li oit in la stelea mandé ,
0 li can lent Macario seré
N'en poil mover ne le man ni le pé.
Cun bocha avoil molto planeto parlé.
E l'abes quant li fo acostc ,
Elo l'oit por rason demandé
S'cio vole dire la vérité ,
Q'elo soit ben cun lovra est aie
Segondo cun la raina li avoil conté.
Dist Machario ; <' Ora me confesé
.« Si me asolveri de toi li me peçé ,
■' Qe je so ben qe son à mort çuçé
« E poco me vara loto me parenté. »•
Diit l'abes ; « Si granl e li peçé
■ E cuilo ben qe dites vérité;
« Mj 00 por Unto, te le vor conUré
iijî— IIJ5 Macaire.
« Conter li voit tôt mon engignement. w
Lirais l'entent, s'en fu liés etjoians.
De Saint Denis Vahè mande à itant;
Et cil i vient volentiers , tôt errant.
COMENT KaLLES FAIT APELER L^ABÉ,
NOSTRE emperere ne s'est mie atargié ;
De Saint Denis l'abé a tost mandé,
Et cil i vient volentiers et de gré.
Et l'ot li rois ms el plaissié mandé,
Là où li chiens tient Macaire serré
N'en puet movoir ne la main ne le pié.
De la bouche a bassetement parlé.
Et quant liabes fu lez lui acostés,
Il raraisonne si li vait demander
S'el a valoir de dire vérité,
Que bien sait il cam de Voevre est aie
A ce que Vot la roïne conté.
Et dist Macaires : « Ore me confessés
« Si m'asailliés de tas les miens pechiés ,
« Que je sai bien que à mort sui jugiés
« Etpai me valt tas li miens parentés. »
Et dist li^abes : « 5/ grans est li pechiés
« Et cuit je bien que dites vérité ;
« Mais neporquant, se le voir en contés,
Macaire. n
97
98 MaCAIRE. iij6-n8>
a Por amor de la vesira nobilité
« Li rois avéra de vos merçe e piaté.
«i E da moi meesme el ne sera proie.
«Mae voio , quant vos li contaré ,
» Qe li roi soia qui aloga acoslé
o El le dux N e des autres asé ,
o Ni altrement n'en serisi amendé ,
a Ni an li can no t'averoit lasé ;
o Qe questo e un miracolo de Dé :
« Quando un can a un tel homo afolé ,
a Donqua volt il quel se saça li peçé
« Da tota jent, e da bon e da ré. »
Dist Machario : a Faites ves volunlé. »
Adoncha l'abes oit li rois clamé
E le dux N. del ducha de Baivé
Si le fe venir totes, e boni e ré,
Por de Machario oldir li peçé.
Ça oldirés cornent il oit ovré
Celle malvès qe in mal ora (u né.
Diît l'abes : o Ora si comencé,
m Dites le voir c no mcl celé ,
« Qe je so ben cun l'ovra est aie ,
• Qe la raine ben me l'avoit conté
> Ço qe tu fisi e davant e daré. »
Dist Macario : u Non dirofalsité,
«• Ma faites tante qel can m'aça lasé. v
Dis! Il rois : « Vu avi ben falé,
1156—1182 Macaire. 99
« Tôt por l'amor de vo nobilité
« Aura de vos l'empcnn pitc,
« De moi méisme en sera il proie.
« Mais si voil je , quant vos leconterés ,
u Li rois soit ci orendroit acostés
a Et li dus Naimes et des autres asès ,
« Que autrement n'en séries amendes
a N'onques li chiens ne vos auroit laissiè ,
ce Que ci a voir un miracle de De :
u Quant par un chien fu tés hom afolés ,
u Donques vuet il séus soit li pechiés
« De tote gent, et des boins et des mels. »
Et dist Macaires : « Faites vo volenté. »
Donc à le roi li abes apelè
Et duc Naimon dou duché de Baivier^
Sesfist venir trestos , et boins et mels ,
Por de Macaire entendre lepechié.
Or orrésja cornent il ot ovré
Lifel traître qu'en maie ore fu nés.
Et dist li abes : « Ore si comencés ,
(c Dites le voir, et ne me s'oit celés ,
c( Que je sai bien corn de l'oevre est aie ,
ce Que la roïne bien me l'avoit conté
ft Ce que fesis et devant et derrier. »
Et dist Macaires : « Ne dirai faus été ,
« Mais faites tant que m'ait li chiens laissié. -»
Et dist li rois : « Tu as bien meserré ;
100 MaCAIRE. ii8)— 1204
u Nen seri lasé si diri vérité. «
Adonqua Macario avoit comencé
A dire toi li so peçé
Cornent oit ovré avant et are.
COMENT M. SE CONFESE DA i'aBI^S.
Adoncha Machario començo primemant
A dire de la raine o fi li parlament
Tôt en primera en le çardin verdoiant ,
Como d'amor li aloit derasnant
E como à lui respose vilanement.
Si le dist dcl nan tôt li covenant :
Como li mando à parler primemant ,
Et in apreso le dise ensemant
De la çanbre , et cum per li so cornant
Entro en le leto por maltalant,
Por acuser la raine e far li noiamant :
E como en le fois le çïto voircmant
A ço qe de l'ovre no s'en saùst niant
E quant la raine vide aler avant ,
Qe Albaris li menoit, n'en fo ma si dolant
QjeU non fo brusea i li fois ardant.
E, quando vide ce, prise son guarnimant ,
^r«l^li alo , armA «.or l'juf;
il8j— 1204 MACAIRE. . lOI
« Ne te laira , si diras vérité. »
Adonques a Macaires comencé
Si a gehi trestot le suen pechié
Corn ovré ot et avant et arier.
CoMENT Macaires se confesse a l'abé,
Adonc Macaires comença erranment
De la roine ohfist le parlement
Tôt primerains el jardin verdoiant,
Si corn d'amor l'en aloit requérant
Et corn à lui respondi laidement.
Si dist del nain trestot le covenant :
Corn li manda parler premièrement ,
Et en après si a dit ensement
Et de la chambre^ et com par son comant
Dedens le lit entra par mautalent
A la roïne por faire nuisement;
Et com el feu le jeta voirement
Por que de l'oevre sêu ne fust noient.
Et quant aler vit la roïne avant ,
Que len menoit Aubris ^ plus fu dolens
Qu'ele ne fust bruïe elfeu ardent.
Et quant ce vit , il prist son garnement ,
Si Fenchauça , armés s6r Vauf errant.
102 MaCAIRE. iao(— 11)1
Por avoir la raine à li so cornant ,
Quando Albaris la defesc çentiimant ,
Unde Toncis à lespea trençant.
a De la raine ne vos so dir niant,
<« Q^ela à moi despari si davant
i Ne la poti veoir ni trover de niant.
a En celé bois se fico merviloso e grant ,
o Et eo m'en retorne , non fe arestamant.
<• De ço qe avea fato , en fu gramo e dolant ;
'« Deo no me pcrdoni se lo fo allremant •
Dist II rois : n Tu m'a fato dolant,
« Caloncc ma muler c'amava dolçemant .
'< Uncha non sie rois ni corone portant ,
a Nen mançaro unqes à mon vivant
a Si veroie de lu le çuçemant !
a N., dist li rois, questc mal seduanl
a Trai a ma muler par son inçantemant
o Morto m'oit Albaris qe eo amava cotant :
■ De le çuçcment m'alez conselant.
E dist N. : <t Nu faron saçemant.
• Nul faron prendre à grant çival corant,
Por Paris li faron trainer inprimemant
•> E poi% Il faron arder i fois ardant ;
•« E de ses parentés nesun dira niant.
• De lor meesme nu faron altretant. '
CsKun escne El parla çentilment •
Aocora h can lo ten m \troitemant
120J— 123! MaCAIRE. 103
Por la roïne avoir à son talent ,
Quant Auberis la tensa gentementj
Dont il Vocist à l'espée trenchant :
« De la roïne, n'en sai dire noient
a Que si s'en ertfuïe de moi devant
a Ne la poi voir ne trover tant ne quant.
« El bois se fiche et merveillos etgrant,
« Et je m'en tome , n'ifis arestement.
<-< De ce qu'oifait, en fui grains et dolens;
« Diex ne m'absoille se le fis autrement. »
Et dist li rois : « Tant m'as tu fait dolent ,
« Reté m'oissor qu'amoie dolcement ,
« Ne soie onc rois ne corone portant,
« Ne mengerai onques à mon vivant
fi S' aurai de toi vèu le jugement !
•-c N aimes , dist Kalles , cil malvais soduians
« Traï m'oissor par son enchantement ,
« Mort m'a Aubri que paramoie tant;
" Dou jugement aies moi conseillant. »
Et dist dus Naimes : « Fesons le sagement.
« Fesons le prendre à grant cheval corant,
« Parmi Paris trainer premièrement
« Et en après ardoir en feu ardent ;
« Des suens parens nus n'en dira noient.
a Méisme d'eus ferions nos autretant. w
Chascuns s'escrie : « // parle gentement. »
Encor le tient li chiens estroitement
104 NlACAIKt. ma-iJ}
El no s'en pou corler de niant ,
Quant II enperer li proie dolçemanl
Por son amor clo li vada lasant.
E cil le fe à li ses cornant.
Cun faroit criature qe aùst esiant ,
Si se fe li can toto li so cornant.
E quant li oit délivré voiremant ,
Avanti que l'abe faist desevramanl ,
Si le segno si le dono penetant.
COMENT FU ÇUÇÉ MaCHARIO.
Secnur, or entendes como ovro l'inperer
Por li conseil dux N. de Baiver :
Machario fait picr tôt en primer
E i çivals elo lo fait trainer
F^ar tôt Paris e davant e darer.
Darer lui vait péon e çivaler,
Piçoii e grandi , garçon e baçaler,
Si grandement e uçer e crier.
Çascun disea : a Mora, mora le liçer
<• Qc de la raina voUe far vituper,
« E que ancis Albaris, li meltrc baçjlrr
« Qe se pouit en Paris atrover! »>
Ensi le moine e davant e darer.
1232— 1255 MaCAIRE. 10^
Si que croler ne s'en piiet tant ne quant ,
Quant l'emperere le proie doucement
Que pors'amor il l'en voise laissant.
Et cil le fist tantost , al suen commant.
Corn criature qui éust escient ,
Si fist li chiens trestot le suen commant.
Et puis que l'ot deslivré voirement,
Ainçois que Vahes fesist desevrement ,
// le seigna si le fist penéant.
COMENT FU JUGIÉS MaCAIRES.
OlÉS, segnor, que fist Kalles li ber
Par le conseil duc Naimon de Baivier :
Macairefait cobrer tôt en premier
Et à roncins le fait il traîner
Par tût Paris , et devant et derier.
Apres lui vont pêon et chevalier,
Petit et grant , garçon et bachelier.
Moult hautement et huchier et crier.
Chascuns disoit : a Muere li pautonniers
« Qui la roïne vont honnir et grever
« S'ocistAubri, le meillor bachelier
« Que se péust en Paris atrover ! w
Ainsi le mènent et devant et derier.
,0^ MaCAIRE. iaj4-'>7J
Quant a ço falo, retorna à li placer;
liée fait un gran fois alumer.
liée lefi e ardere bruxer.
Parenté q'el aust ne le pote contraster.
Quant a ço fato , si le fe enterer.
Qui de Magance n'avoil grant vituper.
Or laseron de lui qui loga ster ;
Segondo l'ovre n'oit eu son loer.
A Paris remist K. maino l'inpercr.
Dolent fu [de] Blanciflor sa muler,
E d'Albaris q'il avoit molto çer,
E de Macario q'era so çivaler.
A la raine nu devon retorner.
Quant ela vi l'ovra afiner,
E vide Albaris del çival verser,
Cun per li bois se mis ad erer.
Avanti que la trovase li bon Varocher,
Cran pena e tormant li convcne durer.
Grosa et inçinU estoit d'un baçaler,
Qe à grant pêne ela pooit aler.
COMENT VAII I A KaINA per li BOIS.
Via vail la raine k dolo et à lormenl
A ^r jn mervile ela csloil dolent
1254—1275
Macaire. 10'
Quant ont ce fait, retornent al placer;
Illec ont fait un grant feu alumer,
Illec le font et ardoir et brusler.
Parent qu'éust ni purent contrester.
Quant ont ce fait, si l'ont fait enterrer.
Cil de Maience en ont grant reprovier.
Or lairons ci dou trditor ester;
Si corn ovra ot eu son loier.
A Paris est remis Kalles li ber,
Si fu dolens de sa franche moillier,
Et d'Auberi que il avoit moult chier,
Et de Macaire qui ert ses chevaliers.
A la roïne nos covient retorner.
Quanta véu Voevre si afiner,
Et Auberi jus del cheval verser,
Parmi le bois si se mist ad errer.
Ains que trovast là le bon Varocher,
Tormens et peines li covint endurer.
Enceinte et grosse estait d'un bachelier,
Si qu'à grant peine ele pooit aler.
COMENT VAIT LA ROINE PAR LE BOIS.
Vait s'ent la roine à duel et à torment ;
A grant merveille estoit ele dolens
I 08 M A C A I R E
layfc— ijoa
De Albaris dont vi le finemant ;
Ma la no soit mie de ie gran çucement
Qc esloit fato del Irailo puelent ,
Qe au n'aùst qualqc restoramant.
Tant est aléa por li bois en avenl
A l'ensua del bois, en un pré verdoient ,
Ela vide un hom venir erament ,
De li gran bois un faso portant
De legne por soi noirisiment ,
Por noir sa feme e ses petit enfent.
Quando vi la raine, à demander la prenl.
u Dama, fait il , vu aie malement
n Cosi sole, sença homo vivent.
a Semblai moi la raina, se eo no ment.
•' Como alez vos ? v'e fato noiament ?
« Dites le moi, si ne prendre vençament.
— Ami , dit la raina , tu parli de nient ;
a De mon afaire te dirai le covent.
a E son ben la raine , e de ço no te ment.
• Acusea son i li rois durement
•■ Por un traites , qe li cor Deo crèvent,
• Qe me fait alcr si malement
• Unde eo te prego , çentil homo valent ,
« Qc tu me façi qualche restorament ,
• Qe alcr pouit par toi segurement
« En Coitantinopoli, G son lime parent.
« E ic tu le fa , bon guierdon n'atent ;
1276—1302 Macaire. 109
Por Auberi dont vist le finement ;
Mes ne set mie dou mortel jugement
Qu'a esté fait dou traïtor pus lent ,
Qu'ele en éust aucun restorement.
Tant est alèe par le bois en avant
Que à rissir, en un pré verdoiant ,
Un homme voit qui venoit erranment.
De la grant selve un fais aloit portant
De bois copé por son norissement
^Et de sa feme et sespetis enfans.
Voit la roïne , à demander H prent.
« Dame , fait il , vos aies malement
« Ensi solette et sans home vivant.
« Vos la roïne me sanlés, se ne ment.
« Cornent le faites ? avés encombrement ?
« Dites le moi, s'en prendrai vengement.
— Amis , dist ele , tu parles de noient;
« De mon affaire orras le covenant.
« Et la roine bien sui, et ne t'en ment.
« Au roi m'ala durement acusant
« Uns fel traître , cui H cors Dieu cravent ,
« Qui méfait estre en si mal errement.
« Dont je te pri , gentis hom et vallans ,
ce Que tu me faces aucun restorement,
« Que véoir puisse par toi sèurement
« Costantinoble , oîi sont H mien parent.
« Et se le fais , boin hier en aient :
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no M A C A I K K
l)OJ— lîH
u Ancora por moi sera rico e manenl. »
Dist Varochc : >* Vu parla de ment;
« Ne vos o abandoner \ lot mon vivent.
« Venez rer moi , eo aliro avent
c Trosqua â ma mason qe est qui davent ,
« 0 aço ma muler e dos beli enfcnl.
<> Conçé eo demandro, pois aliren avent. •
Dist la raine : o Soia àli ves cornent. »
Adoncha s'en vait anbes comunclment,
Tant qe i sa mason i se vait aprosment.
COMENT VaROCHER DEMANDE COCÉ
DA SA DAMA.
Quant Varocher fu à sa mason venu,
El entra en la mason , la soma deponu.
tt Dama, fait il, no m'atendcz plu*;,
n Si seroit ben tôt li mois conpiu. »
E quela li demande ; « Mon sir, o alez vu ? »
E cil le dit : a Or sta al Deo salu ,
n Del revenir eo 110 te so dir plu. ••
En soa man oit un gran baston prendu.
Grant fu c groso e quaré e menbru ;
La teste oit grose , le çavi borfolu :
Si strançes hon no fo unches vcu.
30?— i52_î
Macaire. Itl
« Par moi seras et riches et manans. i>
Dist Varochers : « Vos parles de noient ;
a Ne vos lairai à trestot mon vivant.
« Venés ariere , et je irai y:ivant
ce A mon ostel qui est illec devant y
« Où ma moiUier ai et dous tels en/ans.
a Congié prendrai j puis en irons avant. »
Dist la ro'ine : « Tôt soit à vo cornant, w
Adonc s'en vont andui communaument
Tant qu'à Vostel se vont aproïsmant.
CoMENT Varochers prent congé
DE SA dame.
Varochers est à son ostel venus ,
Laiens entra , la some a deponu.
« Dame , fait il , ne m'atendés ja plus ,
« Si sera bien tos li mois trescorus. »
Et li dist celé : « Mes sire, et où vas tu? »
Et cil li dist : ce Or est au Dieu salut ;
ce Dou revenir ne te sai dire plus. »
En sa main prist un grant baston costu.
Grans fu et gros , et quarrés et membrus;
Grosse ot la teste , les cheveus borfolus ;
Hom si estranges onques ne fu vins.
112 Mac Al RE. i|l4— ijjo
Via s'en vait à força et à vertu ,
Et la raine si vaitderer lu.
1 pase France , qe aresté non fu ,
E la Proence , qi no fo conou ,
E Lonbardie tota quanta por menu,
Tant sont aie q'i no sont arestu
Qe à Veneze i se sont venu.
En neve entrent, oitra forent metu.
Çascun qe Varocher avoient vcu ,
Çascun II guarde si s'en rise rer lu.
Tant alirent por ccl poi agu ,
Pasent ces porti, le vais c le erbu,
En Ongarie i se sont venu.
A cha d'un bon oster i sente desendu ,
Qe avoit dos files , uncha plu bêle non fu ,
E una sa dame qe fe de gran vertu ,
Qe rrolto amoit li poure e la cent menu.
E li oster fu saçes e menbru ;
Et oit nome Primeran , molto en fu coneu
Da tota jent , e grandi e menu.
Çascun qe le voit croit qe soia dcceu
E q'elo soia de lo seno ensu,
Por li baston qu'el oit groso e quaru
E por li çevo q'el oit si velu.
E li oster li oit por rason metu
Donde il est e donde il est venu.
Di .f V.irDfhfr . flV.Itr.i li po agU
IÎ24— 1350 MACAIRE. I I 5
Cil s'achemine à force et à vertu ,
Et la roïne si vait deriere lui.
Trespassent France j que aresté n'i fu,
Et la Proense, que nen ont connéu ,
Et Lombardie trestote par menu.
Tant sont aie , ne sont arrestéu ,
Que à Venice à la fin sont venu.
En nef entrèrent , outre mer ont coru.
Et trestuit cil qu'ont Varocher véu ,
Chascuns l'esgarde , si s'en rit riere lui.
Tant ont erré parmi ces puis agus ,
Passent cespors^ et vaus et prés herbus y
Qu'en Honguerie à la fin sont venu.
Chiés un boin oste là sont il descendu.
Deus filles ot , onc plus bêles ne fu ,
Et sa moillier si fu de grant vertu ,
Qui moult amoit povres gens , et menus.
Et fu li ostes et sages et membrus ;
Primerain ot à nom , moult connéus
De tote gent , des grans et des menus.
Et Varocher cuide, qui l'a véu ,
Que soit issus dou sens et decéus
Por le baston qu'il ot gros et costu ,
Etpor le chief que il ot si velu.
Et quiert li ostes li soit amentèu
De quel tere est et d'ont il est venus.
Dist Varochers : « D'outre les puis agus
Macaire. 8
114 MaCAIRE. |)}|_|)72
kl E quesl'e ma muler qi m>st rer venu, u
Quant li osier li oit entendu ,
El dist à sa muler qe ben soia servu
Quella dame, e ad asio metu.
E quella le fait , qe ben ovrea fu.
CoMENT LA Raina estoit inn Ongarie.
Ora fu la raine molto ben ostalé ;
De tuto ço qe li estoit à gré
Quelle dame li dono à sa volunté ,
Por q'ela li pardona de gran bonté.
Quando la guarda por flans e por coslé .
Graveda la voit , si le pris piaté.
Ele l'ademande qe est quel malfé
Qe senpre porta quel gran baslun quaré ,
Ait il nul seno o est desvé ?
Dist la raine : « Cosi e costumé.
« No la adastés ne no locoroçé,
« Que de seno non est ben tenpré.
1 Mon segnor est , in guarda m'oit mené. -
Diste le dame : o Soia à li honor de Dé !
" A nostro roer seri servi c honoré, w
A Varocher donent ço qe il oit comandé
Plu prr paura ca per bona volunté.
13JI — 137^ MaCAIRE. • 115
« Et c'est m'oissors qui m'est riere venu. »
Quant ot H ostes Varocher entendu ,
A sa moillier dist que bien ait peu
Et aaisié la dame sus et jus ;
Et le fait celé , qui bien membrle fu.
COMENT LA ROINE ESTOIT EN HONGUERIE.
Or vont moult bien la roïne osteler ;
De tôt ice que li venist à gré
Li a l'ostesse à son voloir doné ,
Por quoi l'en rent mercis de grant bonté.
Celé l'esgarde par flans et par costés ,
Grosse la voit , si l'en a pris pité.
Or li demande que est icil maufés
Qui tôt jor porte ce grant baston quarré ,
S'il a nul sens 0 se il est-desvés.
Dist la roïne : « Ensi la il usé.
« Ne l'adesés ne ne le corrocés ,
c( Que de son sens n'est mie bien temprés.
ce Ce est mes sire , cil qui m'a à garder. »
Et dist l'ostesse : « A li soit l'honors Dé !
« No pooir ert servis et honorés. >^
Varocher donent ce qu'il ot comandé
Plus par paor que par boine amistê.
ii6 Macaire. inî— m«»<)
Cuitent pur q'cl soia desvc.
A la tcrça noit qui furent albcrçé ,
CHU dame parton una bel arilc.
E la oslcra si le oit alcvé ,
E si le oit e bagne e fasé.
De celle colse qe le venent à gré
A quela dame celé ont doné.
Ne plus ne men le servent à gré
Como eia fu de li so parenté.
E la raine li oit bcn à gré.
E Varocher vait c avant e are
Con li baston e groso e quaré ,
E guarda ben l'infant q'elo non fose anblé
Ne de ilec eser via porté.
La dama stete in lelo oto jorni pasé
Con fa le altre dame fora por le çité ;
E posa fo levea à li fois colçé ,
Con celé dame s'estoit à parlé ,
Et li oster si fo aie k lé.
« Dama , fait il , nu avon ben ovré
a Quanta nu avez bel filz aporté;
« Quando ve plasera q'el sia balezc ,
a E voro eser vestre conper clamé. »
Distia raine : «« Mile marçé n'açé;
« De mun enfant farés la vestra voluntc :
«t Clamer le farés con vos vent à gré. >»
Disl Primcran : « E l'o bcn porpcnsé;
1373—1399 MACAIRE. II7
Bien cuident il que il soitforsenés.
La tierce nuit que furent hebergié ,
S'agiut la dame d'un moult bel iretier.
Et l'a l'ostesse en ses bras alevè ,
Et si Va bien et baignié et faissiè.
De tote chose que H venist à gré
A son voloir a la dame aaisié.
Servie l'a ne plus ne moins à gré.
Corne sefust de son droit parenté.
Et la roine si U en sot boin gré.
Et Varochers vait avant et arier,
0 le baston qu'il ot gros et quarré ,
Et l'enfant guarde que il ne soit emblés
Ne que il soit fors d'illec emportés.
La dame jut el lit uitjors pasés
Corn autres dames seulent par les cités;
Puis quant ce vint qu'ele dust relever,
Avec l'ostesse si estoit à parler,
Et U boins ostes s'en est vers ele aies.
a Dame , fait il , bien avés esploitié
a Quant nos avés un bel fil aporté ;
« Quant vos plaira que il soit bautisiés ,
ce Je vorroie estre vos compères claimés. »
Dist la roïne : « Cent mercis en aies ;
« De mon enfant ferés vo volenté :
« Nomer le faites com vos venra à gré. »
Dist Primerains : a Et F ai bien porpensé;
1400— 14 lu
I l8 M ACAIRE.
« Quant el sera en fonte batiçé ,
o E d'olio santo bcnéi e sagré,
« Par so droit nome elo sera clamé
« Primeran comoeo sonto c. »
COMtM i^F<IMlKAN UtMANDE LINKANT
A LA DAME.
QUANDO vene li tcrtnc di oU» |<irrii f'.is.int .
Primeran ven à la dame e si la demant
Q^ela le die e baili quel enfant ,
Q^elo lo porti à li batezamant.
E qela li dono e ben e dolçemant.
Donde Primeran in ses braçe !i pranl.
E in son mantel li vait envolupant ,
Verso li monester el s'en vait erant.
Nen fo cun lui nula persona vivant ,
Sel non fu Varocher qe va dre planemant.
En son col porte li grant baston pesant.
Avant qe in le monester el vait entrant,
E li rois d'Ongarieçivalça li davant ,
Con molti çivaler de li son tenimanl.
El vi Primeran , à demander li prant.
a Primeran , fait il , o alez si erant ?
« Qe avez vos en vcs mantel pendant ?
1400— 1420 MaCAIRE. 119
« Quant il sera bautisiés et levés ,
a Et d'oilc sainte benéis et sacrés ,
« Et sera il Primerains apelés
« Par son droit nom , si corn je l'ai esté. »
CoMENT Primerains demande l'enfant
A LA dame.
I Quant de ait jors vint H termes passant y
Vient Primerains à la dame et demant
Qu'ele li doint et li baille l'enfant ,
Que il l'en porte à son bapteiement.
Et le fait celé et bien et doucement.
Donc Primerains en sa brace le prent ,
En son mantel le vait envolepant ,
Vers le mostier si s'en vait tôt errant.
0 lui nefu nus hom el mont vivant,
Fors Varocher, qui derier vait trotant.
En son colporte le grant baston pesant.
Ains que il voisent ens el mostier entrant ,
De Honguerie es le roi chevauchant ,
0 chevaliers moult dou suen tenement.
Primerain voit , à demander li prent :
(c Où aies voSy Primerains, si errant ,
« Et qu'avés vos en vo mantel pendante
120 Macaire.
I41I-I44J
— Moosir, fait il , un molto bel enfant
« De una dame bêla et avenant.
« A mon albergo-desis por arse ostalant ;
« Ces enfans a partori qe porto à l'oiio sant,
« E questo e son per qe darer ven erant. »
Li çivaler li guarde, si s'en rise belemant ,
Q^clo li par un horao de niant.
Dist l'un à l'altro : a El me par un troant ,
o Homo salvaço . el n'oit li semblant >>
E cil rois si se fe in avant,
Le mant le prist si levo atant
Por q'elo volt veoir celé enfant.
Quando le vit , que li voit reguardant,
Desor la spala droit le vis una cros blanc.
Quando la vit, molto s'en vait mervilant;
Or voit il ben non e filz de truant.
El di.n à Primeran : « Aler planemant ,
« E voio eser à batezer l'infant. «
Dist Primera : « Soia à li Deo cornant ;
« Molto me plas, se Deo ben me rant. »
COMENT LEOYS li ROIS FIT BATEZER
l'infant.
Adoncha II rois n'en volse demorer.
Cun Primeran el vait à li monster.
1421 — 1442 MaCAIRE. 121
— Sire, fait il, un moult très bel enfant
« De une dame et bêle et avenant.
« A mon ostel vint l'autrier descendant;
K D'un fil s'agiut qu'au mostier vais portant ,
a Et c'est ses pères qui derier vient errant. »
Li baron gardent, s^en ont ri bêlement,
Que bien lor pert estre uns hom de noient.
Dist Vuns à l'autre : « Cist me pert uns truans ,
■' Uns hom sauvaiges ; il en a le semblant. >•
A ces paroles , se trait li rois avant ,
Le mantel prent si le soslieve aîant
Por ce quil velt véoir celui enfant.
Et si li voit, quant le vait esgardant,
Sor destre espaule une crois blanchoiant.
Quant l'a véu , moult s'en vait merveillant ;
Or voit il bien n'est pas fis à truant.
A Primerain dist : « Aies bêlement,
(c Que je voil estre à bautisier l'enfant. »
Dist Primerains : « Tôt soit al Dieu commant;
« Moult par me plaist, se Diexme soit aidant. »
coment loéis li rois fist bautisier
l'enfant.
Adonc h rois ne se vout atargier,
0 Primerain si s'en vait au mostier,
122 MACAlKh. 144)— 1469
Li rois si fait quel abés demander.
« Abes, fait il, e vos voio enproier,
u Se vu m'amés el tenés ponlo çer,
a Qe ces infant vu deçà baiiçer
u Como elo fust filo d'un enperer
« E filo de rois et de per c de mer,
« E si ahament li oficio çanter
a CoQio el se poil fare par nul mesler. «
Dist l'abes : a Ben vos do otrier. »
Adoncha )0S desis de! destrcr.
Et avec lui tuti lo çivaler.
Tuti ensenbre entrent il monster.
L'abes prist l'infant quant li volse sagrer
E primament l'olio santo doner;
Et in apreso , quando vene al bateçer,
Dist l'abes : « Corn le volés nomer ?
— Leoys , dist li rois , como me faço clamer. «
Dist l'abes : « Ben est da otrier. •>
Le infant fait Leoys apeler.
Quando el fo batiçés, q'el s'en voloil aU-r.
E li rois si apelo l'oster.
o Primeran , fait il , vos voio enproier
o Qe cella dame ben diça honorer
« De luto ço qe li ait mester. »
Et i Varocher, qe dist q'e son per,
El fit doner una borsa de diner,
A ço qi abia mollo ben da spcnser.
1443—1469 Macaire. 12
Et si fait il tantost l'abé mander.
« Abes , fait il, de tant vos voit proier,
ce Se vos m' amis et me tenés point chier^
a Que cest enfant vos m'aliés bautisier
« D'emperéor corn se fust iretiers
« Et fils à roi de père et mère nés ,
« Et à l'office si hautement chanter
« Com se poroit faire por nulmestier. .0
Et dist il abes : « Bien fait à otrier. »
Atant descent li rois jus del destrier,
Et avec lui trestuit li chevalier.
Ensemble tuit s'en entrent el mosticr.
Prist l'enfant labes quant il le vont sacrer
Et d^oile sainte premier rengenerer ;
Et quant ce vint après al bautisier
Ce dist li abes : « Com le volés nomer'd »
Et dist li rois : k Si com me fais claimer. »
Et respont l'abes : « Bien fait à otrier. »
L'enfant a fait Loéis apeler.
Puis le bautesme, qu'il s'en voloit aler,
Maintenant a li rois l'oste apelé.
« Oste , fait il , de tant vos voil proier
« Que aies cure de la dame aaisier
ce De trestot ce que li aura mestier. »
Sifist deniers à Varocher donner,
Qui de l'enfant se fait père claimer,
A ce qu'il ait moult bien à despenser.
124 MaCAIRE. 1470—1496
Quant V'arochcr va l'avoir ;\ bailer.
Se il oil çoie non e da demander;
Çoian s'en vait con le visaço cler.
Quant fo i la raine qe li parle l'oster :
« Dama , fait il , ben vos poés priser
o Quant veslre filz a falo batiçer
a Li rois d'Ongarie , qi tant e pro e ber,
« E vestrc fil el a fato nomcr
« Le SCS nome , ne li so milor cançtr.
a Leoys oit nome li vestre baçalcr.
« E à çestu qe dis qi e son per
a Oit doné dineri por spenser. »>
La dama l'olde , moito le prist à graer.
Ora li fa l'osto , ses filz et sa muler
Maior honor qe non fasoit enprimer.
Por qi avoit meio avoir da spenser.
Ensi remis iros le quinçe corner
Qe li rois envoie por Primeran l'osier.
E cil le vait de grez e volunter.
o Primeran, dist li rois, vu avérés aler
o A la dame c dire e conter
a Qe son conper li voroil parler.
Dist Poster : a Ben est da otrier. »
Da li rois se parti , n'en vose entarder,
Ven i la dama sta novela nonçer,
Quando li plait dover se pariler.
Qc II rois , liqual e son conper,
,470-149^ Mac AI RE. 12^
Quant Varochers ot l'avoir à bailler,
Se il ot joie ne l'estuet demander ;
Joians s'en vait o le visaige cler.
Et rêvait Vostes la roïne aparler.
a Dame , fait il , bien vos pois prisier
« Le vostrefil quant a fait bautisier
«. Li rois d'Ongrie , qui tant est preus et ber,
« Et si a fait le bachelier nomer
« De son droit nom^ n'en sot millor trover.
« Loéys a à nom vos iretiers.
« Et à son père , si se fait il claimerj
<c Dona li rois deniers por despenser. »
La dame l'ot , moult li prist à gréer.
Or li font Vostes , ses filles, sa moillier,
Plus grant honor ne fesoient en premier,
Por ce qu'avoir ot miex à despenser.
Ensi remest quinze jors ajornés
Quant Primerain a fait li rois mander.
Et cil i vint de gré et volentiers.
Et dist li rois : a // vos estuet aler
« Vers celé dame , et li dire et conter
'( Que ses compères la vorroit aparler. ■»
Et dist li ostes : « Bien fait à otrier. »
Del roi se part, ne se vout atargier,
Vient à la dame la novele conter,
Quant li plaira se doie aparillier,
Que li frans rois , qui ses compères ert
126 MaCAIRE. «497-ija5
Si vol venir à le i parler.
Dist la raine : « E li voio vonter;
a Ço qe li plail non voio contraster. «
Adoncha la raine se vait adorner
A meio qu'ela poil cun fema str.unfr
E Primeran va li rois nonçer
Parilé est la dame d'oldir lo volonter
Et avec lui stare e conseler
Adoncha li rois nen volse cntarder;
El est monté cun pochi çivaler,
Cun Primeran le venu à Poster.
La dama, quant le vi in le oster entrer.
Contra lui se levé si le vait à incliner
E si le dist : a Ben venez, meser ! »
E li rois le dist : « Ben stia , ma corner ! >^
Desor un banco i se vont aseter
Planetament anbes ad un celer.
E pois se prist anbes à conseler.
" Dama , fait il , molto me poso merviler
" De ves enfant , quant le fi bateçer,
« De un signo qe le vi sor la spala droilurer
« Qe non ait nul seno filz d'inperer.
« Undc, çentil dame , e vos voio enproier
« Por amor de Deo, li voir justisier,
« Si cun comadrc qe non doit boser
« Par nul ren a li soe conpcr.
a Dojide estes vos e qi vos fait frer,
1497—1525 M'ACAIRE. 127
Si vuet venir à son gent cors parler.
Dist la ro'ine : c( Et ne le voil véer ;
« Ce que liplaist nevoil je contrester. »
Adonc se vait la roïne atorner
Al miex que pot en estrange regnier.
Et Primerains s'en vait al roi noncer
Preste est la dame de Voir volentiers
Et avec lui parler et conseillier.
Adonc H rois ne se vout atargier;
Il est montés à poi de chevaliers
0 Primerain est venus à l'ostel.
Quant l'a véu léans la dame entrer,
Contre se lieve si le vait encliner
Et si H dist : « Mes sire, bien veigniés ! v
Et dist li rois : « Commère , bien soies ! w
Desor un banc se vont il asegier
Tôt coiement andui ad un celier,
Et si se prenent ensemble à conseillier.
(c Dame, fait il , moult me puis mervillier
a De vostre enfant , quant le fi bautisier,
« Que sor l'espaule un signe li vi tel
« Que nus ne puet , fors fils à roi, mostrer.
u Dont, gentis dame, de tant vos vueil proier,
« Por amor Dieu, le voir justicier, '
i< Si com commère qui pas ne doit boisier
« A son compère mentir ne losengier,
« D'onî estes vos et qui vos fait errer,
128 MaCAIRE. i{14— im(
rt Cun çesle hon slraine Icrc çerchcr ? »
La raina l'oldc, comença de plurer;
Ça li dira un poi de son penser.
COMENT LA KaINE PARLOIT A LI ROYS.
A rois sire la raina oit parlé :
o 0 çcnlil rois , c voio qe vu saçé
« E vos diro li voir, se oir lo voré.
Moier sui de K.. l'inperé ,
<i Le meltre rois qc posa eser trové ;
u Par un malvas hon e son sta condanc ,
«t E de mon reame e son sta caçé,
tt Malvasement e cun grande peçé.
a Deo soit ben tota la vérité
« Se unche mais eo l'avi pensé.
« Si cun ii rois m'avit çuçé ,
c Ça esloit li fois preso et aiumé ,
a Quando un abes m'avoit confesc,
« E quando oldi toti li me peçé ;
•' Adoncha fui de la mort délibère,
a E mon segnor, si cun fo conselé.
« Ad un çivaler el m'avoit donc
« Qe mener me dévoie m cstrançe contr<*.
n Quando d.» P.ins co fu di.'luin,c.
IJ24— IJ45 MaCAIRE. 129
« Avec cestui terre estrange cercher? y>
La dame Tôt, si comence à plorer ;
Ja H dira un poi de son penser.
COMENT LA ROINE PARLOIT AU Roi,
Si a le roi la roïne aresné :
« Gentis rois sire , ja ne vos ert celé ;
« Le voir orrés, se oir le volés.
a La moillier sui Kallemaine au vis fier,
a Le meillor roi qui se péust trover.
« Un maus traître me fist à mort jugier^
« De mon réaume si me fist il gcter,
« Malvaisement , à grant tort et pechié.
« Diex en set bien tote la vérité
ce Se onques mais je pensai malvaistié.
« Si corn li rois m'ot à morir jugié ,
« Ja ert H feus espris et alumés ,
« Atant me vint uns abes confesser;
(c Et quant il ot oï tos mes pechiés,
(' Adonc me fist de la mort deslivrer.
« Et si com fu mes sire conseilliés,
« // me bailla ad un suen chevalier
a Por me mener en estrange régné.
a Quant de Paris je m'alai eslonger,
Macaire. 9
) ;0 MaCAIRE. 1(46—1)7)
a Quelo traiior qi m'avoie acusé
c Moi venc arer, molto ben armé ,
« Cun quel çivalcr qi m'avoia amené ,
o Si me l'oncis cun li dardo amolé.
o Quando ço vi , luta fu spavcnté ,
« Si m'en foçi in la selva ramé ,
tf E questo hom liqual me ven daré
a A l'insua del bois eo si Palrové ,
w Unde el m'oit trosqua qui compagne.
c El in tal lois eo sonto arivc
o Donde eo son servia e honoré ,
a E questo est por la vcstra bonté.
a Unde çentil rois, e vos prego por Dé,
M Qe je non sia par vos abandoné
a Tant qe à mon per eio soia mandé,
o Qc à grant honor m'avoia marie.
a Par moi mandera çivaler aprisé.
o E v'o dilo de moi tota la vérité. >>
Quando li rois l'intende , tulo fo trapensé ,
El voit bcn q'ela dis vérité ,
E soit qc est raina de la cresteneté ,
De Costantinopoli fila de l'inperé.
Molto altament li avoit encline.
o Dama, fait il , vu siés ben trové !
o Vu ne scrés in tel lois ostalé
a 0 vu serés servia e honoré
«' Tanto qe h vestre per el sera envoie ;
a De vcs afairc bcn li sera conté, u
IJ46— 1573 MACAIRE. 131
« Icil traître qui me vaut acuser
a Arier me vint, moult par ert bien armés;
« Cet chevalier qui m' avait à gnier
« Si me l'ocist à l'espié amolè.
« Quant je le vf, n'oien moi qu'esfréer,
« Si m' enfui ens el grant bois ramè^
« Et celui homme qui si me vient derier
« Ai à Vis sir de la selve atrové ,
ce Dont m'a il puis trosque ci compaigniè.
« Et en tel lieu somes nos arivé
a Où somes bien servi et honoré ,
ce Et tôt ice par la vostre bonté ,
a Dont, gentis rois, et vos pri, en nom Dé,
(f. Ne me voilliés ainçois abandoner
« Que à mon père soit mes eslres mandés,
« Qu'à grant honor m'avoit mari donc.
ce Por moi vorra chevaliers envoler.
ce Et vos ai dit îote la vérité. »
Li rois l'entent , tos en fu trespensés,
Et voit il bien qu'ele dit vérité.
Que roïne est de la crestienté ,
Et que ses pères Costantinoble tient.
Moult hautement la vait il encliner.
ce Dame , fait il , bien trovée soies !
ce Vos vorrai je en tel lieu osteler
a. Ou VOS ferai servir et honorer
ce Tant qu'à vo père uns mes soit envoies;
« De vostre affaire bien H sera conté. »
\]2 Mac AI RE. •$74— «^94
COMENT LI ROYS FAIT CRANT HONOR
A LA DAME.
Ll rois d'Ongarie si fo saço c valant ;
A celé dame elo fc honor tant
Cun se poroit penser par nul semblant.
Ne la laso en osier da cil jor en avant ;
Robe le fi fare de diversi semblant
Como à raine se convant.
Et à V^arocher ne fe far ensemant.
Et pois à son paies li meno al presant ,
Cun sa muler in compagna la rant.
Non e nul cose , se ela li demant ,
(^'ela non açe tôt son talant.
Qj donc vcist V^arocher aler aroiement
El non senbloie eser mie truant.
Quando se vi vesti si richamant,
Cun li çivaler vait et arcr et avant.
Adoncha li rois non demoro niant ;
Una galée fe pariler mantinant ,
Quatre anbasaor, di meltri de sa jant,
En Costant'nopoli l'invoio al presant
Conter à l'inpcr tuto çertanemcnt
Como sa file Blançiflor la valant
ÎÎ74— 1594 MaCAIRE. 1 3 3,
CoMENT Li Rois fait grant honor
A LA DAME.
Ll rois d'Ongrie fu saiges et vaillans ;
A la moillier Kallon fist honor tant
Corn se poroit penser par nul semblant.
Ne la laissa en ostel maintenant ;
Robes et dras de moult divers semblant
Lifist il faire, corn à roïne apent.
A Varocher s'en fist faire ensement.
A son palais puis l'en mené à itant,
A sa moillier en compaigne la rent.
N'est chose nule, se ele li demant,
Que ele n'ait îrestot à son talent.
Qui donc véist Varocher s'arréant
Ja nen ot mie le semblant d'un truant.
Quant il se voit vestu si richement,
0 les barons vait arier et avant,
Adonc li rois ne s'atarge noient;
Une nef fait pareiller maintenant,
Quatre mesages , des meillors de sa gent ,
L'emperèor envoie tôt errant
Dire et conter trestot le covenant
Si corn sa fille Blancheflor la vaillans
1^4 MaCAIRE. i(9(— iéi6
En Ongarie vcne povcrcmani ,
Blasmea fu à grando traïmant,
Donde li rois à qi França apant
De son reame l'a caçca vilanemant :
o Vcnua e in Ongaria cl ilec vos atanl,
o Qe le mandés à dire de le vestre talant. ••
Va s'en li mesaçer por la mer naçant ;
Tanlalircnl, nen fi areslamant ,
Qc al porto de Coslanlinopoli desant.
Quant furent desendu , i s'en vait avant ,
Ad un albergo i s'en vait oslalant.
Quant l'inperer sait li convenant,
Donde venent e qi von querant ,
Elo li reçoit e ben e çentilmant ,
Si le convie à son paies grant,
Por oldir novelle li quer e demant.
COMENT Ll MESAGE PARLE ALLI ROIS.
QUANDO li rois vide li meçager,
Elo li demande c pois si le rcquer
Que ambasca i le doit nonçer.
E cil losto li prcndent à conter :
•' Eniperer sire , nu vo devon conter
" Qc vestra file , Blançiflor al vis dcr,
1595— léié MaCAIRE. I35
En Honguerie venue est povrementf
Blasmée fa à tort, traïtrement,
Dont l'emperere cui France est apcndant
L'a de son règne gctée laidement :
ce Vint en Hongrie et illec vos atent ,
« Que li mandés à dire vo talent. »
Vont s'ent li mes parmi la mer najant;
. Tant ont erre, n'ont fait arrestement,
Costantinoble au port vont descendant.
Quant sont à terré, il se traient avant,
Ad un ostel si s'en vont ostelant.
Quant l'emperere en set le covenant,
Et d'ont il vienent et que il vont querant,
Il les aquieut et bien et gentement ,
En son palais les mande à parlement ,
D'oir noveUs lor enquiert et demant.
COMENT LI MESAGE PAROLENT AU ROI.
Quant a véu li rois les mesagiers,
Il lor demande et puis si les requiert
Que lor mesage li vaillent tost noncer.
Et cil errant liprenent à conter:
ce Sire emperere , ne vos devons celer
ce Que vostre fille, Blancheflor al vis cler,
1)6 Macaire. 1617—164)
« Calonçea est par un malvasio liçer,
«» Donde K. maino, l'inperer,
«t De son reame l'avoit falo sbanoier,
u Si ia dono in guarda ad un çivaler
a Q[la devoia e condur c mener
« Fora de son reame e toi son tcrcr ,
a Quant cil traites qe l'ave acasoner
« Armé de totes armes si le vene darcr
a E si Toncis al brant forbi d'açer,
u Donde por li bois s'en convene aler.
u Venua est en Ongarie, desis ad un ostcr,
« Et ilec partori dun petit baçaler.
« E quando l'infant s'aloit à batiçer,
a Si le portava Primeran son oster,
a Quando li rois si se le fe mosler,
« Una cros le vi sor la pala droiturer,
» Dont il conoit non estoit filz de paltroncr.
tt Donde l'infant el vose batiçer
n Si altament como se poit deviser.
« E quant cl vene à sa mer parler,
a Ela le prist toto quant à conter
« Ço que le vene e davant e darer.
«I Onde clo la fe mener à son oster
« E richamcnt vestir e calçer.
« Si grant honor le fi toti le çivaler
o Con se poroil ne dire ne parler.
• Li rois vos mande cum vos volez ovrer ;
i6i7— ié4î MaCAIRE. 137
« Retée fa d'un malvais pautonierj
« Dont Kallemaines , l'empererc al vis fier^
a La fist banir de son règne etgeter,
« Si l'enchargea ad un suen chevalier
« Qui la devoit et conduire et mener
« Fors de son règne et de tôt son terier^
ce Quant cil traître qui l'ot achoisoné
(5 De totes armes armés li vint arier
« Et si l'ocist al branc forbi d'acier,
«. Dont li covint par le bois s'en aler.
ce Ele s'en vint en Hongrie osteler,
ce Illec s'agiut d'un petit bachelier.
ce Et quant ce vint à l'enfant bautisier,
(( Que le portait ses ostes au moustier,
ce Atant li rois si se le fait mostrer,
ce Voit sor s'espaule une crois blanchoier^
ce Dont conoist il n'est fis à pautonier.
ce Por ce l'enfant vont faire bautisier
ce Si hautement com se puet deviser.
ce Et quant il vint à sa mère parler^
ce Ele li prist dou tôt à raconter
ce Ce que l'avint et devant et derier,
« Dont la fist il mener à son ostel
ce Et richement et vestir et chaucier.
ce Tant Vhontrerent trestuit li chevalier
ce Con nel porroit dire ne deviser.
ce Li rois vos mande com en volés ovrer ;
1^3 Macaire. 1644—1(^4
u Parilè est de toi otricr.
«i E vcslra fila si vos manda proier
Cl Qe no la deçà par nula ren abandoner. »
Quant l'inpercr li oidi si parler,
E de sa file la novela conter,
S'cl oit dol non c da merviler.
Qui anbasaor qi li vene anonçer,
Altament clo le fe onorer,
E li rois d'Ongarie altament gracier
COMENT LI Rois FI APELERE OTO
DE SES BARON.
Quant quela novela oldi quel inperaor
De soa file c'oit fresco li color,
A gran mervile n'avoit gran dolor,
Si qe por le non pote ester non plor.
Dist à li anbasaor : a Nu faren li milor,
a Qe eo prendero di me anbasor
a E por ma file mandero ad estor,
o Si me la faro venir à gran onor ;
a Mais non fala guera à K. l'inperaor
a Quan à ma file fato oit tel desenor. »
Adoncha li rois n'en volse far sejor ;
Fc apeler ses çilvaler mior.
ié44— ié(j4 MaCAIRE. 139
« Aprestés est dcl tôt de l'otrier.
« Et vostre fille si vos prie et requiert
« Ne la voillés por rien abandoner. »
Quant l'empererc les oï si parler
Et de sa fille les noveles conter,
S'il en ot duel n'est mie à merveiller.
Les messagiers qui li vienent noncer^
Moult richement les a fait honorer,
Le roi d'Ongrie hautement mercier.
CoMENT LI Rois fist apeler uit
DE SES BARONS.
Quant la novele vint à l'emperéor
De soe fille qu'otfresche. la color,
A grant merveille en ot il grant dolor,
Si que por ele ne puet ester ne plort.
Dist as mesages : « Nos ferons le meillor,
a Que je penrai de mes ambaxéors
« Et por ma fille manderai à estros ,
ft Si la ferai venir à grant honor ;
« Mais ne faura guerre à l'emperéor
« Quant à ma fille a fait tel desonor. »
Adonc li rois ne vout faire sejor;
Fist apeler ses chevaliers meillors.
140 MaCAIRE. i66t— i68i
Octo n'apelc de li so parcntor,
Liqual crenl de lor tola la flor.
a Segnur, fait il , or non farés demor,
« A\tz m'amener ma fila Blançiflor,
« Qc mavoit sbanoïe K. i'inperaor
« De son reame e de sa tera ancor.
« Uncha non açe mai de inpcrio lionor
a Se çer no li vendo Blançiflor sa uxor
a Q^el oit caça i colanto desenor,
•» Quant venùa est in cotanto tenebror. >
COMENT LI ROIS MANDE PER LA FILLK.
Li enpcrer nen fo mie enfant ;
Dolent fo de sa file bêla e avenant
Nen fo uncha plus à tuto son vivant.
El si l'arnava de cor lialmant
Nen vos mervelés s'elo ne fo dolant.
Olo n'apele di ses milor parant ,
Por sa file envoie en un legno corant.
E â li quatre anbasaor qe li vene en avant
Qe ii rois d'Ongarie l'invoio al presant,
Moite li onoro si le donc vestimant
E k çascun un palafroi anblant ,
lééj—iésj Macaire. 141
Uit en apele , îos dcl sien parentor.
Et si estaient des lor tote la flor.
Segnor, fait il , or ne faites demor,
Si m'aies guerre ma fille Bhncheflor,
Que m'ot bannie Kalles l'emperéor
De son rèaume et de sa terre encor.
Onques mais n'aie de l'empire rhonor
Se ne H vent chier Blancheflor s'oissor
Qu'il a chacie à sigrant desonor,
Quant venue est en si grant tenebror. »
CoMENT Li Rois mande por sa fille.
Ll emperere n'ot mie cuer d'enfant ;
Si fa dolens de sa fille au cors gent
Qjfonc plus ne fu en trestot son vivant.
Tant l'amoit il de cuer et léaument
N'est pas merveille se il en fu dolens.
Uit en apele de ses meillors parens ,
Que por sa fille envoie en nef corant.
As quatre mes qui li vinrent avant
De par le roi de Hongrie en présent,
Grant honorfist, si dona vestsmens
Et à chascun un palefroi ambiant ,
I^J Macaire. 1686—1707
E li rois d'Ongarie altament regracianl ;
E profcrando à lui son oro e son arçant
E son reame e darer e davant.
Va s'en li anbasaor e legri e çoiant,
E qui de l'inpercr s'en vait ensemanl.
Tant sont aie por la mer naçanl
Venenl en Ongarie et ilec desanl.
Li rois quando le vi , le reçoit çentilmant ,
Honor le fait merviloso e grant.
E cil le vait molto regraciant
De ço qc oit fato à sa fila valant.
Li rois d'Ongarie li reçoit si çentilmant
Con se poroit conter par nul senblant.
E Blançiflor la raine de Franc
Quando le voit, contre lor li vait corant ;
Ben li conoit, qe i son so parant.
De son per demande primemant
E de sa mer q'ela peramc tant.
a Dama , fait il , de vos i son dolant ;
« Par nos i mande si vos atant.
•i Or li verés, ma dame , e vos c vcs enfant. »
Ela le dist : « Voluntera por talant. »
1686—1707 Macaire. 145
Le roi d'Ongrie hautement merciant ;
Et si H offre son or et son argent
Et son réaume et derier et devant.
Vont s'ent H mes haut et lié et joiant,
' Et cil s'en vont qu'au roi mande ensement.
Tant sont aie parmi la mer najant
Que en Hongrie là vienent descendant.
Voit les il rois, ses aquicut gentement,
Honor lorfait et merveillos et grant.
Et cil le vont moult par regraciant
De ce qu'ot fait à lor dame vaillant.
Li rois d'Ongrie les aquieut richement
Com se porroit conter par nul semblant.
Et Blancheflor, la roïne des Frans,
Quant les avise, contre lor vait corant ;
Bien les conoistj que il sont si parent.
De son père a demandé erranment
Et de sa mère qu'ele paraime tant.
« Dame , font cil , de vos sont il dolent;
« Par nos vos mandent il vos sontatendant.
ce Or i venés, dame, atout vostre enfant. »
Et dist la dame : « Si me vient à talent. »
f44
MaCAIRE. 1708-1758
[COMENT u Rois de Honcuerie aq.uieut
LES MESACIERS.]
Ll rois d'Ongaric, li saço c li ber,
A li anbasaor el vail ainclincr.
Tanto honor ii fait como i fose son frer.
E à qucla raine el fi robe lalcr
Como se convenl, de palio c de çender,
Et ensement le fait à Varocher
Qe oit la dame à son justisier.
E li rois d'Ongarie, quando sevene à sevrer,
Tot^soa galea el fait apariler
De tote quelle colse qe li avoit mester :
De pan e de vin , de carne da mançer.
Et in apreso quatro de ses çivaler
Elo fait richament coroer,
Qe qucla dame aie à convoier.
En nave entrent quando volent naçer.
E cela dame , q'e lanto pro e ber,
Ven â li rois conçé A demander,
E à la raine, la bêla al vis cler.
Non oblio mie Primeran son oster ;
Cran don li fe à lui et à sa muler.
Una colsa fe dont fo iiîolto à loer :
I708— 1728 MaCAIRE. 145
[CoMENT Li Rois de Honguerie aquieut
LES MESAGIERS.]
Ll rois d'Ongrie, H saiges et H bcr,
Les mesàgiers vait ades incliner.
Si corn ses frères les fait il honorer.
A la roïne a fait robes tailler
Com il afiert , de paille et de cendel ,
Et ensement le fait à Varocher
Qu'en sa baillie ot la dame à garder.
Et fait H rois, quant vint au desevrer,
Totesa nef garnir et estorer
De totes choses que li feront mestier :
De pain , de vin , et de chair à mangier.
Et en après quatre suens chevaliers
A fait li rois richement conrèer,
Qui celé dame voisent à convoier.
En la nef entrent quant tens est de nagier.
Et Blancheflor, ou il not quensegner,
Au roi d'Ongrie vient congié demander,
Et à la roine, à la bêle au vis cler.
Primerain l'oste ne vont mie oblier;
Grant don lifist, sifistà sa moillier.
Une rien fist dont moult fist à loer,
Macairc. îo
14^ MaCAIRE. ,7j(,_I7jj
Qc una de ses file volse sego mener,
Qe pois le fe richament marier,
R grant avoir li fe doner à son ser.
Quant a ço fato, se melenl à naçer ;
Via s'en vail con toto Varocher.
Or un petit averon qui laser,
Si contaron de K. l'inperer
E del dux N. del ducha de Baiver.
Le primer jorno q'cl trovo sa muler
Entro li leto cun li nano ester,
Avanti qe del toto la volese çuçer.
Le conselo le dux N. de Baiver
Qe in Costantinopoli envoiase mesaçcr
Tuto l'afaire por rason conter :
Ço qe de lui a fato sa muler,
Como co li nan la trovo in avolter ;
Ben li poit de ces ovra noier.
E questo fu qe alo por mesaçer
Un conte do France e nobel e ber
Qe oit nome Bernardo da Mondiscr.
o Bernardo , disl li rois , tu t'en avéra aler
a En Costantinopoli parler à l'inperer.
c Da la ma part tu le devcra nonçer
n Qe soa flic trova o in avolter
Cl No pais mie cun dux ni cun prinçer,
« Mais cun un nan, dont m'e gran vitupcr.
tt No s'en mervcli se m'en voio vençer,
1729— I7JÎ MaCAIRE. I^y
Que de ses filles une 0 soi vout mener,
Que puis lafist richement marier,
Et grant avoir à son seignor doner. ■
Quant a ce fait, se metent au nagier;
Vait s'en la dame, ensemble Varochers.
Or un petit lairons ci d'eus ester.
Si conterons de Kallon au vis fier
Et de Naimon dou duché de Baivier.
A icel jor que avec sa moillier
Trova le nain ens el lit acouchié ,
Ains que del tôt il la volsist jugier,
Le conseilla dus Naimes de Baivier
Que à son père envoiast mesagier
T restât l'affaire et dire et deraisnier :
Si com l'avoit vergoignié sa moillier^
Qu^avec le nain trovée ot en pechié;
Bien li pooit de ceste oevre anuier.
Et por itant fu pris à mesagier
Uns quens de France et nobiles et ber
Qui ot à nom Berart de Mondidier.
« Berars, dist Kalles, il t'en estuet aler
« L'emperéor en sa cité parler.
ce De moiepart tu li iras noncer
a Que soe fille ai trovée en pechié
« Non mie avec un duc 0 un princier,
« Ains od un nain, dont m'est grans reproviers.
« A^^ s'en merveille se ie m'en vucil vengier.
148 MaCAIRE. i7{(
•«777
a Qc tel colse non c da loer
a Ne li baron de France ncl poroil conporler. w
Dist Bernardo : « Ben li avcro nonçer,
n Se Dé me dona in Costantinopoli aler. »
Al çamin se mist c prende soi aler,
Tros en Costantinopoli non volse seçorner.
Li rois trova e soa çcntil mulcr
E sa baronie, conti e çivalcr;
Par una festa fato li oit asenbler.
Ça olderés la novcla del corlos mesaçcr.
COMENT BERNARDO PAROLE.
a Enperer sire, Bernardo oit parlé,
a K. li rois, le maine cncoroné
a Qe soit en tôt le mondo de la crcsleneté ,
a A vos m'oit por mesnçer mandé,
u E de quela anbasea non son mie aie.
« Quando vu le saurés, ne seri coruçé.
u De una ren e voio qe vu saçé :
a Nen fo ma raina ni dama coroné
«« Da nu baron eser tanlo honoré
c Cun vcstra file dal rois de crcstenclé;
c Mais ela est devcr lui mal porté ,
a Qe cun UQ nan l'oit atrové en peçé;
I75é— 1777 MACAIRE. 149
« Que itel choses ne font mie à loer
« Ne mi baron nel porroient durer. »
Et dist Berars : « Bien H saurai noncer,
ce Se Dex me doint en sa cité aler. »
Adonc s'aroute que n'i vont soj orner
Costantinoble tant que pot encontrer.
Le roi i trove 0 sa gentil moilUer
Et son barnage, contes et chevaliers;
Por unefeste les otfait asembler.
Huimais orrés dou cortois mesagier,
CoMENT Berars parole.
« Sire emperere, dist Berars, entendes:
« Kalles H rois, U mieudre coronés
<■<. Qui soit cl mont n'en la crestienté^
« M'a devers vos à mesagier mandé,
« Et dou mcsage ne sui joians ne liés.
« Quant le saurés, s'en serés corrocés.
« Ja d'une rien vos vueil acréanter :
« Nen fu mais dame qui corone ait el chiej
« A cui nus ber tant honor ait porté
« Com à vo fille Kalles li rois membres;
ce Mais ele a moult envers lui meserré,
« Qu'avec un nain Va trovée en pechié;
150 MaCAIRE. 1778—1804
n En avollerio c!a s'est atrové.
o Unde à vos elo m'oit envoie
« Qe vos de ren no ve mervelé
a Se por justisia ela sera çuçé. »
Quando II rois l'oit oldi e ascolté,
A gran mervile en fu amervilé.
Mais sor tôt la raina qe l'avoit alcvé,
Qc conose de sa file son cor e son pensé ,
Nen pote ester al mesaço oit parlé :
o Mesaçer frer, le seno avcs çançc ;
« Ben conosco ma file qe in mon ventre porte :
o Ço que vos dites tôt est falsité ,
M Ne non poroit estre per toto l'or de Dé
a Qc mia file en fust tanto olsé
rt Qe à son segnor aùsl fato falsité.
« Ben post ester à torto calonçé,
« Mais à droiture el no e vérité.
tt Plus loial dame non e en crestenté ;
a Mal fa li rois quando de ço l'a blasmé. u
Dist imperer : « Mal avoit porpensé
« K. Il rois quant ma fila oit calonçé
« De un nan, donde sui si abosmc
« Par un petit non ai li seno cançé.
a A vestre rois, quan tornarez are,
« Da la ma parte vu si le conté
• Qe ben se guardi et avant et are
« Qe i ira fila non faça nul engonbré ;
1778— 1804 Mac AI RE. I5I
« En avoutire l'a li rois atrové.
« Dont à vos , sire , me vont il envoier
« Que vos de rien ne vos esmerveillés
« Se il la fait par jugement mener. »
Quant l'a li rois o'i et escouté ,
A grant merveille en fa esmerveillés.
Mais la roine qui la nori souef,
Qui de sa fille conoist cuer et pensé,
Nen pot ester au message ait parlé :
« Mesagiers frères , le sens avés changié ;
« Bien conois celé qu'en mon ventre ai porte :
« Ce que vos dites est trestotfausetés.
« Nen porroit estre por trestot l'or de Dé
« Que moie fille tant osée ait esté
« Qu'à son segnor éust faitmauvaistié.
« Bien la puet on à grant tort encorper,
« Mais à droiture, n'est mie vérités.
« Plus loiaus dame n'est en crestienté;
a Mal fait li rois , quant la blasme, et pechié. »
Dist l'emperere : « Mal avoit porpensé
« Quant vout ma fille rois Kalles encorper
a Tôt por un nain , dont sui si abosmés
« Par un petit n'en ai le sens mué.
ce A vostre roi , quant tornerés arier,
a De moie part vos si li conterés
« Que bien se gart et avant et arier
« Que à ma fille face nul encombrier;
1^2 MaCAIRE. i8o(— 1826
« E s'elo l'oit trové en nul peçé,
« A moi l'envoi, e non soia entardé,
« Savoir e voio da le la vérité.
« S'ela s'er avoué, in mal ora fo né !
« Colsa como no or no me la blasmé,
tt Qe de ma file non o nul mal pensé,
« Et s'el e calonçea, el est à falsité
Œ Da malvasio hom e pesimo eré.
« Ço qe vos di or ne le oblié. »
CoMENT Li Rois parlle alli mesancer.
« Mesaçer frer, non avoir nul dotançe;
« Da la ma part dira à l'inperer de France
H Qe de ma fila non 0 mal entendançe.
M Onde eo le prego q'cl aça pietançe,
« Envoi à moi ma fila , si savro l'açertançe,
a Se voir sera , metero la en balance ,
« Çuçea sera sança nul demorançe ;
<( E de questa colse non aça dubitançe.
» E s'elo la çuça sença moi entendançe ,
• Qe da le non saça l'açertançe,
•t Eo n'avero al cor gran tristançe ,
• Si le metero tota la mia posançe
« De le prender gran vengançe. »
1805-1826 Macaire. 153
« Et se il l'a trovée en nul pechiéy
« A moi renvoitj et ne soit atargié ,
« Que savoir vueil d'ele la vérité.
« S'ele gehist , marfu ses gens cors nés!
« Et nonporquant or ne me la blasmés ,
« Que de ma fille je n'ai nul mal pensé ,
ce Et encorpée est ele à fauseté
« D'un malvais home et pesme rende.
c< Ce que vos di , ore ne l'obliés. »
CoMENT Li Rois parole au mesagier.
« Messagieks frères , n'aies nuledoîance;
De moie part dires au roi de France
Que de ma fille je n'ai maie entendance.
Dont je le pri que il ait pietance,
A moi l'envoit , s'en saurai l'acertance,
Et,'Se voirs est, la mctrai en balance.
Si ert jugiée sans nule demorance;
De ceste chose et ne soit en dotance.
Et se la juge sans la moie entendance ,
Que de sa bouche n'en saiclie l'acertance ,
Totjor au cuer en aurai grant trisîance,
Si meterai trestote ma puissance
A prendre d'ele dolereuse vengeance. »
1)4 Macaire. 1817—1848
Disl li mesaçer : « Loial e li rois de France ;
« Non fara ren sença gran consciançe.
« Vcstra anbasca faro sença nul demorançe. «
COMENT LI MESANCER DEMANDER CONGÉ.
<» Emperer sire, çodistli mesaçer,
«» Ben diro vestra anbasea à K. l'inpcrcr. )»
Conçé demande, si s'en torno arer;
Mes avanti q'cl poust en França entrer,
EIo oldi de Macario la novcla conter
E d'Albaris, li cortois e li ber.
Quant le oldi , molto s'en pris merveler.
Tanto çamine et avant et arer
Ven à Paris, si se vait ostaler»
E pois, sença nul deniorer,
Va à la cort à l'inperer parler
Por son mesaço dire e retorner.
« Enperer sire, ço disl li mesaçer,
« En Costantinopoli à celé enperer
a Vestra anbasca c dire c conter,
o Saçé por voir, quando m'oldi parler,
« Présente cstoit ilcc sa mulier.
« Molto s'oit de ço amervilcr.
<' E por nui ren ne le poit crécnter
1827-1848 Ma CAIRE. 155
Et dist H mes : « Preus est li rois de France ;
ce Rien ne fera que n*ait grant conseillance.
« Vostre mesage ferai sans demorance. v
COMENT LI MESAGERS DEMANDE CONGÉ.
« Si RE empercre , ce dist H mesagiers ,
« Bien ert Kallon vos mesaiges contés. »
Congié demande et si s'en tome arier;
Mais ains qu'en France il péust repairer,
De Macaire ot les noveles conter
Etd'Auberi^ qui ert cortois et ber.
Quant Vot oï, moult s'en est merveille.
Tant a erré et avant et arier
A Paris vint , si se vait osteler,
Et tost après , que n'i vout demorer,
A la cort vait l'emperéor parler
Por son mesaige et dire et retorner.
ce Sire emperere , ce dist li mesagiers ,
a L'emperéor alai en sa cité
ce Vostre mesaige et dire et conter.
ce Sachiés por voir, quant il m'o'i parler,
ce Ensemble 0 lui fu illec sa moillier.
ce Moult par se prist de ce à mervéiller,
ce Et por noient ne li voi créanter
1)6 MaCAIRE. 1849— i87{
u De soa file nesun mal penser.
H E ben guardés d'ele à çuçer;
u Mais el vo proie que la deçà envoier
« Qe avec le clo ne vol rasner,
«t Savoir s'el est voir, 0 falsa calonçer.
a S'el sera voir q'el se posa proer,
n Si asprament elo la fara çuçer
u Qc lolo le mondo s'en aura merveler;
u Sel no e voir, no la vol calonçer.
a E ben guardés por dito de liçer
« Ne le faisés onta ni engonbrer. »
Li rois Tintent, molto li parse noier.
Elo reguarde dux N. de Baiver.
« N., disl il , grant est li destorber
tt Qe m'oit fato le Iraito losençer
«« Qe à lorto me calonço ma muler.
u Conselés moi , e vos voio en proier,
« Como me poroie da celé enperer
« De soa file dire e escuser. »
E dist N. : « Vu farés como bcr;
a Vu le farés dire e créenter
« Qc vestre dame l'invoiesi l'autrer
« Par un çivaler cortois e bcr ;
a Mais un Macario malvasio e lanier
a Contra vos voloir si le aloit arer,
a Si le oncis al brant forbi d'açer.
« Qe devenise de la raine, quel no le savés conter,
i849-ï87J MACAIRE. I57
« Que de sa file éust nul mal penser.
« Et bien gardés , ce dist, d'ele jugïer;
(( Mais il vos prie li voilliès envoler
a Que avec ele en vuet il raisoner,
ce Savoir s'a colpe, 0 se c'est fausetés.
a Se ce est voir, que se puisse prover,
« Si asprement la fera il jugier
« Que tos il mons s'en porra merveiller;
« Se voir n'est mie , ne la vuet encorper.
« Et bien gardés por dit de pautonier
« Ne li faciès ne honte n'encombrier. »
Li rois Ventent , moult li pot anuier.
Esgardé a duc Nairnon de Baivier.
a N aimes , dist il , grans est li destourbiers
« Que fait nos a li cuivers losengiers
« Qui encorpée m'a à tort ma moillier.
« Conseillés moi , je vos en vueil proier,
c< Corn me poroie vers cel roi escuser,
a De soe fille et dire et conter. »
Et dist dus N aimes : « Vosferés come ber;
« Vos li ferés et dire et créanter
« Que vostre dame , l'enchargastes l'autrier
« Un chevalier, qui fu cortois et ber ;
a Mais uns Macaires , et malvais et laniers ,
« Contre vo gré aies lifu arrier,
« Si iot ocis au branc forbi d'acier.
« De la roïne ne li savés conter,
1^8 Macaire. 1876—1897
n Qe quel Macario, quando se vene Ji çuçer,
«i D'cle non soit nuia rason mosircr
«« Qe la ast lasé in boscho ni in river. »
Disl l'inpcrer : n E si le voio otrier
" Qe lo segc diça dire e derasner. »
COMENT NaMO PARLLOE.
Naimes parole, qe no fo pais viian :
" Entendes moi , çentil roissevran.
« De la raine estoit moito gran dan
«« Sença peçé sia morta , ad ingan ,
«« Por cil malvès traiter seduan.
û Cil le confonde liqual formo Adan !
'< James non fo veu un si pcsimo tiran.
'« E vos estes rois tros en Jerusalan,
« Sor tote rois estes li sovran ;
« A quele rois q'era vestre paran
'• Excuser vos estoit qe non savés nian
a Dapo qe fo parti da vos por çuçemant.
a Donde al traitor en desi tel torman
a Qe arso fo in le fois ardan
a Contra voloir d'amisi e de paran. »
Dist l'inpercr ; a Vos estes li sovran
« Qe se trovase tros en Jerusalan.
1876—1897 Mac AIRE. 159
« Que cil Macaires , quant ce vint au jugier,
ce D'ele ne sot nule raison mostrer
« Se l'ot laissie en bois 0 en rivier. »
Dist l'emperere : « Et si vueil Votrier
« Que li mes doie et dire et deraisnier. »
COMENT NAIMES PARLOIT.
NaimeS parole, qui pas ne fu vilains :
« Entendes moi , gentis rois soverains.
« De la roïne ci aurait moult grans dans
« Que morte soit à tort, vilainement ,
« Por cel malvais traïtor sod niant.
« Cil le confonde liquiex forma Adan !
« Ja ne fu mais uns si pesmes tirans.
« Vos estes rois trosqu'en Jerusalan,
a Et sor tos rois si estes soverains ;
« A celui roi qu'est li vostres parens
a Vos covient dire que n'en savés noient
« Puis que de vos parti par jugement.
« Dont H traître en soffri tel torment
w Que pris en fu et ars en feu ardent
« Contre voloir d'amis et de parens. »
Dist l'emperere : « Hom de conseil plus grant
« Ne se trovast trosqu'en Jerusalan.
1898— ig 10
160 M ACM RE.
a Qe en vos se fie po ben escr certan
Cl Non avoir mal la sira ni l'ademan.
a Sovra toi li saçes estes li capitan ;
« Vu serisi estei eser bon çapelan
« Por conseler lot le crislian. »
COMENT ANCHOR PARLLE N.
» Çentil mon sire, ço disi li cont Naimon ,
« Sentencia qe se dait contre rason
« Molto desplait à Iota çente del mon ;
n E quel qi la da n'atende bon guierdon
« D'acelle qi sostene li tron.
a Çuçe fo la raine sença cason,
» La plus bêla dame de toi li mon
n E la plu saçe e de milor rason
« Qe uncha mes en fose Salomon.
« Como l'ausl mais pensea nesun hon
" Qe Macario , qe i avés conpagnon ,
« Ausl pensé vers vos tel traïson
a Ne ausl morto Albaris, sença cason,
« Por avoir la raine à soa sobecion.
« De cclla raine non saven si ne non
o Qe n'est devenue dapois q'ela s'en alon ;
« Mais mon cor me dist si n'csto en sospiçioii
1898— 1919 Macaire. 161
« Qui en vos se fie bien puet estre certains
(' De n'avoir mal ne au soir ne au main,
(f Sor tos les saiges estes H chievetains ;
« En vos auroit eu boins chapelains
« Por conseiller trestos les crestiens.
COMENT ENCORE PAROLE NaIMES.
a Mes gentis sire , ce dist li dus Naimon ,
a Jugemens fais contre droit et raison
« Moult puet desplaire à totegentdel mont;
ce Et qui le fait en aient bon guierdon
« Dou roi de gloire , cil qui sostient le tron.
c( Jugièe fu à tort, sans achoison,
« Celé qui ert la plus bêle dou mont
« Et la plus saige et de meillor raison
« Qui onques fuist puis le tens Salemon.
« Com l'èust mais pensé nus hom del mont
« Que cist Macaires, qu'avois à compaignon ,
« Eust vers vos pensé tel traïson
« Ne éust mort Aubri sans achoison
ce Por la roïne, por en faire son bon.
ce De celé dame ne savons 0 ne non
ce Qu'est devenue puis sa desevroison ;
ce Mais dist mes cuers si sui en sospeçon
Macaire. Ii
l62 MaCAIRE. i9ao~i94(
u Qe sana c vive ancora la vcron.
tt Mais, sel vos plait, tenpo nu atcnderon
<v Tanto qc allre novellc oldiron
o De la raine , s'cle e monta o non. u
Dist l'inperer : « A Dec bcnecion. »
COMENT rARLLOE N.
o Enperer sire , ço dist N. de Baiver,
a Se à mon conseil vos volez ovrer,
a Tel vos donaro non cri da obiier :
« Ancora en Costantinopoli envoiaria mesaçer
« A celle rois dire e conter
« Cun la justisie avés fata si fer
a De Macharie, li trailo lesençer,
u Qe soa file aloit acuser,
« Sença coipe me la fe sbanoier.
u Ne se poroit de la justise dire ne rasner,
o De soa file ren ne le pois derasner ;
a Ne le so pais dire ni conter
a Cornent se posa avoir ni trovcr,
o Qc in le bois se aloit afiçcr.
« E se de le vole mcdança demander,
« Parilé estes de à lui délivrer
a D'or e d'avoir, c de besant e de dincr »
1920—1941 Macaire. 163
« Que saine et vive encore la verrons.
« Mais, se vos plaist , un îens nos atendrons
« Entresi que noveles o'irons
a De la roïne, se ele est morte 0 non. »
Dist Vemperere : « A Dieu benéiçon. »
COMENT PARLOIT NaIMES.
« Sire emperere, dist N aimes de Baivier,
« Se vos volés par mon conseil ovrer,
« Tel vos donrai n'erfmie à oblier :
ce Je manderoie un autre mesagier
« Uemperèor et dire et conter
a Corn la joutice si fierc faite avés
ce Envers Macaire, le cuivert losengier,.
ce Qui soe filk à tort vint acuser,
« Et me l'a fait de la terre geter.
c( De la joutice ne se porroit parler,
ce Rien de sa fille ne H puis deraisnier ;
ce Ne lui sai mie ne dire ne conter
ce Com se porroit ravoir ne atrover,
ce Que ens el bois s'ala ele afichier.
« Et s'amendise vuet d'ele demander,
« Vos estes prest de la lui deslivrer
« D'or et d'avoir, de besans et deniers. »
164 MaCAIRE. «94»— 1968
Dist li rois : « Ben est da olrier.
« Qi^ le poren ancora envoler ? »
Dist dux N. : « Bernard da Mondiser,
« Qe li aie autre fois l'aulrer. »
Adoncha li rois fe por lui envoicr.
E cil le vene de grez e volunter.
a Bernard , fait il , cl vos convenl aler
« En Costantinopoli ancor à l'inpcrcr,
« E si le averi e dire e conter
« Qe de sa file e non so nul sper.
« Ma quel qi l'acuso n'oit aii son loer :
a Arso fo in fois, la polvcre à venter.
« Unde 0 le prego q'el me ëiça pcrdoncr,
a Qe parilé soi de le amender
« D'oro e d'avoir, de besant e de diner. »
Dist Bernard : a Ben le voio otrier.
» Donez moi li congé, qe co m'en voio aler. »
Dist li rois : <« Alez e non tarder. »
E cil Bernardo si vcn à son oster,
Parilé fu de ço qe li oit mesler,
Por le çamin s'en prist ad aler.
Et avant q'el poust en Costantinople entrer,
Estoit la raine venua à son per
E tôt le dit, non laso qe conter
De le rois, cum la fe sbanoier
E for de son reame c la fe cnvoier,
E por Machario li vene quel inoier
1942— 19^8 MaCAIRE. 165
Et dist H rois : « Bien fait à otrier.
« Qui porriens encore i envoier? »
Et dist dus Naimes : « Berart de Mondidier,
ce Qui autrefois i est aies l'autrier. »
Adonc li rois lefist querre et mander.
Et cil i vint de gré et volentiers.
« Berars, fait il , // vos covient aler
« L'emperéor une autrefois parler,
« Et si l'aurés à dire et à conter
« Que de sa fille ne sai rien espérer,
« Mais l'acusere ot eu son hier :
« Enfeufu ars et la poudre à venter.
« Dont le pri s'ire me voille pardoner,
« Quaprestés sui d'anundise bailUer
« D or et d'avoir, de besans et deniers, w
Et dist Berars : <( Bien fait à otrier.
« Congié vos mis, que je m'en voil aler. »
Et dist li rois : « Aies et ne targier. «
Et cil Berars s'en vint à son ostel,
Aprestès fu de ce que l'ot mestiers.
Par le chemin si se prist à l'errer.
Costantinoble ains que péust trover,
Ja la roïne à son père alée ert
Et tôt H dist, ni laissa que conter
Don roi Kallon, si com la fistgeter
Fors de son règne et la fist convoier.
Et par Macaire li vint cil encombriers
i66 Macaire. 1969—1990
Qe li rois voisc onir c vergogner.
De Atbaris non laso qe conter,
Como le oncis quel malvasio liçer,
E como en le bois s'aloit ahçer,
E cornent l'avoit convolé V'arocher
En Ongarie et davant et darcr.
E si le conte de li cortois oster
E de ses fille e de sa muler :
o De li rois d'Ongarie ne vos poria conter,
o Qe mon filz el me fe batiçer ;
« Tant honor m'a falo nel devez oblier,
M En vestra vie le devés gracier. »
Qui doncha veisl la mer la fia baser !
A tanto ecote vos de França li mesaçer.
Avanti q'el poùst in la cité entrer,
A l'inpcrer el fo fato nonçer.
E quant le rois le soit , clo fe sbanoier
Qe de sa file nu hom déust parler.
Nen vol pais mie qe quelo mesaçer
D'ele ne saça novela aporter.
COMENT BERRADO ARIVE EN
IN COSTANTINOPOLLE.
QUANDO Bernard foen Coslanlinople entré
E qe i l'albergo elo fo ostalé ,
,969-1990 Macaire. 167
Qui le roi vont honir et vergonder.
De Aaberi ne laissa que conter.
Si com l'ocist cil malvais pautoniers,
Et com el bois s'ert alce afichier.
Et convoiée cornent l'ot Varochers
En Honguerie et devant et derier.
Le courtois oste ne vout entroblier
Ne ses deus filles ne sa franche moillier :
« Dou roi d'Ongrie ne vos porrois conter,
ce Que mon enfant me fist il bautisier ;
« Tant m'onora nel devis oblicr,
ce A vostre vie le devés mercier. »
Qui donc la mère vist la fille baisier !
Atant es vos le Kallon mesagier.
Ains que péust en la cité entrer,
Uempcrèor l'est on aie noncer.
Et quant le sot, un ban a fait crier
Que de sa fille ne déust on parler.
Ja ne vuet mie que icil mesagiers
Nule novele d'ele en saiche porter.
COMENT BERARS ARIVE ENS
EN COSTANTINOBLE.
Quant Berars fu en la cité entrés
Et qu'à l'ostel il se fu ostelés,
1 68 M A C A I K K
1991 — S017
A le paies clo s'en fo aie.
Davanti li rois se fo présenté ,
La novela li conte qe li oit nporté.
Quando li rois l'intendc, elo li responde are :
«i Mesaçer sire, or lornarez are;
«* Vestra anbasea no m'e pais A gré.
'i Al rois de France direz e conté
«* Sovente qe ma file por muler li donè ,
" Et cnsement me la rctorni are.
« Doncha cuita de França l'inpcré
«i Qe, s'el me donast lulo l'or de crestenté,
-. Por moia file non seroit moto parlé.
tt Avoir ma file del reamc sbanoié ,
« Donde mortaest e da bestie dévoré.
u Ora me demande merçe e pieté I
u Cornent me poroit il avoir amendé
'i No por toi l'avoir de la creacnté ?
<< Unde eo vos di qe tosto tornez are.
«« E quando scrés in França reparié ,
«t Direz al roi de França l'aloc
u Qe da ma part el est desfic.
« Sel no me rende ma file q' co li doné ,
o Vcio Paris avanti tros mois pasé. «•
Bernardo l'oldc , no l'a pais agraé ,
De maltaicnt el pris li conçé
De la filla li rois no li fo moto parle ,
Donde Blançiflor ne fo çoiant c lé.
I99«— 2017 MaCAIRE. 169
Vers le palais s'en est acheminés,
Devant le roi est en présent aies,
Dist la novele que H ot aportê.
Li rois l'entent, sel prent à apeler :
« Mesagiers sire, or tornerès arier ;
« Vostres mesages ne me vient mie à gré.
« Au roi de France dire et conterés
« Jadis ma fille li donnai à moillier,
« Et ensement me la retorne arier.
ce Vostre emperere et corn le pot cuidier,
« Que por tôt l'or de la crestienté
ce De moie fille ne serait mot soné.
ce Ma fille a il de sa terre chacié,
ce A mort la fist et ans testes livrer,
ce Et or me quiert et merci et pitié!
ce Corn le porroit avoir ja amendé
ce Nés por tôt l'or de la crestienté^
ce Dont vos di je tost en tornés arier
ee Et quant serés en France repairiés,
ce Dires au roi de France Falosc
ce De moie part que il est desfiés.
ce Se ne me rent celé que l'ai doné ,
ce Je voi Paris ainçois trois mois pasés. »
Berars l'entent, ne lui vient mie à gré,
De mautalenten a pris le congié.
De la roïne ne li fu mos sonés,
Dont Blancheflor en ot joie mené.
lyO MaCAIRE. 2018— ao)9
El mesaçcr s'en lorne tôt abusnié.
Quant  Paris cl fo reparlé,
Li rois trova et N. l'insenc;
La novela li conte qe cil li oit mandé.
Quando li rois l'intendc , tuto fo trapensé.
El dist N. : « Mal avon esploité,
c Qe cil rois oit grant poesté
«• De çivaler, de conti e de casé ,
n Ben estoit guarni de riçe parenté.
o De soa file mal vos avez porté,
« En strançe part l'avez envoie.
«< Ne savon d'cle novele por vérité
« S'ela est viva 0 morta délivré.
« S'el ne fa guera, nu sen desarité :
«« N'en lasera castel ni (iprmité,
" El n'ardera le vile e le cité. »
Dist li rois : « Soia al voloir de Dé ! »
COMENT N. PAROLLE.
« Emperer sire, ço le dis Naimon ,
« Da vcstra part est venu la cason
« De la raine , sens mal contençon ,
o D'cle non avés fato se mal non.
m Scnpre avez créu li parant Gainelon
2018—2039 MaCAIRE. 171
Li mes s'en torne, si est tos abosmès.
Quant à Paris fu Berars repairiés,
Le roi i trove 0 Naimon le séné,
Dist la novele que cil li ot mandé.
Li rois l'entent, tos en fu trespensés.
Et dist dus N aimes : « Mal avons esploitié ,
H Que cil rois a si très grant poesté
«- De chevaliers, de contes, de chasés,
f< Bien est garnis de riche parenté.
« Vers soe fille mal vos estes porté
ce Quant l'envoiastes en estrange régné.
« Ne savons d'ele noveles par verte
« Se ele est morte 0 vive et en santé.
.c Se guerre en fait, serons deserité :
« Ja n'en laira chastel ne fermeté,
« Ains en ardra et viles et cités. »
Et dist li rois : a Tôt soit al voloir Dé! »
COMENT NAIMES PAROLE.
(c Si RE emperere, dist N aimes à Kallon,
ce De vostre part venue est l'achoison
« De la roïne , sans maie contenson,
« Que envers ele n'avésfait se mal non,
ce Tôt jor créistes les parens Ganelon
17^ Mac Al RE. xoio—iou
«» Qe vos ont falo cotante mespeson.
n Se l'inperer n'asalt , nu si defenderon;
ti Ei a li droito, e nu torto avon.
« Dco ne conseili qe sofri passion ,
« Qe no li so dire altra rason. »
Or lasaren de I inpcrer K..
E de Bernardo e de le dux N. ;
De l'inperer nu si ve contaron
Qe sir cstoil de Costanlinople entorno c inviron.
De soa filla q'cl n'oit estoit en grant fricon ;
S'el no la vençe, no sapresia un boton.
E quando ela li conte soa mencspreson ,
Si grant oit li dol par poi d'ire non fon.
Elo apelle ses conli , c ses baron.
« Segnur, fait il , oés qe mespreson
« M'avoit fato l'inperaor K.
« De mia file da la cicr façon.
a Sbanoie la oit cun se fait li laron ,
•« Sor le oit atrové blaximo e cason ;
a Se no m'en vcnço, no varo un boton.
a Concelés moi coment nu la faron. «
Le primcran qc parle oit nome Eloriamon.
E Cil fu sajes e de bona rason.
Elo parole , non senblo k bricon :
• Droit cnpcrer, por qe vos çcicron ?
a Grand e toa tera c grande recnçun
a E toa cent sont de grant rcnon ;
2040— io66 MaCAIRE. 175
« Qui VOS ont fait mainte grant mesprison.
« Se nos assaut H rois, nos défendrons ;
« // a le droit, et nos le tort avons.
« Diex en conseut qui sofri passion,
ce Que je nesaivos dire autre raison. »
Or lairons ci don riche roi Kallon
Et de Berart et del bon duc Naimon ;
Si conterons dou roi qu'ot à roion
Costantinoble entor et environ.
De soe fille ot au cuer grant friçon;
Se ne la venge, ne se prise un boton.
Et quant H conte la soe mesprison,
Tel duel en otparpoi d'ire ne font.
Il en apele ses contes, ses barons.
ce Segnor, fait il , oés la mesprison
ce Que faite m'a l'emperere Kallon
u De moie fille à la clere façon.
ce Chacie l'ot corn on fait le larron,
ce Sore li mist et blasme et achoison;
ce Se ne m'en venge, ne me prise un boton.
ce Conseillés moi, segnor, quel la ferons, w
Tôt primerains a parlé Florimons,
Et cil fu saiges et de bone raison.
En haut parole , ne sembla pas bricon :
ce Drois emperere, por quoi le cèlerons ^
ce Crans est ta terre et grant ta régions,
ce Et vostre gent si est de grant renon ;
174 M A CAIRE. J067— 1088
« As.1 avés çivaler e peon.
a Or envoies Ji l'inpcrer K..
<» Qe vestra file , ç avoit le çevo blon ,
« Ello v'envoi , scnça iiula cason ,
• Colsa como no, qe nu le defBon. »
Disl l'inperer : u A Deo benecion. »
COMENT SaLUDIN PARLLE.
Apres Floriamon parole un çivalcr,
Saladin oil nome, moll se fait priser.
En allô parole cun homo pro e ber :
« Enperer sire, ii vestre çivaler
« Vos doit à dritura conseler,
« Ne por paure ne por nesun engonbrer
• L'omo no se doit retrar arcr.
« Or aprendés di vestre çivaler
« Qe scia saçes de dir e de parler ;
" Si le envoies à K. l'inperer
* Qe vestra file ve diça envoier,
« E s'elo ne la poit avoir ni reçater,
« Por le vos diça tant avoir doncr
« Como ella poroit por nula rcn peser,
« E quel oro sia de le plu çcr,
« De quel de Rabie , qe plu se fait à priser.
2o($7— 2o88 Mac A IRE. 175
« Asés avés chevaliers et péons.
« Ores mandés Vemperèor Kallon
« Que vostre fille, Blancheflor au chief blontj
« // vos envoit , que n'iquiere achoison ^
« 0 se ce non, que nos le desfions. »
Dist l'emperere: « A Dieu benéiçon. »
COMENT SaLADINS PAROLE.
Après parole uns gentis chevaliers,
Saladin ot à non , moult fu prisiés.
En haut parole com hom preus et corn ber
« Sire emperere, H vostre chevalier
« Tôt par droiture vos doivent conseiller,
« Ne por paor ne por nul encombrier
« Ne se doit on onques retraire arier.
« Or prenès un des vostres chevaliers
« Qui saiges soit de dire et déparier;
« Par lui mandés à Kallon au vis fier
ce Que vostre fille vos voille renvoier,
« Se ne la puet avoir ne recovrer,
a Que il vos doie por ele tant doner
« Com ele puet de tôt en tôt peser,
« Et cil avoirs soit de l'or le plus chier,
« De Vor d'Arage, qui plus fait à prisier.
176 M A C A I R F. . 3089— a I « a
« E s'el non vol faire, mandés le dcsfter,
0 Qe da vos el se deçà guardcr.
u E posa faites veslra jent ascnbler
« Tant qe n'aies plus de cinquanta miler. »
Dist ii rois : a Ben est da olrier ;
(• Qi,li poron nos envoicr ?
— Floriamont, sire, cil li rcspont arer,
« Et avec lui Çirardo c Rainer,
« E Gondifroi , li ardi e li fer.
— Par foi , dist l'inperer, ça milor no le requcr.
(i Or le faites mantenant atorner,
Cl E no voio pais qi diça demorer. u
Si altamcnt elo le fi atorner
Con se convent à droito enpercr.
E cil s'en vait fora por la river ;
Tant alirent, nen volent seçorner,
1 vent en France, si se font ostaler.
A Paris trove K. l'inperer.
Et avec lui dux N. de Bai ver
E li Danois, Ansois c Guarner,
E mant des autres, qi fo bon çivaler.
I se desent ad un bon oster,
E quant furent repolsé, si se vait i monter
Sor li paies à li rois parler.
2089—2112 Macaire. 177
ce Se nel consent, sel faites desfier,
<c Que il de vos bien se doie garder.
« Et après faites vostre gent asembler
« Tant qu'en aies bien cinquante milliers. »
Et dist H rois : ce Bienfait à otrier;
ce Mais qui portons à Kallon envoler?
— Florimont , sire , cil H respont arrier,
« Ensemble 0 lui et Gerart et Renier,
ce Et Godefroi , le hardi et le fier.
— Par foi , dist il , ja meillors ne reqiiier.
ce Orme les faites maintenant atorner,
ce Que je n'ai cure orendroit don targier. »
Si hautement les fist il atorner
Com à droit roi il apente et afiert;
Et cil s'en vont tôt le chemin plenier.
Tant sont aie , nen vuelent sojorner,
En France vienent, si se font osteler.
A Paris trovent Kallemaine au vis fier,
Ensemble 0 lui duc Naimon de Baivier
Et le Danois, Anséis et Garnier,
Et asès d'autres, qu'erent boin chevalier.
Descendu sont à un moult boin ostel ,
Et quant un poi sont laiens sojorné,
Al palais montent , si vont au roi parler.
Macaire. 1 2
I7S MaCAIRE. ail)— 21}!
COMENT LI MESANCER SALUIRENT LI ROIS.
Quant qui baron fo k Paris venu ,
Sor le paies montent quant repolsé fu.
Li rois trovenl dolent et irascu
Por sa muler qe il avoit perdu ,
Qe à gran torto calonçea li fu.
Li mesaçer ne fo mie csperdu ;
Quant davant lui i furent venu,
1 le salue da la part de Jesu :
« Cil Damenedé qi ait la gran vertu
€< Ve salvi , rois, e vu e vestri dru ! »
Disl li rois : a Vu siez ben venu !
« D'onl estes vos e qi vos oit irametu ? »
E cil le dient : a Ves amigo e ves dru ,
o Ço est rinperer qe oit la grant vertu,
c Sire est de Coslantinople si le oil eu ,
o Si le obedient li grandi e li menu. 1»
Dist rinperer : o Vu siez ben venu ! u
COMENT LI MKSANÇER PARLERENT A K.
« Emperer sire, ço dist li mesaçer,
• A vos n'oit envoie li nostro enperer
2IIJ— 2i}i Macaire. 179
COMENT LI MESAGIER SALUERENT LE ROI.
Or à Paris sont H baron venu;
Al palais montent quant sojor ont eu.
Trovent le roi dolent et irascu
Por sa moillier que il avoit perdu ,
Qui à grant tort encorpée lifu,
Li mesagicr ne sont mie esperdu ;
Devant Kallon quant furent parvenu,
Il le saluent en nom dou roi Jesu :
« Cil Damediex qui tant a de vertu
« // saut le roi , et lui et tos ses drus !
— Bien viegnés vos, li rois a respondu ,
« D'ont estes vos et de quel part venu ? »
Et cil li dient : « De vostre ami et dru ,
« Cest Vemperere qui tant a de H^rtu,
« Costantinobles à oui rent le tréu,
« Si li soploient li grant et li menu. »
Dist Vemperere : « Bien soies vos venu ! »
COMENT LI MESAGIER PARLERENT A KaLLON.
« Si RE emperere, dient li mesagier,
« Par nos vos mande noz emperere ber
l80 MaCAIRE. 21)3—11(8
u Qe soa file le diça envoier
" Qe e!o à vos en dono à muler ;
ti Por grant amor nos f.i noncicr.
«» E se vos no la poez envoier,
a Tanto csmés quanlo la poit peser,
a A fin oro vos la convenl loicr,
n De le milor qe se pora irover,
a De quel de Rabie, del milor e del plu cler. »
Dist li rois : a Duro est da olricr.
«» De la dame e non o nul sper, »
a E de l'oro , no se vol ren parler,
« Briga scroit tanto oro à Irover. »
Dist li mesaçi : o El vos cunven penser
• De vos guarnir e pariler,
« E vos so ben dire sença boser
«• Qe mon segnor, q'e orgoloso e fer,
« Vos en mande par nos à desfier. »
Dist li rois : u Deo soia nostra sper !
M A nos poir saveron defenscr. »
A le parole dist N. de Baiver :
a Mesaçer frer, e no vos voio celer,
« Gran torlo oit li vcslre enperer.
a Da pois qe l'omo a prendu sa muler,
« Ne le doit d'ele à faire ni son per ni sa mer ;
« Colu qe l'oit presa i nocier
o N'en poit f.irc d'ele le son voler,
• F. tant qe vivo cstoit ne se po desevrer,
ai32— 2i}8 MaCAIRE. i8i
« Que soc fille H voillés envoler
a Que il pleça vos dona à moillier;
<i Par grant amor le vos fait II noncler.
« Et se à vos ne la loist envoler,
« Ja tant csmés quant ele puet peser
« Et à fin or vos l'estuet rachatcr,
« Del millor or qui se porra trover^
« De cil (TArage, del plus fin et plus cler.
Et dist II rois : « Grief est à otrier.
a Noient ne sui de la dame espérés ,
« Et de l'avoir, ja n'en soit mos sonês,
« Que à grant peine seroit tant ors trovês. »
Dist H mesages : « Donc vos estuet penser
« De vos garnir et de vos conréer,
« Que bien vos di por voir et sans boisier
« Mes sire, qu'est et orgueillos et fiers,
« A vos nos mande por vo cors desficr. »
Et dist li rois : « Tôt soit en Damedé!
« A no pooir saurons nos cors tenser. »
A ces paroles dist Naimes de Baivier :
« Mesagiers frères , ne vos le quier celer,
ce Grant tort en ot vostre emperere ber.
V Depuis que prise a li hom sa moillier
a Ja d'ele à père ne à mère nafiert ;
ce Cil qu'à espose l'a prise au noçoier
c< En puet bien faire tote sa volenté ,
ce Et tant qu'est vive ne s'en puet desevrer,
l82 MaCAIRE. ii{9-ai8o
u S'cla no fese ver de lui avolter ;
" E por celle la poil Jl martirio livrer.
« Unde vos en dires à li ves enpercr
a Q^'elo lasi soa 61a ester,
o V^iva 0 morte ne la po recovrcr.
u Nian por ço no meta quel penser
a Q^elo n'açe ne or coito ne diner.
«' S'e!o ven in França à gueroier,
«» Elo li trovara tanti bon çivaler
" Qc in toto li mondo non ait son per
Por ben ferir et in storineno çostrer. »
COMENT LI MESANÇER DEFFIENT K.
Li mesaçer si fo saçi e valent ;
De l'inperer à cui França apent
Oit entendu son cor e son talent ,
E dcl dux N. oï le convenent :
De son avoir no le daria nient.
Ni de la dame no soit li convenent
Se viva soit o morta ensemcnt.
Conçé demande, ma prima li content
Como son segno loro se desfient.
E dist K. : « E mi lui cnsement ,
« Aoche ne sia e gramo e dolent.
2IJ9— 2i8o MaCAIRE. 183
« Se d'avoutire n'a vers lui meserré;
a Por ce la puet à martire livrer.
« Dont à vo roi de par le mien dires
« Que de sa fille 0 rendrait lait ester,
« Que vive ou morte ne la puet recovrer.
a Et neporquant ja nen ost il penser
« Que il en ait ne or cuit ne deniers.
« S'en France vient por Kallon gueroier,
« Là trovera tant vaillant chevalier
« Qu'en tôt le mont n'en a nesuns son per
« Por bien ferir et en estorjoster. »
COMENT LI MESAGIER DESFIENT KALLON.
Ll mesagier furent saige et vaillant;
De Kallemaine cuitote France apent
Entendu ont son cuer et son talent ,
Et de Naimon oï le covenant :
Que de l'avoir ja ne donra noient.
Et de la dame, n'en sait le covenant
Se ele est vive 0 s'est morte ensement.
Congié demandent , mais ains H vont contant
Si corn lor sire le vait or desfiant.
Et dist H rois : « Et je lui ensement ,
« Maugré qu'en ait , qu'en soit grains et dolens.
184 Macaire.
ai8i— laoa
« Ben so qe vestre sire oit grant ardiment ,
a Dolent sui quant à lui ofent ,
rt Mais à çeste fois no alo altrcment. »
Dist li mesaçe : a A Damenedé vos rent. i>
Conçé demande, al çamin se metent;
Via s'en vait, non fait arestament.
Tant sont aie por poi et por pendent ,
Asa duro pena e torment ,
Ven à Costantinopoli et ilec desent.
Li roi trovon ad un son parlement
0 il avoit de baron plus de cent ,
Qc tôt ercnt e saçi e valent.
COMENT LI MESACER PARLENT A l'i[n]pERERE.
Li mesaçer no fo mie vilan ;
Tant çerchcnt li mont c li plan
Qc in Costantinopoli venent une dcm.in.
Li cnpercr Irovcnt ilec davan.
De soa file molto estoit çoian ,
Qc avec lui ravoit viva c san.
Se loi saùst l'inpercr K.cl man,
En soa vite n'en fust si çoian ,
Qc plu l'amava de ren qe fust vivan.
Dist ii fflesajes ; « Çcnlil roi» wvran ,
I
2i8i-2202 MACAIRE. 185
« Bien sai vos sire est de grant hardement,
« Si sui dolens quant H vais contrestant ,
(c Mais cestefois n'en ira autrement. »
Dist H mesages : « A Damedé vos rent. »
Congié demandent, si se vont aroutant;
Prise ont lor voie , n'i font arrestement.
Tant sont aie par puis et par pendans ,
Asés durèrent et peines et tormens ,
En lor cit vienent, illec vont descendant.
Trovent le roi ad un suen parlement
Ou il avoit de barons plus de cent,
Dont ert chascuns et saiges et vaillans.
COMENT Ll MESAGIER PAROLENT A L EMPERÉOR.
Ll mesagier pas ne furent vilain ;
Tant ont cerché et les mons et les plains
Qu'en lor cité venu sont à un main.
Uemperèor trovent illec devant.
De soe fille moult ert liés et joians ,
Que l'ot 0 lui en santé et vivant.
Se le séust Kalles , li rois poissans ,
Ja à nul jor ne fust mais si joians ,
Que il l'amoit sor tote rien vivant.
Dist H mesages : « Gentis rois soverains ,
i86 Macaire. 3J0}— 3JJ4
« Parlé avon cun li rois K.. cl man
« Ecun le dux N., le conseler altan
«» Qe soia en crestenté e darer e davan.
« Par nos vos mande ne vos dote nian ,
o De darve avoir non ait nul talan.
a Se vu le deffiès, e i vu enseman :
« Asa avoit de çivaler valan ,
a Qe li vestri non dota un diner valisan. «
Disl l'inper à cui Costantinople apan :
« Qucsto savera li rois in brève tan ;
n Se in questo mondo eo sero vivan ,
c O mo 0 lui seremo à nian. m
COMENT l'iMPERAERE FI ASENBLER SA JENT.
Quant l'inperer olde li mesaçer,
Qe K. cl maine de França e de Baiver
Ne le dote valisant un diner,
Por li conseil de li ses çivaler
Fe bandir oste par tôt son tcrer.
Ncn laso villa , ne borgo, ni docler,
Qe no II faça li banior aler.
Avant un mois tant ne fait asenbler
Q]elo n'avoit ben .LX. miler.
Or defenda Deo K. maino l'inperer !
2203—2224 MaCAIRE. 187
« Le roi Kallon fumes nos aresnant
« Et duc Naimon, le conseiller plus grant
u Qui soit cl mont et derier et devant.
« Par nos vos mande ne vos dote noient ^
« D'avoir baillier à vos n'a nul talent.
« Sel des fiés , et il vos ensement :
ce Asés a il de chevaliers vaillans ^
« Les vos ne dotent un denier valissant. »
Dist Vemperere qui les vait escotant :
a Bien le saura Kalles ainçois lonc tans;
ce Se ancor sui en cestui mont vivans ,
« Oje 0 il seromes à noient. »
COMENT L^EMPERERE FIST ASEMBLER SA CENT.
L'emperere a oï les mesagiers :
Que Kallemaines de France et de Baivier
Ja ne le dote valissant un denier.
Par le conseil de tos ses chevaliers
Fist s'ost bannir de par tôt son terrier.
Nen laissa vile, ne bore, ne fermeté,
Qualer ni face les banicrs de toz lez.
Ainçois un mois tant en fait asembler
Que il en ot bien soissante milliers.
Or ait Diex Kallemaine au vis fier l
l88 MaCAIRE. ia2j-aa4$
COMENT Ll ROiS FI ATORNER SA FILLE.
L'iNPERER de Costantinople n'en dcmoro niant;
El oil mandé par toi son tcnimant
A burs, à vile, à çasté et à pendant ,
Por loU sa jent, e amisi e parant.
Quant il oit asenblé tote la soe jant ,
LX. milia furent à verdi cimi lusanl ,
A palafroi et à destrer corant.
Li cnperer non fait arestamant ;
Elo fc sa file adorner riçemant ,
Et cnsemcnt ses petit enfant.
E Varocher, li pros e li valant,
Non seçorno mie longamant;
Elo pris arme e guarnimant
Lcqual furent toi à son lalanl.
Un gran baston q'era quarés davanl
S'avoil fato , c groso c tenant ,
E scnça quello non vait tant ni quant.
Or oit rinperer asenblé sa oste grant,
Devcr France çivalçe iréamant.
Ora conseili Dco K. maino li posant ,
Por un Iraitorfo mis en tormant.
222J— 224J MACAIRE. 189
CoMENT Li Rois fist atorner sa fille.
Ll emperere ne s'atarge noient ;
Il a semons par tôt son tenement
A hors j à viles, à chastels, à pendanSy
Trestos ses homes et amis et parens.
Asemblé furent entre tote sa gent
Soissante mile , à vers elmes luisans ,
A palefrois et à destriers corans.
Li emperere ni fait arrestement ;
Sa fille fait atorner richement ,
Et ensement le suen petit enfant.
Et Varochers , // preus et li vaillans ,
Ja nen a mie sojorné longement ;
Armes a pris et autres garnemens
Li quiex estoient trestot à son talent .
Un grant baston qui ert quarrés devant
S'avoit il fait, qui gros ert et tenant.
Et sans celui ne vait ne tant ne quant.
Or Vemperere asemblé a s'ost grant
Et devers France chevauche iréement.
Or Diex consent Kallon le roi poissant ,
Qu'uns maus traître l'a mis en grant torment.
190 Macaire. 2246—3208
COMENT L'IPERERE ÇIVALÇE VERS PaRIS.
Via çivalçe quel grant enperaor
Qe de Coslanlinople esloit enperaor.
E mena sa fille la belle Blançiflor,
El ses pelil enfant avoit avec lor,
E Varocher, qi non fu li peior.
Plus en fc guère de nul allre pugneor.
Tant aient , qe non farent demoror,
Qe viene in France , et ilec farent sejor.
Quant forent à Paris fora por quel erbor,
Tende e pavilon fait tendre entor.
Quando le voit K. l'inperaor,
Nen pote muerqe des oili non plor.
N. apelle ses bon conseleor.
o N., fait il , ben poso avoir dolor
o Quando me voi intrer in tel freor.
a Mal avero vécu ma muler Blançiflor !
« Ai! Machario, malvasio peçeor,
« Mal 0 vécu avcr te nul amor,
a Qe por celle amor tu me fusi traitor,
« Et Albaris m'onceisti à dol e à freor,
• Dont ma muler m'est aléa à dcsonor ! »
E dist N. : a Por qe faites vos plor?
c S'cl Tos remcnbra dcl Icnpo ancienor,
2246—2268 Macaire. 191
COMENT L^EMPERERE CHEVAUCHE VERS PARIS.
AdoNT chevauchent les oz Vemperèor
Costantinoble qui tient et tôt Vonor.
Sa fille en mené la bêle Blancheflor^
Ensemble od ele son petit enfançon,
Et Varocher^qui nen ert delspeiors^
Qu'asés vaut plus d'un autre poignéor.
Tant sont aie, que n'i firent demor,
Qu'en France vîenent; illec firent sojor.
Quant à Paris sont , fors par cel erbor^
Trefs et aucubes font tendre là entor.
Quant l'a véu Kalles Femperéor,
Ne puet muer des iex dou front n'en plort.
Naimon apele , son boin conseléor :
a N aimes , fait il , bien puis avoir dolor
» Quant je me voi entrer en tel fréor.
a Mar ai vêu ma moillier Blancheflor !
« Ahi! Macaires yfel cuivers lechéory
« Mar ai eu envers toi nule amor^
a Que por hier mefustes traïtor^
« Aubri m'ocistes à duel et à fréor,
« Dont ma moillier m'ala à desonor. »
Et dist dus N aimes : « Por quoi faites tel plor?
a St vos remembre del tens ancianor.
192 Macaire. «69—3190
« Qui de Magançc v'a mis en tel iror,
o Trai vos ont desa cha li plusor.
« Deo li confonde, li maine criator I
COMENT N. PAROLLE.
Naimes parole, n'i a talent q'en rie :
« Droit enperer, nen lairo non vos die
« Qui de Magançe e soa segnorie
e Nos oit metu en si malvasia vie
a Qe je non sai qe de lor com en die.
a Traï nos oit Macario e fato tel vilanie
a De Blanciflor, qe non so qe vi en die.
« Or n'e sovra venu una tel çivalerie
a Qe deveroit eser nos privé et amie ,
« Et i seroit mortel enemie.
o A nos en croit e bataila e brie
c Qe mais in França non vene tel stoltie.
o Or ne secora la Santa Merc pie ,
o Qe da moi en avant c no $0 qe vi en die.
a Quant me remenbra de ma ancesorie
a Qe por traitor ne scn toli finie ,
a S'en 0 dolor e tristeça c irie.
• De cela colse no m'en demandés mie;
« Ne u qe dire, se Deo me beneie. »
2269—2290 Mac AI RE. ic)j
« Cil de Maience vos ont mis en iror,
« Traï vos ont de pieça liplusor.
« Dex les^ confonde , Valtismes criator! »
COMENT NaIMES PAROLE.
NaimeS parole, mais n'a talent quil rie :
Drois emperere , ne lairai ne vos die
Cil de Maience et de la segnorit
Nos ont or mis en si mauvaise vie
Que je nt sai por voir que vos en die.
Nos a Macaires fait itel vilenie
De Blancheflor, ne sai que vos en die.
Or vient sor nos une chevalerie
Qui nos déust privée estre et amie
Et si sera nos mortes enemie.
A nos en croist et bataille et haschie
Que mais en France ne vint tés estoutie.
Or nos ait Dex et sainte Marie ,
Que je ne sai uimais que vos en die !
Quant me remembre de ma ancesserie
Qui totefu par traïtors fenie ,
Dolor en ai et mautalent et ire.
De celé chose ne me demandés mie;
N'en sai que dire , se Dex me benéie. »
'/ aire. 13
194 MaCAIKK. aavi— ïJio
COMENT ANCHOR PARLOIT N.
o Emperer sire, ço dist li cont Naimon ,
a E no so pais cornent nu la faron ,
« Ni bon conseil doner non poit hon ,
« Quant l'on porpensc la gran menespreson
a E 11 gran dol e la confosion
a Qe vos avés fato de sa fila Blançiflon.
a Le milor conseil qe prender poson
a Estoit, rois, qe nu se parilon
a Et ensemo fora à la defension.
« Qe meio est morir qe star qui en preson ,
a Pois q'cl non vole merçe ni perdon ,
o De soa file avoir la reençon. »
Dist rinperer : « E nu si le faron. u
Adoncha fait asenbler ses baron ;
Ben furent xxx. mile quant furent en arçon.
A Ysolcr donc ses confalon ,
E li Danois c li cont Fagon ;
E Bcliant le fu de Besençon.
Quistguient l'insegna li rois K.
Vu rinperer qe de Costanlinoplc son.
a29r— 2JI0 MaCAIRE. I95
COMENT ANCORE PARLOIT NaIMES.
Naimes parole, si a dit sa raison :
« Sire emperere , ne sai quel la ferons , "
« Ne boin conseil doner n'en puet nus hom ,
« Quant me porpense de la grant mesprison
« Et del grant duel , de la confusion
« Que fait avés sa fille Blancheflor.
« Meillor conseil ja prendre ne poons
a Se ce n'est y sire, que nos aparilUons
ce Et issons fors à no defension.
« Miex ert morir qu^ ester ci en prison ,
« Puis que ne vuet ne merci ne pardon ,
« Ne de sa fille avoir la rêençon. »
Dist l' emperere : « Et nos si le ferons. »
A itantfait asembler ses barons;
Bien trente mile furent il es arçons.
A Ysoré baille son gonfanon ,
Et au Danois et au conte Fagon ;
Et Belians ifu, de Besançon.
Cil ont guié l'enseigne roi Kallon
Costantinoble envers l'emperèor.
196 MaCAIRE. aîM— ana
COMENT K. FI APARILERE SA CENT.
Ll cmpcrer K.. n'en volse dcmorcr;
Fe sa cent guarnir c pariler :
.XXX. milia forent à corant destrer.
Li bon Dar.uis c N. de Bai ver
E Ysoler fo li confaloner.
La porta font ovrir c despaser,
Fora ensent, qe ne doia noier.
Quant la novela alo à l'inperer
De Costantinople e à so çivalcr,
De mantenent elo le fait monter,
E forent .XL. mile ad arme e à corer.
Volez vos oldir cun la fe Varocher ?
El non fe mie à mo de paltroner.
Ncn oit çival , palafroi ne destrcr ;
Arer vait cun li altri peoner,
So gran baston non volse oblier.
Quando vi l'oste de K. l'inperer,
El se porpense de sa çentil muler,
E de ses enfant qu'el se laso darer,
Quant la raine el oit h convoier
Quant in le bois cllo l'ani trover.
Qi le véist ton baston palmoier.
2JM— 2^2 Macaire. 197
COMENT KALLES FIST APARILLIER SA CENT,
Kalles h rois ne se vout atargier ;
Sa gent a fait garnir et conréer :
Bien trente mile sont à corans destriers.
Li boins Danois et Naimes de Baivier
Et Isorés sont si gonfanonier.
La porte font ovrir et desbarrer ^
Là fors en issent , cui qu'en doie anoier.
Quant ot U rois la novele conter
Costantinoble qui tient et le regnier,
Maintenant fait monter ses chevaliers ,
Et furent bien quarante mile armé.
Volés oïr corn le fist Varochers ?
Ne le fist mie à loi de pautonier.
Nen ot cheval , palefroi ne destrier ;
Arrière vait avec les paoniers ,
Son grant baston ne vout mie oblier.
Quant a véu Vost Kallon au vis fier,
Il se porpense de sa gentil moillierj
De ses enfans que il laissa derier,
Quant la roine se prist à convoier
Que trovée ot ens el grant bois ramé.
Qui le véist son baston paumoier.
198 Macairf.. ,,,,_,, 5,,
Ben cuitarct qe fusl un avcrscr.
Non va in rote cum altri çivaler,
Ançi vait darer cum li scuer,
E si se fc de lor ses avoer.
Qe vos diroie de le pro Varocher ?
Rio savoit le vie e li senter,
E de Paris e l'insir et Tinter,
E le mason di aiti çivaler.
Eloaioit la noit, avanti l'aube cicr,
E si se ficoit en l'osle l'inperer.
E si aioit à modo d'escuer.
Si se ficoit in la tenda j'inporer.
Là o il savoit qe esloii li bon dcstror.
Toi le milor elo se fe enseler,
Via le moine, qui ne doia noier.
E , quando fo k l'oste de li ses çivaler,
Elo comença : ■« Monçoia , çivaler ! n
Allamcnt e braïr e crier :
« Lcvezc vos, ne vos aça cnlarder,
'« Que l'osle K. cl maine venemo da preider,
n Toi li avon li ses milor dcsiicr ;
« I non avéra sor qi posa monter. »
Quant cil l'inlcnl, se prcndcnt k mcrveler
De la parole qe disl Varocher.
Q^doncha véi$i cclla )rnt monter.
Le arme prendre e montar en désirer,
E l'oft K. el maine venir asalter !
1
2^3—2359 MACAIRE. 1 99
Bien cuideroit quefust uns aversiers.
Ne vait en rote avec les chevaliers ,
Ains vait deriere avec les escuiers ,
Et si se fait lor sire et avoè.
Que vos diroie del prodon Varocher ?
Bien conoist il la voie et les sentiers ,
Et de Paris et i issir et l'entrer.
Et les ostels des riches chevaliers.
De nuit s'en vait , ains qu'il soit esclairié ,
En l'ost s'afiche de Kallon au vis fier.
Laiens s'en vait à guise d'escuier.
Et si s'afiche ens el demainne tref ,
Là oh savait qu'erent li bon destrier.
Tôt le meillor se fait il enseler,
0 soi l'en mené , qui qu'en doie anuier.
Et quant s'en est à l'ost des suens tornés ,
En haut s'escrie : » M onjoie , chevalier ! •>•>
Et si comenceà braire et à crier :
« Sus levés vos , et ne vos atargier^
« Qu'en l'ost Kallon venons nos de prier,
« Si avons nos tôt son meillor destrier;
« Ja nen aura sor quoi il puist monter. »
Quant cil l'entendent , se vont esmervciller
De la parole que dite a Varochers.
Qui donc véist icele gent monter^
Les armes prendre et salir es destriers,
Vers l'ost Kallon et poindre et chevaucher!
200 MaCaIKK. a)6o— ajSi
Meesmo li rois , quando volse monter,
Entro le slale non irovo son désirer
Ne de les autres qe estoit plus da priser.
Adoncha parole dux N. de Baiver :
a Je vos lodisi ben, nobfl cnpcrcr,
o Qe qui de Magançe vos faroil mal arivcr.
a Nu n'avon guère c'un pcre e c'un frer
« Colu qe est de Costantinople empcrcr.
u Sa fila vos demanda Blançiflor al vis cicr ;
a Saçès por como la li porisés bailer,
« Nu l'averon si cer à conprer
u En noslra vite no le veron oblier. »
E dist K. : « Como la poon ovrcr
« Qe pax c concordia poùmes reçatcr ? »
E dist N. : tt Si grant e li danger
« Qe bon conseil e no ve so doner. »
COMENT FU GRANT LA BATAIELLE.
L'iNPERER â qi França apcnt
A gran mervilc il estoit dolent ;
Elo oit pris arme e guarnimcnt.
E te dux N. e tota sa jent
Da l'allra part s'arment en'sement.
Qui de l'inperer i qi Costantinople apent
2j6o— 2581 MACAIRE. 201
Et quant cil rois vout es arçons monter,
Ens en l'estable ne trova son destrier
Ne nul des autres qui plus font à prisier.
; Adonc parole dus N aimes de Baivier :
« Bien vos l'ai dit^ drois emperere ber,
« Cil de Maience moult font à resoignier.
« Père ne frère n'avons nos à amer
a Fors cel roi qui Costantinoble tient.
ce Vos quiert sa fille , Blancheflor alvis cler;
« Porpensés vos com li poriés baiUiery
a 0 se ce non , le comperrons tant chier
« A no vivant nel vorrons oblier. »
Et dist li rois : « Com en porrons ovrer
« Que pais puissons et amor recovrer ? »
Et dist dus Naimes : « Si grans est li dongiers
« Que boin conseil ne vos en sai doner. »
COMENT FU GRANS LA BATAILLE.
Li emperere cui douce France apent
A grant merveille ert et grains et dolens ;
Armes a pris et autres garnemens.
Et li dus Naimes et trestote sa gent
Armé se sont d'autre part ensement.
Cil dou roi cui Costantinoble apent
202 MaCAIRE. a|8a-M0}
Montent à destrer isneli c corent.
Gran fu la nose à quel comançamcnl.
Qi donc véist qi çivaler valent
Ferir de lances e d'espée trençenll
Qi de Coslanlinople nen furent mie lent;
E rimpercr de France le fuit ensement ,
El dux N. c Oger li valent.
Por la gran presie vent isnelemenl
Un çivaler ardio e posent :
Cil avoil nome li pros Floriadenl.
Plus valent hom non est in Orient;
Nevo erl e prosman parent
De l'inperer à qi Co tantinople apent,
E Blanciflor el lama dolcement.
En la bataile se mis iréement ,
Fer un Fraçeis por tel envasament
La larça li speçe c l'aubcrgo li fcnt ,
Al cors le mis le glavio irençent ,
Mono l'abale, dont K. en fo dolent ,
El s'apeloit ses proçan parent.
COMENT PU GR*N LA MKLlt
A gran mervile fo Floriamont orgolos
Fort e ardi c de malin artos,
2j82— 2405 MaCAIRE. 203
Es destriers montent et isnels et corans.
Gransju la noise à cel commencement.
Qui donc véist ces chevaliers vaillans
Ferir de lances et d'espées trenchans !
Cil de là outre ne furent mie lent;
Li rois de France bien le fait ensement ,
0 lui dus Naimes et Ogiers li vaillans.
Par la grant presse s'en vient isnellement
Uns chevaliers et hardis et puissans :
Cil ot à non li preus Floriadens.
Plus vaillans hom n'ert en toi Orient ,
Et si ert niés et des prochains parens
Dou roi à qui Costantinoble apent ,
Et Blancheflor si Vaime dolcement.
En la bataille se mist irèement ,
Fiert un François isi très durement
Li ront la large et le haubert li fent ^
Ou cors li mist le roit espié trenchant ,
Mort l'abati , dontfu Kalles dolens
Por ce quefu de ses prochains parens.
GOMENT FU GRANS LA MESLÉE.
A grant merveille fu li Criés orguillos
Fors et hardis , et fiers et malartos.
204 MaCAIKH. a404— 2427
E de bataile estoil molto cnçcgnos.
Quant il oit mort cil çivaler de Bios ,
Elo dist à sa gent : u Scgnur, qe faites vos ?
a Car or me vençés la bêla Blanciflors,
a Qe K. el maine n'oit fato tel desenors. »
E cil le font quant oenl li contors.
Doncha oiscs di coipi gran sons.
E qui de France le forent ad cslros ;
Doncha verisés un slormeno dolors ;
Mant çivaler furent de! çevo blos.
Mal vide K. li culverti traitors
En cui senpre a metu son amors,
Ço fo qui de Magance e de ses parentors,
Que scnprc fe à K. onta e desenors.
Mes Damenedé, li père glorios,
Le (i asa avoir onta c desenors,
E à mala mort çuçés li ses milors
Le primer fu dan Gaines li contors
Qe traï in Spagne li doçe compagnos,
Rolant c Oliver, Belençer e Ontos ,
E li vinte mille qe oncis Marsilions.
Mais por Machario vene tel tençons
Qe cristian cun cristian avoit tel pardons
Qe non fu cslorc por ncsun hon dcl mons.
2404—2427 Macaire. ., 205
. Et de bataille estait moult engignos.
Quant il ot mort cel chevalier de Blois ,
A sa gent dist : « Segnor, que faites vos?
a Car me vengiés la bêle Blancheflor
« Cui Kallemaines otfait tel desonor ! »
Et cil le font, quant oent le contor.
Donc oïssiés des cous moult grant tabor.
Et cil de France les fièrent à estros ;
Donc véissiés un doleros estor ;
Maint chevalier en furent dou chief blos.
Mar vist rois K ailes les cuivers traïtors
En cui tôt jor mist son cuer et s'amor.
Cil de Maience et de lor parentor
Sempres H firent et honte et desonor.
Mais Damediex , // pères glorios ,
Asés lor fist et honte et desonor
Qu'à maie mort fist morir les meillors.
Li premiers fu dans Guenes li contors,
Cil qui tra'i les doze compaignons ,
Rolant vendij Berengier et Oton,
Et les vint mile quocist Marsilions.
Mais por Macaire venue est tés tençons
Que crestien ont entr'eus tel pardon
Estorés n'ert par nesun home el mont.
206 MaCAIRL. 242li—mi
CoMENT Danois se feri con Floriamont
IN l'eSTORTA.
Grande fu la balaile c li stormeno fu fer.
Qi^ donc vcisl qui çivalcr
Qe de Coslanlinople venent por çostrer
Cun le espée c ferir e capler
E qui gran coipi doner e enpioier !
A qi dona uno colpo n'i a mestier proier
Qi non oncie loro, o son destrer.
Horiamonl vent por li estor plener,
Enme la voie s'incontro cun Uger,
Le bon Danois qe tant se fa pro e fer.
Anbi dos se ferirent quant se vene à incontrer,
Fendent soi le larges trosqua li aubergi cler;
E qui son bon, nen po maie falser.
Le aste se ronpent d'anbes le çivaler,
Ollra le porte li corant destrer.
Quant a ço fait, s'en retornent arer
U'un contra l'autre, cun fust dos çengler.
E irait le spcc c'oit li porno dorer,
E li gran coIpi i se voit à doner
Desor li eûmes, qe fois en fait voler ;
De qi non trcnçe , qe Deo li vo!se aider.
Toi le large cli scu à quarlcr
2428—2449 Macaire. 207
CoMENT Li Danois se fiert a Floriadent
EN l'ESTOR.
Grans/« l'estors etli chapUis fiers.
Qui donc véist tant nobles chevaliers
Costanîinoble qu'ont laissié porjostcr
0 les espées et feriret chapler
Et ces grans cous doner et asener !
Cui un cop douent «'/ a mestier proicr
Que ne Vocient, 0 lui 0 son destrier,
Floriadens vint par l'estor plenicr,
Emmi la voie s'encontre avec Ogier,
Le bon Danois quitant estpreus et fiers.
Andui se fièrent quant vient à l'encontrer,
Les targes fendent desi quas blans haubers;
Mais cil sont boin, n'en vont maille fauser.
Les lances rompent d'ambedeus chevaliers.
Outre s' en passent sor les corans destriers.
Quant ont ce fait, s'en retornent arier
L'uns contre l'autre, irié corne saingler.
Traite ont l'espée dont li pons fu dorés j
Et si grans cops se vont cntredoner
Desor les elmes le feu en font voler ;
Mais nés empirent, que Diex lor vont aidier.
Totes les targes, les escus de quartier
2o8 Macaire. J4$t>— 34:
Font à la tera caïr c trabuçcr.
Si grant fu la bataile d'anbcs li çivaler
Ncn est nul homo qe le saust conter.
Ça un de loro fust morto scnça spcr
Quant li sorvcne K. niaino l'inperer
F le dux N. de! ducha de Baivcr.
Da l'altra part vcncnt altri çivalcr
Por F'Ioriamont sccorer et aider.
Adonc le fait anbidos desevrer.
Si grant fu la bataile e si dura e fer
Ne vos la poroit ne dire ni conter.
E Blançiflor, la raine al vis cler,
Estoit al pavilondelmpercr son per
E plançe e plure e fait grant danger,
Quant ela voit oncir bon civaler
Donde raina ela se fa clamer.
O clla vi son per, si le pri>t à parler :
<• Père, fait ela , molt e grant li danger
« De questa jenl qe faites à tuer,
« Si sont de moi tuti amisi e frer.
— Pilla, fait il, non poit poraltro aler,
a Questo si fato à onta l'inperer
« A cui primament e vos de à muler
« Ne vos doit pais de ceste ovre graver
« Quant el vos fi si vilment onober,
a Quando de France cl vos fc dcsarilcr.
« Ça no me peso quela ovra oblier. •
2450— 247Ô Mac AI RE. 209
Font à la terre chêoir et trebuchicr.
Crans fu la joste d'ambedeus chevaliers
Si que nus hom ne la séust conter.
Ja fust uns d'eus mors sans nul recovrier
Quant H sorvient Kallemaines li ber
Et li dus Naimes dcl duché de Baivier.
D'autre part vienent maint autre chevalier
Floriadent et socorre et aidier.
Adonc les font ambedeus desevrer.
Crans fu l'estors et si durs et si fiers
Nel vos porroie ne dire ne conter.
Et Blancheflor , la ro'ine al vis cler^
Ert de son père ens el demaine tref
Et plaint et plorc et fait moult grant dongier,
Quant voit ocirre maint des suens chevaliers
Dont ro'ine ert et si se fait claimer.
Où voit son père , le prent à apeler.
« Pères, fait ele, moult est grans li dongiers
a De ceste gent quà mort faites livrer ,
« Si sont de moi tuitami et privé.
— Fille, dist il , ne puet par el aler ;
« C'est por le roi honir et vergoigner
« A cul pieça vos donai à moillier.
« Ne vos doit mie de ceste oevre peser
ce Quant il vos fist si vieument malmener,
ce Et quant de France vos fist deseriter.
ce Tel mesprison ne puis mais oblier.
Macaire. 14
2 10 Mac Al RE. J477— J49>
COMENT lMpERERE PARLOIT A SA FILLE.
o FiLLA,disl li rois, ne me oblia mie
o Quant li rois de France oit fato tel stoltic
a Qe vos oit caçé per la landa hcrmie
«t Como vos fustes esté una soa amie,
n No le poso oblicr tôt li tenpo de ma vie. ^
Dist la dama : « Nen lairo nen vos die,
n Père, fait ela, elo non sa ne mie
Qe eo soia in la vestra bailie ;
« Se loi saust, forsi seroit repentie
« De ço qu'elo m'aust fato en sa vie
« Si vos clamaroit perdon c mercie. »
Dist li rois : a Questo non voie mie,
« Se primamcnt no me son vençie. »
E la dama l'olde, no sa q'ela se die.
«
COMENT VaROCHER MEINOIT DOS CIVALS
ALLi Rois.
Ehdementir cun tenent la tençon,
Atanl venc Varochcr sovra un aragon
2477—2492
MACAIRE. 211
COMENT L'EmPERERE PARLOIT A SA FILLE.
DiST // rois : « FilUy oblier ne puis mie
ce Li rois de France vos fist tel estoutie
« Que vos chaça parmi la lande ermie
ce Com s'éussiés esté une s' amie,
a M'en sovenra tôt le tens de ma vie. »
Et dist la dame : c< Ne lairai ne vos die,
ce Pères j fait ele, mes sire ne set mie
ce Que je soie or en la vostre baillie ;
ce Se le séust , ja tenroit à folie ^
ce Ce que vers moi a mesfait en sa vie
ce Si vos querroit li pardoner vostre ire. »
Et dist li rois : ce Ce ne consent je mie
ce Se tôt premier n'en ai vengance prise. »
Ot le la dame, ne set que ele en die.
COMENT Varochers menoit dous chevals
AU Roi.
Endementiers com mènent la tençon.
Es vos ù vient Varochers de randon
2Ï2 MACAIRE. a49)-3p9
E si menoil dos destrer aragoii
Tôt di milor que avoit li rois K.
O vide l'inperer, si le fait delivrason.
o Mon sir, fait il, de ces vos faço li don ;
o Eo fu à la tende de K.e de Naimon.
a E no son çivaler, ançi son un poltron ;
a Ma s'el vos plai çençer moi al galon
a Le brant d'açer, que me daim per ves non
a Çivaler adobcs, como li allri son ,
fl Eo faro la bataile cun li mcltri canpion
« Qe soia in Poste de l'inperer K. »
Disl l'inperer : a E nu li otrion. »
Dist la raine : a Ben li avés rason ;
a Plus loial homo non c in tôt li mon,
u Quant me porpenso de la soa mason
a Qe par moi laso sa muler c ses garçon ,
u Si me cunvoio cun loial e drito lion
«( Trosqua en Ongaria, à moi a guarison. »
Dist l'inperer : « E nu ben li savon ;
«t No li doit falir non aça le guierdon. »
Adonc fait apeler ses dux e ses baron.
E la raine à la cler façon
Nen volse faire longa demorason :
Moito richament, cun altre dame q'i son,
Varocher fa despoler tôt nu environ ,
Pois le fi rcvestir de riçes siglalon.
Quant a ço fato, l'inperer Cleramon
2495—2)19 MaCAIRE. 213
Et si menoit dous destriers aragons
Tôt des meillors de cels dou roi Kallon.
Où voit le roi, si l'en fait livraison.
« Sire, fait il, de cels vos fai le don
« Qu'ai pris ou tref de Kallon et Naimon.
« En moi n'avés chevalier, ains garçon;
« Mais se vos plaist me ceindre au lez s clone
« Le branc d'acier, qu'on m'apele par nom
« Vo chevalier, corne li autre sont ,
a Me combatrai au meillor champion
« Qui soit en l'ost l'emperlor Kallon. «
Dist l'emperere : « Et nos si l'otrions. y^
Dist la ro'ine : « Bien en avis raison ;
a Plus loiaus hom n'est en trestot le mont ,
« Quant me porpense que por moi sa maison
« Et sa moillier laissa et ses garçons ,
« Si m'avoia com drois et loiaus hom
a Trosqu'en Hongrie, à moie garison. »
Dist l'emperere : « Et nos bien le savons ;
ce Ne li faurra n'en ait le guerredon. »
Ado ne apele ses ducs et ses barons.
Et la ro'ine à la clere façon
Ja n'en vont faire longue demoroison :
Moult richement , 0 les dames qui sont,
Varocher fait despoillier environ,
Puis revestir d'un riche siglaton.
Quant a ce fait, l'emperere Clermons
214 MaCAIRE. 3po— 2)42
Si le çinse ii brando al galon ,
E le dux P. si le calço Ii speron.
E Varpcher cura san Simon
Qe al rois K.. sera mal compagnon.
COMENT VaROCHER FO FA CIVALER.
Quant Varocher fo fato çivaler,
Que soloil vivre in bois et en river,
Quando s'e cinlo Ii brant d'açer,
A gra[n] mervile el se fait priser.
E la raine, qe oit le vis cler,
Si le dono un bon auberg dopler
E un bon eume, da le cercle dorer.
Quant Varocher se vi si alorner,
El fo monta sor un corant destrcr,
E prisl un aster à Ii fero d'açer
E una tarçe d'un olinfant cler.
Qi^ le véisl corer e stratorner
Nen scnblaroit mie eser paltoncr,
Senblant oit de nobel çivaler.
Dist l'un à l'allro : « Véez Varocher
a Corne soit bcn stratorner quel destrer !
a A gran mervile resenbla bon gucrer. »
Tel mil de lor qe volent guagner
Se vont k lui acoster
aj2o— 2J42 MACAIRE. 215
Le branc d'acier li ceint au lez selonc,
Et li dus Pons li cfiauce l'esperon.
Et Varochers jure saint Siméon
Qu'en lui rois Kalles aura mau compaignon.
CoMENT Varochers fu fais chevaliers.
Quant ensifu adobés Varochers
Qui soloit vivre en bois et en rivier^
Quant au caste ot ceint le branc d'acier,
Agrant merveille fesoit il à proisier.
Et la roïnCy qui tant ot le vis cler^
Si li dona un bon hauberc doblier
Et un bon elme , au cercle cler doré.
Quant Varochers se vist si atorner^
Il est montés sor un corant destrier ,
Prist une lance dont li fers est d'acier
Et une targe d'un olifant moult cler.
Qui le véist corir et trestorner
Ne perroit mie uns truans pautoniers,
Ains ot semblant de gentil chevalier.
Dist luns à Vautre : « Véés de Varocher
« Corne bien set trestorner cel destrier!
« A grant merveille resanle bon guerrier. ■»
Tel mil d'entre eus qui vuelent gaaingnier
En sa compaigne vont à lui s'ajoster
2l6 MaCAIRF. an*»— ï{64
Qe le curent ne lui avoir faicr.
E Varocher le prisl volunter.
Dist Varocher : <v E no vos voio çcIcr
a Qui qi vera cum moi à beroier
« De li guadagno no li quer un diner;
a Mais el vos esloit eser pro e fer,
« Qe in tel lois vos avero mener
n 0 nu trovaron tante arme e dcî>trcr
o E tant avoir d'oro et d'arçento cler,
« Çascun n'avéra plus n'en saura demander. »
Quant cil l'intendcnt si altament parler,
Çascun le vait parfont ad incliner.
Dist Varocher : « Or v'alez à polser,
" Et al matin, avant laube cler,
« Nu avcron cnsenble çivalçer. »
E qui le font sença nul cntarder.
CoMENT Varocher amonisoit sa ciant.
A gran mervcle fo Varocher valant ;
Ncn senbloit mie eser truant ,
E quant il oit asenbléa sa jant ,
Elo li parole altament en oiant.
« Scgnur, fait il, entendes mon tainnt.
c De II" ' rrn vos ro à mo inschant ,
2543— 2yé4 MACAIRE. 217
Et si li jurent raideront sans fauser.
Et Varochers les a pris volentiers.
Dist Varochers : « Ne le vos quier celer^
« Cil qui venront 0 moi à guerroier
« Ja del gaaingne lor quier un denier;
« Mais vos estuet estre vaillant et fier^
« Que en tel lieu vos vorrai je mener
« Où troverons tante arme et tant destrier
« Et tant avoir, que d'or que d'argent cler,
« Plus enaurés n'en saurés demander.)'
Quant cil V entendent si hautement parler ^
Chascuns l'en vait moult parfont encliner.
Dist Varochers : « Or aies reposer,
« Et le matin, ains qu'il soit esclairié,
« Nos covenra ensemble chevauchier. »
Et cil le font sans point de Vatargier.
CoMENT Varochers amonestoit sa cent.
A grant merveille fu Varochers vaillans ;
Ne se contint à guise de truant,
Et quant il ot asemblèe sa gent,
Il l'araisone hautement en oiant.
« Segnor, fait il , entendes mon talent.
« De une rien vos ruis mien escient
2lS MaCaIRE. a)6{— a;9i
« Qe çascun de vos soia pros c vjIaiiI.
« Se vos serés ardi el conosanl ,
o Tant averon or coil cl arçanl
a Qc toi en farés richi vcslri parant.
Il Vénérés après moi, non alirés avant,
u E voz avero mener à la tenda l'amirant
a De K. el maine lo rice sorpoiant.
a Là trovaron li bon dcstrcr coranl,
u Li palafroi e li molili anblanl;
« S'el ge avoir, ncsun no ne déniant. »
E cil le dienl : « Faren li ves talanl. »
E Varocher non demoro nient ;
Quando el fu monté en auferant ,
E Iota sa jenl avec lui ensemant ,
E çivalçent sécréta e bellamant ,
Fora de Poste, sença nosa c bubant.
Ne non apelle amigo ni parant ,
E çivalçent da la part d'Oriant,
Par un çamin à costa d'un pendant ,
Près de Paris li trato d'un arpanl.
En l'ostc entre de l'inpcrer de Franc ,
Troi i la tente no vait rené tirant ,
Et vait criando altament en oiant
Cum fiit le guaite que vait çerchant li chant.
Françcis l'oent , ne le dient niant ,
Cuilentqu'cl soia de li ses voircmant.
K m tel mo i vont pur avant ,
2jé5— 259« MaCAIRE. 219
« Que soit chascuns de vos preus et vailîans.
ce Si; vos mostrés hardis et conoissans\
ce Tant avérons et or cuit et argent
ce Qu'en seront riche tuit H vostre parent.
ce Deriere moi venrés , n'irés avant,
ce Et vos menrai au tref à l'amirant ,
a A Kallemaine , le riche roi poissant.
ce Là troverons les bons destriers corans ,
u Les palefrois et les mules amblans;
ce S'avoir i a , nesuns ne le demant. »
Et cil H dient : ce Tôt soit à vo talent. »
Et Varochers ne demora noient;
Il est montes desor son auferant ,
Ensemble 0 lui sa gent tôt ensement.
Et si chevauchent en recoi, bêlement,
Defors de l'ost sans noise et sans bobant.
Il nen apelent ne amis ne parens ,
Et si chevauchent de la part d'Orient,
Par un chemin par delez un pendant ,
Près de Paris le trait à un arpent.
En l'ost s'en entrent Femperéor des Frans;
Trosqu'à sa tente ne vont resne tirant ,
Et vont criant hautement en oiant
Com fait la guette qui les chans vait cerchant.
François les oenty ne lor dient noient,
Guident que soient de lor gent voirement.
Et par ensi cil se traient avant,
220 MaCAIRE. a{9i— aéij
En l'eslable entrareni o son li auferant.
Çascun ne prende qi li vent à talant ;
E qi ait mal ci val si le vait cançant.
A K. maine tôle son auferant
Q'elo çivalçe à stormeno en cant.
Et al dux N. font lo somiant
Et à li altrcsqeson plus en avant.
Li ses lasarent qc non valent niant ,
E meincnt qui qi son bon e grant ;
Ne s'en perçoit escuer ni sarçant.
E quando i trovent le çivaler en dormant ,
I le tolent le arme e li guarnimant
E le espée cun tôt le vestimant.
Ne le la^^ent or coito ni arçant.
Tel fu la soire richo c manant
Qe àla deman, à l'aube aparisant,
No s'atrovo un diner valisant.
Robe furent d'avoir et d'arçant.
COMENT VaROCHER SE RETORNE.
VaROCHER s'en torne, quando il oit rob6
ToU la tende de K. l'ioperé;
E si ne moine son corant destré,
E si le oit en so çanço lasé.
2592—2613 MACAIRE. 221
En Vestable entrent oh sont li aiiferant.
Chascuns enprent que li vient à talent;
Qui mau cheval a, si le vait changeant.
A Kallemaine tolentson auferant
Que il chevauche à estros par les chans.
Au duc Naimon si en font autretant
Et ensement as autres plus avant.
Lor chevaus laissent qui ne valent noient,
Et cels en mènent qui sont et bon et grant ;
Ne s'en perçoivent escuier ne sergent.
Quant ont trové les chevaliers dormans j
Armes lor tolent et autres garnemens
Et les espées à tous les vestemens.
Ne lor laissierent ne or cuit ne argent.
Tés fu au soir et riches et manans
Qui Vendemain , à l'aube aparissant,
Ne s'atrova un denier valissant.
Tuit robe furent et d'avoir et d'argent.
COMENT VaROCHERS S'EN TORNE.
Lors Varochers s'en est errant tornés
Quant de Kallon tôt le tref ot robe;
Et son corant destrier en a mené
Et le sien l'ot en eschange laissiè.
222 MaCAIRE. S6i4~)640
El in apreso, ançi q'cl fusl sevré,
Toi le cope c'avoil Salamoné,
E l'arçenlerc de gran nobelité.
Le armaure cun li branc amolé
Via la oit lola quanla porté.
No s'en perçoit homo de mcre né.
De cella colse no s'avoil doté,
Nen cuiloit qe lairon fusl ia dens entré
Por la paure d'eserapiçé.
E Varocher, cun lola sa masné,
S'en rclorno tuti çoianl e lé
A la soa oste, avanti li jor sclaré.
Quando celii le vent cosi bon atome,
Qe de avoir erent lot carçé,
E li désirer mener si abrivé,
Dist l'un à l'altro : « 0 son costor aie
" Qe tant avoir avonl guaagné ? »
Dist Varocher : « Or n'en vos mcrvclé,
o Qe de tel lois l'avcmo aporté
« Là o de l'altro esloit à gran planté. »
Dist l'une à l'altro : « E non sero daré. »
Plus de doa mile li sont avoé
Cun Varocher aler à la celé;
Mais Varocher no li oit pais refusé.
Davanli son sir clo est aie,
Le bon çival de K. l'inperé
Toi primament elo li oit doné,
2614—2640 Mac AI RE. 223
Et en après , ains quefust desevrés ,
Totes les copes qu'ot Salemons arier^
Et les hanas de grant nobilité ,
Les armèures y les brans forbis d'acier ,
Quanque en i ot, en a 0 soi porté.
Ne s^en perçoit nus hom de mère nés.
De celé chose nus ne se fust doté
Ne que léans uns lerre fust entrés
Por la paor d'estre au vent encroés.
Et VarocherSj il et tos ses barnés ,
S'en sont torné trestuit joiant et lié
A la lorost, ains quefust esclairié.
Quant cil les voient ensi bien atornés ,
De grant avoir que tuit erent chargiez
Et les destriers mener si abrivés ,
Dist l'uns à Vautre : « Oà sont cestui aie
« Que tant avoir ont ensi gaagnié ? »
Dist Varochers : <f Ne vos en merveilles ,
« Que de tel lieu l'avons nos aporté
« Là oà de l'autre estait à grant plenté. »
Dist Vuns à l'autre : « Et ne serai derier. »
Plus de deus mile adonc l'ont avoé
D'aler 0 lui coiement , à celé ;
Et Varochers pas ne l'ot refusé.
A son segnor il est devant aies ,
Le bon cheval Kallemaine au vis fier
Tôt premerains H a en don baillé^
224 MaCAIRE. a64i~a66{
El de l'avoir q'i ont guaagné
Qe le fu en sa part loçé
A la raine li oit délivré,
E A Lcoys, sa petit' arité.
E Blançiflor si n'avoit larmoie
Quando son avoir vi de si mal mené,
Et à tel gcnt le voit despensé
Qe no l'oit mie par nul tempo guaagné.
E K. Maine fu por tenpo levé,
Vide de sa çanbre li avoir anblé,
E son çival esloit via mené.
Quando ço vi, molto se n'e mervilé;
N. apele del ducha de Baivé.
a N. fait il , qi oit questo ovré ?
— Mon sir, dist il, or ne vos lamenté;
<• Se vu avés perdu, nient ai guaagné,
a Qe mon çival m'estoit via amené, w
E tel s'en risl, quando oit ben çerché ,
Qe non trovo li brandi amolé
Ne le aubergi, ne le tarçe roé,
Qe Varocher ne le avoit aporlé
Cun sa masnea, planeto, à la celé.
Ne s'en pensoit li rois que si fust aie ,
Ançi cuitoit qe fust de qui de sa contré,
Dont plus de mil en fu pris e lige.
2641—2665 MACAIRE. ' 22s
Et de ravoir que il ont gaagn iê
Quanque li fii en sa part alloé
A la roïne l'a trestot deslivré ,
A Loèis , son petit iretier.
Et Blanchejlor en ot des iex lermé
Quant son avoir voit ensi malmener
Et à tel gent si le voit despenser
Qui ne Vot mie à nul fuer gaagnié.
Et s'est par tens Kallemaines levé ,
Voit de sa chambre que lavoirs est emblés
Et ses chevaus de l'estable en menés.
Quant Va véu , moult s'en est merveille ;
Naimon apele dou duché de Baivier.
« N aimes , fait il , qui a enfi ovré ?
— Sire, dist il, or ne vos démentes ;
ce Se vos perdistes , noient n'ai gaagné ,
« Que mes chevaus m'en a esté menés. «
Tel en gaberent , quant orent bien cerché ,
Qui ne troverent les bons brans acérés
Ne les haubers ne les escus bouclés ,
Que Varochers les en avoit portés
0 sa maisnie , coiement , à celé.
Ne se pensait li rois sifust aie ,
Ains cuidoitfust de cels de son régné;
Dont pris en furent plus de mil et loié.
Mac aire . 1 5
226 M A CAIRE. a666— 1687
COMENT l'INPEREKE FISTE APARILER
SA JENT.
Varocher s'en lorne, cun li ses compagnon ;
Aporlé n'avoil l'avoir de l'inpcrer K.
E si n'amcnoit son destrer aragon,
Donde ne fu in gran sospicion.
E l'inperer de Costanlinople non fait arcslason ,
El fa monter ses çivaicr baron ,
E prender arme c monter in aragon
Por asalir l'inperaor K..
E furent .xxx. mile quant furent en arçon;
E quisti çivalçent sens nosa e tcnçon.
Blanciflor la raine à la cler façon
Si se remis plurando al pavilon,
Dolente cstoit de l'inpcFcr K.
E de son pcre c'avoit cun lui tençon.
E qui çivalçe à força c à bandon ,
L'oste asali, qi ni pisi 0 non.
Gran fu la nose quant lèvent li ton,
E K. Maine c le dux N.,
Benurdo da Mondiser e le dux Sanson ,
E Ysolcr et le dux Folcon,
Prendcnt les armes, montent en aragon
L'oriaflame dcsptoiarcnt amon.
2666—2687 Mac AI RE. 227
COMENT L^EMPERERE FIST APARILLIER
SA CENT.
Or cil s'en torne, 0 lui si compaignon ;
L'avoir m portent Vemperèor Kallon
Et si en mènent son destrier aragon ,
Dont nostres rois fu en grant sospeçon.
Et Vautres rois ne fist arrestison ,
Si fist armer ses chevaliers barons ,
Et si les fist monter es aragons
Por asalir l'emperéor Kallon.
Trente mil furent quant furent es arçons ;
Et cil chevauchent sans noise et sans tenson.
Et Blancheflor à la clere façon
Si est remese plorant el pavillon ,
Que dolens ert de Kallon , son baron ,
Et de son père qu'avoit 0 lui tenson.
Et cil chevauchent à force et à bandon ,
L'ost asalirent , qui qu'en poist 0 qui non.
Crans fu la noise quant levèrent H ton ,
Et Kallemaines 0 le bon duc Naimon ,
De Mondisdier Berars 0 duc Sanson ,
Et Ysorés 0 le bon duc Folcon,
Les armes prenent, montent es aragons
Et l'oriflamhc ont desploic amont.
2 28 MâCâIRE. 1688—1709
L*una gcnl cun l'autre se ferircnt à bandon ;
Ne le fo cil, ni vcilard ni garçon ,
N'aust sanglent le vermio siglaton.
Cran fu la nose , le cri e la tençon
E li daumaçe, qi ni pisi 0 non.
E luli son cristian qe in Deo creon !
Mal fo celle hore c celle pon
Qe Macbario naque in le mon,
Qe por soc ovrc c soa rason
Si ne mori à gran destruçion
Plus de mil, qi ne pisi 0 non.
Donde Damenedé li fe remision
De ses peçé, si cil confession.
COMENT FU GRANT LA BATAILLE.
Grande fu la bataile mcrvilosa e fer,
L'un cnpcrcr cun l'autre quant se vait e lutnircr.
Doncha vcriscs caïr qui çivaler,
L'un morto sor l'autre caïr e trabuçcr.
Davant les autres s'en vait Varochcr ;
Ben fu armés sor un corant dcstrer.
Ne scmbloit mie quel chc fo inprimer,
Quant in le bois aloit à converser,
Qe cun laserrel mcnuit li somer
;88— 2709 Ma CAIRE. 229
D'ambedeiis pars se fièrent à bandon ;
N'en i ot nus, ne viels ne joues hon,
N'éiist sanglent le vermeil siglaton.
Grans fa la n oise , li cris et la tensons
Et li damages , qui qu'en poist 0 qui non.
Et crestien tuit , en Dieu créant , sont!
Maie fa l'ore et malèis li pans
Que cil Macaires onques nasqui el mont,
Que par soe oevre et sa fausse rhison
Si en morurent à grant destrucion
Plus d'un millier, qui qu'en poist 0 qui non.
Dont Damediex lifist remission
De ses péchés , si ot confession.
Cor.lENT FU GRANS LA BATAILLE.
Grans /u Veslors et merveillos et fiers ,
L'uns rois 0 l'autre quant se vait encontrcr.
Donc véissiés chéoir ces chevaliers ,
L'un mort sor l'autre verser et trcbuchier.
Devant les autres chevauche Varochers ;
Bien fu armés sor un corant destrier.
Ne sanloit mie ce que il fa premier,
Quant ens el bois aloit à converser,.
Qu'à la cordelle en menoit le sommier
2^0 MaCAIRK. J710— j7»6
Dentro li bois por sa vie salvcr,
E vesli csloil à lo de palloncr.
Ora se voit sor un corant désirer
E ben armés à lo de çivaler.
Sel oit proeçe, non e da demander.
En man el tent un asle d'un pomer
E à son col un escu de quarter.
Unches Rolanl ne le dux Oliver
Tant no se fe de proeze à priser
Como se fait por li canpo Varocher.
En me la voie, delez un scntcr,
El s'encontro en le dux de Baivcr.
Por gran efforço le fcri Varocher,
L'cscu li speçe, ne le valse un diner.
Le auberg fu bon , ne le pote daner.
Si gran colpo li dono Varocher
Desor l'arçon de la sella darcr
Fait le dux N. tôt quant ploicr;
Mais ne le poit del çival dcroçer.
a Santé Marie ! dit N. de Baiver,
a Questo no e bon , ançe li vor malfer.
u Jamais tel colpo n'avi da çivaler. »
El tcn la spea , si se vora vençcr ;
Varocher, quant le vi, ne le voscaspeter.
Ben le conoit q cl non c baçaler.
Son çival retornc, lasa N. ester.
Atant ecote vos K. Maino rinperer.
271C-2756 MACAIRE. 2^1
El gaut ramé por sa vie sauver^
Et vestus ert à loi de pautonier.
Ores s'en vait sor un corant destrier
Et bien armés à loi de chevalier.
S'il ot proece, ne fait à demander.
En sa main tint une anste de pomier
Et à son col un escu de quartier.
Onques Rolans ne H dus Oliviers
Tant ne féirent de proece à prisier
Corne le fait par le champ Varochers.
Emmi la voie , par delez un sentier,
Encontre a duc N ai mon de Baivier,
Par grant vertu l'a féru Varochers ,
Uescu H trenche , ne H vaut un denier.
L'auhers fu bons , que nel pot empirer.
Si très grant cop H done Varochers
Desor l'arçon de la sele derier
Le duc Naimon fait dou tôt soploier;
Mais del cheval ne le puet dérocher.
ce Sainte Marie! dist N aimes de Baivier,
c( Cil n'est mie hom, ains est li voirs maufès.
a Ja itel cop n'oi mais de chevalier. »
L'espée sache , si se vorra vengier;
Mais ne le vout atendre Varochers.
Bien conoist il que pas n'est bacheliers ,
Son cheval tome , laisse Naimon ester.
Atant es vos Kallemaine au vis fier.
2i2 MaCAIRE.
3757—276}
Dist dux N. : *» Vaez quel mal fer!
« Le ver diable le fe cnçendrer.
tt Tel colpo me dono del brando d'açer
« Dcsor mon elme q'el me fc cnbronçer
« Desor l'arçon de la scia darer.
w Deo me guari in carne no me pote bailer.
Disl l'inpcrer : u De lui me peso blasmcr,
a E cre par voir, s'il c 0 que la sper,
a Q^el cri cil malvasio liçer
u Qe l'allro jor me furo mon destrer.
« A moi lesenble qe eo le voi çivalçer.
i« Ma, se à lui co me poso aprosmcr,
a Çer li vendero à mon brando d'açer. >.
E V'arocher non cura de so tençer ;
Tulora vail et avant et arcr.
En me la voie, delez un senter,
Oit encontre Bernard da Mondiser.
Tel li dona de li l»rando d'açer
Dcsor li cime, qi fo lusant e cicr.
f Que flors et picres en fait jus craventerj ;
De quel non trançe la monta d'un dincr.
Si gran colpq li dono Varochcr
Qjelo l'abatc dal corant destrer;
O voia 0 non , li ail par prcsoncr,
Via l'en mène sens nosa c tcnçcr,
Tros i la tente de li so cnpercr.
A BUnçiflor li dono â guarder.
2737— 27éj MaCAIRE. 2^3
Et dist dus Naimcs : « Vcès de ccl maujc !
« Li vif diable l'ont por voir engenré.
« Dou branc d'acier tel cop me vint doner
a Desor mon elnie que me fist embronchier
« Desor l'arçon de la sele derier.
a Diex me gari qu'en char nel pot fichier. »
Dist l'emperere : a Bien le puis je blasmcr,
« Et croi por voir, se ne faut mes cuidiers,
« Cil soit li glous j li malvais pautoniers,
« Qiii vint l'autrier me rober mon destrier.
« Me le resanle quant le voi chevaucher.
a Mais, se me puis à lui aproïsmer,
ce Chier li ferai à mon branc comperer ! »
Et Varocher ne chaut de son tenser;
Tote ore vait et avant et arier.
Emmi la voie, par delez un sentier.
Encontre a Berart de Mondisdier.
Et cil li done tel cop dou branc d'acier
Amont sor relme, qui luisans fu et clers ,
IQueflors et pieres en fait jus craventer] ;
Mais ne l'empire la monte d'un denier.
Et il redonc si grant cop Varochers
Que il l'abat jus del corant destrier ;
0 vueille o non , si l'a à prisonier,
0 soi l'en mené, sans noise et sans tenser,
L'emperéor trosqu'el demaine tref.
A Blancheflor l'a dont à garder.
234 Mac Al RE. 97^4— lySf
E quant la dama li poit aviser,
Ben li conoit q el e so çivalcr.
De mantenant le fait desarmer
E pois le fait vestir et coroer
De riche robe de palio e de çcnder.
E Bernardo prist la dama à guarder;
Quant la conoist, qe la poit aviser,
Nen fust si legro par tôt l'or de Baiver,
Davanti da le se vait à ençenoler.
E Blançiflor le fi su lever,
Apreso le le fait asetcr,
Et si le prist por rason demander
Como se mant K. Maino l'inperer.
a Dama, fait il, par vu est en perser;
'< De vu jamès non ait nul sper,
o Cre qe siés morte sença nul recovrcr. »
COMENT BERARDO PAROLLE A LA DAMA.
Bernardo parole que oit çoïc grant
De la raine h la çcra riant.
Qi le donast tôt l'or d'Oriant ,
El non seroit û legro e çoiant.
• Dama , fait il , molto me vo mcrvelant
« De questa ovre como soferés tant :
2764—278; Mac Al RE. 235
Et quard le puet la dame raviser ,
Bien conoist ele quil est ses chevaliers.
Lifait ses armes de maintenant oster
Et puis le fait vestir et conréer
De riches dras de paile et de cendel.
Et Berars prist la dame à esgarder ;
Quant la conoist, que la puet raviser^
Nen fust si liés por tôt l'or de Baivier,
Et devant ele se vait engenoillier .
Et Blancheflor l'en a fait sus lever ;
La dame l'a delez ele asegié ,
Et si li prist par raison demander
Cornent le fait Kallemaines li ber.
« Dame, dist il , por vos est en penser ;
« Ja n'ose mais de vos rien espérer ,
ce Croit qu'estes morte sans point de recovrier.y)
CoMENT Berars parole a la dame.
B^Kk?.Z parole qui ot joie moult grant
De la roïne à la chère riant.
Qui li donast trcstot l'or d'Oriant ,
Ja ne seroit si liés ne si joians.
« Dame , fait il, moult me vais mcrveillant
« Com de ccste oevre en poés sofrir tant :
256 Mac AI RE. 2786—1812
« Quai qc se more son vcs aperlinant.
« Nen fust Damenedé qe me fo in guarani ,
a Morlo m'averoit â la spea quel truant. »
Dist Blançiflor : a El e pro e valant ,
u Non e in ste mundo nesun hom vivant
« Qc à mon segnor aça servi cotant,
a Quando fu morto Albaris l'infant,
a Qc Machario l'oncis, li traito seduant ,
« Parme li bois eo m'en foçi erant,
u Eo alrové Varochcr primcmant.
n Par moi lasa mulcr e enfant,
a Ja mai da moi el no fo desevrant.
« Tant fu loial c ben reconosant
a Par moi duro gran poine e tormant.
a Quant le trove in le bois primcmant,
o Non avoit mie arme ni guarnimant ,
« Ançi estoit à modo de truant.
a Entro le bois stava par tôt tanp ,
a E fasoit Icgne por noïr ses enfant. »
Dist Bernardo : " Mué oit senblant;
« Meltre çivaler non porta guarnimant.
a Or plaist k Dco, li père roimant,
a Qucsta novclla saust li rois de Franc
a Qe vos soies vive c legra c çoiant ;
a Nen fust si legro in tuto son vivant.
Dist la raine : o Or laser aiant ,
« Q'et se repente de Tovra en oiant.
:j786— 28i2 MaCAIRE. 237
« Tel qui se muèrent sont vostre apartenant.
ce Se Damcdiex ne nie fust à garant ,
ce Ja de s'espée m'iust mort cil truans r>
Dist Blancheflcr : ce // est preus et vaillans ,
(c Ne nen est hom en cest siècle vivans
ce Qu'à mon segnor servi ait autretant.
ce Quant vi n'a guère morir Aubri l'enfant ,
ce Qu'ocist Macaires , H cuivers soduians ,
« Par mi le bois m'enfuis tôt errant ,
ce Là Varocher alai premier trovant.
ce Por moi laissa et moillier et enfans ,
ce Ja mais de moi nefu il desevrans.
ce Tantfu loiaus et de boin escient
ce Por moi sofri grant peine et grant ahan.
ce Quant ens el bois Valai premier trovant,
« N'avoit il mie armes ne garnemens ,
c Ains ert vestus à guise de truant.
ce El gaut ramé conversoit par tos tcns^
ce Etfaisoit laigne por norir ses enfans. »
Et dist Berars : a Tôt autre a le semblant ;
ce Mieudre de lui ne porte garnement .
ce Or pléust Dieu, le père raemant,
ce Ceste novelle séust li rois des Frans
a Que ancor estes vive et lie et joians ;
ce Nen fust si liés en tresîot son vivant. »
Dist la ro'ine : ce Or le laissiés atant
ce Qu'il espenisse le mesfait en oiant.
2]S MaCAIKE. sKi)— a8M
« Çuçcr me volse à lorto, vilancmant,
u Si m'cnvoio çaliva c povcramanl
« Por altru 1ère alcre mcndigant
u Tota solete, cun un de soa çant ;
u Ma noportanl e son grama e dolanl
«i Quando sa jent a nul ennoiamanl.
u Mon père le fait ne no allro hom vivant
o l'ar soi vençer de l'ovre aparisant
a (Velo de moi en fe vilancmant. »
E Varocher si s'en retorna atant ,
Lasa la dame e Bernard ensemant ,
A la bataile s'en vait aperlemant.
COMENT FU GRANDE LA Ba[ta]iLLE.
Grande fu la bataile forte et aduré ;
L'un empercr cun l'autre mostre sa pocsté,
Dondc dux N. en fo gramo et iré ,
Por Bcrnardo, qe fo pris, en fo tôt abosmé.
E K. Maine tant fu avant aie
Qc cun l'autre cnpcrcr cl se fo encontre.
Cun K.cstoil N. et Salatré,
Morando li près e II cont Salatré;
Ça&cun tenoit in man li bon brando litre.
Sor qui de Costanlinoplc mcnoit gran ferlé.
28i3— 28j4 MACAIRE. 239
a Jugkr me vout à tort , vilainement ,
ce Si m'envoia chetive et pourement
« Par autrui terre ma vie aler querant
<.(■ Tote solette, avec un de sa gent;
« Mais neporquant sui et grains et dolens
a Quant ont si home aucun encombrement.
«. Ce fait mes pères ne nus autres vivans
c( Por soi vengier de l'oevre aparissant
« Que de moi fist à tort , vilainement. »
Et Varochers s'en retorne à itant,
La dame lait et Berart ensement ,
A la bataille s'en vaii apertement.
COMENT FU GRANS LA BATAILLE.
Grans/« l'estors et fors et adurès;
Uuns rois à Vautre mostre sa poestè ,
Dont H dus N aimes en fu grains et irièSj
Et, por Berart qu'ert pris , tos abosmés.
Et Kallemaines tantfu avant aies
Qu^o l'autre roi se sont entrencontrê.
0 Kallon furent N aimes et Isorés,
Morans H preus et li quens Salaires ;
Chascuns en main tient le bon branc letré,
La gent averse mènent à grant fierté.
240 Macaike. i8îj— 2861
Ci fusl son cnperer recréant dnmé
Quant li rois d'Ongaric li oit secorso donc
A X. mile Ongari de sa contre.
E Varocher no fo pais daré.
D'anbes dos pars fo si grant la meslé
Dir ne se poroit in caria ni in bré.
Tuto quel çorno, tant q'el fo vespro soné ,
D'anbes dos part ela estoit duré ,
Quant K. Maines li avoit escric,
L'inperer de Coslantinople oit demandé.
E cil à lui vene lot coroé.
Par lui parler çascun se fait are.
o Enperer sire, ço disl K. l'insené,
n De una ren molto me son mervelé,
o Quando avés sofcrlo et enduré
o Venir en France asidier ma cité.
a De vestra file e son gramo e iré.
o S'ela est morte , vengança v'o pié
.« De le traitor qe me l'a acusé;
a Ma noportant s'emendança en volé ,
a E vos la faro à vestre volunté
o D'oro c d'avoir c de dincr moené. »
E cel le dist : o Mal en fu porpensé
« Quant por ma file fo li fois alumé.
« Nen fust labcs donde fo confesé,
o Q'cl da le soit tota la vérité
• F qe fnçint.i estoit de filo e d'erité ,
^ 283J-2861 MACAI RE. 241
Ja fust lor rois recréans apelés
Quant cil d'Ongrie H a socors donc
A tout dis mile Ongrois de son régné.
Et Varochers ne se tint pas derier.
D'ambedeus pars si forment sont meslc
Nel porroit on dire en chartre n'en bref.
Tôt icelfor, tant que fu avespré,
A la bataille d'ambedeus pars duré ,
Quant Kallemaines s'est en haut escrié,
Uemperhr se prist à apeler.
Et cil à lui s'en vient tôt conréés.
A parlement chascuns se trait arier.
te Sire emperere , dist Kalles H sénés,
c< De une rien moult me puis merveillerj
ce Quant vos avés sofert et enduré
(c Venir en France asegier ma cité.
« De vostre fille sui et grains et iriés ;
« Se ele est morte , bien vos ai je vengié
ce Dou traïtor qui me Vot acusé;
ce Mais neporquant s'amendise en volés,
a Si l'aurès vos tôt à vo volenté
a D'or et d'avoir, de deniers monéés. »
Et cil H dist : h Mar l'avés porpensé
(( Quant por ma fille fu H feus alumés.
ce Ne fust H abes qui l'ala confesser,
ce Qui d'ele sot tote la vérité
ce Et qn c grosse ert de fil et d'iretier,
Macaire. ^^
242 MaCAIRE. a86ï-i888
« De mantenant cla fosc bruxé ,
« D'cle non fust merçe ni piaté.
« E posa fo de França sbanoié ,
a A un sol çivaler ela fo délivré,
« Qe por Machario fo morte cl afolé.
« Ça çeste pla non sera aquité
« Se por bataile cl non e afiné
« Un çivaler contre un autre, in bataia de pré.
E dist K : o El soia olrié.
«« Vu romarés et eo tornaro are,
'« A le matin, quant l'aube ert levé,
« Un de ves çivaler en sera adobé,
« E un di mes en sera, da l'altro lé.
a S'el meo csloit e vinto e maté,
'« Décliner m'avero à vestra volunté ;
« De vestra file tel vengança ne prenderé
" Corne vos n'ira en voler e in gré.
» E s'el vostro sera e vinto e maté ,
'« De bon voloir en tornarez arc,
M Si sera entro nos pax e bona volunté. »
E cil le dist : a El soia otrié. »
Dont K. maine l'oit parfont encline.
Cascun de lor s'oit molto onoré.
Arer s'en torne, e fo l'osle sevré.
E K.. maine oit N. apelé
E li Danois et des autres asé;
Toi l'afairc li cil dito c conté
2862—2888 Ma CAIRE. 243
a De maintenant fust ses gens cors brusUs ,
« D'ek ne fust ne mercis ne pitiés.
« Et puis de France la f listes geter,
« La delivrastes à un seul chevalier
ce Qui par Macaire fu mors et afolés.
« Ja icist plais nen ert mais aquitès
« Se par bataille il nen est afinés
« De deus vassals , sol à sol , en un pré. »
Et respont Kalles : « Bien fait à otrier.
ce Vos remanrés et je m'en tome arier^
« Et par matin , quant ertsolaus levés,
<c Uns de vos homes en sera adobés ,
c< Et uns des miens ensement , d^ autre lez.
u Se H miens est et vaincus et matés ,
ce Déclinerai à vostre vo lente ;
ce De vostre fille tel vengance en penrés
ce Corn vos venra en voloir et en gré.
« Et se H vostres est vaincus et matés ,
ce De bon voloir en tornerés arier,
ce S'en entre nos et pais et amistés. »
Et cil li dist : ce Bien fait à otrier. »
Dont Kallemaines Vot parfont encline.
Andui li roi se sont moult honeré.
Arier s'en tornent et H ost sont sevré.
Et Kallemaines a Naimon apelè
Et le Danois et des autres asés ;
Trestot l'afaire lor a dit et conté
,^^ MaCAIRE. i889-a9«J
De Li balailc como cri devisé.
CaNÇun la oit graé cl olrié.
E It Danois primeran fus vanlé
Q^el fara la balaile, se a 11 rois en es gré.
De manlenanl n'en fo conseil pié ;
Li rois demanes li oil li guanlo doné.
Da l'autre pari si fu l'aulre amiré
Qe de Coslanlinople esl enperer clamé.
Disl à sa cent ço q'el oit devisé
Cun K. maine li rois de creslenlé :
La balaila ert da dos sol al pré.
« Qi li alira ? » li rois li oit parlé.
Casçun escrie : a Varocher l'aduré. »
E cil respont : « Et el soia olrié. »
Gran çoia oit li rois e li bé.
A la raina fu la nova conté
Qe Varocher oit la balaila enguaçé ,
Ver li Danois oil li guanto pié.
Quant ela li soit, ela fo porpensé,
Q'cla soit ben loU la vérité,
Qc in creslenlé e davant el daré
Mellre çivalcr nen scroit irové
De li Danois c de plu poesté.
Saçés par voir scnça nul falsité
Qe Varocher oil loialmcnl amé :
Par lui parler oit un mcsaço mandé ;
E Cil le vcoe, ne roil pais contrasté.
28S9-29IJ MaCAIRE. 245
De la bataille corn ilert devisé.
Et chascuns Vot otrié et gréé.
Et H Danois s'est premerains vanté
D'aler ou champ , se l'a li rois en gré.
De maintenant en ont il conseillié;
Li rois li a errant le gant doné.
De Vautre part si fu li amirés
Costantinoble qui tient et le régné.
A sa gent dist ce qu'il et devisé
Avec le roi de crestieneté :
La bataille ert de dous sans plus elpré.
« Qui la fera ? » li rois a demandé.
Chascuns escrie : « Varochers l'adurés. »
Et cil respont : « Bien fait à otrier. «
Grantjoie en ot li rois et ses barnés.
La roïne ot la novele conter
Que la bataille gaigiée a Varochers,
S'a le gant pris vers le Danois Ogier.
Quant Va séu , prist soi à porpenser,
Qu'ele en set bien tote la vérité ,
Qu'en tôt le mont et devant et derier
Mieudre nen ert don Danois atrovés
Ne plus hardis et de plus grant posté.
Sachiés por voir sans nule fauseté
Que Varocher ot loiaument amé :
Por Vaparler un mcsage a mandé;
Et cil i vient , ne Vot pas trestorné.
2j^b MaCaIRE. j^,t>_i^j7
COMENT LA Raina apeloit Varochek.
QyxNT davant la raine fo venu Varocher.
La çentil dame le prisl à apelcr.
o Varocher, disl cla, vu si un forsoncr
u Quant, contra mon voloir, vos faite i nomcr.
o Nen conosés mie li nome del çivaler.
u Q\ çerchese P'rança tota quanta por inter
o N'en Irovaroit plus orgolos ni fer
o Cun li Danois qi s'apela Oger.
M Mcltre çivaler ne se poroit trovcr
a Ne qe li rois plus ami c tcgna çcr. »>
Dist Varocher : *< Ne le doto un diner,
a Et d'una ren vos voio cmproier,
o Se vos m'amés e de ren m'avés çer,
a Qc vos de mi lasez quel penser,
c S'cl fose vivo Rolando et Oliver,
a N'i dotaria la monta d'un diner. »
Dist Bernardo qc cstoit prcsoncr :
• Dama, fait il, cl est pro e ber;
o Jamais tel colpo non avi da çivaler.
• Mais de una ren e vos voio cnproier
c Qe de bone arme le faça adober,
u Qe li Danois qe s'apella Oger
2916— 29?7 M A CAIRE. 247
COMENT LA ROINE APELOIT VaROCHER.
Devant la roine est venus Varochers.
La gentis dame le prist à apeler :
Cl Par foi, dist ele, vos estes fos provès,
« Qui si vos fêtes, contre mon gré, nomer :
« Ne savés mie le nom dou chevalier.
« Qui cerchast France trestote par entier,
« Ja ne trovast plus orgoillos ne fier
« Dou bon Danois que l'en apele Ogier.
ce Meillor vasal ne poroit on trover,
« Ne que li rois plus aint et tiegne chier. »
Dist Varochers : « Ne le dote un denier,
ce Et d'une rien vos vorrai jeproier,
c< Se vos m'amès et me tenés point chier,
u Que ce penser de moi laissiés ester.
ce Se fussent vif Rolans et Oliviers,
ce Nés doteroie la monte d'un denier, s
Et dist Berars, qui estoit prisoniers :
ce Dame, fait il, cil est et preus et ber;
« Ja itel cop n'oi mais de chevalier.
ce Mais d'une rien vos vorrai je proicr
ce De bones armes le faciès adober,
ce Que li Danois que l'en apele Ogier
16
24S MaCAIRK. j9)8— a9t4
<v Oit una spea qe trcnça voiunter :
« Curlana l'apelcnl Alcmanl et Baiver.
« Plu trença fer, rubi 0 açer
« Qe nula falçe la erba del verçer. »
Dist la raine : « E l'o ben en penser. »
Dist Varocher : « Pensés de l'esploiter,
a Qe primamant voio à li canpo entrer
Dist Bernardo, le sir de Mondiscr :
.1 Sire Varocher, vu avés bon penser,
û Non aça l'ovre si forte ad aster,
« Qe tel se cuila vendere e cancer
<> Qe à la fin si le compra molto çer.
a Mal conosés li Danois Oger;
a En tôt le mondo c davant e darcr,
a En paganie e por li batister,
« Ne se trovaria un milor çivaler. »
Dist Varocher : « Ben l'o oldu noiner,
i Ma no por tant e noi doto un dincr,
a E d'una rcn vos voio crecnter :
'< Pois qe mon sir me dono li corcr,
c Eo devente si argolos e fer,
0 Quando de le bois me ven à remenbrer
1 Qe sor li doso portava tel somer
" Como faroit un corant destrcr,
o De rctorner plus à quel mestcr,
« Sacés par voir, ^c Dco vole aider,
« De retorner al bois e non faço penser.
2938—2964 Mac AI RE. 249
tt Une espèe a qui trenche volontiers :
« Courtain Vapelent Alemant et Baivier.
« Plus trenche fer ou rubis ou acier
ce Que nulefaus ne fait Verbe el vergier. »
Dist la roïne : « Et l'ai bien enpensé. »
Dist Varochcrs : « Pensés de l'esploitier,
« Que sans targier vorrai ou champ entrer, b
Et dist Bcrars, icil de Mondisdier :
« Varochers sire, vos avés bon penser,
« Mais bien porriês celé oevre trop haster,
« Que tés se cuide et vendre et eschangier
i< Qui à la fin le compère moult chier.
« Mal conoissês le bon Danois Ogier;
« En tôt le mont et devant et derier
« En paienie et par crestienté
« Ne troveriés un meillor chevalier. »
Dist Varochers : « Bien l'ai oï nomer,
« Mais neporquant ne le dote un denier,
« Et d'une rien vos voil acréanter :
« Puis que mes sire m'adoba chevalier,
« Sui devenus si orgoillos et fiers
a Que, quant dou bois me vient à remembrer
« Oii sor le dos tel fais oi à porter
« Come poroit faire uns corans destriers,
c( Plus ne vorroie à cel mestier îorner.
« Sachiés por voir, se Diex me vuet aidier,
« De retorner au bois n'ai nul penser.
3^0 NfACAlRE. loé) — 1486
a Soloia aler vesti de pani de paltoner
a El in man portoie un baston de pomer;
o E uio si son vesti à lo de çivaler
« E a mon la li brando forbi d'açer.
a Quando ço vol, et mon cor son si fer
« Qe non redoto homo nuio de mer.
a Converser soloie cun bestie averser ;
« Ora demoro en cambra d'inperer,
n E quando voio s'ovro so camarler. »
Dist la raine : a Tu a molt bona sper ;
a Ncn so q'en die ne responder darer.
« Tant e tu saço en dir e en parler
o Le to parole e non voio amender;
« Ma tota fois avero par toi proier
a Jesu de glorie, li vor justisier,
« Qe de la bataile te lasi arer torner
« E sano e salvo dever le dux Oger. -
Dist Varocher : a Or lason li parler
« E si me faites le arme aporter. »
Dist la raine : « De grez e volunter. »
CoMENT LA Raine fait armer Varocher.
Blançifi.or la rame à la clera façon
De Varocher oit gran doteson.
2965—2986 Macaire. 2^1
« Aler soloie vestus corn pautoniers,
a En main portoie un baston de pomier ;
« Hui sui vestus à loi de chevalier
ce Et à mon lez le branc forbi d'acier.
a Quant ice voi , en mon cuer sui si fier
a Que je ne dote home de mère né.
a 0 maies bestes soloie converser;
« Ore demor en chambre emperiel ,
« Et quant le vueil m'ovrent si camerier. »
Dist la ro'ine : « Moult es bien espérés;
ce Ne sai qu'en dire ne qu'en respondre arier.
ce Tant es tu saiges en dire et en parler
ce Que je ne voil ta parole amender ;
ce Mais tote voie vorrai por toi proier
ce Jesu de gloire , le verai jouticierj
ce De la bataille te lait arier torner^
ce Et sain et sauf de vers le duc Ogier. »
Dist Varochers : ce Or laissons le parler
ce Et si me fêtes mes armes aporter. »
Dist la roïne : ce Volentiers et de gré. »
COMENT LA ROINE FIST ARMER VaROCHER
NOSTRE roïne à la clere façon
Por Varocher est en gran sospeçon.
2<,2 MaCAIRE. a<)87— îoij
Arme li fa aporter le meltre de li mon.
E cil vesti l'auberg flamiron ,
Mis le ganbere , e calço li speron,
E posa çinse le brando al galon.
Un eimo a lacé qe fu rois Faraon ;
Ncn fo ma spée q'cn trençase un bolon.
Monlo à çival corant e aragon.
E la raine à la clera façon
Le fe aporter una tarça reon.
Al col se la mist Varocher li prodon ,
E posa prist un asle cun un pcnon,
Li fer Irençant si le sont en son.
« Dama, dist Varocher, e vo à li Deo non. »
Dist la raine : « A ma beneçion. n
E Varocher punçe li aragon ,
A l'inperer vene sença tcnçon :
" Enpercr sire, e vo al canpion
a A fornir la bataile , se vinrcr la poron. »»
Dist l'inperer : « Soia à li Deo non.
« Se Deo me donc de la retornason ,
o Tant vos donaro or coito e maçon ,
• E bona tere con castel c doion,
a Qc in vestra vite en scrès riçes hon. »
Diil Varocher : »« Enu li prendcron,
a Si vos faremo homaço cun farc se devon. »>
Li rois le scgnc de le beneçion ,
E cil s'en voit à cuite d'csperon ;
2987—3013 Macaire. 253
Les meillors armes H fait porter dou mont.
Et cil vesti le hauberc fremillon
Et legambais, et chauça Fesperon,
Et le bon branc a ceint au lez selonc.
Un elme lace qui fa roi Faraon ;
Neju mais brans qu'en trenchast un boton.
El cheval monte corant et aragon.
Et la roïne à la clere façon
Porter H fist un bon escu rèon.
Au col sel mist Varocher Uprodon ,
Puis prist une anste à tout le gonfanon
Dont H fers trenche moult durement en son.
ce Dame, dist il, je m'en vai au Dieu nom. »
Dist la roïne : «. A ma benèiçon. »
Et Varochers broche son aragon ,
Devant le roi est venus sans tenson.
« Gentis rois sire, ou champ nos en alons
ce Por la bataille, se vaintre la poons. »
Et dist li rois : ce A Dieu benèiçon .
ce Se Diex me doint que torne en ma maison ,
ce Tant vos donrai et or cuit et mangons ,
ce Et bone terre 0 castelet donjon,
ce Que en vo vie en serês riches hon. »
Dist Varochers : « Et nos le prenderons
ce 0 tel homage que faire vos devrons. »
Li rois le seigne de la benèiçon.
Et cil s'en vait à coite d'esperons ;
2J4 MaCAIKE. J0I4— }04o
Plu se ten fer qe liopart ne lion.
Tanto çivalçc, non fait arcslason ,
\'en à la tende de l'imperer K.
Ad alu vos elo mis un ton :
a Enperer sire de França e de Lion ,
u O avcs vos li vestre canpion ?
n Vol il conbatre ? dites moi si o non. >>
K. l'ol c le dux Naimon,
Dist l'un à l'autre : a Cil est un mal garçon !
« Mcllre diable non e in ste mon. »
Atant li Danois venoit por li pavilon.
De Varocher el oldi la tcnçon ,
Quando l'oldi, el se tenc à bricon.
Ven à sa tende o le ses omi son ,
Queri ses arme si vesti li braçon ,
Se blano aubers , si calço li speron.
Çinse Curtane al senestre galon,
Alaça l'cume à guise de baron,
Monta à çival corant et aragon ,
Al col la tarçeo e pinto li schalon.
Una asta pris o li fer son in son,
El non fi moto nen dist autre sermon ,
Ver Varocher s'en vait à speron.
K. le vit, si n'apcllo Naimon :
o Vccz li Danois cun s'en vait à bandon '
« Ça sera la bataile, qe ne pisi o non. »
E dist N . : « Dco vinçcr ne la don ,
3014—3040 Macaire. 255
Plus fier se tient que leupars ne lions.
Tant a erré, n'ifaitarrestison ,
Vient à la tente l'emperéor Kaîlon ,
A su vois clere si s'escrie à haut ton :
« Sire emperere de France et de Loon ,
« Oh avés vos le vostre champion ?
« Vuet il combatre f dites moi si 0 non. •»
Kalles l'oï 0 le bon duc Naimon ;
Dist Vuns à Vautre : « Vez don malvais garçon I
« Mieudre diables nen est en cestui mont. »
Atant Ogiers vient par le pavillon.
De Varocher a oï la tenson ,
Et quant l'entent , il se tient à bricon.
A son tref vient où H sien home sont ,
Ses armes quiert , si vest le haubergeon ,
Le blanc hauberc, si chauce resperon.
Ceinte a Courtain au lez senestre en son^
L e hiaume lace à guise de baron ,
El cheval monte corant et aragon ,
Au col l'escu quert peint à eschelons.
Une anste prist à tout le fer en son,
Mot ne sona ne dist autre sermon ^
Vers Varocher s'en vait à espérons.
Kalles le voit , s'en apele Naimon :
« Vez dou Danois com s'en vait à bandon I
« Ja bataille ert , qui qu'en poist 0 qui non. »
Et dist dus N aimes : « Diex vaintre nos la dointj
2j6 Mac Al RE. 5041—5062
« E SI metese pax el acordason
« Enlro color qc un parenteson! »
CoMENT Li Danois apeloit Varocher.
Quant li Danois fo à Varocher venu ,
Elo l'apelle si l'oit à rason melu :
o Çivaler sire, vu m'avés deçéu
a Quant avant moi estes à li campo venu,
o Volez contra moi mostrer vestra vertu ,
« 0 dever moi clamar ve recréu ? »
Dist Varocher : « Avez li seno perdu ?
a Créez qe soia qui a loga venu
a Por dir çanson ne faire nul desdu ,
a Se no por conbatre à li brandi nu P
a Se tel serés como avés li nome eu ,
a Ça ver de moi non serés recréu, »
Dist li Danois : « E v'o ben entendu. »
Del canpo se donent una arçea c plu ,
L'un cunlra l'autre ponce li destrer crcnu
E brandise le lance â li feri agu.
Comunelmenl i se sont féru ,
Frosenl le tarçe totc quant por menu ,
Li fer trcnçant ont in le aubcrj; mclu ;
E qui son bon, de mort li oit défendu.
;o4i-3oé2 MaCAIRE. 2^J
ce Et si méist pais et acordison
« Entre parens qui ont desputoison ! »
CoMENT Li Danois apeloit Varocher.
Quant Ogiers fu à Varocher venus ,
Il l'en apele , ne se contint pas mu :
« Chevaliers sire , vos m'avés decéu
a Quant avant moi estes ou champ venus.
« Volés mostrer contre moi vo vertu
« 0 envers moi vos claimer recréu ? »
Dist Varochers : « Avés le sens perdu?
<■<■ Guidés que soie ci orendroit venus
« Por chanson dire ou faire aucun déduit ,
« Non por combatre o le branc d'acier nu ?
« Se estes tés com avés nom eu ,
i( Ja ne serés envers moi recréus. »
Dist li Danois : « Bien vos ai entendu. »
De champ se douent une archée et plus.
L'uns contre l'autre point le destrier crenu
Et brandist l'anste dont li fers est agus.
Comunaument se sont entreferu ,
Froisent les targes trestotes par menUj
Des fers trenchans ont les haub ers feras ;
Mais cil les ont de morir défendus.
Macaire.
17
2j8 MaCAIRE. ïoéj— )o85
Le asie e grose e li fer trcnçant en fu ,
Anbi li baron sonlo de gran vertu.
E si gran força i le ont metu
Qe inçenoclé son le çivali anbidu.
E qi le pinse ben qe ont gran vertu ,
Si qe le aste son in tronçon caù.
OItra s'en pase li bon çival crenu ;
Ne l'un ni l'autre no li a ren perdu.
COMENT FU GRANDE LA MESLÉ TRA
LI DOS CAMPION.
Le çivaler si son pro e valant ;
OItra l'inporte anbcs li auferant ,
Ne l'un por l'autre ne se ploia niant.
Li destrer torne, çascun trait li brant
L'un dcver l'autre, k guise d'olifant.
Ma Varochcr se trait plus avant
K fer Oger desor l'cumc lusant ;
Gran colpo li done, ma no l'inpena niant ,
Qe Damenedé li estoit en guarant.
La spée tome sor la tarça davant ,
Toto ne trença quant cla ne prant ,
E de l'aubergo la gironèe dav.nnt.
» Santa Marie, dist Oçcr li valant,
I
joéj— }08î MaCAIRE. 250
Fort sont les anstes , // fers trenchans en fa ,
Li dui baron si sont de grant vertu.
A si grant force se sont aconsèus
Qu'engenoillié sont li cheval andui.
Là pert il bien que il ont grant vertu ,
Que de lor anstes sont li tronçon chéu.
Outre s'en passent li bon cheval crenu ;
Ne l'uns ne Vautres nen i a rien perdu.
COMENT FU GRANS LA MESLÉE d'ENTRE
LES DOUS CHAMPIONS.
Ll chevalier sont et preu et vaillant ;
Outre les portent andui li auferrant ,
Ne l'uns por Vautre ne soploie noient.
Lor destriers tornent , chascuns a trait le branc
L'uns devers Vautre , à guise d'olifant.
Mais Varochers se trait plus en avant
Etfiert Ogierdesor Velme luisant,
Grant cop lidone, mais ne Vempoint noient ,
Que Damediex li estoit à garant.
Uespèe torne sor la targe devant ,
Si en detrenche tôt quanques ele en prent ,
Et de Vauberc la gironée avant.
a Sainte Marie, dist Ogiers li vaillans ,
26o Mac A IRE. jos^— ?io8
» Cun quella spce Irençe teneremant!
a K cil qi Ta donc si ne m'ama niant. »
\'er N'arocher il ven irécmanl ,
Cran colpo li donc desor l'eume lusant,
N'en po irençer un dener valisant,
Car cel heume fu e forte e tenant.
La spea tome qe la tarça porpranl
Cun lola la guinche el la çeta à li canp,
E de l'aubergo cenlo maie in avant.
Tros in l'erbete va la spea clinanl.
Si grande fo li colpo de Oger li valant
Qe sor l'arçon de la selle davant
Varocher se vait tolo quanto ploiant,
Par un petit non cade en avant.
Réclama Deo, li père onipotant :
a Sanle Marie, raine roimant ,
« Anco si me siés de la morte guarant ! -
Dist Oger : « Me va lu reconosant.^
u Rende te à moi, non aler plu avant ! »
Dist Varocher : « Vu parlé de niant ;
a Ancor no suie vinlo ne recréant. >»
A questo moto anbi li conbatant
Se requerent à li brandi trençant;
L'un dcver l'autre no s'apresia un guanl ,
De bcn ferir çascu se fa avant.
3084— Jio8 MACAIRE. 261
« Corn tenrement celé espée est trenchans !
ce Qui l'a donée , cil ne m'ama noient. »
Vers Varochers s'en vient iréement ,
Grant cop U done desor l'elme luisant ,
N'en puet trencher un denier valissant ,
Carfu cil cimes et moult fors et tenans.
Uespèe torne qui la targe porprent
Atout la guige Vavalc jus ou champ ,
Et de Vauberc cent mailles en avant.
Trosqu'en Verbete vait l'espêe clinant.
Dou bon Danois fu li cops si très grans
Que sor l'arçon de la scie devant
Se vait trestos Varochers embronchant,
Par un petit ne chaï en avant.
Dieu en reclaime., le père omnipotent :
c( Sainte Marie , roïne raemans ,
« Ancui me soies contre la mort garansl »
Et dist Ogiers : ce Me vais tu conoissant?
a A moi te rent, nen aler plus avant! »
Dist Varochers : « Vos parlés de noient;
G Ancor ne sui vaincus ne recréans. »
A icel mot andui li combatant
Se vont requerre atout les brans trenchans ;
L'uns envers l'autre ne se prisent un gant,
Don bien ferir chascuns se vait aidant.
262 Macaire. po9— îi;o
COMENT FU CRANDK LA BATAILLE.
A gran mervile fo pro li çivaler;
L'un no presia l'autre la monta d'un diner
A li brandi d'açer anbi dos se requer.
Se l'un e pro, li autre e liçer.
Le armaure, for li heume d'açer.
Sont trençé tros à la çnrne cler.
« Santé Marie, dist li Danois Oger,
H A grand mervile e fer ste malfer ;
« Jamai non vi homo de tel aitcr.
'« A gram mervile e pro çivaler. »
Elo l'apclle sil prist à derasner.
«i Çivaler sire , dist li Danois Oger,
«« En la corte de le vestre enpercr
« Par nome cum vos faites clamer ? »»
E cil le dist : a E 0 nome Varocher.
M Petit cl termcn qe eo fu çivaler;
» Eser soloia prima un paltoner
tt E in foreste senprc à converser.
- Par un servise qc fi à l'inpcrer
a El m'a donc le arme e li corer
1 E de novel m'a fato çivaler.
« De qoella cosa qc mo sta à çcler
3109—3130 Macaire. 263
COMENT FU GRANS LA BATAILLE.
A grant merveille sont prea li chevalier ;
Ne s' entreprisent la monte d'un denier.
Au branc d'acier chascuns l'autre requiert.
Se "uns est preus , // autres est legiers.
Les arméures , fors les elmes d'acier,
Trosqu'en la chair n'ont jailli à trenchier.
« Sainte Marie , dist li Danois Ogiers ,
« A grant merveille est fiers icil maufés ;
Cl Ja ne vi mais home de tel fierté.
c< A grant merveille est preus li chevaliers. »
// l'en apele sel prenî à aresner.
a Chevaliers sire , dist li danois Ogiers ,
« En cort le roi où vos estes sougiés
« Par va droit nom corn vos faites claiw.er? »
Et cil li dist : « J'ai à nom Varocher.
« Poi de tens a que fui fais chevaliers ;
« Estre soloie premier uns pautoniers
« Et en for est sempres à converser.
u Por un service oi del roi tel hier
« Que il me fist fervestir et armer
a Et de novel m'adoba chevalier.
ce De celé chose que me covient celer
264 Macaire.
'}'- 3157
« S'el la saùst K. maino l'inperer,
<« No l'averoie mandé qui à çoslrer
« Par moi oncire , confondre e mater,
a Ançi m'averoit amer e tenu çer. »>
Dist li Danois : a Noble çivaler,
• Se à vos plaist à moi çel deviser
« E la creence dire e palenler,
n E moi e vos, scnça nosa c tençer,
a E sença colpo ferire ni capler,
« E moi e vos s'avcresemo acorder. »
Disl Varocher : o Me le poso enfier
« Qc ço qe vos diro vu si diça çeler
0 Ne à nul persone dire ni aconter ?
Dist li Danois : *« E vos l'avero curer. »
Dist Varocher : a Et eo mcio non requcr,
« Et CD vos contaro le fato toi enter,
o Si cun l'ovre (0 fata da primer,
a Nen vos remenbre de ii tenpe ancioner,
<• Quant Albaris fo morto à li verçer,
« A la fontane por la dama mener,
o Dondc Machario si n'ave son loer?
a La dama s'en foçi por li bois dur e fer,
«< Et eo si {'encontre ad un terter paser.
u A moi se rende, ce Tavi A convuier
o Trosqu'â en Ongaria, ilec fi la repolser,
a Si la desis i cha d'un bon ostcr.
« La prima noit (\v i'.ivi <jstalcr.
jiji—jrjy MaCAIRE. 265
« Se séust Kalles y l'emperereau vis fier,
« Ne f avérait ci mandé à joster,
« Par moi confondre et ocire et mater,
a Ains me vorroit amer et tenir chier. »
Dist H Danois : « Mobiles chevaliers ,
ce S'a vos pléust ice me deviser
« Et la raison en dire et créanter,
« Et moi et vos , sans noise et sans tencer,
« Sans cop ferir ne sans autre chapler,
« Bien nos porrions ambedui àcorder. »
Dist Varochers : « Me poès afier,
« Se jel vos di , que le vorrés celer
« Et à nului ne dire n'aconter? »
Dist H Danois : « Et le vos puis jurer. »
Dist Varochers : « Et je miels ne requier,
« Et vos dirai l'afaire tôt entier,
« Si corn ala l'oevre de chiefen chief.
c( Dou tens passé vous puet il remembrer,
« Quant Auberis fu mors ens el vergier
« Lez la fontaine , por la dame mener,
« Dont si en ot Macaires son hier f
ce Fuit s'en la dame par le bois aspre et fier,
ce Et je rencontre à un tertre passer.
(( A moi se rent , si l'oi à convoier
ce Trosqu'en Ongrie, oîi la fis reposer,
(c Chez un bon oste si la fis hebergier.
ce La nuit méisme que vint en cel ostel ,
266 MaCAIRE. 3ijg— )i8}
'^ Un tnfanl partori ; quant le fi bateçer,
<v Li rois d'Ongarie le vcne ad alever,
« Son nome le mist; si se fa apeler.
«« Quant conoue la dame, molto l'avoit çer,
« Grant honor le fi, si mando à son per.
« E son père mando por lei de nobeli çivaler ;
a En Costanlinople el se la fe mener.
« E por le a fato questa oste asenbler.
tt E si te poso par droito non conter
« Qe quella dame cun tôt li baçaler
a Si est en loste de l'inperer son per,
« E qi la volt, là la pora trover
« E sana e salva, sença nul engonbrer. »
Quant li Danois li oldi si parler
E tel rason dire e deviser,
Qi le donast li honor de Baivcr,
Nen séria si çoiant par nula ren de mer.
El se décline enverso Varocher,
Entro le fro mis le brando d'açer.
a Varocher, dist il, e vos o molto çer ;
« Non plasa Deo, li vor justisier,
«t Qe contra vos e voia plu çostrer.
" Çer vos tiro cun vos fustcs mon frer
a Nen avero ren , ni avoir ni diner,
o Avec vos ne sero parçoncr. >■
E Varocher l'en pris à mercier.
ÎIJ8-5183 Macaire. 267
ce D'un fil s'agiut; quant le fis bautisier,
a Li rois d'Ongrie le vint en fons lever,
« Son nom li mist ; si se fait apeler.
« La dame vist, sil'ot en grant chierté,
« Et à son père fist mesages mander.
« Et cil refist por sa fille envoler;
« En sa cité se la fist amener.
ce Por ele a fait cel grant ost asembler.
ce Et si te puis par droit nom crêanter
a Que celé dame à tout le bachelier
a De son père est ens el demaine tref,
ce Et qui la vuet , là la porra trover
ce Et saine et sauve, sans point de l'encombrier. »
Quant li Danois l'a o'i si parler
Et tel raison et dire et deviser.
Qui li donast tôt Vonor de Baivier,
Plus lies nefust à jor de son aé.
Vers Varocher se vait il endincr,
■ Dedens le fuerre a mis le branc d'acier.
ee Moult VOS ai chier, ce dist il , Varochers ;
ce I^e plaise Ditu, le verai jouticier,
ce Que contre vos je vueille plus joster.
« Si com mon frère uimais vos tenrai chier
ce Ne rien n aurai, ne avoir ne deniers ,
ce Que avec vos n'en soie parsoniers. »
Et Varochers l'en prist' à mercier.
i68 MaCAIRE. ;i84— îjoi
CoMENT Li Danois apelloit Varocher.
Quant li Danois oit oidu la novclle.
A gran mervile ela li paroit belle.
De çoia qc il toi li cor li sallelle ,
Deo mercie c la Verçen polçelle,
O el vi Varocher dolçcment l'apellc,
<« Varocher, fait il , dilo m'avcs tel novellc
« Plus me l'a chara qe l'onor de Bordelle,
<* De vos amer tôt li cor me renovelle.
a A K. m'en çiro, q'c segnor de Bordelle,
« Diro qe m'avés et abatu de selle. »
Co.MENT Li Danois parolle.
« Varocher, dist li Danois, ncn vos crt celle ,
« Tel colsa m'avés dito e conté
<' Plus n'oe çoia qe se aust guaagné
« Escr segnor de Koma la cité,
• De la raine qe viva est trové.
«« A K. maine e tornaro are;
« Ça questa coisc no le sera conté ,
(< Mes altrament le sera devisé ,
5184—3201 Magaire. 269
CoMENT Li Danois apeloit Varocher.
Quant oie ot li Danois la novele,
A grant merveille ele li par oit bêle.
Tel joie en ot tos li cuers li sautele^
Dieu en mercie et la Vierge pucelle ,
Et Varocher bêlement en apele.
a Vos m'avés dit , fait il , itel novele
« Que plus ai chiere de Vonor de Bordele.
« De vos amerli cuers me renovele.
« A Kallon vai , le segnor de Bordele ,
« Si li dirai m'avés rué de selle.
Coment li Danois parole.
DiST li Danois : ce Ne le vos quier celer ^
« îtel novele m'avés dit et conté
« Plus en ai joie que s' eusse acquesté
rt D'estre li sire de Rome la cité ,
« Por la roine qu'est vive et en santé.
a A Kallemaine m'en tornerai arier;
« De celé chose ne li sera conté ,
ce Mais autrement li sera devisé ,
lyO MACAIRbl. )2oa— pas
«» Donde la pax en sera fata de anbi lé. «
Disl Varocher : u Vu fari gran bonté ;
« Or vos alez c plus non demorc. u
Et li Danois si oit preso concé,
l)a Varocher e parti e sevré.
A l'ostc K. el fu reparié.
E quant el fo queri e demandé
De la bataile cornent estoit ovré ,
Elo le dist qe vinto e e maté.
E quant el fo del çival desmonté
E de ses armes el fo desarmé ,
Elo si vent davanli l'inperé.
a Bon roi, fait il, e voio qe vu saçé
« Conbatu son e vinto e maté
o Dal milor çivaler de la crestenté.
u Unde c vos pri par droita vérité
a Qe vu tratés pais e bona volunté
« Cun rinperer qe est de Costantinople clamé ,
« E se vos le faites, vu farcs gran bonté. »
Dist K. maine : o Ben me veroit à gré
m Se envers lui atrovase piaté ,
<i Qc de soa file qe morla est trové
« Elo me fist perdon de tôt son gré. »
Dist li Danois : u Ora li envoie
• Un ves mesajo qe soia de bonté ,
« Qc ben saça parler e quérir pieté. »
Disl l'inpcrer : i E l'o ben porpensé;
1202—5228 MACAIRE. 271
c< Dont ert la pais faite d'ambedeus lez. »
Dist Varochers : « Vos fériés grant bonté;
(.(. Or en tornés et plus ne demorés. »
Et il Danois a congiè demandé ,
De Varocher s'est parti et sevré.
A Vost Kallon il s'en est repairiés.
Et quant U vont enquerre et demander
De la bataille coment il ot ovré ,
// lor respont vaincus est et matés.
Et quant il fu del cheval desmontés
Et de ses armes quant il s'est despoillié ,
Devant le roi se vint engenoiller.
« Boins rois , fait il , ne le vos quier celer,
« Combatus sui et vaincus et matés
« Par le meillor de la crestienté.
ce Dont je vos pri par droite vérité
« Que pais traitiés et bonne volenté
« Avec le roi dont es genres claimés,
« Et se le faites, vos ferés grant bonté. »
Dist Kallemaines : a Bien me venroit à gré
« Se envers lui atrovasse pité ,
« Que de sa fille qu'ai fait à mort livrer
« Me volsist faire pardon de tôt son gré. »
Dist li Danois : a Ores li envoies
« Un vo mesage qui soit de grant bonté ,
« Qui bien parler saiche et quérir pité. »
Dist l'emperere : ce Et l'ai bien porpensé ;
•2 MaCAIRE. îa29— PÎJ
u Q^ li alira ? » dist K. l'inperé.
Dist li Danois : n Eo li o ben trové :
u N. li dux e eo da l'allro lé. »
Dist rinperer : a Et el soia otrié.
« Ça dos milor non e in creslenté. »
Adoncha N. si se fo coroé,
De riche robe vesti e adorné,
E li Danois non oit l'ovra obiié,
Qe ben savoit tota la vérité ,
Si cun Varocher li avoit conté ,
E por qela chason li vait çoiant e lé.
Anbidos se parlent qant pris ont conçé.
Por li çamin tanlo sonto aie
Le primer homo qi ont trové
Cil fu Varocher, cun avoit ordené
Cun li Danois, quant da lui fo sevré.
Quant elo le vi, gran çoia oit mené ,
Le dux N. oit por man gonbré,
E li Danois prist da l'altro lé.
Davanti l'inperer li oit amené.
Li rois le vi , por lor se fo levé ;
N. asist à son destro costé.
Da l'autre part, da le senestre lé,
Sest li Danois de bona volunté ,
E Varocher davaoli lor en pé.
Molto furent da li baron guardé,
Laudé furent e da boni e da ré.
5229--PJJ MaCAIRE. 273
a Mais qui porrons , fait il , i envoicr ? »
Dist li Danois : « Bien h sai je trovcr :
« N aimes H dus et je de Vautre lez. »
Dist l'emperere : « Si soit il otrié.
« Ja dous meillors ne porroit on trover. »
Adonc se vait dus Naimes conréer,
De riches dras vestir et atorner.
Et li Danois ne s'est mie oblié,
Qui bien savoit tote la vérité
Corn l'ot oï à Varocher conter ,
Et por ice s'en vait joians et liés.
Anduise partent quant pris ont le congié.
Tant ont erré par le chemin plenier
Li premiers hom que il ont encontre
Varochers fu, corn Pavoit ordené
0 le Danois , quant de lui fu sevrés.
Quant l'ont vèu , grant joie en ont mené ,
Et il dus Naimes l'a par la main cobré ,
Et li Danois le prist de l'autre lez.
Devant Kallon issi l'ont amené,
Li rois les voit^ si s'est por eus levés;
Naimon asist à son destre costé.
De l'autre part , à son senestre lez ,
Sisî li Danois de bone volenté ,
Et Varochers devant eus este en pies.
Des barons furent andui moult esgardé,
Loé en furent et des bons et des mels,
Macaire 1 8
374 MaCAIRE. jii6— î«77
COMENT N. PAROLLE.
Naimes parole loto primeremenl.
a Droit enperer, disl il, à moi entent ;
a Voir vos diro por lo men esient.
« Non est nul colse in ste segol vivent ,
« Pois q'cl e falo et oit pris feniment,
« De retorner arere de le en nient.
a Unde eo pri, por Deo onipotent,
u Qe à K. maine, qe fu vestre parent ,
o Li perdonés de cor e de talent,
« Et el sera à ves comandament
.( D'obéir vos , e lui e sa cent. »
Dist l'inperer : « Vu parlés saçement ,
« E vos voio dire à vos apertament
« Quando ma file marié primement
u E non avoie amigo ni parent
« Ke tant amoie cum K. loialmenl.
a Oro it il fato ver moi desloialment,
u De ma file fato desloialment
u Si la çuçoit à li fois ardent.
m Calonçea fo à torto vilment ;
u De quela colsa qe estoit falsamenl
• Nen poso ester qe à vos non paient.
52jé— 5277 MACAIRE. 275
COMENT NaIMES PAROLE.
Naimes parole trestot premièrement.
« Drois emperere , dist il, à moi enten ;
« Voir vos dirai par le mien escient.
ce Nule riens n'est en cest siècle vivant ,
« Puis que faite est et a pris finement
« Qui retorner puist ariere en noient.
« Dont vos prije , por Dieu l'omnipotent ,
« Que à Kallon , qui est vostres parens ,
ce Li pardonés de cuer et de talent ,
ce Et sera il a vo comandement
ce De vos servir, il et tote sa gens. »
Dist V emperere : « Vos parlés saigement,
ce Et vos vueil dire trestot apertement
ce Quant alai primes ma fille mariant
a Je nen avoie ne ami ne parent
ce Que tant amasse com Kallon loiaument.
(c Or a ovré vers moi vilainement
ce Et vers ma fille esploitié laidement
ce Quant l'a jugée à mettre el feu ardent.
ce A grant tort fu encorpée et vieument ;
ce Mais de tel chose que créés fausement
a Ne puis muer ne vos face saichant.
276 M A CAIRE. î>78— M04
« Se Deo m'oit ameo loialment ,
Il De ma fille vos diro li convenl :
a Non est morte, ançi e viva e çoient.
«* E se de ço vu fosi descreent,
<i Veri li voir à le à mantinenl. «
Alora dist à Varocher en rient :
•i Varocher, dist il, vu si saço e valent;
« Alez à Blançiflor, non demorés nient,
n. Davant moi la menez al présent ,
a Si qe N. la voie e Oger ensemenl. ^>
Dist Varocher : « Vu parlé sagement. »
El se départe, non fait demorament ,
Vcn à la çanbre 0 ela estoit çeleament
Avec Bernard, de soto un paviment.
Dist Varocher : u Dama , ad esient
«i E vos aporto un noble présent.
« Vestre per v'invoie sençe demorament
" Venez à lui si açesmeament
« Qe de vos non açe blasmo de nient
u Qe avez eu nesun enoiament.
a Véoir vos vol de la françescha jent
" Uçer e Naimes, qe son vestre servent »
La dama Tolde , à Deo merçe ne rent.
Gran çoia n'oit, se vesti riçement ,
Ad un fil d'oro sua crena destent.
Ela c Bcrnardo se parti manlenent,
E fo venua da la tenda davent
3378— JÎ04 Mac AI RE. 277
« Se Damediex me fust onques aidans ,
« Ja de ma fille sarés le covenant :
ce Morte n'est mie, ains est vive et joians.
ce De cest a/aire se nen estes crèans ,
ce D'ele en saur es le voir de maintenant. )5
A Varocher lors a dit en riant :
ce Tu ies , fait il , et saiges et vaillans ;
c( A Blancheflor va sans targer noient
« Et devant moi si la mené en présent ,
et Qu'Ogiers la voie et Naimes ensemcnt. »
Dist Varochers : « Vos parlés saigement. »
Atant se part, n'i fist arrestement ,
Vient à la chambre où ert celéement
Avec Berart , desor un pavement.
Dist Varochers : ce Dame, à mon escient,
ce Je vos aporte un moult riche présent.
ce Li rois vos pères vos mande qu'erranmtnt
ce A lui veigniés si acesméement
ce Que n'ait de vos nul blasme de noient
ce Qu'aies eu nesun encombrement.
ce Véoir vos vuelent de la française gent
ee Ogiers et Naimes , cjui sont vostre sergent. »
La dame l'ot , à Dieu nurcis en rent.
Grantjoie en ot , si se vest richement ,
Ad un fil d'or sa crigne vait nouant.
EU et Berars se partent maintenant ,
Au tref son père venue est là devant
278 Macaire. )}oJ— naé
Davant son père, 0 Naimes la aient.
Quant N. la vi, li cor si le sorprent
Parler non poroit par tôt l'or d'Orient.
COMENT N. PAROLLE A LA RaINA.
Cran çoia ont le çivaler
Quant verent la raine qe c \ le vis cler ;
! se partent davant l'inperer,
O verent la raine, se vont à ençenoler
E çentiiment la vont à saluer,
u Dama, dist N., se l'olsase parler,
" Eo vos diroe un poi de mon penser :
« Qe l'inperer liqual e vestre per
" Plus saçes rois no se poroit trover
« Quando ces ovre a saçé si mener ;
w Ma, se li plais, e li vol otrier,
«« Quel qe diro non voia devéer,
<• Entro lui et K. e le voio apaser.
u E vos, raine, s'el vu est agraer,
«« Si tornarés ves réame à guarder.
a A vos declinaroit Alemans e Baiver
«• Et tota jent q'e soto l'inperer. >•
Dist la raine : <« Ne m'en so conscler,
u Quando me poso li jor à remembrer
JÎ05-3326 MaCAIRE. 279
Où. H dus N aimes Valent à parlement.
Quant il la voit, H cuers si li sozprent
Mot ne sonast por tôt l'or d'Oriant.
COMENT NaIMES PAROLE A LA ROINE.
Grant yo/e en ont li baron chevalier
Quant véue ont la ro'ine au vis cler ;
Dou tref le roi se partent sans targier,
Où il la voient se vont engenoiUier
Et si la vont bêlement saluer.
« DamCj dist N aimes , se fuisse tant osés,
« Je vos diroie un poi de mon penser :
X Dou roi vo père qui vos a engenré
« Plus saiges hom ne se porroit trover,
« Quant cest a faire a séu si mener;
u Mais, se H plaist et il vu et l'otrier,
« Que il mes dis ne voille dacer,
u Avec Kallon levorrai acorder.
(f Et vos , roïne , sel volés agréer,
« Si tornerés vo réaume à garder.
« Aclin vos erent Alemant et Baivier
Cl Et tote geut qu'a Kalles à baillier. »
Dist la roïne : « A^^ m'en sai conseiller,
et Quant de celjor m'avient à remembrer
:8o Macaire.
MÏ7— nn
« Qe si vilment elo me fe mener,
« E quando vi le fogo alumer
o 0 dedens me voloia ruer.
o Se eo avi paure , non e da demander.
w Quando le bon abes m'avi à confeser,
a De quela poine el me fe resploiter.
o Quando mon segnor me fe via mener
« Ad Albaris, li cortois el li ber.
o De le traites qe li vene darer
« Par mon cors onir e vergogner,
a Par moi défendre, le vi morto citer.
« E quant ço vi, si m'aie afiçer
« En le gran bois por ma vita salver.
f. Asa m'aloit çerchando quel liçer;
o Ne me pote avoir, si s'en torno arer.
« Nen véez vos cestui Varocher.-^
« A gran mervile le dovez amer,
« Sor tôt ren amer e tenir çer.
a Par moi laso e fio e muler,
ft Ne ma da moi ne se volse sevrer.
n Prima estoit un truant à guarder;
« Ma mo oit lasé quel mester,
« Dapois qe mon per si le fe çivaler.
« Da ora avanti el s'a fato à priser. »
Disl li Danois : « AI mondo non ait son per ;
n Por ben ferir e gran coipi doner
« Mellre de lui non pote mais trovcr.
J327— Î55Î MaCAIRE. 281
« Où il me fist à tel vieuté mener,
« Et por m'ardoir vi le feu alumer
« Où me voloit tote vive ruer.
« Se foi paor, ne fait à demander.
« Quant H bons abes me vint à confesser,
a De celé peine me fist il respitier.
ce Atant mes sire me fist fors enmener
« A Auberi, qui ert cortois et ber.
« Dou traïtor qui li sorvint derrier
« Por me honir et mon cors vergoigner,
ce Le vi , por moi défendre, mort jeter.
ce Et quant ce vi , si m'alai afichier
ce Ens el grant bois por ma vie sauver.
ce Asés m'ala cerchant cil pautoniers ;
ce Ne me trova , si s'en torna arier.
ce Nen véez vos icestui Varocher r
ce A grant merveille le devés vos proisier,
ce Sor tote rien amer et tenir chier.
ce Par moi laissa ses fils et sa moillier,
ce Ne mais de moi ne se vout desevrer.
ce Primes sanloit truant à Vesgarder ;
ce Mais vlus ne vuelt de cel mestier ovrer^
(c Puis que mes pères l'adoba chevalier.
ec D'ore en avant moult fait il à proisier. »
Dist li Danois : ce El mont nen a son per;
ce Por bien ferir et por grans cops doner
ce Mieudre de lui ne se puet mais trover. «
282 Macaire.
HM— n75
CoMENT LA Raina parolle al civaler.
w Segnur, disl la raine , entendes mon talant;
a Ço qe diro saçés ad esianl.
<v En mon per est tôt l'acordamanl,
ft E quel po faire de moi li son talant.
» Nori el m'oit e moi e mon enfant ,
u Dapois qe de France en fi desevremant ;
« S'elo l'otrie, sero molto çoiant. »
Dist le dux N. : u Vu parlé saçemant. »
A l'inperer i se vait déclinant.
«* Enperer sire, dist N. ii valant,
« Por Deo vos pri qe naque in Bernant
«i Qe avec K.. faites acordamant.
" Sa dama li rendes , qe droit est voiremant ,
« Qe partir ne le poit homo qe soia vivant »
Dist l'inperer : <i Vu parlés saçemant ;
«' Mais d'une ren saçés ad esiant
« Par un petit qe eo no me repant .
« Quant me porpenso de l'inçuria grant
M Qe à ma file el fi malvasiemant ;
b E ben savés se digo voir 0 mant.
(i Mais noportant co vos dono li guant
" Qe de ces ovrc façé li ves cornant. >'
ÎÎ54-3J7J MaCAIRE. 283
COMENT LA ROINE PAROLE AS CHEVALIERS.
DlST la roïne : u Entendes mon talent;
« Ce que dirai sachiés à escient.
« En mon père est trestos l'acordemens ,
« Et cil puet faire de moi le suen talent.
u Norrie m'a, et moi et mon enfant ,
« Puis que de France ai fait desevrement ;
« Se il l'otrie , moult en serai joians. >»
Dist li dus Naimes : « Vos parlés saigement. »
L'emperéor vait parfont enclinant.
ce Sire emperere, dist Naimes li vaillans ,
« Par cel Dieu qui nasqui en Belléant,
« Avec Kallon faites acordement.
" Sa dame rait, que drois est voirement
« Que ne les puet partir nus hom vivans. «
Dist V emperere : « Vos parlés sagement ;
« Mais d'une rien sachiés à escient
« Par un petit que je ne m'en repent,
« Quant me porpense de la mesprison grant
« Que à ma fille fist il mauvaisement ;
« Et bien savès se je di voir 0 ment.
« Mais neporquant je vos en doins le gant,
Cl Qjie de ceste oevre faciès vostre commant »
284 MaCAIRE. )J76— ))97
Quant li baron oldé li convenant,
I le merçie, clina le perfondamanl
Si l'en mcrcie e ben e dolçemanl.
Se la raine oit çoie, nesun no ne demanl;
A le dux N. eia dist en riant :
u N., fait ela, se vivo longemant,
n De questa pais n'atendés gran presant ;
« Ma, sel ve plas, prendés mon enfant ,
« A son per li menés toi inprimcremant
a (^'elo li voie, qe mais no li fo davant.
— Deo! dist Oçer, molto e richo li presant. >>
Adoncha la dame non demoro niant,
0 vi son fil, porme la main li prant ,
A N. le délivre e ben e çentilmant.
E qui prende conçé dal roi e da sa çant
E mena Varocher avec l'infant.
De lui non se fioit en nesun hom vivant;
Dapo q'el fo nasu sil nori ben e çant.
COMENT LI MESACER S'EN VAIT A l'oST K.
Va s'en li mesaçer, nen fait demorason ,
Emena avec lor le petit garçon ,
E Varocher li saçes c li bon.
Quant s'apro^ment à l'oste K ,
337^— ÎJ97 ^ MaCAIRE. 285
Quant îi btr a oi le covenantj
L'emperéor vait parfont enclinant
Si l'en mercie et bien et doucement.
Se la ro'ine ot joie, nus nel demant;
Au duc Naimon de dist en riant :
« Naimes , fait ele , se je vif longuement ,
« De ceste pais atendés grant présent ;
« Mais, se vos plaist, me prendés mon enfant
<■( Et à son père le menés maintenant
« Que il le voie , que mais ni fu devant.
— Dexl dist Ogiers , ci a riche présent. «
Adonc la dame ne s'atarge noient ,
Oà voit son fil parmi la main le prent ,
Naimon le livre , et bien et gentement.
Cil prent congiè dou roi et de sa gent
Et Varocher en mené à tout l'enfant.
Cist ne s'en fie à nul home vivant;
Puis que nésfu sel norri bien et gent.
COMENT LI MESAGIER S'eN VONT A L^OST KaLLON,
Vont s'tnt H mes j n'ifont arrestison ,
Avec eus mènent le petit enfançon
Et Varocher qui fusaiges et bons.
Quant aprismé se sont à l'est Kallon.
i86 MaCAIRE. *^ ,598— MM
Contra li vent çivalere peon ,
Per oldir novelle se la pas averon.
Virent Varocher e le petit garçon
Qe plu fu bel qe non fu Ansalon.
Le çevo blondo , cun pêne de paon ;
Plu bel damisel uncha non vi nul hon.
Quant i furent davant li rois K ,
Li rois li apelle, si le mis por rason :
o Or dites moi qi est quel garçon ?
« L'avi trové en via 0 in boschon ?
a Un plu bel damisel uncha non vi nul hon. «
E di>t N. : « Quan saverés ses non ,
« Plu l'amarés qe li oeli del fron. w
Oldés miracle de Deo qe manten li tron !
L'enfant î«e parti de braçe de N ,
E ven à K , sil prist al menton.
o Père, fait il, ben so la leçion
« De moia mère cornent s'en alon.
o Vestre fil son par droita nasion ,
« E se noi créés, q'en fosi en sospicion,
a Trover me poés le segno qe avon,
« Dcsor la spala la crox droita son. »
Li rois l'olde, si n'apella N.
o N., fait il , qe dist ste garçon >
« Ne poso entendre nientc de sa rason.
a Donde l'avés ? dites moi qe il son. »
E dist N. : a Vu le saverés par non.
5398— H24 MACAIRE. 287
Contre lor vienent chevalier et péon
Savoir novtlcs s'auront lapais 0 non.
Varochcr voient et 0 lui l'enfançon
Qui plus biaus ertonc nefu Asalons.
Le chief ot blont 0 penne de poon ;
Plus bel dansel onques ne vi nus hon.
Quant sont venu devant le roi Kallon ,
Cil les apele, ses a mis à r-aison :
« Or dites moi de celui enfançon ,
« L'avés trové en voie 0 en boisson ^
a One ne vist hom nul plus bel dansillon. »
Et distdus Naimes : « Quant saurés de son nom,
« Plus l'amerès que les deus iex dou front. •»
Oés miracle de Dieu quifist le tron !
Uenfes se part des bras dou duc Naimon ,
A Kallon vient, sel prent par le menton.
« Pères, fait il , je sai bien la leçon
a Com s'en ala ma mère dou roion.
« Vos fils suije par droite nation ,
« Et se nel crois , qu'en aies sospeçon ,
« Véoir poés le signe que portons ,
« Sor destre espaule, la blanche crois en son, y
Ot le H rois, s'en apele Naimon :
ce Naimes, fait il, oés de l'enfançon.
<! Ne puis entendre noient de sa raison.
a Qui est me dites ne de quel région. »
Et dist dus Naimes : a Ja le saurés par nom.
a
288 MaCAIRE. î4Ji— M46
u Tel colsa vos diro dont gran çoia n'averon
« ToU lacort, çivalcre peon.
« Çama in France tel çoia non vcron
« Cun vu avérés por le petit garçon. »
COMENT N. PAROLLE.
a EnperER sire, disl N. de Baiver,
u Tel novela vos avcro conter
Donde n'avérés forment h merveler.
« Nen véés vos sle petit baçaler?
« Por voir vos di, si ve le peso curer,
u Qe por ves filz le poez clamer,
f Si 0 vécu Blançiflor sa mer
o C^'ella cstoil en la cort de son per ;
a Non e pais morte, ançi e sana e cler. »
Quant sta novela oi l'inperer,
Sor lot ren s'en pris à merviler.
El dist à N. : o Questo non poso creenter,
a Qe, sa fose vive, nen poroit endurer
a De vcoir sa cent oncir e detrençer. »
E dist N. : « E vos li poso curer
a Qe l'o vécue c parlé al çcler.
« La pax e fata, se la volés otrier. »>
Disl l'imperer : a Tropo longo cl vi tarder. «
J42Η 3446 MaCAIRE. 289
« Tel vos dirai dont grant joie en auront
« Tote la cort , chevalier et péon.
« Jamais en France tel joie ne vist on
ce Com vos aurès por le jouene enfançon. »
COMENT NaIMES PAROLE.
« Sire emperere, dist N aimes de Baivier^
« Bien vos porrai tel novele conter
ft Dont en aurés forment à. merveiller.
ce Vècs vos point ce petit bachelier ?
ce Por voir vos di, si le vos puis jurer,
ce Que por va fil bien le poez claimer.
ee Si ai véu sa mère Blanchefier
a Avec son père à ele ert en son tref.
ce N'est mie morte , ains vive et en santé. »
Quant li rois ot la novele conter,
Sor tote rien s'en prist à merveiller :
Dist à Naimon : ce Ce ne puis crêantcr^
a Que, se fust vive , ne poroit endurer
a Sa gent véoir ocire et detrenchier. »
Et dist dus N aimes : ce Et vos le puis jurer,
ce Que l'ai vcue , si me li lut parler.
ce La pais est faite , sel volés otrier. »
Dist V emperere : ce Trop longues a targié. »
Macaire. 19
290 MaCAIRE. J447— J468
K.. li rois prist l'infant à guarder
E si le prist quérir e demander.
o Bel filz, fait il , corne a nome ton mer?
<t E di à moi li nome de ton per. -»
Dist l'infant : « Ne vos li 0 çeler,
<i Dama Blanciflor oï à nomer ma mer,
n Mon per oï nomer K.. maino l'inperer,
a Cun ma mer me conte quando me ven parler. »
Li rois si le reguarda si le prist à baser.
a Bel filz, fait il , vu me si molto çer;
« De pos ma mort ve fari rois clamer
» De França belle, Normandie e Baiver. ►>
Or dist N. : « Lasez li parler,
« Qe de l'acordo ora se vol penser,
« Si qe aiez emena ves muler. »
Dist li rois : « A vos ven quel plaider
T De far la pais e la guera laser, n
COMENT ANCOR PARLOIT N.
« Emperer sire , ço dist le duc Naimon ,
o Cun la raine sonto ste à tençon;
a Tôt m'a conté de soa entencion.
«Un parlamcnto vo fare, qe ne pisi 0 non;
« Uo c l'altro enperer serez à un boiçon :
3447—3468 MaCAIRE. 29I
Kalles li rois prist l'enfant à garder
Et si il prist et querre et demander :
« Bel fil , ta mère corn se fait apeler?
a Et de ton père di com Vois nomer. »
L'enfes respont : « Ne vos le quier celer,
K Ma mère o'i Blancheflor apeler ,
« Mes pères est Kallemaines li ber,
« Si com Voi à ma mère conter. »
Li rois l'esgarde si le prist à baiser :
« Bel fil y fait il, moult vos do i avoir chier ;
« Aprls ma mort vos ferai roi claimer
a De dulce France, Normandie et Baivier. »
Et dist dus Naimes : « Or laissiès ce parler,
a Que de l'acorde huimais estuet penser,
a Si que menée en aies vo moilUer. »
Et dist li rois : a A vos vient cil plaidiers
a De la pais faire et la guerre laissier. »
COMENT ENCORE PAROLE NaIMES.
« Sire emperere, ce dist li dus Naimon,
€ 0 la ro'ine ai este à tençon ;
« Tôt m'a conte de soe entencion.
« A parlement , cui qu'en poist 0 cui non ,
a Vcnrés andui le trait à un bouzon :
292 MaCAIRE. )469— )49o
o L'acordo farés per bons entencion ,
« Prenderés la raine à la dera façon. »
Disl l'inperer : « E nu li otrion. »
Adoncha N. et Oçer li baron
Se départent sens noça e tençon ,
A Poste de Costanlinople s'en vent â bandon.
0 vi li rois, sil mist por rason :
a Emperersire, ço dist le duc N.,
a Sâlu vos mande l'inperaor K..,
« Qe à vos vol parler par bona entencion ,
« S'el va mcsfait , en vol fare amendason.
a Sa dama li donés , qe droit est e rason. »
E cil le dist : a E nu li otrion;
« Ren qe vo place nen sera se ben non. *
Adoncha N. mis Oçer por K.
Qe à lu vegne por far acordason
Cum l'inperer qe de Costanlinople son.
Quan la novela oi li rois K..,
El cura Deo, san Polo et san Simon,
Qe mais non fu ni sera in ste mon
De seno e de savoir e de bona rason
Qe somiler se posa à N.
3469— H90 Mac AI RE. 293
a Ferés Vacordc par bone entencion
ce De la roïne à la clere façon. »
Dist l'emperere : « Et nos si Voirions. »
Atant dus Naimes et Ogiers , // baron ,
D'illec se partent sans noise et sans tençon ,
Desci à l'ost Vemperèor s'en vont.
Là oh le voient si l'ont mis à raison.
« Sire emperere , ce dist li dus Naimon ,
« Salus vos porte de part le roi Kallon ,
« Parler vos vuet par bone entencion ,
« Se vos mesfist, por faire amendison.
« Sa dame rait , que drois est et raisons. »
Et cil li dist : « Et nos si l'otrions ;
«. Des que vos plaist, ne sera se bien non. »
A donc dus Naimes envoie por Kallon,
Que à lui viegne por faire acordison ,
Avec le roi d'outremer le roion.
Quant la novele est venue à Kallon
Il jure Dieu, saint Polct saint Simon^
Que mais ne fu ni hen ert en cest mont
Qui de savoir de sens et de raison
Acomparer se puist au duc Naimon.
294 MaCAIRE. î49,_jjii
COMENT K. VAIT A L'OST DE Ll ROY
DE COSTANTINOPUEPLE.
Quant l'inpcrer à cui França apenl
Vi le mesaje, molto s'en fa çoienl.
Adoncha apelle ii meltri de sa jent,
Si fo vesli d'un palio d'Orient,
E fo monté sor un palafroi anblent.
A l'osle l'inperer à cui Costanlinople apent
Est venu tosto et isnellement.
Li rois le vi venu , non fait arcstament.
Contre li vait , cum di ses plus de cent.
L'un ver l'autre se mostra bel senblent,
De pax faire entro lor a content.
Atant ven la raine qe parti li parlament.
K. quando la vi , s'en rise bellement.
Et ella li dist : a Çentil rois pd^ent ,
u Non voie recorder la ira el maltalent,
o A vu fu calonçea à torto, vilmenl ;
« Machario de Losana , le trailor scducnt,
u Onir vos volse A torto , falsament ,
a Albaris oncis à la spea trençent :
« Vengança ne prendisi, cun di sa tota la jent
a E son vestra muler, altro segnor non atent ;
3491—351' MaCAIRE. 295
COMENT KaLLES VAIT A L'OST DOU ROI
DE COSTANTINOBLE.
Q^UANT l'emperere cui tote France apent
Vist le mesage , moult par en est joians.
Adonc apele les meillors de sa gent,
Si se yesti d'un paile d'Orient,
Et s^est montés el palefroi ambiant.
Au roi à qui Costantinoble apent
S'en est venus tost et isnellement.
Li rois le voit, n'i fist arrestement ,
Contre li vait , et des siens plus de cent.
L'uns envers l'autre se mostrent bel semblant ,
De la pais faire entr'eus tienent content.
Es la roïne qui part le parlement.
Kalles la voit , s'en a ri bêlement.
Ele li dist : « Gentis rois sorpoissans ,
« Ne me sovient d'ire et de rnautalent.
« Fui encorpée à vos à tort , vieument ;
« Lifel Macaires, li cuivers soduians,
(c Onirvos vout à tort et fausement ,
« Aubri ocist à l'espée trenchant :
« Vengeance en pristes, véant tote la gent.
«. Vos moilliers sui, autre segnor n'atent;
296 Macaire. ÎJia— }jn
o Dâ moiâ part fate racordamenl.
E dist N. : « \'u parlé saçeir.cnt ;
« L'ira el maltalent nu mctcn por nient. >'
Li rois si la guarda , tôt li cor li sorprcnt ;
Ça parlira à lo d'omo valent.
« Enperer sire, dist K. li posent,
Cl Non voie avec vos tençerc lungemenl ;
a Se 0 fato nul ren â veslre noiament,
« Parilc sui à far ne mendament.
« Nen so qe dire : à Deo et à vos me rcnt.
a En primcnicnt eo fu vestre parent,
« Apreso sui, se la dama li consent. »
Dist la raine : <i Nen fu ma si çoient;
i< Mais d'une ren vos di apertement :
u De plus en faire ne vos vegna en talent.
COMENT K. OIT ACORDAMANT CON L'ENPRIERE.
Segnur, or entendes e si siés çertan,
En tote rois, princes et amiran
K. maine estoit ii plus sovran.
Jamais non amo traïtor ne tirao ,
Justisia amoit e droiture clian.
Cun l'inpcrcr fato oit acordaman,
Tolo soit perdoné la ire el mallalan.
ÎJI2— 3n3 Macaire. 297
« De moie part faites l'acor dément. y>
Etdist dus N aimes : « Vos parlés saigement;
« A noient soit l'ire et U mautalens. »
Li rois l'esgarde , tos H ciiers li sosprent ;
Ja parlera à loi d'orne vaillant.
ce Sire emperere , dist Kalles li poissans ,
« Ne tancerai avec vos longuement ;
« Se faite ai chose qui à vos soit pesans
« Aparilliês sui de l'amendement.
« Ne sai que dire: Dieu et à vos me rent.
ce En par avant fui je vostres parens ^
ce Si Ver après , se la dame i consent, w
Dist la roine : ce Mais ne fui sijoians;
ce Mais d'une rien vos di apertement :
ce De plus en faire ne vos viegne à talent. »
CoMENT Kalles ot acordement a l'Emperéor.
OlÈS, segnor, sachiês certainement j
Desor tos rois , princes et amirans
Fu Kallemaines , li riches rois , sovrains.
Ja n'ama mais tra'itor ne tirant ,
Joutice ama sifu droit maintenant.
0 l'autre roi a fait acordement,
Tôt se pardonent Vire et le mautalent.
agS Macaire. MH-ns4
Cran fu la çoie, mervilosa e gran.
En Paris cntrarent loles comunelman ,
E la raine à la çera rian
Sor son paies ela monte çoian.
Gran fu la feste en Paris ladan ;
Dame e polçelle s'en vail caroiant.
La festa dure xv. jor en avan.
E l'inperer qe Coslantinople destran
Conçé demande à l'inperer di Fran ,
E li rois d'Ongarie avec lui cnseman.
I se départe baldi , legri e çoiant.
E lasa la raine à la çera riant
Avec K.. le riçe sorpoiant.
Da lor avanti fo pax tôt tan ,
Ne no le fo ni nosa ni buban.
COMENT s'en TORN l'ENPERERE
IN CONSTANTINOPLE.
L'imperere fo en Costantinople torné,
Et avec lui cl meno son berné.
E Lcoys, le bon rois coroné ,
En Ongarie s'en fo reparié.
Gran çoia moine tôt qui de le contré.
K. remist à Paris , sa cité ,
3n4--îj54 Macaire. 299
Crans fu la joie et mervillose et grans.
En Paris entrent trestuit comunaument,
Et la ro'ine à la chère riant
A son palais monte lie et joians.
Grans fu la f este à Paris là dedens ;
Dames , pucelles, s'en i vont carolant.
La /este dure .XV. jors en avant.
Li rois à qui Costantinoble apent
Congié demande l'emperéor des Frans ,
Cil de Hongrie avec lui ensement.
Il se départent haut et lié et joiantj
Et la ro'ine laissent au vis riant
Avec Kallon le riche roi poissant.
Tos jorsfu pais entre eus d'ore en avant ,
Ne mais n'i fu ne noise ne bobans.
COMENT S^EN TORNE L'EMPERERE
EN Costantinoble.
L'emperere est en sa cité tornés ;
Ensemble 0 lui a mené son barné.
Et Loéis , li boins rois coronés ,
Est en Hongrie ariere repaires.
Cil de la terre grant joie en ont mené.
Kalles remest à Paris , sa cité ,
JOO MaCAIRE. 3J5J-ÎJ8.
E la raine à son destro costé.
Jamais de ren nen fu tel çoia mené
Cun de la raine qe viva fu trové.
De Varocher e voio qe vu saçé
Ancor non est à sa muler aie,
Ne mais non vi ne fio n'erité
Dapois qe da lor el se fo desevré ,
E si estoil un gran termen pasé.
Quando quel ovre el vi si atorné ,
El vi la pax e la guera fine ,
A la raine el demando conçé.
« Dama, fait il, vu savés ben asé
« Li jor e li termen q'eo me fu sevré
« Da ma muler e mes petit rite,
a Si le lase in grande poverté ;
o Mais, la marçe de Deo e de vestra bonté ,
« Asa 0 avoir e diner moené
« E bon çivail , palafroi e destré,
« Si qe in ma vie ne sero asié ,
« Unde vos pri le conçé me doné. »
Dist la raine : « Eo ne son çoiant e lé. r
Ela li done d'avoir una charé.
« Varocher, dist la dama, or vos en aie;
« Quant vu avérés vestra ovra devisé,
« Vencrés à la cort. q'el non soia oblié. »
Dist Varocher : a K l'o ben porpensé. »
A çival monte cun petita masné ,
35JJ— îjSi MaCAIRE. 301
Et la roïne à son destrc costé.
Crans Ju la joie , tel n'en vist on mener ^
Por la roïne qu'est vive et en santé.
Et Varochers, ne le vos quier celer ^
A sa moillier ancor nen est raies ,
Ne onc ne vist ne fil ne iretier
Depuis que d'eus il sefu desevréy
Et si estoit uns grans termes passés.
Quant à véu l'oevre siatorner^
Et la pais faire et la guerre finer,
A la roïne a congié demandé.
ce Dame , fait il , bien le savés asésy
« A icel jor que me fui desevrés
« De ma moillier et de mes iretiers ,
« Je les laissai en moult grant povreté ;
ce MaiSj Dieu merci et la vostre bonté ,
a Or ai avoir et deniers monéés
ce Et bon cheval , palefroi et destrier,
ce Si qu'à ma vie en serai aaisiés ,
ce Dont je vos pri le congié me donés. »
Dist la roïne : ce Volentiers et de gré. »
Une charée d'avoir U a doné.
Et dist la dame : ce Varochers y orales ,
« Et quant aurés vostre oevre devisé,
ce Tornés à cort, ne soit mie oblié. »
Dist Varochers : ce Et l'ai bien porpensé. »
A poi de gent à cheval est montés,
]02 MaCAIRE. îj8j— j6o4
For qe quatorçe oit sego mené.
Ben soil la vie, qe no s'oit oblié.
Quant i sa mason el se fo aprosmé ,
En me la voie oit du ses filz trové
Qe venoil del bois cun legne bcn cargé,
Si cun son per li avoit costumé.
Varocherquan le vi, si le parse pialé.
A lor s'aprosme, de doso li oit rué,
Quando li enfant se vi si mal mené ,
Çascun de lor oit gran baslon pilé,
Verso son per s'en vont aire.
Fcru l'averoit, quant se retrase are
E si le dist : « Ancora averi bonté !
a Bel filz, fait il, vu no me conosé ?
a Vestre per sui qe à vos son lorné ,
« Granl avoir vos dono amasé;
« Richi en serés en vestra viveté,
c Si çivalçari bon destrer seçorné ;
a Çascun sera çivaler adobé. »
E quant li enfant li ont avisé,
Poés savoir gran çoia a démené.
COMENT VaROCMER FOIT VESTIR SA DAMA
ET SES ENFAN.
Quant Varocher entra en sa maison ,
Ne le trova palio ne siglaton,
J583— j6o4 MaCAIRE. 30^
Fors que quatorze n'en a o soi menés.
Bien set la voie, ne s'est mie oblié.
A sa maison quant sefu aprismés , ,
Emmi la voie a ses deusfils trovés
Qui du bois viennent de laigne bien chargé ,
Si com lor pères les ot acostumés.
Et quant les voit si l'en a pris pités.
A eus s'aprisme , del dos lor a rué;
Quant H enfant se voient mal menés ,
Chascuns de lor a grant baston cobrè,
Contre lor père s'en vont tôt aïré.
Féru l'eussent , quant se retrait arier
Et si lor dist : a Encor aurés bonté !
o( Bel fil, fait il , donc ne me conoissés?
ce Vos pères sui qui à vos sui tornés
« A grant avoir que jou ai amassé ;
« Riche en serés en trestot vostre aé^
a. Et si aurés bons destriers sojornés ;
« Chascuns sera chevaliers adobés. »
Quant ont lor père H enfant ravisé ,
Poés savoir grant joie en ont mené.
COMENT VaROCHERS FAIT VESTIR SA DAME
ET SES ENFANS.
Quant Varochers entra en sa maison ,
Là ne trova paile ne siglaton , •
504 MaCAIRE. j6o,-}6i5
Ne pan, ne vin, ne carne, ne peson.
E sa muler non avoit peliçon ;
Mal vestia estoit cun anbes ses garçon.
E Varocher non fi areslason ,
Tôt le vesti de palii , da quinton ;
De tôt quel colse qe perlen i prodon
Fe aporler dentro da sa masori.
Si fe levar palasii e doion.
En la corte K. fo tenu canpion.
D'aqui avanti se noua la cançon,
E Dec vos beneie qe sofri pasion.
Ex PLI CIT LIBER.
Deo gracias. Amen. Amen.
jéoj— jéij MaCAIRÊ. ^Ô$
Ne pain, nt vin , ne mais char ne poisson.
Et sa moiUier nen avoit peliçon ;
Mal vestie cri et andui si garçon.
Et Varochers ni fut arrestison ,
Tos les vesti de paile , d'auqueton ;
De totes choses tels corn use prodon
Fist aporter laiens en sa maison ,
Sifist lever et palais et donjon.
En cort le roifu tenus champions.
D'or en avant faut ici la chansons ;
Dex vos garissc qui sofri passion !
explicit liber.
Deo gratias. Amen. Amen.
Macaîrt 20
Ap pendice.
307
APPENDICE
I
Fragments
d*une version en vers alexandrins
DE LA CHANSON DE MaCAIRE
OU DE LA Reine Sibile.
ICHIERS a non cis rois, corn si j'oï conter,
ce .II. anfans a moult gens, qu'on ne por-
roit trouver
«Plus biax an nule tere, si l'ai oï ^conter.
ce Li uns est chevaliers, bien set armes porter;
ce L'autres est une fille, Sébile 0 le vis cler :
ce II n'a plus bêle dame jusqu'à la rouge mer.
ce Richiers li empereres la fist bien marier,
<c Car li rois l'a de France, Challemaine li ber.
ce II la prist à mouillier, à oissor et à per. »
Quant Varochers oï de 1 hermite parler . . .,:{x
Et du roi Challemaine qui tant fist à douter,
La dame regarda si la véu plorer.
^o8 Macaire.
a Dame, dist Varochers, por Dieu lessiez ester;
tv Por amor Looys le vos convient celer.
« Encui verrez vostre oncle, or pansons de Terrer (i).»
Looys et sa mère n'i ont plus arestu ,
Varochers li vieillars qui ol le poil chanu.
Li Icrres (J) les conduist parmi le bois follu.
Il ont tant esploitié et aie et venu
Que la maison l'ermite ont devant els véu.
Petite estoit l'entrée devant le most
A une fenestrele ot un maillet pandu.
Varochers vint avant s'a du maillet féru.
Li hermites loi , qui disoit son salu ,
Et devant son autel gisoit tos estandu.
Ll hermites se lieve tôt droit en son [estant] (j)
Qant il ot Tuis ouvert , si regarda avant ;
Il a choisi la dame et Loï (4) son enfant.
Ll fardiax fu pcsans à poi qu'i n'est crevet.
Un vilain enconlra à l'entrée d'uns prés,
.1. asne devant lui qui de busse ert trossés.
c Sire, dist Grimoars, cesl asne me vendes, w
El cil li respondi : « Por noient en parlés;
« Je n'a'nj prandroie mie tôt quanque vos avés. n
Quant Grimoars l'oï, qu'il n'est à poi desvés,
Envers l'asne s'an vait, de lui est acolès,
An l'oreille li dist .11. enchantcmens tés
1. De l'errer est manifestement la bonne leçon. M. de
Reiffcnberg, rempUisantunclacunc de sonicxic, a lu deUier,
qui ne signifie lien ici. Pensons à nous mettre en route est
indiqué par le sens du passage.
2. Leçon de M. de Reiffcnberg : Lilerres^ expliqué ainsi
en note : incontinent. Lisez : le voleur.
j. Laissé en blanc par M. de Reiffenberg.
4. Leçon de M. de Reiffcnberg : et l'oi son enfant, qui
n'offre pas de sens.
Appendice. 309
Que li asnes s'andort , à la terre est versés.
Grimoars prant son asne, n'i est plus arestés.
Le pain mist de desus et les poissons delés ,
Et les baris de vin dont il estoit troussés,
Puis sesi l'aguillon, .m. fois s'est escriés :
« Het avant, Diex aïe! « atant s'en esttornés,
Desci que l'ermitage n'est il pas arestés.
Varochers et la dame furent au main levé,
Et Looys, li enfes, qui tant avoit biautés.
Pour vooir Grimoart est chascuns à baer.
Looys l'aperçoit , si s'est haut escriés :
« Je voi là Grimoart où vient tos abrievés ;
« Un asne devant lui de vitaille est trossés. »
Encontre lui s'an vont, moult fu biau salués :
« Bien veigniés,bienveigniés! (i) « hautement escriés.
— Seigneur, dist Grimoars, Diex voustiegne en bontés.»
Moult par fu Grimoars acolés doucement.
Les poissons destroussa et le pain de froment,
Et les bariux de vin , dont il furent joiant.
Les coupes d'or reluisent el fardel duremant;
Looys les présente li lerres meintenant.
« Amis, dit Looys, .C. mercis vos an rant.
— Sire, dit Varochers, por Dieu omnipotant,
« D'ont [vos vient cil avoirs] (2) que voi ci en présent ?
« Tu en as tué home, jel sai certainemant.
— Sire, dist Grimoars, vos parlés malemant ;
« Onques ome n'ocis, Dieu en trai à garant ;
« Mais Diex le vous envoie, à cui li mons depant (3) :
1 . M. de Reiffenberg : Bien veignor! Leçon impossible.
2. M. de Reiffenberg : D'ont mes signes à voirs ^ leçon
inintelligible. Il faut lire avoirs , employé substantivement et
avec Vs marque du sujet. Le sens est à n'en pas douter :
« D'où, te vient cet avoir? »
^ M. de Reiffenberg : à cui li mors depant. Mauvaise
lecture ; il faut // mons, le monde.
^10 Macaire.
a Ce c^ue Diex vous anvoie nel refusés néant.
— Amis, dii li hermiles, sachiez toi vraiemant.
a Si corn je cuit et croi et me fet antandant. ^•
Varocher regarda li rois an sorriant ;
Por ce qu'il le vit niceet de si fet semblant {') ,
Bien sol qae li vallés ne li esloit noiant.
a Joscerant, dist li rois, .c. mercis vos en rant,
« Car mon fllluel m'avés gardé si longuemant. •»
.1. serjant apela qui ot non Elinant ,
Et cil s'agenoilla devant lui meinlenant.
a Ses tu , ce dit li rois, que te vois commandant '■:
et Si d'esches et de tables apren bien cest enfant
a Et de tos les mestiers qu'à chevalier apant. »
Et cil li respondit : « Toula voslre commant. ••
Sa mère aloil vooir et
El li borjois son oste qui ol bon escianl.
Li borjois ol .il. filles moult bêles et plesant ;
L'aisnee vint à lui, si le vet acolant :
'< Sire frans dnmoiseax, entendez mon semblant :
•c Alevé vous avons et norri, bel enfant,
o Quant venisles céans vos n'aviés noiant ;
•c Varochers voslre pères, qui a le poil ferrant,
« Amena voslre dame, sachois, moult povremeni.
« Nos vous avons servi moult [amiablementj (a)
• S'or voliés cslre sages, mar irois en avant ,
Mes prenés moi à terne, je levoil et demant. »
o LoOYS^ biaus dous frère, entendes ma proiere;
(( Aies merci de moi , ne sui pas losengiere.
■ Paris n'ama Eleine que il avoil tant chiere. '^
1. M. de Rciffcnberg : dtsci fet jemhlant. Leçon impos-
lible De si Jait semblant est, au contraire, une locution bien
connue, qui s'adapte parfaitement au sens.
2. Conjecture. M. de Reiffcnberg : EnciûbUment, qui n'a
point de lens.
Appendice. 311
— Bêle , dit Looys, je ne vois mie arrière :
Beie estes de façon et de cors et de chiere,
Et je sui povres enfes, si n'ai bois ne rivière,
N'ai terre ne avoir qui vaille une estriviere,
Et ma dame est malade ausi com fust en bière ,
Et Varochers, mes pères, qui a la brace fiere.
Ma dame sert moult bien et de bone manière.
Vos pères m'a norri et mostré bêle chiere ,
Et si n'ot onc du mien vaillant une lasniere ;
Mes se Diex m'amendoitqui fist ciel et lumière.
Je li randrai à double, trop me fet bêle chiere.
Raies vos an pucele, ne soies pas lanière.
Gardés vo pucelage, trop me semblés légère,
Que ne vos ameroie por tôt l'or de Bavière^ »
Quant l'antant la pucele, si fist si mate chiere
Q^ele n'i volsist estre por tôt l'or de Bavière.
La pucele fu moult corrociée et marrie
De ce que Looys ne la volt amer mie ;
Tel duel ot et tel honte tote fu enpalie.
Mes Looys n'ot cure d'amor ne druerie.
« D'ONT estes, de qeu terre ? ne me devés noier.
— Sire, dist la roïne, à celer ne vos qier ,
.c Droit de Costentinople qui tant fet à prisier ,
(c Richiersli emperere qui le reine à baillier (1)
« Certes , il m'engendra en sa franche mouillier.
c< Challemaine de France fist por moi envoler ;
« Droitement à Paris, an son paies plenier,
a Là si me prist à feme à per et à mollier.
« Un an fui avec lui, à celer ne vos qier;
I . Vers faux. Il faut lire, selon moi :
Richiers li emperere le règne a à baillier,
Certes, il m'engendra , etc.
^2 Macâire.
« Or m'en i fors pitée par dit de losengier ,
« Par les maus traïtors cui Diex doinst encombrier !
o Les parcns Cuenclon, que Dieu n'orcnl ains chier.»»
Il
Histoire du Lévrier d'Aubri de Mondidier
RACONTÉE par GaCE DE LA BUIGNE.
Se on disoit que chiens de France
Ne sont pas de si grant vaillance
Comme les chiens dont i'ay parlé ,
Qui sont d'eslrange pays né ,
Je monstreray bien le contraire ;
Car je n'ouys oncques retrairc
De chien nulle si grant merveille
Comme du lévrier d'Aubery
De Montdidier, pour voir le dy.
L'histoire trop longue seroit
Qui toute la recileroit ;
Aussi est elle aux paroiz paincte :
Pour ce la scaivent des gens mainte.
Si vous diray par briefz mots
Ce que myeulx en fait au propos.
Ledit Aubery chevauchoit.
Avec lui son lévrier menoit ,
Tant qu'il vint au bois de Bondis,
A trois lieuves près de Paris.
. Li convint qu'il éust à faire ;
Car ung hom de mauvaise affaire,
Qui Macairc csloil appelle ,
Appendice. ^13
Si Taconsuivy tout armé ,
Et le tua mauvaisement
Sans qu'il y eust defiement.
Mais ûuant le chien vit qu'estoit mors,
Tout de fueilles couvrit le corps.
Là se tint jusqu'à l'endemain ,
Et adonques lui print la fain.
A la court du roy s'enfuy ,
Où il avoit esté nourry
Avecques Aubery son maistre,
Qui en la court avoit bon estre ;
Car il y estoit moult aymé.
Le chien a Macaire trouvé
Séant à la table du roy ;
Car estoit hom de grant arroy ,
Et avoit grant auctorité
Envers la royal majesté.
Si l'aperceut ens emmy l'heure,
Pour le mordre lui courut seure ,
Si que tantost l'eust affolé.
Se illecq n'eussent esté
Les escuiers qui là trenchoient
Devant les seigneurs qu'i estoient (i),
Qui le reboutterent arrière ,
Si regardèrent la manière
Que le lévrier ung pain happa
Sur la table, qu'il emporta
Tout droit à son maistre Aubery,
Qui gisoit mort au bois fueilly.
Et l'endemain, et le tiers jour ,
Le lévrier fit icellui tour
En venant quérir à manger ,
Aussi pour son maistre venger,
Car là oiî il trouva Macaire
Toudis lui voulut il mal faire.
A la bouche Aubery mectoit
I. Ms. -.qui là estoient. Vers faux.
^14 Mac AI RE.
De la viande qu'il emportoit.
Pour scavoir ce que povoit cstre ,
Le roy suyvir jusqu' à son maistre
Le fit : si fui le corps trouvé
D'Aubery qui esloii tué ;
Puis fil le roy commandement
Qu'enlerré fut solempnclment.
El Macaire par suspeçon
Fit prendre et mener en prison,
Puis fit assembler son conseil.
Dit l'un des saiges : « Je conseil
a Que Macaire et le lévrier
a Soient mis en ung champ plainier,
o Et se combalcnt bien et fort :
n Là verra on qui aura tort;
«V El cellui qui sera vaincu ,
a Si soit iraynéet pendu. »
Geste deliberacion
Fut du conseil conclusion.
Et fut à Macaire assignée,
Pour combattre au lévrier, journée
A Paris, la noble cité.
Bien en voulsisl estre acquicté
Macaire, car a acceptée
Malgré lui ladicte journée ;
Car bien scavoit qu'avoit mis mort
Auberi son maistre à grant tort.
Le jour de la bataille vint,
Qu'un des amys Auberi tint
Le lévrier au boull de la lice.
Celui ne fut ne fol ne nycc,
Car l'avoit amené devant
Pour ce qu'il estoil appellant.
Macaire assez losl vint après
En rille Notre Dame ez prez ,
Où le peuple estoil si très grant
Qu'en lieu on n'en vit oncques tant.
Li se combatil le lévrier
Appendice. 315
A Macaire le chevalier ,
Qui fut tellement desconfit
Que de sa bouche regehit
Qu'avoit voulu le roy trahir
Et avec la royne gésir,
Qui estoit si très preude femme
Qu'on ne vit oncques meilleur dame,
Et qu'Auberide Montdidier
Qui estoit maistre du lévrier
Avoit partrayson occis
Aux bois qui sont près de Bondis.
Si fut pendu en ung gibet
Pour la trayson qu'avoit fait.
De preuve n'a mestier.l'histoire,
Car en France est toute notoire.
(Ms. de la Bibl. imp. , Moreau , 1685.
Coll. Mouchet, 9; volume intitulé : Sur la
chasse avant 1400 [i].)
III
Extrait d'un Manuscrit de la Bibliothèque
Impériale, intitulé au dos :
chroniques de france.
Il est de coustume que envieux ont volontiers en-
vie sur ceulx qui ont en eulx plus de grâces et vertus.
I. Le poëme de Gace de la Baigne a été^imprimé, notam-
ment par Antoine Verard à la suite de l'ouvrage en prose de
Gaston Phébus, et confondu pendant quelque temps avec
cet ouvrage. J'ai préféré aux textes imprimés celui que me
fournissait la collection Mouchet,
3i6 Macaire.
Ung traittre avoit en la cort, appelé Maquaire, qui
estant bien en grâce du roy , requist la royne Sebille
de deshonneur, laquelle l'en cscondit (t) et débouta
du tout d'entour elle. Quant le traittre se vit en ce
point, pour doubte que le roy n'en oyst parler, pensa
qu'il feroil sa planche (2) au roy à la confusion de la
royne. Et prist le roy une fois à privé , et luy re
monstra qu'il estoit moult tenu {]) à luy garder son
honneur par maintes raisons (4) qu'il luy dist. Et tant
dist au roy que le roy entra en soubpesson de jalousie,
et haioil le roy de ces chevaliers plusieurs. Et dit
l'istoire qu'il coucha ung nain ou lit la royne, dont
elle ne sot riens.... Le roy bouta hors sa femme toute
grosse d'enfant. Et fut baillée à mener et conduire à
ung moult nobles homs chevalier, nommé Auberi de
Mondidier, lequel en la menant fut occis en ung bois
en rille de France, ou boys de Bondis ; et encore y
est la fontaine Aubery. Et la royne s'eschappa pen-
dant le débat, et s'adressa en la maison d'un posvre
bocheron appelé Verroquier, où elle fut depuis lon-
guement sans estre congneue de personne , et y en-
fanta ung filz nommé Loys. Le traittre qui occist Au-
beri fut moult dolant d'avoir perdue la royne et s'en
retourna à la court, et dist bien à ces gens qu'ilz te-
nissent la chose celée.
Iceluy Aubery qui fut occis avoit ung moult biau
lévrier qui adès le suivoit partout , lequel lévrier de-
meura sur la fosse où Auberi fut enterré ou bois,
n'onques n'en bouja jusquez la fain l'en fist aller; et
ala droit à la cour au roy. Le lévrier où qu'il trou-
voit le traistre luy couroit tousjours sus. Les gens de
la cour, qui bien congnoissoient Aubery et son lé-
vrier, luy donnoient à mcnger; puis retournoil le le-
I. Vs. estendit , faute évidente.
2 Sitii doute pour plainte.
). Ml. tenir.
4. M S. faisons.
Appendice. 317
vrier sur la fosse son maistre Aubery. Or vint que
pour ce que l'en n'oyoit point de nouvelles de Auberi
ne de la royne , et c'on véoit le lévrier venir souvant
à court, aucuns des amis Auberi, qui estoit moult no-
bles homs, firent suivre le lévrier, lequel les mena jus-
ques sus la fosse où estoit Aubery, lequel fut congneu
après ce qu'il fut desterré.
Ceulx qui trouvèrent Aubery par le lévrier vindrent
le dire au roy, et luy comptèrent comment il couroit
sus à Maquaire. Le roy enquist deligemmant de la
chose, et finablement fut dit par le conseil d'aucuns
que le traistre combatroit le lévrier (i). Et fut ordon-
née place, et n'avoit le lévrier pour toutes armeures
que une queue ou [tonnel, trouée] par les deux
bouts (2) et [le traître] (î) estoit armé. Mais du gré
de Nostre Seigneur, qui est le vray juge contre lequel
nul ne peult résister par force, le lévrier mena le
traître à desconfiture, et tant qu'il confessa sa traïson,
et en fist le roy fere justice. L'istoire en est belle à
oyr là où elle est au lonc (4) ; sy nous fault l'abréger
pour cause de briefté.
(Manuscrit fr. 5003, fol. 96.)
1 . On lit à la marge cette rectification écrite par une main
contemporaine :
La cronique ne dit pas qu'il combatist le lévrier. Il fut
pris par souspeçon, pour ce que le lévrier luy couroit sus,[etfu
jehainé et confessa la traïson et fut décapité.
2. Le manuscrit porte une queue ou trouuel par les deux
bouts j leçon inintelligible parce qu'elle est fautive et incom-
plète. Le scribe a réuni en un seul mot : trouuel , la fin du
mot tonnel, synonyme de queue, et le commencement du mot
trouée, nécessaire pour donner un sens aux mots suivants.
3. Ms. lermt avec un signe d'abréviation. Faute évi-
dente.
4. Ms. lent.
3i8 Macaire.
IV
Extrait du Livre de la Chasse de Gaston
Phébus, comte de Foix.
Encore pour mielx affermer le<î noblescesdes chiens,
feray orc un conle d'un Icvricr qui fu d'Aubcri de
Monldidier, lequel vous trouverez en France paint en
moult de lieux. Auberi si estoit serviteur du roy de
France, si s'en aloit un jour de la cour vers sonostel.
Ainsi qu'il s'en aloit et passoit par les boys de Bondis,
qui sont emprès Paris, et menoit un très biau et bon
lévrier qu'il avoit , un homme qui le héoit par envie,
senz autre raison, qui estoit appelé Machaire , si li
courut sus dedanz le boys , et le tua senz deffier et
senz qu'il s'en çardast. Et quant le lévrier vit son
maistre mort , si le couvri de terre et de fueilles , au
mielx qu'il pot, aux ongles et au musel. Et quant ce
vint au tiers jour, pour la grant fain qu'il avoit, il s'en
revinst à l'ostel au roy, et là trouva Machaire, qui
estoit grant gentilz homs. Et tantost que le lévrier
l'apperçut, si li courut sus, et l'eust afolé se on ne li
eust deffendu. Le roy de France, qui saiges et apper-
cevans estoit , demanda que ce estoit, et l'en li dist
toute la vérité. Le lévrier prenoittout ce qu'il povoit
des tables, si le portoit à son maistre et li mettoit en
sa bouche. Et ainsi fist le lévrier par trois ou par
quatre jours Dont le fist suivir le roy pour véoir où
il portoit ce qu'il povoit avoir de l'ostel. Si trouvèrent
Auberi qui estoit encore là où le lévrier lui portoit sa
viande. Adonc le roy, comme j'ay dit que saiges estoit.
fist venir pluseurs aes gens de son hostel, et fist ap
plainnicr el grater et tirer le lévrier par le coller aval
Appendice. 319
l'ostel; mais il ne se bouga. Et puis fist prendre à
Machaire une piesce de char et la ii fist donner au lé-
vrier. Et tantost que le lévrier vit Machaire, il laissa
la char et courut sus à Machaire. Et quant le roy vit
cela, il ot grant souspeçon sus lui , si li dist qu'il li
convenoit combatre encontre le lévrier. Et Machaire
si commença à rire. Maiz le roy le fist de fait. Un des
parenz d'Auberi vint à la journée, et pour ce qu'il vit
la grant merveille du lévrier , il dist qu'il vouloit jurer
le serment qui est acoustumé, pour le lévrier. Et Ma-
chaire jura de l'autre part. Si furent menez en l'Isle
Nostre Dame à Paris ; et là se combatirent le lévrier
et Machaire, qui avoit un grant baston à deux mains,
et tant aue Machaire fut desconfit. Donc manda le
roy que le lévrier feust retrait arrière , qui le tenoit
dessoubz soy. Si fist demander la vérité à Machaire ,
lequel recognut comment il avoit tué Auberi en tra-
hyson et fut pendu et trahyné.
(Ms. delà Bibl. imp., Moreau, 1685, coll.
Mouchet, 9. Volume intitulé : Sur la chasse
avant 1400.)
Extrait du Livre des Duels, d'Olivier
DE La Marche.
Si trouverez es anciennes Cronicques comme par
un lévrier fut accusé un Chevalier, non par paroles
mais par fait, et dont le cas du meurtre qui ne pou-
3 20 Macaire.
voit estre atteint ne prouve, fut par le lévrier aidé A
la grâce de Uieu , tellement que le cas meurtrier vint
à la cognuissance de justice , et dont la punition fut
faite telle qu'il appartenoit.
El dit la Cronicque qu'un Chevalier avoit un autre
Chevalier à compaignon , et pour ce que le compai-
gnon estoit homme de vérité, et de grande vaillance ,
et de grande renommée^ et estoit estimé, aimé et ho-
noré du Roy et des Seigneurs, et avoit avancement
devant le Chevalier, ledit Chevalier prinl telle envie
et hayne sur son compaignon . q^ue malicieusement et
par orgueil, eux estans en un dois, le Chevalier frappa
son compaignon d'une espée par derrière, et l'occil;
Cl ne se pouvoit ceste chose preuver, car nul ne l'avoit
veu que le lévrier, qui par paroles ne le pouvoit des-
couvrir. Le Chevalier meurtry s'appeloit MessireAu-
bery de Mondidier, et le Chevalier qui le meurtrit
s'appelloit Messire Machaire ; et le meurtrit es bois
de Bondis près Paris. Et advint que le meurtrier
avoit couvert le Chevalier meurtry de fueilles d'ar-
bres en telle manière qu'on ne se pouvoit appercevoir
de mort. Mais le lévrier, qui aimoil son maistre Au-
bery, demeura auprès du corps, jusques à ce que
destresse de faim le fit partir, et venir à la cour du
Roy querre sa vie : et si tost qu'il vid marcher le
meurtrier de son maistre , il luy courut sus , et ne le
pouvoit on recourre qu'il ne l'estranglast ; et tant de
fois fit le semblant qu'il mil en suspection le Roy et
la Noblesse, que le lévrier ne lefaisoit pas sans cause
et sans aucune signifiance. El pour ce que le lévrier, si
tost qu'il avoit mangé son repas , il s'en retournoil
vers son maistre trespassé, le Roy le fit suivir par au-
cun de ses familiers, et trouvèrent Aubery gisant
mort au bois, navré en plusieurs lieux, ramenèrent le
lévrier et firent le rapport au Roy. Le Roy fil pres-
tement assembler son Conseil , et fut déterminé que
pour approuver le meurtre et ceste trahison, Machaire
corabatlroit le lévrier, qui tant de fois l'avoit assailly;
I
Appendice. 321
et fut baillé jour pour faire la bataille en l'isle Nostre
Dame. Es prez fut Machaire enfouy jusques au fau
du corps, en telle manière qu'il ne se pouvoit tourner
ne virer tout à sa guise ; luy fut baillé un escu et un
baston pour toutes deffences et sans autres armures.
L'amy de Aubery de Montdidier tenoit le lévrier qui
fut laissé aller et prestement courut sus Machaire , si
aigrement et de tel courage qu'il le print aux dents,
par la gorge, et recognut la trahison qu'il avoit faite :
et le leal lévrier , un chien , une beste , eut la grâce et
l'aide de Dieu, et approuva la vérité de ceste matière.
Et semble par cest exemple que Dieu veut et permet
que tels insults et faits en trahison soient prouvez
pour en faire la punition. Car ledit Machaire fut
pendu et estranglé au gibet de Montfaucon; et le
corps d'Aubery allé querre par ses amis , et sépulture
honorablement, comme leal chevalier qu'il estoit.
{Livre des Duels, autrement intitulé l'Advis
de Gage de bataille, jadis composé parmessire
Olivier de la Marche, et dédié à Philippes,
archiduc d'Autriche. In-8. Paris, 1 586, foi.
8 et 9.)
VI
RÉCIT DE J. SCALIGER.
Est et altéra historia Galliae peculiaris. Offensus
amicisivepotentia sive perfidia, quidam Régis Aulicus
cum ex insidiis obtruncat atque in avio agro sepelit.
Macaire. 2 1
U2 Macaire.
Vfnaticus canis ibi tum cornes hcro fur rat : is amore
viclus diu sedil in tumulo. Postea quam famcs pieta-
tfm supcravii , atque in aulam sine domino reversus
est, ratî illius contubernales bestiam lemcre vagari, ei
cibum dari [ubent. Salur ille ad tumuliim redit ; et
redit toties , ut primum suspicio invaderet animos in-
certa qu.rdam et fluctuans , mox etiam cerli esse sibi
viderentur heri id fieri desiderio. Abeuntem prosecuti,
deprehensoteiluristumore,effossumcadaveratquea<îni-
tum afficiuntsepultura. Canis, exequiis peractis, socius
fit eorum quibus fuerat dux ad investiganduni. Tandem
aliquando in aulam ubi homicida rediisset, eum canis
conspicatus , magnis illico editis latratibus aegre ab
impetu cohibetur : quo tanquam indice aucta suspicio
in ïr.uitorum animis certa ndes evasit. Caeterum bes-
\\x perseverantia in illius odio atque prosecutione
etiam regem movit ut juberet hominem causam di-
cere. Ille negare factum , persistere inficiatione ; ca-
nis ejus orationem latratibus atque assultibus obtur-
bare, ut eam interpellationem pro facinorisexprobra-
tione quotquot aderant intcrpretarcntur. Eo res de-
ducta est ut, jussu régis , homicida cum provocatore
singulari certamine decertaret. Picta est canis historia
m cafnaculo quodam regio. Pictura vetustate dilu-
tior atque obscurior facta, regum mandato semel at-
que iterum instaurata est; digna prorsus Gallica ma-
gnanimitate quae aerc fusili assequatur perennitatem.
{Exotericarum exercitat. lib. XV de sub-
lUitatt , ad Hier. Cardanum , Exerc. 202.
Paris, i^^7, in-4", p. 272.)
Appendice. 523
VII
Récit de Claude Expilly.
Le duel qui avint du tams du Roy Charles V et
an sa presance antre le Chevalier Macaire et le Lé-
vrier a'Aubry de Montdidier , et le plus notable et
digne de mémoire de tous ceus qui se firent onques.
Macaire avoit occis Montdidier dans le bois de Bon-
dis , jalons de le voir plus avant an faveur que lui
auprès du Roy. Il n'y avoit autre témoin de l'acte
que le Lévrier du défunt, lequel, ayant été treuvé avec
le cors, s'alla randre aus piez du Roy, corne pour de-
mander justice : il ne découvrit point si tôt Macaire
qu'il commança à se hérisser et aboyer et se lancer sur
lui : corne le chien d'Hésiode acusa lesanfans de Ga-
nistor Naupactien d'avoir tué son maitre; et l'autre
qui an fit de même auprès de Pyrrus contre certains
soldas de son armée , et celui ancore qui gardoit le
tample d'Esculape à Atenes : de même ce Lévrier
donna le premier argumant que Macaire avoit com-
mis le meurtre. Le Roy s'an voulut tellemant éclaircir
qu'il fit aporter du pain et le fit presanter au chien
par Macaire, mais an lieu de pain, il voulut ampoigner
et mordre la main : le même pain remis à quelques
jantis-homes là presans, le chien le print et le manja :
ce fut un soupçon , un indice et une présomption
violante qu'autre n'avoit fait le coup; à quoy êtoit
ajouté que le même jour de la perte de Montdidier,
on avoit veû Macaire avec luy au dehors de la ville :
de sorte, que le Roy tint le fait come pour avéré : et
d'autant plus que le chien se tournoit tantôt de son
coté, se jouant de sa queue, tantôt aboyoit contre
524 Macaire.
l'autre, qui étoit tout étonné et perdu de cete acusa-
tion et de sa consciance. An fin, le Roy luy dit qu'il
se devoit purger par le combat : il demanda ou ('toit
l'acusateur, on luy montre le chien, et par ordonnance
de Sa Majesté, il fut contraint de se batre, arn^.é d'un
fort bâton et d'un petit bouclier : au chien on donna
un tonneau défonce pour faire ses relancemans : l'ile
de Notre Dame de Paris fut le champ de bataille : le
Lévrier , come s'il eut eu du jugemant, se secoué, se
prépare, se hérisse, ataquesonenemyje tourmante,le
presse, et le morfond an telle sorte qu'à la fin, l'ayant
ampoigné au gosier et jette par terre, le serrant apre-
mant , le misérable avoua le crime , et confessa le
tout espefant de trouver pardon , \h où la justice du
ciel et de la terre le condamnoicnt au supplice, où il
fut anvoyé sur le champ : justice vrayement du Ciel,
d'avoir animé un Lévrier, et luy avoir donné l'adresse
de vaincre, et faire avouer l'assassinat au meurtrier :
je sçay que plusieurs racontent l'histoire avec quelque
diversité.
{Playdoycz de M^^ Claude Expilly, che-
valier^ conseiller du Roy an son Conseil
d'Etat. Lion, i6}6, in-4. Plaidoyé xxx
sur l'edit des duels publié le 13 juillet
1609, p. 312-J13.)
VIII
RtCIT DE VULSON DE La COLOMBIERE.
Nous avons très-suffisanjment fait voir cy-dovant,
comme par faute de preuves, l's Princes Souverains
Appendice. 325
ou leurs Parlemens permettoient le duel entre les
hommes, lorsqu'il s'agissoit de quelque crime capital,
commis secrètement. Mais cecy est bien plus nouveau
et plus estrange, qu'on ait accordé le combat à une
beste contre un homme, et contraint un homme d'en-
trer en combat, et se mesurer avec une beste. L'his-
toire en est admirable, et on la voit encore peinte sur
le manteau d'une des cheminées de la grande Salle
du Chasteau de Montargis ; le Roi Charles V ayant
eu soin de l'y faire représenter pour une marque des
merveilleux Jugemens de Dieu.
Il y avoit un Gentil-homme que quelques-uns qua-
lifient avoir esté Archer des Gardes du Roy, et que
je crois plustost devoir nommer un Gentil-homme or-
dinaire, ou un Courtisan, par ce que l'Histoire
latine dont j'ai tiré cecy, le nomme Aulicus , nommé
par quelques Historiens le Chevalier Macaire; lequel
estant envieux de la faveur que le Roy portoit à un de
ses compagnons, nommé Aubry de Montdidier, l'es-
pia si souvent qu'en fin il l'attrappa dans la forest
de Bondis , accompagné seulement de son chien (que
quelques historiens , et notamment le sieur d'Audi-
guier, disent avoir esté un lévrier d'attache) , et trou-
vant l'occasion favorable pour contenter sa malheu-
reuse envie, le tua, et puis l'enterra dans la forest
et se sauva après le coup , et revint à la Cour tenir
bonne mine : Le chien de son costé ne bougea jamais
de dessus la fosse oii son Maistre avoit esté mis, jus-
ques à ce que la rage de la faim le contraignit de
venir à Paris, oii le Roy estoit, demander du pain
aux amis de son feu Maistre, et puis tout incontinent
s'en retournoitau lieu oii ce misérable assassin l'avoit
enterré; et continuant assez souvent cette façon de
faire, quelques-uns de ceux qui le virent aller et venir
tout seul, heurlant et plaignant, et semblant par des
abois extraordinaires vouloir descouvrir sa douleur,
et déclarer le mal-heur de son maistre , le suivirent
dans la forest, et observans exactement tout ce qu'il
f,
)26 Macaire.
teroit , virent ou'il s'arresloit sur un heu où la terre
jvoil esté fraiscnemenl remuée ; ce qui les ayant obli-
es d'y fa-.re fouiller , ils y trouvèrent le corps mon ,
equel ils honnorerent d'une plus digne sépulture ,
sans pouvoir de^couvrir l'aulheur d'un si exécrable
meurtre. Comme donc ce pauvre cinen estoii de-
meuré à quelqu'un des parents du deffunt et qu'il le
suivoit, il apperceut fortuitement le meurtrier Je son
f)remier Maislre , et l'ayant choisi au milieu de tous
es autres Gentils-hommes ou Archers, l'attaqua avec
grande violence, luy sauta au collet, et fit tout ce
qu'il peut pour le mordre et pour l'estrangler. On
le bal, on le chasse, il revient toujours, et comme
on l'empesche d'approcher, il se tourmente et abbaye
de loing , adressant ses menasses du custé qu'il sent
que s'est sauvé l'assassin. Et comme il continuoit ses
assauts toutes les fois qu il rencontroit cet homme,
on commença de soupçonner quelque chose du fait,
d'autant que ce pauvre chien plus fidelle et plus re-
connoissant envers son Maistre que n'auroit esté un
autre serviteur, n'en vouloit qu'au meurtrier, et ne
cessoit de luy vouloir courir sus pour en tirer van-
geance. Le Koy estant adverty par quelques-uns des
siens de l'obstination de ce chien, qui avoit esté
reconnu appartenir au Gentil -homme qu'on avoit
trouvé enterré et meurtry misérablement, voulut voir
les mouvements de cette pauvre beste. L'ayant donc
fait venir davant luy, il commanda que le Gentil-
homme soupçonné se cachast au milieu de tous les
assistans , qui estoient en grand nombre. Alors le
chien , avec sa furie accoustumée , alla choisir son
homme entre tous les autres ; et comme s'il se fust
senty assisté de la présence du Roy , il se jetta plus
furieusement sur luy , et par un pitoyable abboy il
sembloit crier vangeancc et demander justice à ce
sage Prince. Il l'obtint aussi; car ce cas luy ayant
paru merveilleux et estrange , joint avec quelques
autres indices, il fit venir devant soy le Gentil-homme
Appendice. 327
soupçonné, et l'interrogea, et pressa assez puissam-
ment pour apprendre la vérité de ce que le bruit
commun et les attaques et abbayemens de ce chien
(qui estoient comme autant d'accusations) luy met-
toient sus; mais la honte et la crainte de mourir par
un supplice honteux , rendirent tellement obstiné et
ferme ce criminel dans la négative, qu'en fin le Roy
fut contraint d'ordonner que la plainte du chien et la
négative du Gentil-homme se termineroient par un
combat singulier entr'eux deux, par le moyen duquel
Dieu permettroit que la vérité seroit reconnue. Èn-
suitte de quoy ils turent tous deux mis dans le camp
comme deux «champions , en présence du Roy et de
toute la Cour, Le Gentil-homme armé d'un gros et
pesant baston, et le chien avec ses armes naturelles,
ayant seulement un tonneau perse pour sa retraite
et pour faire ses relancemens. Aussi tost que le chien
fut lasché, il n'attendit point que son ennemy vinst à
luy ; il sçavoit que c'estoit au demandeur d'attaquer ;
mais le baston du Gentil-homme estoit assez fort pour
l'assommer d'un seul coup, ce qui l'obligea à courir
çà et là à l'entour de luy, pour en éviter la pesante
cheutt ; mais en fm tournant tantost d'un costé , tan-
tost de l'autre , il prit si bien son temps , que finale-
ment il se jetta d'un plein saut à la gorge de son en-
nemy, et s'y attacha si bien , qu'il le renversa parmy
le champ , et le contraignit à crier miséricorde, et
supplier le Roy qu'on lui ostast cette beste, et qu'il
diroit tout. Sur quoy les escoutes du camp retirèrent
le chien , et les Juges s'estant approchez par le com-
mandement du Roy, il confessa devant tous qu'il
avoit tué son compagnon , sans qu'il y eust personne
qui l'eust peu voir que ce chien, duquel il se confes-
soit vaincu. L'Histoire dit qu'il fut puny, mais elle
ne dit point de quelle mort , ny de quelle façon il
avoit tué son amy. Si ce chien eust esté au temps
des anciens Grecs , lorsque la ville d'Athènes estoit
en son lustre, il eust esté nourry aux despens du
<;28 MaCAIRE.
public; son nom seroit dans l'Histoire; l'on luy auroit
dressé une statue , et son corps auroit esté ensevely
avec plus de raison et plus de mérite que celui de
Xantipus. L'histoire de ce chien , outre les hono-
rables vestiges peintes de sa victoire qui paroissent
encore à Montarpis, a esté recommandée à la posté-
rité par plusieurs Autheurs, et singulièrement par Ju -
lius Scaligcr en son livre contre Cardan, Exerc. 202.
J'oubliois de dire que le combat fut fait dans l'isle
Notre-Dame , en présence du Roy et de toute la
Cour.
{Lt Vray Théâtre d'honneur et de che-
valerie, t. II, p. 300, in-fol. Paris,
1648.)
IX
Récit de Ribier.
Il se trouve que par des épreuves de fer ardent ei
d'eau bouillante plusieurs hommes se sont purgés de
ce Qu'on leur mettoit sus : Dieu fut pour eux, et trou-
vères en quelques Croniques comme par un Lévrier fut
accusé un chevalier (non par paroles, mais de fait) du
meurtre d'un autre chevalier son compagnon, dont on
n'avoit point de connoissance en justice qu'il fust
coupable ; le meurtry s'appelloit Messire Aubery de
Mcndidicr, et le meurtrier Mâchant 'sic), tous deux
Appendice. 329
de la cour du Roy. Mâchant avoit caché et couvert le
corps de feuilles et d'herbes, mais le Lévrier, qui
aymoit son maistre, demeura auprès de luy , jusqu'à
ce que la faim le fit aller à la cour quérir sa vie. Et
si tost qu'il aperçut le meurtrier, il luy courut sus, et
le vouloit étrangler, et tant de fois après en avoir
esté séparé , retourna contre luy, qu'il mit en suspi-
cion le Roy et sa Noblesse, de manière que, s'en re-
tournant vers le mort, il fut suivi par quelques fa-
miliers du deffunt, qui trouvèrent le corps dudit def-
funt dans le bois, navré en plusieurs lieus, et en firent
leur rapport au Roy Charles V , lequel assembla son
conseil , et fut déterminé , que pour vérifier le meurtre
et trahison, Mâchant combatteroit le Lévrier (1); jour
baillé pour la bataille en l'Isle Notre Dame, et à
l'heure du combat, on enfouit Mâchant jusques au
faix du corps, en telle manière toutefois qu'il pouvoit
tourner tout à son aise , et luy furent baillé un écu et
un baston pour toutes armes. Les amis du deffunt te-
noient le chien , et l'ayant laissé courir , il courut sus
au meurtrier, de tel courage et violence qu'il le prit
par la gorge avec les dents , et luy fit confesser sa
trahison et demander miséricorde au Roy. Ainsi le
loyal Lévrier, un chien, une beste, par la grâce et
aide de Dieu, prouva la vérité, et semble par cet
exemple que Dieu veuille et permette que les cas ob-
scurs et faits en trahison soient prouvés par des
moyens extraordinaires, pour en estre fait la punition ;
car ledit Mâchant fut pendu et étranglé au gibet de
Montfaucon (2) , et le corps du deffunt sépulture hono-
1 . A la marge on lit : « Ce combat du lévrier et du meur-
trier de son maistre est peint au manteau de la cheminée
de la grande salle du château de Montargis. »
2. A la marge : « Vulson alléguant cette histoire, dit ne
scavoir le eenre de mort. »
^^0 Macaire,
rablement comme loyal chevalier. Il y a dans les his-
toire<; anciennes un pareil exemple (i), etc.
[Lettres et Mémoires d'Estat , etc., par
Messire Guillaume Ribier, conseiller
d'Eslat. Paris, 1666, in-fol. , t. I,
p. }M-ÎI2.)
1 . Celui du chien de Pyrrhus. Ribier le rapporte.
3^'
NOTES.
P. 2, V. 4:
Li quai fi faire un de qui de Magan.
Magan pour Mayence^ ai- je besoin de le dire ? n'est
pas une forme française, et le vers tout entier, même
en le rétablissant ainsi :
La quel fist faire un de cels de Maian,
ne serait pas dans les habitudes de langage du XII'^ n
du XII I^ siècle. La leçon que je propose, au con-
traire, est calquée sur une forme que les trouvères du
temps emploient presque toujours au début de leurs
poèmes.
P. 2, V. 10 :
Como fu l'inperer K. el man.
A ce vers inadmissible j'en substitue un autre de
même valeur, qui se retrouve partout, et , par exem-
ple, au début de la chanson d'Aspremont :
Plaist vos oïr bone chançon vaillant
De Karlemaine, lou riche roi puissant.
(Ms. fr. 2495.)
Je ne crois pas que maine ou magne, ait jamais été
employé sous la forme m^rt. Cependant j'ai trouvé, en
prose, Challement :
Parce qu'il estoit du lignage le grant Challement.
[Chroniques de Saint-Denis, Hist. de France, t. X, p. 304.)
^^2 Macairk.
p. 3,v. ^:
Dont en morurent maint chevalier vaillant.
Vers emprunté presque lilléralement à la chanson dr
Huon de Bordeaux (p. 4).
P. 5,v. 6:
Li fel Macaires ceste oevre ala brassant.
Brasser une auvre, une trahison, une honte, sont des lo-
cutions fort en usage au temps où fut composé notre
poëme. Exemples :
Moult maudit les traitres qui cheste oevre ont brassée.
{Guide Nanteuii, p. 9$.)
IccUe n?nie que Lanbcrs m'a brassée.
{Auberi le Bourguignon, ms. La Val. 40, fol. 77 v", col. i.)
Chier lor vendra ce que il ont brassé.
Bune d'Hiinston'.,m$.U. 12 $48, fol. i8j v«, col. 2.]
Le mot engan du texte de Venise, qui est Vinganno
Italien, se trouve bien en provençal , mais je doute
fort qu'on en rencontre un exemple français, quoique
le verbe enganer {prov. enganar, ital. ingannare) reni-
f)lace Quelquefois engigner, qui paraît être la vraie
orme française.
Par foi, dist Hues, nous sommes engané.
{Huon de Bordeaux, p. 1 1 ).)
Quant il parçut qu'il estoit enganés.
{/</., p. J9.j
Kaynouard ne cite qu'engaigne sous le mot pro
vençal engan , et encore à tort ; car engaigne corres-
pond non pas à engan , mais à la forme féminine
enguana .
Il eut été facile de calquer le vers que j'ai essayé
de refaire en lisant :
El por Macaire fu tos ici! engans ;
mais cette leçon, même en admettant la forme engan ,
Notes. 335
n'eût guère satisfait quiconque a l'habitude et le sen-
timent de notre vieux langage.
P. 3, V. 7 : Savoir certainement , savoir veraiement y
savoir à esciant, sont des locutions fréquentes :
Car bien savons por voir certainement,
{Aspremont, ms.fr. 249j,fol. 106 v".)
C'est des genz K., sachiez veraiement.
[Id.y fol. 107 ro.)
Gel sai à esciant.
ijd., fol. 106 ro.)
P. 3, V. 8 : £f deriere et devant. Locution qui re-
viendra souvent dans notre poëme, tantôt sous cette
forme, tantôt sous la forme et avant et arrier. On em-
ployait figurément et au même sens les locutions sus
et jus, aval et amont (haut et bas), environ et en lez, qui
signifient , lorsqu'elles ne sont pas prises au propre :
en tous sens, de toute manière, complètement. Le
plus souvent, ces façons de parler sont purement ex-
plétives.
Tant dist Balans et avant et arier
Qu'il fist Naimon à ceie fois laissier.
{Aspremont, ms. fr. 2495, fol. 99 r».)
Tant m'a parlât et avant et arier
Que de saiens s'enfuï ma mollier.
(Rûfoul de Cambrai, p. 288.)
A grant mervelle le déust bien prisier
Et tôt si homme et devant et derier.
{Chevalerie Vivien, ms. de Boulogne-sur-Mer,
fol. 87 ro, col. 2.)
P. 3 , v. 9 : Hom si sovrains. C'est soverain qui
est la forme primitive ; mais, à l'époque oii nous som-
mes, on emploie indifféremment les deux.
P. 3, v. 10 :
Com Kallemaines, li riches rois puissans ;
5^4 Mac Al re.
ou, si l'on veut :
Corn Kallcmaines, l'emperere des Krans.
P. î,v. is :
Conseil d'enfant n'aloit mie cscoutani.
Cet éloge revient souvent sous la plume des trouvères,
qui tenaient que
Faus est li hom qui croit conseil d'enfant.
[Huon de Bordeaux^ p. IJ9.)
P. 4, V. 10 : Entro Pans. Je restitue : Droit <i
Paris, en m'autorisant de nombreux passages, et
entre autres de celui-ci :
Droit à Paris, celé cité vaillant
Sunt asenblé Angevin et Normant.
[Aspremont, ms. fr. 2 49J,fol. 81 v*".)
P. s, V. 1 :
Et tant que vinrent Caillâmes et Bertrans.
C'est Guillaume au court nez et son neveu Bertrand,
qui, en effet, selon les récits des trouvères, ne se
signalent qu'après le règne de Charlemagne , sous
celui de son fils l'empereur Louis.
P. ^, V. 9 : Francor.
L'ost Francor. — La terre Francor.
{Aspremont, ms. fr. 249$.;
P. ^, V. 13 :
Et li dus Naimes, ses boins conseléor.
Je n'ignore pas que conseillère était la forme du sujet
cl conseléor la forme oblique ; mais je n'ai pas cru
devoir, ici et ailleurs, me montrer plus scrupuleux
que les meilleurs trouvères, qui , pour le besoin de la
rime, ont violé sans façon les lois de notre ancienne
déclinaison. Je choisis entre mille les exemples ci-
Notes. 3J5
après que je trouve dans une même tirade fort courte
de la chanson d'Aspremont (ms. fr. 2495 , fol. 70) :
Ce dit Balanz : « Enten, emperéor. »
11 eût dû dire : emperere, car le vocatif et le nominatif
se traitaient de même.
Dist l'emperere : « Il ment li lechéor, »
au lieu de : // lecherre.
El ce n'est pas seulement à la rime qu'on trouve
par milliers de semblables fautes ; exemple :
Quant paien virent que Franceis i out poi,
Entr^els en ont e orgoil e cunfort ;
Dist l'un à l'altre : « L'emperéor ad tort. »
{Chanson de Roland, éd. Genin,p. 163.)
au lieu de : l'emperere.
P. 5, V. 16 : Soffrir peine et dolor. [Auberi le Bour-
guignon, ms. La Val. 40, fol. i, col. i r».)
P. 5, V. 17:
Sor tos les autres avoit cil la valor.
Je suppose que corlor du texte vénitien est pour
poignêor, feréor; mais je ne retrouve ce mot coréor
qu'au sens particulier de coureur d'avant-garde , et non
au sens général de vaillant, de hardi combattant, de
courageux guerrier. Je le remplace donc par une lo-
cution qui me paraît fort bien s'adapter au sens du
passage et que j'emprunte à la chanson d'Aspremont,
où Naimes dit en parlant de Charlemagne :
Car après Deu a sor tos la valor.
P. 5, v. 19 : l'umainrie criator, le créateur de l'hu-
manité. A ne voir que le texte de Venise on pourrait
croire que li maine est pour ille magnus , le grand ;
mais nulle part, que je sache, on ne trouverait sem-
blable exemple. Au contraire, la leçon que je pro-
5^6 Macaire.
pose se justifie par le vers ci-après de ia chanson
d'Aspremont :
Dex le garisse, l'umainne criator.
(Ms.fr. 2495, fol. inr«.)
P. 6, V. 5 :
Quant les traï à li rois almansor.
Il se pourrait bien que le compilateur italien eût pris
Almansor pour un nom propre, puisqu'il le fait pré-
céder des mots : à U rois. 11 avait évidemment sous
les yeux, dans le texte français, le mot aumaçor (pro-
vençal, almjsior)y qui, comme l'on sait, désigne un
chef arabe , un Imir.
P. 6, V. 14:
J'ai restitué ce vers d'après le sens général qu'il
me paraît renfermer, mais sans pouvoir exactement
me rendre compte du moiançontr. Ce mot se retrouve
dans le texte italianisé de la chanson d'Aspremont que
renferme le ms. fr. 1^98. Ogier le Danois dit à
l'empereur :
Biem porai por mon cors vostre droit defenser,
et l'empereur lui répond :
Ogier, dist Kalle, trop estes ançoner.
(Fol. ior«, col. I.)
vers qui répondent à ceux-ci du ms. La Val. 123 :
Et bien sarai vostre droit desresnier.
— Vus n'iroiz mie, ce dist li rois, Ogier.
P. 7,v. 6:
Crani cort tint Kalles l*emperere au vis fier.
GaYDON, p. 29^, V. 33 :
Kjrles i entre, l'cmpcrcrc au vis fier.
On pourrait lire aussi : nostre emptren ber (voyez
Gaydon, p. 1), ou : nostre tmperen fier {id.y p. 303).
Notes. 357
P. 7, V. 18 :
Par droite force et avoir sa moillier.
Par droite force j locution qui revient souvent dans
les poëmes du moyen âge, et oij le mot droite n'indique
nullement que l'emploi de la force fût légitime :
En Rome n'a capele ne mostier
Ne soient ars, fendu et peçoié ;
Par droite force i sont entré paien.
{Ogier, t. I, p. 8.)
Il faut comprendre comme s'il y avait droit par force j
tout droit par force.
Avoir sa moillier se retrouve ailleurs :
Lifei Lambers qui vof avoir m^ ois sor.
{Auberi le Bourguignon, ms. fr. 859, fol. 163 v^ col. 2.)
P. 7, V. 21 :
0 mainte dame por son cors déporter.
C'est-à-dire pour se divertir. Son cors ne signifie rien
de plus que se. Mes cors, tes cors, ses cors, ne sont le
plus souvent que des locutions pronominales, d'un
emploi très-frequent au moyen âge. Dans quelques
cas, cependant, mes cors, lorsqu'il n'est pas seul,
renforce le pronom au lieu de le remplacer : Je
méismes mes cors signifie : moi-même en personne.
A cort s'en vait por son cors déporter.
{Gaydon, p. 12.)
Voyez des exemples analogues dans Huon de Bor-
deaux, p. 72, 95, 114, etc., etc.
P. 7, V. 22 : Vieler. Le texte de Venise porte
violer, mais c'est une forme tirée de viola , et chez
nous il ne paraît pas que viole soit de toute ancien-
neté. C'est viele qui était en usage au XI 11^ siècle
avec son dérivé vieler.
vieler font .1, cortois jougléor.
{Auberi le Bourguignon, ms. La Val. 40, fol. 32 v», col. z.)
Macaire. 22
^^8 Macaike.
P. 7, V. i3:
Une chanson et dire et chanter.
Voilà un vers faux, dira la critique, qui parfois règle
la prosodie du moyen H^c d'après celle de ce lenips-ci.
Le vers est faux, en elfet, si \'e muet s'élidait tou-
jours ; mais rien ne me paraît moins démontré, et c'est
même le contraire qui me semble établi par des exem-
ples sans nombre qu'on peut relever dans les meilleurs
textes. On me répondra peut-être que ce sont autant
de leçons vicieuses à corriger ; mais refaire tous ces
vers ne sera pas prouver qu'ils sont faux. Je n'en-
tends point ICI traiter la question ; je prie seulement
le lecteur de ne me pas imputer une erreur que je ne
laisserais pas sans discussion inscrire à mon compte.
Je choisis dans mille exemples ceux-ci :
« Mais que la foit aie au départir. »
El Bcrncçons la fiance en fist.
{Raoul de Cambrai, p. J17.
Au messaigier le donc en bailUe.
{Id.,p. }i8.)
La jantil dame le monstre à ces fis.
(/(/., p. J28.)
Qui se devoit eombatre à Guion.
[Gaydon, p. Î07.)
Et dist au roi : « Sire, entendis chà. »
[Bueve d'Hanstonf, ms. La Val. 80,
fol. 9 v", col. 2.)
P. 8, V. 6 : reçaier, de l'italien nscattarCy recou-
vrer, racheter. Il me paraît qu'«m^r (estimer) est le
mot que le compilateur a voulu rendre. Il serait facile
de rester plus près du texte, mais non du sens , à ce
que je crois, en lisant :
Ne pèust on plus belle recovrer.
P. 8, V. 10 : Plus bêla compagne, c'est-à-dire plus
belle compagnie ou union, plus beau couple. Le vers
Notes. 359
ne se prête pas à l'emploi du mot compaigne ; j'ai donc
eu recours à druerie qui , en pareil cas, est le mot le
plus usité. V. Raynouard, Lexique romarij III, 79,
sous drudaria.
P. 8, V. 16 : Asaçer, italien : assaggiare, essayer.
On a dit asaier et essaicr en vieux français, et l'on
pourrait restituer :
Bien sai la dites por mon corps asaier ;
mais esprovcTy que j'ai préféré comme plus clair, se
dit aussi bien au même sens.
P. 8, V. 2G : e ardcr e bruser. — Bruser, italien, bru-
cwr^; provençal , bruzar, bruisar. J'ai cru, en m'au-
torisant du provençal , pouvoir maintenir bruisier;
mais mieux vaut peut-être restituer brusler, qui , avec
bruïr et ardre ou ardoir, est généralement employé en
français au sens de Titalien bruciare.
P. 8, v. 27 : la polvere à venter. C'est poudre qui
répond exactement à polvere, forme purement ita-
lienne :
Ardoir en feu et la poudre venter.
{Gaydon, p. 20.)
Mais poudrière , pouriere , poriere (provençal , polve-
rieyra) se trouve aussi fréquemment que poudre et au
même sens. Voyez Gui de Bourgogne, p. 2^ et passim;
Gaydon, p. 285 ; Aliscans (Rec. des Anciens poètes),
p. 19, etc.
P. 9, v. I :
Ez vos Macaire entrant ens el vergier.
Rien de si connu que cette locution ezvos ou es vos,
voici, voilà. Le sens en est fort net, mais l'origine en
est moins claire. On a pris apparemment, au moyen
âge, le mot es pour la seconde personne de l'indicatif
du verbe être , puiscju'on trouve parfois estes vos , le
pluriel au lieu au singulier. Je crois, comme on l'a
540 Macaire.
dit, que es ou e: n'est autre chose qu'ecce. Je ferai
remarquer seulement au^ccc en latin était suivi tantôt
du nominatif, tantôt de l'accusatif, tandis que dans
nos vieux textes français ez est d'ordinaire suivi
du cas régime. Je me conforme à cette habitude ici et
ailleurs.
P. 9, V. 17 :
Et disi Macaires : « D'el vos covicnt penser. »
d'cl {de alio) d'autre chose, autrement. On disait de
même : d'cl vos covunt parler.
Quant m'estordras, d'cl te covicnt parler.
{Moniage Renoart, ms. fr. 774, fol. 148 r<^, col. 2.)
P. 9, V. 2 } : Or orrés ja corn... {Huon de Bordeaux,
p. 129, v. 17.)
P. 9, v. 25 : ros /« membres coper^ — ou tranchier.
V. par ex. Gaydon^ p. 2 j, v. i, et p. 23, v. 3.
P. 10, V. 9 : Apiçer. C'est l'italien appkcare , ac-
crocher. Le mot français usité en pareil cas est encroer
ou encrucr. Les exemples abondent. On disait égale-
ment encroer à unes fourches et encroer as fourches.
A unes fourqes soit Gerars encruéj.
{Huon de Bordeaux, p jo8.)
P. 10, v. 20 :
De son vita non cura anpeto pelé.
Je ne vois en italien qu'amperlo qui se rapproche
d'anpelOj et rien de pareil en français. Anpclo ou
amperlo a probablement pris la place d'aufou d'ail
qui se trouvait dans le texte français. Rien de si com-
mun que oef pelé ou ail pelé, comme dans ce vers :
Je ne le pris vaillant. I. ail pelé.
{Huon de Bordeaux, p. 172.)
Amperlo i\gn\(ic aubépine, et doit se prendre ici sans
doute pour le petit fruit de cet arbrisseau.
Notes. 341
P. 1 1, V. 1 5, 16 :
Or est ariere la roïne torné,
En son palais si s^en est repairié.
Il faudrait rigoureusement tornée, repairiée. Mais cet
accord est loin d'être établi scrupuleusement par les
trouvères. Exemples :
L'ore soit benoîte, deslivrê s'est d'un fil.
Il s'agit de Parise la duchesse. Avec deslivrée levers
serait faux. Un peu plus loin on lit :
L'ore t'ust benoîte, d'un fil s'est deslivrê.
desHvrée ne conviendrait point à la rime de la tirade.
{Parise la Duchesse, p. 25.)
P. II, V. 18 :
Et s'est Macaires traveilliê et peiné.
Le texte de Venise dit /rav^/c seulement; mais il est
rare que ce mot ne soit pas accouplé au mot peiné,
comme dans ce vers :
Et moi et eus traveilliés et peines.
{Foulque de Candie, ms. de la bibl. de
Boulogne-sur-Mer, fol. 270 r», col. 2.)
■ P. 12, V. 20 : 7/2 bona ora fust né. C'est ici le
calque de la locution italienne : En huon' ora fusti
nato. On disait ordinairement en français de bonc ore.
V. Raynouard, Lex. rom., III, 538, sous hora.
P. 12, V. 26 :
Çoiant fo e baldo e aie.
aie, d'allegro (comme plus loin ré de reo, eré d'eretico).
Ces formes sont inadmissibles en français. On trouve
pour allegro, haligre :
Li plus haligres a le corps empiriet.
{Prise d'Orange, ms. de Boulogne-sur-Mer,
fol. 10 r», col. 2 )
^4- Macaire.
Mais c'est liés (de latus) qui est le plus souvent em-
ployé et d'ordinaire avec les mots baus tljoians.
P. ij,v. 2:
Com la porroit deçoivrc et engignier.
Ces deux verbes sont le plus souvent réunis pour
exprimer l'idée de tromperie, de trahison. Exemple :
Por lui deçoivre et por lui angignicr.
{Gaydon, p. 272.)
P. 1 3, v. ^ : uns maus nains boccrcs.
J'ajoute ici au texte de Venise, parce qu'il me
paraît difficile de le rétablir autrement ; mais c'est ce
texte même qui me fournit l'une des additions. Le
nain y est qualifié méchant un peu plus bas. et quant à
l'épithète de boceris ^ je ne crois pas lui faire tort en
la lui appliquant , puisqu'elle ne messied pas à Oberon
dans le poëme de Hiion de Bordeaux :
Et dist Ceriaumes : C'est li nains boceré.
Atant es vous le petit boceré.
(P. 97.)
D'ailleurs, dans la version en prose de notre
poëme que renferme le Ms. B. L. F. 226 de la Bibl.
de l'Arsenal, le nain, q^ui s'appelle Segoncon, est « pe-
tit, bossu et contrefait. «
P. 1 3, V. 8 et 22 :
Riche en feras tôt le tien parenté.
Si l'on veut éviter la répétition de ce vers, on peut
lire, une fois, comme dans Gaydon, p. 7, v. 11 :
Toz tes lingnaigcs i aura recovrier.
P. I?, V. I } :
Lez la roîne quant serés acostés.
AUSCANS, p. 108 :
S'est Rainouars datés lui acostés.
NOTE§. 34^
p. 13, V. 14 : belté. [Huon de Bordeaux , p. 312.)
P. 1 3, V. 23 : ^e rien ne vos dotés.
Cf. Huon. de Bordeaux^ p. 83, v. 21.
P. 13, V. 26 :
Si s'en repaire baus et joians et liés.
Huon de Bordeaux, p. 13, v. 29 :
cil s'en repairent haut et joiant et lié.
P. 14, V. s ;
Adester. peut-être tiré de l'italien adizzare, provo-
quer, exciter, si ce n'est pas une altération d'admo-
nester. Cependant, je trouve adestis pour hastis (hâtif,
empressé) dans le texte italianisé d Aspremont, ins. fr.
1598, fol. 10 ro, col. 2 , où on lit : troppo vos estes
adestis, correspondant à cet hémistiche du texte fran-
çais, ms. de Berlin : ne soiezsi hastis ; et ailleurs (fol. 56
vo, col. 1) : adastés vostre arnois, pour : hastés vostrc
oirre (ms. fr. 12548, fol. 6).
P. i5,v. 6:
Coment le plait à chief doie mener.
Mener à chief., synonyme de finer que porte le texte
de Venise et que l'on pourrait conserver en restituant
le vers ainsi :
Icelui plait coment doie fmer.
Mais ce mot finer est déjà trois lignes plus haut.
P. 1 5, V. 16 : qui nen ot mal penser , ou : qui n'i sot
mal penser (Voyez Auberile Bourguignon, ms. fr. 859,
fol. 106 vo).
P. 15, v. 17:
Tôt bêlement le prist à aplaigner.
Le texte de Venise porte carecer, mais ce mot, fait
sur l'italien carezzare, ne me paraît pas fort ancien. En
^44 MaCaire.
tout cas, on ne le trouverait pas sous la forme caresser,.
mais sous une forme analogue à celle de chérir. C'est
le mot aplentr.apliii^ncr, aplanoier, qui, au XIIl' siè-
cle, signifie caresser^ Jlatter Je b main.
Souvent le pine et va aplanoiant.
{Prise d'Orange, ms. de Boulogne-sur-Mer,
fol. } yo, col. 2.)
Pour aplaigner, v. Raynouard, Lex. roman, t. IV,
p. s\2, sous aplanar.
L'expression est complète dans ce passage :
Il est costume à maint riche borgois
Son fffaiii aime endemcnticrs qu'il croit ;
En petitecc li aplene le poil
Et quant est grans nel regarde en. I. mois.
{Raoul de Cambrai, p. 226. — Ms. fr. 249J,
fol. 104 \^.)
P. 1 5, V. 2 1 : dosnoier (sans régime).
Li dus Caydons est venuz donoier
Au tref Claresme.
{GayJon, p. 271 )
P. 16, 2. 27 : Si le foit liger; ital. legare; franc.
iierti hier. Mais bender est le mot usité en pareil cas.
P. 17, V. I :
Se vos volés par mon conseil ovrcr.
HuoN DE Bordeaux, p. 120 :
Mais il ne veulent par mon consel ouvrer.
P. 17, V. 6 : Sooler pour saoler, comme poon pour
paon.
P. 17, v. 10: Tais, fol, faitele. A/d/o du texte de
Venise est purement italien en ce sens. On disait éga-
lement en français : Tais ou lais toi :
Tais toi, dist il.
Et dist Gorhanz : « Salatiel, taisiez. •
{Âspremont, mi. fr. 249 j, fol. 9» v» et 94 r*.)
Notes. 345
Tais, gloz, dist Kalles.
{Gaydon, p. i6, v. 7.)
Idem, ibid :
... Ne m'user ce parler.
Dans le vieux français et dans le provençal, comme
aujourd'hui encore en italien, l'infinitif est parfois em-
ployé pour l'impératif, mais seulement après une né-
gation.
Chevauche^ rois^ ne t'atargier noiant.
{Aspremont, ms. fr. 2495, fol. 103 v°.)
A si grant tort guère ne comencier.
{Raoul de Cambrai, p. 43.)
P. 17, V. 17:
Puis le saisit maugré sa volenté.
HuoN DE Bordeaux, p. 29 :
Il et si homme si ont Karlot saisi,
P. 17, V. 18 et passim : tenscr pour defenser du
texte italien. Je ne trouve pas ce dernier en usage,
quoique defensar existe en provençal.
Qu'en si lonc règne m'estes venus tenser,
{Huon de Bordeaux, p. 135.)
Mais par moi n'eres secourus ne tensés.
{Id.,p. 137.)
P. 17, v. 19:
Jus de! solier l'a ele fait verser.
Ou, si l'on veut :
Verser l'a fait contreval les degrez.
(V. Gaydon, p. m, v. 4.)
P. 17, V. 27 : mires manda. Raoul de Cambrai,
p. 188 : mandés les mires.
P. 19, V. I :
Plus de uit jors jut, ne se pot lever.
54^ Macairr.
On lit dans Huon de Bordeaux^ p. 73 :
.Il ans en gut, aine ne s'en pot lever.
Sutc ^ du lexie de Venise, correspond à cita (de
stâTc)^ qui serait bien impropre appliqué à un malade
obligé de garder le lit.
P. 19, V. c : encoited'un piUr, ou encore : par dcU:
.1. piler. V. huon de Bordeaux, p. 143.
P. 19, V. 10 :
One ne cessa mener noise et bobant.
C'est risa rixe) du texte italien que je remplace par
le mot en usage en France : nohe. Je remplace jar ou
faiTc par mener, qui était le terme habituel en pareil
cas :
On ne doit mie tel beubance mener.
{Huon de Bordeaux, p. 267.)
P. 19, V. M :
Cucrroia sempres Rcnaut de Montauban ;
locution autorisée par ces exemples entre autres :
Que il voloit guerroier roi Karlon.
\Gaydon, p. 9j.)
Qiic mauvais fait guerroier &on seignor.
[Idem, p. 177.)
P. 19, V. 16 :
Que ne honisse Kallemaine le franc.
Huon de Bordeaux, p. 41 :
Et s'eslonga Kailemaine le franc.
P. 19, V. 22 :
Et H maui nains, qui n'ot pai sens d'enfant.
Raoul de Cambrai, p. 105 :
Li fil Herbert n'ont mie sens d'enfant.
P. 20, V. \o : Ne aler en ses man. Que faut-il en-
Notes. J47
tendre par man ? — Mains {manus) ? mant , racine de
commant [mandatum); ou mant, mante, manteau? Ce
dernier sens paraît possible, puisqu'on a lu déjà, p. 14,
V. 14 : soto son mantel culcer. J'ai préféré un sens
moins étroit, plus général : faire son commant (se
mettre à ses ordres).
P. 21, V, 3 :
A la roïne plus ne vait en présent.
On pourrait lire aussi :
Devant la roine plus ne vait en présent.
Raoul de Cambrai, p. 210:
Nos .V. espées te sont ci en présent.
Et p. 336:
Tant com je sui devant vous en présent.
Foulque de Candie, ms. de Boulogne-sur-Mer,
fol. 42 T^, col. 2, et fol. 241 ro, col. 2 :
Devant le roi vos metés en présent.
Voit Anfelise devant lui en présent.
P. 2 1 , v. 1 3 :. // pères raemans [Raoul de Cambrai ,
p. 1^4). Raemans, rédempteur; mais on trouve aussi
roi amant. V. par ex. Huon de Bordeaux, p. 88 : Dieu,
le roi amant.
P. 21 v. 14 :
Par lui fu mise la roine en grant torment.
J'ai fait compter ce mot d'ordinaire pour trois syl-
labes ; parfois cependant, comme ici, je l'ai réduit à
deux, en supprimant la diérèse, en quoi j'ai suivi
l'exemple de plusieurs bons trouvères. L'auteur d'Au-
beri le Bourguignon, par exemple, au recto et au verso
du même feuillet, écrit :
Forment me poise du rice roi Orri,
De la roïne que Turc enmainnent si.
348 Macaire.
Et la roine est tomée à deshonor.
(Ms.fr. 859, fol. 22.)
On pourrait lire aussi :
Par lui fu mise la roine à torment.
Voyez Gj)i/on, p. 311, v. 4.
P. 2 1 , Y. 2 i : Prendre vengement de.
Fd soie jou se n'en pren vengement.
{Loquiferne^ ms.fr. 1448, fol. 284 r", col. 2.)
P. 2 1, V. 22 : 6rmV (brûlée). Gaydon, p. 14^.
P. 23, V. i : Avoir vengement de quelqu'un.
Ja de Caydon n'avérons vengement.
{Gaydon, p. 220 )
P. 23, V. 9 :
Porpensé m'ai trestot Vengignement.
Voici deux exemples de ce mot assez rare :
Je n'en puis mes, le cuer en ai dolent,
Qu'il me sosprist parson engignement.
[Auberi le Bourguignon, ms. fr. 859,
fol. 1 10 ro, col. I.)
V. aussi Gaydon. p. 31 ^.
P. 23, V. 13 :
Mais l'aparlerne médites noiant.
Aparler quelqu'un pour lui parler^ est une locution
qui revient souvent au moyen âge, notamment dans le
poème de Huon de Bordeaux :
Que s'il revient, jel vorrai aparler.
(P. lOJ.)
P. 23, V. 1^:
Et dist Macaircs : « Faons le saigement, »
Feion: le et non simplement fesons ou ferons,
Notes. 549
comme au texte de Venise. Le faire ou la faire sont
des locutions consacrées.
Faisons le noblement.
{Gaydorij p. 176.)
Dist à ses homes : « Saigement le fesons. »
{Auberi le Bourguignon^ ms. Fr. 860, fol. 241 r^.)
P. 23, V. 16 : il est costume l'emperéor.,.. que.
Raoul de Cambrai, p. 226 :
Il est costume à maint riche borgois...
Jourdain de Blaives, ms. fr. 860, fol. 11 $ v^,
col. 2 :
Que n'est costume à nul franc chevalier
Que son seignor doie nul jor tancier.
P. 23, V. 20 : en la chambre couchant, locution
analogue à celle de chandeille alumant , qu'on trouve
dans Gaydon, p. 10.
P. 23, V. 21 : faire une vengeance de.
Voyez Ogier, 1 , 26 et 27.
P. 24, V. 14 :
De toi ofendre li paroit vituper.
Je ne pouvais songer à conserver le mot vituper, qui
n'a jamais existé en français sous cette forme. On le
trouve sous la forme vitupère, mais seulement au
XIV'' siècle. (Voyez, par exemple, Bauduin de SebourCy
1 , 1 12.) Je doute fort qu'il ait été en usage au siècle
précédent.
P. 25, v. 2 :
Gentil conseil te saurai bien doner.
{Huon de Bordeaux, p. 264, v. 28.)
P. 25, V. 14 : Au mot ofendre du texte italien je
substitue adeser, qui est le terme propre en pareil
cas :
Mais por l'anel, ne t'osons adeser.
(Huon de Bordeaux, p. 172, v. 10.)
?50 Macaire.
Mciiiigicis est, ne doit iesire adesez,
Gaydon, p. iio. v. lo.)
Se il m 'J voit féru ne adesé.
[Ibid., V. ij.)
Mais il ne l'ont touchié ne adexé.
Id.,p. i88, ▼. ji.)
IJem, ibid. : H sembler oit viltés.
Ou vUutés , comme dans ce vers de Huon de Bor-
deaux, p. 149 :
Car il li sanble che seroit grant vieutés.
P. 25, V. 19 : SoventefoiSf ou au pluriel, comme
dans Raoul de Cambrai^ p. 169 : Soventesfoà.
P. 25, V. 24 : AV t'estuetesmaier, ou, en conservant
le mol doter : ne te covient doter; ou enfin : pas ne
t'cstuet doter.
P. ly^ w. i^ : ens el palais plenier. Le texte de
V'enise du droiturier, dont je ne connais pas d'exemple
ainsi employé; au contraire, palais plenier est partout.
Pour lui servir en son palais plenier.
{Huon de Bordeaux, p. 1 1 •) Kic.
P. 27, V. I ^ : dormir et reposer. Le texte de Venise
dit polser, français pousser. J'aurais pu employer ce
terme en restituant :
Ens en lor chambre et dormir et pousser.
Mais je ne trouve le mot qu'un peu tard, dans une
version en prose d'un de nos anciens poèmes : Il fist
semblant de dormir et moult pousse et souffle {Miles el
AmiSj exemplaire sur vélm de la Bibl. imp., fol. 76 v®.
Antomc Verard, sans date). Au contraire, on ren-
contre fréquemment la locution dormir et reroser :
Onqes n'i pot dormir ne reposer.
(Aliscans^p. 77, y. 16.)
Notes. 351
P. 27, V. 17 :
Deriere l'uis de la chambre roiel.
Regiel se trouve déjà dans la cantilène en l'honneur
de sainte Eulalie. Roiel est dans la chanson de Parisc
la Duchesse , 2«édit., p. 25, où il rime, comme ici,
avec des mots terminés en é et en er.
P. 27, V. 27 :
De traïtor ne se puet nus garder.
Ou gaitier, comme dans Gaydon, p. 128 :
De traïtor ne se puet nus gaitler.
P. 29, V. 6 : com ert acostumés, ou, pour con-
server le mot usé du texte italien : com il l'avoit usé.
Se mes ancestres l'a ensement usé.
{Huon de Bordeaux^ p. 174.)
P. 29, v. 9 : icesdras. Le texte de Venise dit pani,
mais précédemment, p. 26, v. 23, il porie drape. Dans
le premier cas, le compilateur a conservé !e mot fran-
çais; dans le second, il le remplace par un mot pure-
ment italien, au moins en ce sens. Pan, en vieux
français, signifiait un morceau d'étoffe et ne se prenait
point au sens de vêtement.
Qui li véist ses dras desrompre et desmaller,
Et par panz et par peces aus pores ganz doner.
[Parise la Duchesse, 2^ édit., p. 20.)
La dame le conroie à un pan de cender.
(/rf.,p. 2Î.)
P. 29, v. 13, 14 : Il y a ici dans le texte de Venise
une répétition que je n'ai pas cru devoir reproduire.
P. 29, v. 17 :
S'en est issu en la sale el pavé.
Ou encore :
S'en est issu par le palais pavé.
Cf. Gaydorij p. 1 1 1 .
3)2 M A C A 1 R K .
P. ji, V. lO : cuivert nnoii. Voyez Huonde Bor-
deaux, p. 5 5 et passim.
P. 5 1, V. 21 :
... Sire, par foi vos le saurès.
Cf. Huon de Bordeaux, p. 245, v, 4 clpassim.
P. ■^l, \. 2 : qui tôt a t) juaier. Locution des plus
fréquentes. Voyez, par exemple, Gjydon, p. 180, et
Huon de Bordeaux, p. 295. Cette locution s'adapte ici
fort bien au sens du vers. Peut-être, cependant, pour
rester plus près du texte italien, faut-il lire : (jui tout
a à baillier {Huon de Bordeaux y p. 11), ou encore :
^ui le mont doit jugier {id., p. j).
P. 33, V. 7:
Maléurée, lasse se vait clamer.
Aliscans, p. 86, V. 30 :
Sovent se daime lasse, maléurée.
P. 53, V. M :
Qui l'achoisonne et dure et asprement.
On saitque lesadverbescomme<i5^r«m;/ir sont formés
d'un adjectif ou participe au féminin et du mot ment,
issu de mens, mentis [aspera mente). Dans l'ancien
français comme en provençal, quand deux adverbes
de cette classe se suivent , le second seul est complet,
et la finale ment sert ainsi à deux fins. Dure et aspre-
ment pour durement et asprement.
P. 33, v. 14:
A une part l'en mènent coicmcnt.
Ainsi restitué d'après ce vers de Gardon (p. 229) :
En cel broiliet l'cnmcnrons coicment.
C'est sans doute ce mot coiement que le compilateur
italien a remplacé par secretament.
Notes. 55^
P. 3S,v.i8:
Vers la roîne que furent tant embronc.
Enpron, du texte italien, m'a paru le même quUnbron,
qui se lit au vers 18 de la page suivante_, où il est em-
ployé au propre, tandis qu'ici il aurait, selon moi, un
sens figuré. Il peut se faire cependant qu'enpron si-
gnifie ici empressé. En ce cas, je propose de lire :
Vers la roïne qu'ont tant aïrison
Que de l'ocirre.
On pourrait même se servir ici de l'adjectif :
Vers la roïne que sont tant aïrouz
Que....
Aïrouz j dans Gaydon , p. 17, et ailleurs , se trouve à
la rime dans une tirade en on.
P. 3^, V. 19 : Sans point de raençon.
De même Gaydon, p. 301 : Sans point d'arrestison.
P. 35, V. 22 : n'est mie as autres bon.
Gaydon, p. 88 :
Volt le Auloris, ne lifa mie bon.
AuBERi LE Bourguignon, ms.fr. 860, fol. 245
vo, col. I :
François le voient, ne lorfu mie bon.
P. 36, V. 8 et 27, et p. 38, V. 4. Je n'ai pas cru
pouvoir conserver le mot çuçeson du texte italien, qui
serait sans doute jugeoison ou jugison en français. Mais
je n'en connais pas d'exemple, et il me semble que
çuçeson est encore ici une de ces simplifications d'ex-
pression si familières à notre compilateur.
P* 37j V* 7 • élurent noise et tenson.
Gaydon, p. 93 :
Qui son seignor muet noise ne tenson.
P. 37, V. 13 : vos en menés si lonc.
Ou mieux peut-être : vos traies si en lonc.
Macaire. 2J
)S4 ^ KCA\ RE.
P. J7, V. I ^ : honte (n iWrés et reprovur. C'est une
locution qui revient à chaque instant dans nos vieux
poèmes. Voyez Préface^ p. cxxix.
P. 37, V. 19 :
Tel duel en ot par pot d'ire ne j ont.
GaYDON, p. 516 :
Lors a tel duel à pot d'ire ne font.
On disait également i) poi o\ipar poiy mais dans cette
locution si fréquente on trouve plus souvent fcnt que
font, et l'image est alors beaucoup meilleure.
P. Î9, V. I :
Et si n'ont cure quels est s'estracion.
C'est ce vers ou tout autre de même sens que notre
compilateur italien a si étrangement traduit dans son
largon barbare :
Ni no sa mie de qi fila ela son.
traduction aussi absurde qu'incorrecte; caries barons
de Charlemagne ne peuvent ignorer l'origine de la
reine, seulement ils ne s'en inquiètent pas, ils n'en
tiennent pas compte, Voilû le vrai sens. J ai donc rem-
placé ni no sa mie par et si n'ont cure, locution bien
connue. Pour ^ifMi/o/j, voici des exemples qui me
justifient :
PlaiM vos oîr quels est s'astration P
vMs. fr. 1448, foi. 29) r«, col. 1.)
F^lus loin, dans le même manuscrit, on lit :
.IIII. jeans de maie estracion.
(Fol. J22 vo, col. I.)
et dans le Montage Renouart, ms. de Boulogne-sur-
Mer, fol. 182 r*, col. 2 :
Véf là un homme de grant estrasion.
P- J9i ^ ] : faire lonc sermon.
Notes. 355
KuoN DE Bordeaux, p. 281 : trop faites lonc
sermon.
P. 39, V. 4 : amendison. Voyez AliscanSy p. 212,
et Gaydon, p. 124.
P. 39, V. 6 : S'ek i a colpes,
expression empruntée au poëme de Parise la Duchesse.
Voyez notre édition de ce poëme , p. 10: Madame
n'i a colpes.
P. 39, V. 8 : Nos la respiterons, et non resplenteron
comme au texte italien; de même qu'il faut lire à la
p. 41, V. 8, respitier 2iU lieu de resplaiter.
Par Saint Denis, distli quens Brachefier,
Par itel chose dois estre respitiés.
{Couronnement Loéys, ms. de Boulogne-
sur-Mer, fol. 27 r», col. i.)
Quant por avoir est tes cors respitiés.
{Id., fol. 28 r», col. 2.)
« J étais perdu, dit le duc Naimes dàiis Aspremonty
quand Balant prit ma défense » :
A moult grant peine me pot il respitier.
(Ms. fr. 2495, fol. 103 ro.)
P. 39, V. 11 : ovraigne.
Quant voit sa gent morir à tel ouvraigne.
(Anséis de Cartage, ms. fr. 12J48,
fol. 69 v», col. I.)
V. aussi Gaydon, p. 164.
P. 39, V, 13 : regnier (royaume). On disait au
même sens règne ^ régné, regnier ou renier [regnum
regnatum , regnarium ). Les deux premières formes
sont les plus connues; la troisième l'est moins, parce
qu'elle ne revient pas à beaucoup près aussi fréquem-
ment. En voici deux exemples :
Dont vuidiés mon regnier.
{Ogier,v. 3213.)
^^6 Macaire.
Il ne a marche ne pais ne renier.
[Huon de Bordeaux, p. 7.)
P. }9,v. 18 :
De soe fille d tel vilté jugier;
à tel vilté pour si vilment, ou, avec la forme contracte,
à tel vieulè, comme dans ce vers de Huon de Bordeaux
(P- 297) •
Quant en vo vile estes à tel vieuté.
P. î9, V. 21 :
Conseil vos doin que l'aliés espargnier;
espargnier, pour conserver du texte de Venise, se justifie
par & nombreux exemples, par ceux-ci entre autres :
Faites moi pendre et au vent encroer ;
Mal ait qui m'en espargne.
{Amis et Amiles, ms. fr. 860, fol. 96
V", col. 2.)
Par le doloive furent trestuit noie,
Fors sol Noël que il ot espargnii.
{Aspremont, ms. fr. 2495, fol. 72 v\)
P. 41, v. 4 : contralier {oucontraluier).
C'est la forme ancienne ia plus fréquente du mot
contrarier. Exemples :
Je voi ici Ogierqui à me contralie.
{Gui de Bourgogne, p. j.)
Icz tu venu por nos contraloier ?
{Gaydon,p. joj.)
P. 41, V. s •■
Et si li dist : « Emperere, frans ber ;
ainsi restitué d'après ce vers de Huon de Bordeaux
(P- 299) •
S'il est ensi, empercres, frans bers ;
en supprimant \'s à'empereres et de bers , mots dont le
Notes. 357
sujet au singulier se distinguait fort bien du régime
sans cette addition.
P. 41, V. 8 : mettre en respitier (différer).
Geste bataille mettez en respitier.
{Gaydon, p. 182, v. 10.)
P. 41, V. 1 1 :
Et s'aucuns est qui ce voille noier.
Dans une situation identique, le traître Thibaut dit :
Se cest afalre voloit noier Gaydon.
{Gaydon, p. 18.)
On peut lire aussi , en restant plus près du texte
de Venise :
Et s'aucuns est qui voille i contrester.
P. 41, V. 1$ :
Mal de celui qu'osast vers lui tenser.
Gaydon, p. 22 :
Fransois oïrent lor seignor desraisnier ;
Mal soit de cet qui ost lever le chief ;
et p. 157:
Tense vers lui, et vers lui guerre enprent.
P. 41, v. 19 :
Quant voit dus Naimes le roi asoploier.
AuBERi LE Bourguignon, ms. fr. 859, fol.
1 ^6 v®, col. I :
Quant Lambers l'ot ainsi asoploier.
P. 43, v. 6 : c'ot el cuer déablie.
Ici le compilateur italien a certainement changé la
rime : c'ait le cor enbrasie n'est pas une locution du
temps, et, en tout cas, il faudrait : cet le cuer embrasé.
Peut-être lisait-on dans le texte français : c'ot le cuer
espris d'ire (car ire se trouve à la rime dans des tirades
H^ Macaii^e
en U). J'jù peosé ou'on pouvait admettre aussi la leçon
que )e propose : Sfjcairc éuit endiablé contre la reine,
ùéjhlu, Jiablie, diablerie, sont fréquents dans nos an-
ciens poèmes. Voir, par exemple, Gaydon, p. 120;
le Sure de Thebes, ms. fr. 37 j, Jol. 36 r^, col. 3 ; les
Enfances Ogier, ms. fr. 1471, fol. 64 r».
P. 45, V. 10 :
De la roinc jugler si s'asoplie.
On disait au même sens asoplier ou asoploier et
asoplir.
Charles l'eQteDt, moult en fu asouplis.
[Huon de Bordeaux, p. 6j.)
P. 43, V. II :
A lui l'amènent de samit revestie.
Gaydon, p. 182 :
Ferraut amainnent au roi.
Alixandre, p. 231, éd. Michelant :
De dras religious fu toute revestie.
P. 43, V. I J : d'un cfiier paile roê, expression con-
sacrée et oui revient à chaque instant dans nos vieux
poèmes. Voir, par exemple, Alixandre, p. 342, édi-
tion précitée.
P. 43, V. 16:
Bel ot le vis corne rose en esté.
Je m'éloigne un peu du texte, qu'on ne peut d'ailleurs
restituer en le serrant de trop près. On pourrait s'en
rapprocher davantage, mais en répétant les mots coloré
cl dcscoloré , qui , Uans le texte de Venise, terminent
ce vers et le vers suivant. On pourrait lire, par exem-
ple :
Ses vis qu'esloii rt bcl$ et colorés,
Or est tôt pales et tôt dcicolorés.
Mais mieux valait reproduire ici une comparaison qui
Notes. ^59
revient si souvent dans nos anciens poëmes. Exem-
ples :
Plus sont vermel que n'est rose en esté.
Plus est vermaille que n'est rose en esté.
(Ms. de Boulogne-silr-Mer, fol. 177 r", col. 2.)
La rose samble en mai la matinée.
iAliscans,^. 33.)
P. 43, V, 19:
Celé le voit sel prent à araisnier,
d'après Gaydon, où on lit, p. 92 :
Gaydes le voit sel prent à arraisnier.
P. 43, V. 21, 22 et 23.
II ne faut pas s'étonner d'entendre la reine dire, dans
le même temps, au roi : tu et vos. Rien de plus fré-
quent dans nos anciens poëmes. En voici un exemple
choisi entre mille :
Ramenrai toi en France à sauveté
Et tous iciaus que tu as à guier,
Se nel perdes par vostre malvaisté.
{Huon de Bordeaux, p. 104 )
P. 43 , V. 22 : Si fait au sens de tel , con fait au
sens de quel, sont des expressions dont les exemples
abondent dans tous les textes.
P. 45, V. 3 :
Ne se me vint en cuer ne en pensé.
Cf. Parise la Duchesse, 2^ édit., p. 8, v. 27.
P. 45, V. 4 : por noient en parlés , ou , mieux peut-
être, comme dansHuon de Bordeaux, /. 3 : pour noient
en plaidiés.
P. 45, V. 9 : Qui son segnor faut
FlERABRAS, p. 7 :
Qui son droit signeur faut, il n'a droit de parler.
560 Macaire.
p. 4j,v. 13 et 14 :
N'aimes Toi, s'en a le chiet crolle ,
A soi méisme a dit sans delaier;
leçon empruntée presque littcralemeni au poème de
Caydonip. 93, v. 3 et 4) :
RioUrcntcnl, s'en a le chief hocié;
A soi méismez a dit sans delaier ;
P. 4^, V. 16 : Mar verra Kalles
Gaydon, p. 163, V. 10 :
Mar vistez onques les gloutons deffaez.
P. 4S, V. 17 : cnganè. C'est une forme très-voisinc
de l'italien mgannare. Le mot le plus usité en ce sens
est (ngignur.
HuoN DE Bordeaux, p. 98 :
Sainte Marie com fui mal cngignié !
Mais dans ce même poëme, je l'ai dit déjà, on trouve
aussi cnganer :
Tant m'cnorta et tant m'ot cnganc.
(P- 29'.)
P. 4S,v. 18:
Li emperere oui douce France apent.
On pourrait lire aussi, comme dans Huon de Bordeaux^
p. 179 :
Li emperere ù douce France apent.
P. 4^, V. 22 :
Ne face d'elc faire le jugement
Je suis de près le texte de Venise. Mieux vaudrait
lire peut-être :
Que ne la face mener par jugement.
V. Huon de Bordeaux, p. 68 et 69, où on lit :
Quant d<
El ne le .
Notes. 'j6i
P. 47, V. 6 : aportent bois. On pourrait conserver
legne du texte de Venise.
Dient as pèlerins qu'il aportent la laigne
Si feront faire un fu.
{Chanson d'Antioche, II, 298.)
V. Ducange, au mot laignerium.
P. 47, V. 27 : ne me le va celant (texte italien : di
m' 0 segurement). Huon de Bordeaux, p. 89 : ne m'aies
pas celant, ou, si l'on veut : di le moi vraiement. Cf.
Gaydon, p. 78.
P. 49, V. 7 : ardoir el feu ardent y ou en feu ardent.
Ja la verrai ardoir en feu ardent.
[Amis et Amiles, ms. fr. 860, fol. 99 vo, col. i.)
P. 49, V. 10 :
Or li nains art, // traître puslens.
On lit dans Gaydon, p. 132 :
Hertaus l'angoisse, // traîtres puslens.
P. 49, V. 14 :
Et plore et plaint et ses poins vait tordant.
Cf. Huon de Bordeaux, p. 37.
P. 49, V. 15 :
Et prie Dieu cui tes li mens apant.
Cf. Gaydon, p. 310, v. 30, et passim.
Si la rime était en é, on pourrait conserver le mot
majesté du texte italien, et lire :
Et prie Dieu de sainte Majesté.
Parise la Duchesse, 2^ édition, p. 11 :
Damedeu reclama de sainte Majesté.
P.5i,v.6:
A grant merveille fu Kalles droituriers.
|62 Macaire.
C'est une épithète souvent attachée au nom de
Charlemagne dans nos anciennes chansons de geste.
Exemple :
Je sui .1. hon Kallon U droiturier.
(Aspremont, ms. fr. i^QJ.fol. 97 r».)
P. u , V. 12 et 14 , ces deux vers se retrouvent
ainsi dans la chanson d'Aliscans :
Tôt li gehi, n'i laissa que conter.
De che k'il pot savoir ne ranienbrer.
(P. 26, rec. des Anciens polies,)
P. 5 1, V. 16 et 17 :
Si corn cnçaintc de fil 0 de fille ert,
Que JCalIcmaines ot en ele engcnré.
Je m'éloigne ici forcément du texte de Venise pour
me rapprocher d'un texte français où l'on trouve pa-
reille situation :
Je sui de vos ançainte, de verte le sachez ,
Ou de fil ou de fille ..
{Parise la Duchesse, p. 19.)
Pour la locution du second vers, que Kallemaincs, etc.,
elle est commune :
Et si ai feme que jou ai espousé
Et biax cnfans qu'ens li ai engerré.
'Huon de Bordeaux, p. 8j.)
P. ^1, v. 20 ;
De ccle chose dont la vont encorper.
J'ai substitué ce dernier mot au mot calonçeràw texte
vénitien, non que chalenj^cr ou chalonger ne soit très-
français, non que son orijgine, et loin de U, lui refuse
le sens qu'il prendrait ici ; mais je ne le trouve nulle
pari employé dans nos chansons ac geste avec ce sens,
bans ce passage (ÏAnm cl Amiles, par exemple :
Ancui voidrai ma dame chalongier
Envers Hardré, le cuivert rrnoié.
Notes. _ 363
c'est le défenseur et non l'accusateur qui se sert du
terme chalongier. Au contraire, le mot encorper se re-
trouve partout au sens d'accuser, d'inculper, et par-
ticulièrement dans Gaydon :
Ce devez vos jurer,
Dont voz avez mon seignor encorpé.
(P. 41.)
Car quant vers Karle fui à tort encorpez.
(P. 226.)
Encouper n'est qu'une autre forme du même mot :
Se traïssons ne vous va encoupant.
[Huon de Bordeaux, p. 37.)
P. S3, V. 17 :
Ens en ma chambre le mist il à celé.
On trouve plus fréquemment à celée. C'est la forme
ordinaire; mais parfois on emploie la forme mascu-
line, comme dans cet exemple :
En .1. gardin, coiement, à chelé.
{Bueve d'Hansione, ms. La Val. 80,
fol. 2 1°, col. I.)
P. 53, V. 23. On pourrait lire aussi :
Adont me pristrent si me firent loier,
d'après ce vers de Huon de Bordeaux :
lluec le prist et se le fist loier.
(P. y,v. 12.)
P- 57. V. 7 :
Tos ses pechlés m'a gehis et contés.
Palenîé, du texte vénitien, et son composé apaknkr
qui se lit plus bas, v. 11, ne sont pas français; le
compilateur les a substitués à des mots tels que gehir
(avouer), acertener, acréanter :
A lui s'est lues 11 enfes confesés
Tout !i jehî, n'i laissa que conter.
{Huon de Bordeaux, p, 57.)
î64 M A CAIRE.
P. S7, V. 10 :
Si com par cle ne Ju dis tu penses ;
ou mieux pcul-êlrc :
Que mais par de....
P. S 7, V. 1 2 ; Voyez ci-dessus la note sur le vers i6
de la p. ^1.
P. S9, V. Il :
Que ne se laisse ne veoir n'esgarder.
Ou que ne se hist. On trouve les deux formes, non-
seulement pour ce verbe, mais pour beaucoup d'au-
tres. L'auteur de GjyJon, par exemple, dit, p. io6 :
Cil Dcx de gloire,
Il saut tt gart le riche duc Gaydon.
Et p. 230 :
Jhesus de gloire nos sauye tel parent.
P. S9, V. 2j : terrier (territoire).
De Bordiax virent les murs et les terriers.
{Huon de Bordeaux, p. 286.)
Vos, li viel homme, gardcrés le terrier.
[Raoul de Cambrai, p. 76.)
P. 61, v. ] : Et vueil je Votrier, ou plutôt, selon
l'expression consacrée : Bien jaU à ouicr.
P. 61, V. 12 :
Aubri ot nom
J'ai le plus souvent écrit Auberi cl compté ce nom
r»ur trois syllabes; mais parfois j'ai dû le réduire
deux et Vccrirc Aubri . en quoi i'ai suivi l'exemple
du trouvère auquel nous devons le poemc à' Auberi
te Borfiom ou le Bourguignon. Presque partout dans
ce poème le nom du héros se lit ainsi : Auberi ^
Notes. 365
ce qui n'empêche pas de lire au début de la
chanson :
Bone chanchon du temps anciennor.
Du duc Basin à la fiere vigor,
Et de son fil Aubri le poignéor.
(Ms. delà B. I.,fr. 859, fol. i.)
P. 61, V. 1$ :
Auberis sire, aies vos aprester.
HuoN DE Bordeaux, p. 149 :
Or fai dont tost, si te va aprester.
Aparilliery conréery atorner, adobcr^ s'emploient au
même sens.
P. 61, V. 24 :
Et ceint le branc, sans plus, à son costé.
Corer^ du texte italien, est inadmissible.
P. 63, V. 2 : Si se mist à l'errer.
Si pensent de l'errer.
{Gui de Bourgogne, p. 7.)
P, 63,v. 13:
D'armes se vest et d'autre garnement.
Prise d'Orange , ms. de Boulogne-sur-Mer,
fol. 54 ro, col. I :
Et bêles armes et autre garnement.
P. ()<^ , V. \ : à un pendant ou en un pendant,
comme dans cet exemple :
Le tref le roi coisist en un pendant.
{Ogier,\\, p. 405.)
P. 65, V. ^: en oiant, locution difficile à expliquer
)66 Macaire.
littéralement , mais fréquente dans nos anciens
poèmes :
Li arcevesque se leva en estant
Et lut le bricf hautement an oiant.
{Aspremont, ms. fr. J49J, fol. 69 v.)
Et a parlé hautemant en oiant.
[Idem, fol, 74 foet v.)
P. Ci, V. 20 ;
il nos vait malement,
locution fort usitée au moyen âge :
Par Deu, Ogier, or vos va malement.
{Ogier, 11, ]i2.)
En non Deu, rois, or voz vait malement.
{Gaydon, p. 11 j.)
P. 6i,v. 24:
Bien vos serai à mon pooir garans.
HuoN DE Bordeaux, p 88 :
cil Dix vous soit garant.
Qui de la Vierge natqui en Bdléant.
Idem, p. 3S :
il m'ala maneçant
Qu'il m'ociroit, ja n'iioxt garant.
P. 67, V. 1 :
D'ele ferai trestot le mien talent ,
ou encore :
D'ele ferai mon bon et mon talent.
GaYDON , p. 289 :
Faire en voloit son talent et son bon.
P. 67, V. 2 : Non fras, pour feras.
V., par exemple, Oltml, p. 2j, v. 2^.
P. 67,v. 6:
Por la foiae que je ai à guier.
Notes. 367
HuoN DE Bordeaux, p. 114:
Et tous iciaus que tu as à guier.
P. 67, V. 19 : chalengier. V. ci-dessus la note sur
le vers 20 de la p. 51.
P. 67, V. 20 : .
S'Auberis fust fervestus et armés.
HuoN DE Bordeaux, p. 149 :
Car, se je fusse fervestus et armés.
P. 69, V. 3 :
Et brandist l'anste où ot bon fer d'acier.
J'emprunte ce dernier hémistiche au poëme de
Gaydon :
La hanste prent où ot bon fer d'acier.
(P. 95,v. 6.)
P. 69, V. 5 :
Et Auberis n'ot fors le branc d'acier.
Huon de Bordeaux dit, en employant le même
tour :
Et je n'avoie fors m'espée trençant.
(P-3 5.)
P. 69, V. 8 : hom desarmés — ou desgarnis.
Huon de Bordeaux, p. 23, v. 12 :
Tu es armés et je su! desgarnis.
P. 69, V. 9 : armés et haubergiés.
Gaydon, p. 34 :
Est il encor armez ne haubergiez ?
P. 71, V. 2 : selve.
Raoul de Cambrai, p. 93 :
Ybert estoit leiz la selve foHlie.
P. 71, V. 2 et 8 : herbor. Je n'en connais pas
d'exemple, mais il se justifie par l'analogie de tenebror.
568 Mac A IRE.
P. 7''V. s:
Il s< resgarde enw'non et cntor.
GaYDON, p. 297 :
Moult 4e regarde et avant et arrier.
P. 7},v.9:
Qu'as tables erent li baron asegié.
On pourrait lire aussi :
Qu'as tables erent assis li chevalier ;
le sens resterait le même. Asseoir et asegier sont deux
formes différentes, mais leur valeur est identique.
On disait indifféremment, par exemple, asseoir une
ville ou Vassieger.
Sevoz au Mans me volez asseoir.
[Gaydon, p. 16.)
Aval les tables s'alereni assegier.
Fait le message devant lui assegier.
[Idem, p. 264, y. 1 5 et 17.)
P. 73, v. 13 : assis au disner, pour éviter une ré-
pétition.
HuoN DE Bordeaux, p. 167 :
Li amiraus ert assis au disner.
P. 73, V. 16:
Et en la char forment l'a entamé
ou empirié.
Mais en la char ne le pot empirier.
[Gaydon, p. 224.)
pour entamer. Voyez Gaydon, p. 123; Fierabras,
p. 37 ; Huon de Bordeaux, p. 1 37.
P. 73, V. 18 : Savoie en vait.
Aliscans, p. 202 :
Va a voie, desvez
Notes. ^69
P. 7$, V. 2 : qui sa plaie ont bcndé.
HuoN DE Bordeaux , p. 28 ; bandés moi ma
plaie.
P. 7 ^ , V. 1 9 : enmalolé (emmaillotté) ; on disait aussi
simplement mallolé. (Voyez celte forme dans la Che-
valerie Vivien, ms. de Boulogne-sur-Mer, fol. 129 vo,
col. 2 , et enmalolé dans Panse la Duchesse , 2^ édit.,
p. 27.)
P. 75, V. 25 ; degrans caps lefiert.
Notre compilateur italien, qui aimait les rimes
riches, aura sans doute reculé devant celle-ci.
P. 77, V. 20 : por les. IL iex do u front. J'ajoute
deux au texte italien. Rien de si commun que cette
façon de parler ;
Andui li œil 11 sunt el chief larme,
[Aspremont, ms. fr. 2495, fol. loi r^».)
P. 79, V. I :
Es chevaus montent qui miex miex à tenson.
On lit un vers à peu près identique dans Renaut de
Montauban (I, 86) :
Qui ainz ainz, qui mielz mielz, montèrent à tençon.
C'est fort probablement la locution qu'avait sous
les yeux le compilateur italien et qu'il a rendue par
celle-ci : qui tôt meio poon.
On pourrait lire encore , comme dans Caydon
(p. 282):
Es chevax montent, par fiere contenson.
P. 79, V. 3 : n'i font demorison {Ogierj II, 401).
P. 79, V. 5 :
Dont flairors ist dou mort à grant fuison.
V., pour flairors, Raynouard , Lexique roman , sous
ce mot. Le verbe issir, en provençal comme en fran-
çais, se joignait à ce substantif.
Macaire. 24
^70 Macaire.
P. 79, V. 10 : plorison {Ogier, II, 508).
On peut , si l'on veut , rapporter ici ce vers de
Huon de Bordeaux (p. 298) :
El quant le voient, grant duel démené ont.
P. 79, V. 1 5 ;
Hé ! gentis rois, ci a grant encombrier.
Sans la rime, on pourrait suivre de plus près le texte
de Venise en reproduisant ce vers d'Ogicr (t. I,
p. 22) :
Drois cmpercre, grant damage i avons ;
et même, en accommodant ce vers aux exigences de la
rime, on pourrait lire :
Drois emperere, grant damage i avés.
Mais le tour que j'emploie est plus fréquent encore
et rend la même idée.
Raoul de Cambrai , p. 44, 124, 1 50 :
Biax fix, dist elle, ci a grant destorhier.
Biax niés, dist il, ci a maie raison.
Dist l'uns à l'autre : « Ci a bel chevalier. »
P. 79, v. 21 : cobrer (texte italien pier, pigliare) se
disait des personnes comme des choses.
Parise la Duchesse, 2^ édit., p. 21 :
Et li escuier saillent à l'cvcsque cobrer.
HuoN DE Bordeaux, p. 110:
Le hanap prist, a M. mains Ta conbri.
P. 81, V. 8 : ^ui moult flairent souef {ou soui).
Plus soué flairent que baumes dcstcnpré.
[Huon de Dordeaux^p. 147.)
P. 81, V. I j : Quant fu en terre. {QuanHo fo seveli.)
Raoul de Cambrai, p. 126:
Tant que ces niés soit dedeoi terre mis.
Notes. 371
P. 81, V. 19 et 20 :
A tote gent quant je foi demander
La mort Aubri.
Demander la mort , c'est-à-dire demander compte de la
mort.
La mort mon père Fernagu te demant.
{Otinel, préface, p. VIII. j
P. 83, V. 2 : Vez moi tôt prest (V. Gaydon, p. 19,
V. 6)
P. 83, V. II :
N'estes mais dignes de corone porter.
Voyez l'expression corone porter dans Gai de Nan-
teuil, p. 26, et dans le poëme même de Macaire, p. 102.
Le compilateur ici Ta rejetée sans doute pour sim-
plifier, selon son habitude.
P. 83,v. 15:
Sus el palais, en la sale votie ;
ou , pour conserver antie du texte vénitien :
Sus el palais, en une sale antie.
Gaydon, p. 326 :
Dont l'amenarent en la sale voltie.
P. 83, V. 18:
Faite me fu une grans estoutie.
Otinel, p. 34 :
Il lur fera ja mult grant estultie.
P. 83,v. 19:
a grant vergoigne ma moillier chalengie.
J'ai admis ici , fort à regret, le mot chalengie, faute
d'en trouver un meilleur. Je crois qu'acusie (pour acusée,
comme brisie, bautisie, pour brisée, baptisée) est la vé-
ritable leçon ; mais je ne connais pas d'exemple du
J72 Macaire.
mol accusée sous celle forme (Voyez ci-dessus la note
sur le vers 20 de la p. ^1).
P. Sjy V. 20 : dont en ai Vamt irie; ou mieux peut-
être : dont ai tî cucr grant ire. Inutile de dire que la
rime n'est pas un obstacle à celle leçon.
P. 8j, V. I :
Quant li baron ont la parole oîe,
Mal de celui qui un soi mot en die.
GayDON , p. 20, V. 26 :
Quant Fransois oient lor seignor si parler,
Mal de celui qui osast mot sonner.
P. 8s,v. 17:
Et ne croi mie de nul en sois blasmé.
a El je ne crois pas (qu'en suivant mon conseil) lu
sois blâmé de personne. » C'est le sens aue j'ai donné
à ce vers. Si l'on préfère celui que parait indiquer le
texte de Venise, on peut lire :
Et n'en serai, ce cioi, de nul blasmés.
P. 8^, v. 18 : apelcs. Comme il s'agit ici d'un
duel judiciaire, j'ai substitué au mot calonçcr du texte
italien l'expression employée en pareil cas :
La vilonnic dont iestes apelés.
[Gaydon, p. a8.)
P. 8s, v. 19:
El en bliaut si soit il despoilliés.
Gerartnon plus, dans Huonde Bordeaux, n'a point
d'armes offensives lorsqu'il va au-devant de Chariot,
cl c'est ce qu'il exprime ainsi :
T'as bon haubert et çaint lebranc forbi.
Et je suis nus el bliaut sebelin.
(P. aj.)
J'ai donc substitué le mot bliaut au mol guarnelo du
texte italien.
Notes. 37;
P. 8^, V. 21 : uns plaissiés , une palissade, pour
fermer le champ de combat et limiter le parc où le
duel va avoir lieu. Astelé, du texte italien, n'est pas un
mot français sous cette forme ; mais il se peut bien
qu'on ait dit estalier d^une série de pieux, puisqu'on
trouve la forme féminine estallicre en ce sens. (Voyez
Du Gange sous stalaria.) En ce cas, il faudrait lire :
Et sor la place soit fais uns estaliers.
P. 87, V. 2 : coilli en hé (texte italien au en al).
Coill'ir en hé, on le sait, signifie prendre en haine.
C'est une expression qui revient trop souvent dans
nos anciens poëmes pour qu'il soit nécessaire de la
justifier ici. Voyez, cependant, à cause de la forme
aè, Parise la Duchesse, p. 98, à la note sur le vers 1 1
de la p. 10.
P. 89, V. I : crier un ban, ou huchier, comme dans
Raoul de Cambrai, p. 333 :
Parmi Arras a fait un ban huchier.
P. 89, V. 3 : apendus corn larron, ou, si l'on veut,
pendus comme un larron.
Je vos pandroie ausiz corn un larron.
[Jourdain de Blaives, ms. fr. 860,
fol. 113 r», col. 2.)
Il faudrait lerre dans mon texte ; mais j'ai déjà justifié
les licences de ce genre.
P. 89, V. 16 : H est sore coru.
Gaydon, p. 1 1 5, V. 21 :
Qui fièrement li sont sore coru.
P. 89, V. 17 : aconséu. Le mot prendu du texte
italien n'est point français; au contraire, on ren-
contre fréquemment aconsivre ou consivre au sens d'at-
teindre :
Renoart vise si l'ait aconséu.
{Loquiferne,ms.h. 1448, fol."28l v»,
col. 2.)
374 Mac A IRE.
Et li basions contreval descend!,
Que le cheval en chief ûconsievi.
{Gjydon, p. 10 j.)
Par les espaules a cotisa u Morel.
{Caydon, p. iSj.)
P. 89, V. 18 : nfcru.
Ogier I, 123 :
Ogiers le hastc si l'a tost referu,
P. 91, V. 1 : Cf. GayJon, p. 291, v. 3.
P. 91, V. 2 : Sainte Marie, aiu! pour a'iue, aide!
P. 91, V. j : Crans fu l'estors.
Ce mol peut fort bien s'appliquer à une lutte entre
deux combattants, à un duel. Gaydon, p. 99 :
Crans fu Vestors, c'est-à-dire la joute de Ferraut et
de Kenaut d'Aubepin.
P. 91, V. 10 : ii/i5 <y^i /or; saillis fu.
On pourrait maintenir à la rime le mot salu du texte
italien, sous cette forme ou sous la forme saillu, puis-
qu'on trouve dans le Moniage Renoart, ms. de Bou-
logne-sur-Mer, fol. 190 vo, col. i :
Tibers se haste si est en pies salus,
et , même manuscrit , fol. 209, le composé asaillu.
P. 91, V. 13. C'est pour éviter une répétition que
je m'éloigne un peu du texte de Venise. Kien de plus
facile que de lire :
En celui lieu où il estoit salus.
Mais embatu ou enbatu était un terme fort usité au
sens où je l'emploie, et il se pourrait bien que le
compilateur italien n'eût pas trouvé ce mot assez clair
pour ses auditeurs.
P. 91, V. 14 : Quant il l'ot entendu. Je garde le
sens en changeant la rime. Metu^ du texte italien.
Notes. 375
n'est pas plus français que prendu qu'on lit dans la
même tirade.
P. 91, V. 23 :
Il l'en arreste au passer d'un placer.
On pourrait lire aussi :
Il l'en arreste à un placer passer.
Voici un tour identique :
O^ier coisi à un tertre puiier.
(Og/cr, 1,155.)
Placer^ mot assez rare, se trouve par exemple
dans Parise la DuchessCy où on lit : sol placer ^ p. ^0, et
placer seulement, p. 51.
P. 93, V. 3 : Va en présent mené. J'ai justifié ci-
dessus la locution en présent (en présence). Rien
n'empêche d'ailleurs de conserver le texte :
Devant le roi le vait à présenter.
P. 95, V. 1 5 et 16. Même tour dans Aspremontj
ms. fr. 2495, fol. 105 v» :
Que faites vos que ne nos secorrez ?
P. 95, V. ij : de toi sont il lointain.
Berte as grans PiÉs, ms. fr. 1447, fol. 38 ro :
Selonc ce que ele ert de ses amis lontaigne.
P. 95, V. 23 : abatre jus. YoW Gaydon^ p. 11$.
P. 95, V. 25 : qui sor tos es poissans (nobele e so-
vran). Rien de plus aisé que de lire :
Hé ! gentis rois, nobiles et sovrains.
Mais nobiles aurait le même sens que gentis, et je ne
vois nulle part de locution identique ou analogue. Au
contraire, Charlemagne est souvent qualifié li rois pois-
sans, ou sorpoissans.
Î76 Macairf.
P. 9s. V. J7
Un contessor me mannes mamtenant.
On pourrait sans doute conserver le mot chapelain
et le maintenir i la rime ; mais un quakhe çapelan
sent trop l'italien pour ne pas me faire croire à une
altération complète du vers. Je propose, cependant ,
cette seconde leçon :
A ma confes.'^c mandés un chapelain.
Voyez confesse dans Parise la Duchesse, p. 2 1 .
P. 97, V. I : engignement. V. ci -dessus la note de
la p. 2j,v 9.
P. 97. V. 4 :
Et cil i vient volcntiers, tôt errant.
Je remplace par cette locution si fréquente celle du
texte vénitien : por talan , qui ne me paraît pas admis-
sible en la forme. Mais peut-être vaut-il mieux lire :
volentiers, non enprans, locution analogue à celle-ci :
volentiers, non envis. V. Raynouard, au mot engranl.
P. 97, v. 1 1 : hassetement.
AuBERi LE Bourguignon, ms.fr. 8^9, fol 4^ v»,
col. I :
Entre ses dens a dit bassetement.
P. 99, V. 5 : Cl orendroit se disait comme c
endroit.
HuoN DE Bordeaux, p. 140 :
Et se m'ircs chi endroit atendant.
Et même page : ichi orendroit.
P- j99. V. ç) : ci a voir un miracle de Di.
Voyez ci-dessus la note sur le vers 1 ^ de la p. 79.
J'ajoute qu'après ces mots et a on trouve le substan-
tif employé au cas régime.
P. <)(), V. \2 : et des boins et des mels.
Notes. ^77
Le mot ré [reo) du texte de Venise est inadmis-
sible. Le compilateur italien aura sans doute rejeté le
mot mel {malus), qui à ses yeux comme à son oreille
ne formait pas une rime suffisante. La forme mel se
trouve bien des fois dans le poëme de Huon de Bor-
deaux, et à la rime, et dans des tirades en é ou en er.
V. aussi Gui de Bourgogne , p. 7, et Fierabras, p. 6,
où on lit : à mêles armes. Quant à la locution entière,
elle était en usage comme li jone et II chanu, U petit
etligrant, etc. ;
De lor maus soient quite et li mal et li bon
[Chanson d'Antioche, t. I, p. 62.)
P. 99, V. 27 : tu as bien meserré. (Vu avi ben falé.)
Fait n'a jamais été français. On ne trouve que failli
et falu. Meserré rend la même idée, mais le mot, si
j'ai rencontré juste, n'était pas de ceux qui pussent
accommoder notre compilateur. V. meserrer, dans
Huon de Bordeaux, p. 198 et passim.
P. 101, V. 9 : laidement. {Gaydon, p. 175.)
P. 101, V. 1 5 : nuisement.
Que ne voz veillent faire aucun nuisement.
(Gaydon, p. 315,)
P. 101, V. 22 : Si renchauça. On peut lire sans
doute arier li vint ou après li vint, en restant plus près
du texte ; m.ais enchaucer est le terme le plus usité
en ce sens.
Et Aulaïz de prez les enchauça.
{Gaydon, p. 72.
V. d'ailleurs Raynouard, sous encaussar.
P. 103, v. 6 : tant ne (juant n'est qu'une variante
que je propose pour éviter des répétitions fastidieuses.
11 est clair, du reste, qu'on peut lire de noient.
P. 103, V. 12 : reté m'oissor.
Gaydon , p. 57 :
A com grant tort m'avoit cis gioz reté.
^7^ Macairk.
F'. 10^ V. ij, 14, ij :
Ne soie onc rois ne corone portant,
Ne mengerai onqucs i mon vivant
S'aurai de toi véu le jugement.
On retrouve souvent ce tour, par exemple dans
Gaydon, p. 9 :
Dex me confonde parmi la crois, en som.
Se mais menjuz de char ne de poisson,
Ne ne bevrai de darè, devin bon,
S'aurai tenu son cuer dedens mon poing.
P. loj, V. 22 : inprimcmânt y du texte italien, n'a
jamais été français, que je sache ; premiercmenl l'a été
de tout temps.
Dos de Nantuel parla premièrement.
Ogier, 11,406.)
P. 103, V. 25 :
Méismc d'eus ferions nos autretant.
On retrouve un vers à peu près identique dans
Raoul de Cambrai y p. 336 :
Et d'iax méisme ferai je autretant.
P. loj, V. 9 : pcnianl. {Huon de Bordeaux, p. 88.)
P. loj, V. I p aprls lui (derrière lui).
Après lui vin moult durement courant
Après celui alai esperonnant.
{Huon de Bordeaux, p. ^ . >
P. 107, V. 6 :
cil de Maience en ont grant reprovicr.
Raoul di- Cambrai, p. 187 ;
TuJt ti ami en aront reprovicr.
P. 107, V. 7 : Or luirons ci.
Or vos lairooi ci endroit de Gaydon.
Gaydon, p. a8.)
Notes. 379
P. 107. V. 8 :
Si corn ovra ot eu son loier.
On peut lire aussi : De son service ot
Gaydon , p. 224 :
De vo service aurez vostre loier.
P. 107, V. 9 : est remis. {Huon de Bordeaux,
p. 170.)
P. 107, V. 15 : jus del cheval verser , ou, comme
dans Huon de Bordeaux, p. 54 : à /^ terre verser,
P. 109, V. 13 : soletîe. V. plus loin, p. 238, v. 4.
P. 109, V, 15 : Cornent le faites? C'est le how do
you do des Anglais. On peut lire aussi : Comment vos
est? (Voyez Gaydon, p. 50.)
Ele li a demandé et enquis
Comment le fait Karles de Saint Denis.
{Anséis de Cartage, ms. fr. 1254,
fol. 2 yo, col. 2.)
Idem, ibid : avés encombrement?
V. ce mot dans Gaufre'^, p. 310; dans Otinel , p. 2
et 13 ; et surtout dans Jean de Lanson, ms. fr. 2495,
fol. 29 v<>.
P. 109, V. 2$ et 26 :
Que véoir puisse par toi séurement
Costantinoble, où sont li mien paTent.
Le texte de Venise dit : Aler en Costantinopoli , lo-
cution que la mesure des vers ne permet pas de con-
server, de quelque façon qu'on s'y prenne. Voir
Constantinoble m'a paru admissible :
Ne quit véoir Bordele, le grant cit.
[Huon de Bordeaux, p. 26.)
P. 109, V. 27 : boin loier en aient.
Ogier, II , 324 :
Autel loier alons nos atendant.
î8o Mac A IRE.
P- III, V. 12 : dcponu me paraît admissible,
quoique je n'en trouve pas d'exemple; mais ponu,
pour pondu, se trouve encore dans quelques patois.
P . m , V . 1 6 : or «f j» Dieu salut , et même salu
sans t, comme dans Ga^Joix , p. 88.
P. 1 1 1 , V. i8 : un grant bjston costu.
Prendu, je j'ai déjà dii, me paraît inadmissible; et
je dirai ci-après pourquoi je substitue coUu i quaru.
P. Il I, V. 20 : l(S cheveus borfolus.
Je ne connais pas d'exemple de ce mot.
P. 113, V. 2
Et la roîne si vait deriere lui.
On peut conserver la forme lu du texte de Venise.
A grant merveille me sera deffendu
S'encor ne trai le sanc dou corps de la.
{Giiydon, p. jj.)
Mais on trouve aussi la forme lui dans des tirades
en u. Je la rencontre plusieurs fois, par exemple, dans
le ms. de Boulogne-sur-Mer, qui contient une grande
partie de la geste de Guillaume au court nez. Elle y
rime avec /u, etc. (fol. 76], avec coru, etc. (fol. 169).
De même dans Girart de Vianne, ms. fr. 1448, fol.
7i v», col. I.
P. 1 1 3 , v. 6 : arrestéu. On pourrait conserver
arestu, du texte vénitien, et lire :
Tant sont aie, que n'i sont arcstu
Que
Mais, pour éviter ces que superposés, j'emploie la
forme arrestéu dont on trouve aussi des exemples.
Dans la même page de Raoul de Cambrai (p. 77)
on lit :
Li qucnj Ybers n'a gaircs arestu.
De ci au gué ne sont arestiu.
Notes. 381
P. 1 1 3, V. 8 : outre mer ont coru. Je n'admets pas
metu , non plus que le composé trametu du texte de
Venise. On pourrait lire peut-être : outre sont des-
cendu, en restant plus près du texte oltra forent metu;
mais descendu se trouve quelques vers plus bas. Il est
probable que le compilateur italien l'eût conservé ici
comme là, s'il l'y eût trouvé. Sans doute il aura ren-
contré une leçon moins simple, comme celle que je
propose ou comme celle-ci : la mer ont trescoru.
P. 1 1 3, V. II : parmi ces puis agus.
Raoul de Cambrai, p. 152 : parmi. i. pui agu.
P. 1 1 3, V. 18 : Sages et membrus (pour membres).
Sire ce est Robers, li sages, // membrus.
{Chanson d'Antioche, t. I, p. 28.)
P. 1 1 3, V. 20 : i/« grans et des menus.
GiRART D'Amiens, ms. fr. 778, fol. 83 :
Il fu amez des grans et des menus.
P. 113, V. 23 :
En sa main prist un gros baston costu.
Ce mot cosîUj que j'ai ajouté tout à l'heure au texte
de Venise , je le substitue ici au mot quaru, dont je
doute fort qu'on rencontre un exemple. Arrestu (d'ar-
rêter) ne semble pas, il est vrai, déformation plus
régulière, mais on le retrouve souvent. Costu, appli-
qué à un bâton, donne le même sens que quaru ou
carréj et peut se justifier par des exemples du temjjs ;
Ne toi ne t'arme ne ton baston costu,
Toute ta force ne pris pas .1. festu,
[Moniage Renoart, ms. de Bouiogne-
sur-Mer, fol. 173.)
Li un sont plat et li autre costu.
(Ms. fr, 294. v", col. I.)
On disait aussi baston cornu. Voyez Gaydon^ p. 87.
j82 M AC A I HE.
P. 113, V. 2S :
Et quicrt li ostes li soit amentèa.
i^Ei l'hôte demande qu'il lui fasse connaître.)
C'est sans doute ce verbe amenUvoir qui aura re-
buté notre compilateur, dont le vers, si c'en est un ,
est à remanier entièrement.
On lit dans la Chanson liesSaisnes^ms. de l'Arsenal ,
B, L. F. 17J, fol. 240 :
Le covenant son père li a amentiu
Que chevalier le face...
GlRART DE ViANNE, ms. fr. 1448,(0!. i94ro,
col. 2 :
On voit lou roi si l'a amtntiu.
P. 1 1 i , V. 3 et 4 : scrvu, metu, du texte italien ,
qui forment la rime de ces deux vers, sont de la fabri-
cation du compilateur. La leçon que je propose se
justifie dans ses termes principaux par un passage de
BerU as grans pUSy où l'on trouve une situation ana-
logue.
A bertain aaisier met chascunc s'cntcnte.
Elle dit à ses hôtes :
Bien m'avés rcschaufée et moult bien repèue.
Quant à la locution sus et jus y elle est souvent em-
ployée comme ici.
P. 1 1 ^, V. I j : ensi l'a il usé.
Sire, dist Hues, je ne l'ai mie usé.
' Huon de BordeauXy p. 96.'
P. 1 1 S, V. 18 : cil (]ui m'a à garder y ou à guier.
P. 1 17, V. 3 cl p. 121, V. 4 :
S'agiut la dame d'un moult bel iretier...
D'un fil s'agiut qu'au mostier vai portant.
Le texte de Venise porte : Cella dame varlori. —
Cti enfant a partori , du latin parturire. L'italien a
Notes. 383
conservé ce verbe sous la forme partorire; mais ja-
mais, que je sache, il n'a passé ni en provençal ni en
français, oîj l'on ne trouve que le substantif part (de
partus). Au contraire, l'une et l'autre langue ont au
même sens ajazer et agesir. Pour ajazer, voyez Ray-
nouard , III, 583. Quant à agesir, voici un exemple
qui le donne sous la forme même où je l'emploie :
D'un fil s'agiut, s'ot non Guillaumes.
{Philippe Mouskes, cité par Sainte-Palaye,
au mot agiut.)
P. 1 17, v. 17 :
Puis quant ce vint qu'ele dust relever;
ou , avec la diérèse : que dèust relever.
Je restitue ainsi le vers assez obscur du texte vé-
nitien, en imitant un vers de Parise la Duchesse :
Quant vint li termes que dèust relever
[Parise, p. 28, 2^ éd.)
Je n'ai pas besoin de justifier le tour si connu :
quant ce vint que
P. 121, V. 14 :
Sor destre espaule une crois blanchoiant.
Je substitue blanchoiant à blanc que porte le texte
de Venise , parce qu'il faudrait blanche, que la rime
rejette. Je doute qu'on ait volontiers employé blanc
pour blanche au moyen âge. J'en puis cependant citer
un exemple :
Mais il n'i a pain ne vin ne forment,
Fors .11. gastiaus et .1. mice blanc.
(Prise d'Orange, ms. de Boulogne-
sur-Mer, fol. î4ro, col. i.)
Mice blanc pour miche blanche; mais fallait-il suivre
cet exemple ?
P. 121 , v. 18 : estre à bautisier ou au bautisier,
selon le cas.
Là ot enfant ; g'i fui au bautisier.
{Raoul de Cambrai, p. 31e.)
j84 Macaire.
P. 121, V. 20 : Se Diex me soit aidant. Locution
qui revient deux ou trois fois dans chaque tirade en
ant du poème de Huon de Bordeaux,
P. 125, V. i :
D'cmpcrcor corn se fusi irctiers,
ou : com se fust engenrès.
ALISCANS, p. 109 :
Renoars sui, engendré fui d'un roi.
P. 125, V. 7 :
L'evesques chante la messe hautement.
{Raoul de Cambrai, p. 14J.)
P. 12} , V. 8 : mestier^ service, office divin.
Raoul de Cambrai , p. s^ '
Et si faisoicni le Damedicu mestier.
Pariant d'un évêque :
Si se rcvesl por faire le mestier.
[Idem, p. 7.)
P. 123, V. 14 : rengenerer.
De saint baptesmc se fist rengenerer.
{Aspremont^ ms. fr. 249 j, fol. 124 r«.)
P. 125, V. () : de son droit nom.
Huclins est par droit nom apclés.
{Huon de Bordeaux, p. 77.)
P. 12^, V. 17 : <]uin:e jors ajornés.
GayDON, p. 37 et 186 : toute jor ajorné. — Autre
jor a)orne.
P. 127, y. I :
Si vuet venir i son gent cors parler.
Cf. Huon de Bordeaux, p. 95, v. 13.
P. 127, V. 2 : Et ne le yod vier^ ou : de gré et vo-
Untiertf ou CDCore ; bu fait à otner^ toutes locutions
Notes. 385
de même sens et qui reviennent presque à chaque page
dans nos anciens poëmes.
P. 127, V. 14 et 15: bien veigniés! — hien soies !
{Huon de Bordeaux, p. 13, v. 34.)
P. 127, V. 24 :
Por amor Dieu, le voir justicier.
J'ai répété le voir justicier du texte italien; mais
mieux vaudrait lire peut-être/^ verai justicier , comme
dans ce vers de Raoul de Cambrai (p. 1 1 1) :
Dieu reclama, le verai justicier.
On trouve toutefois, quoique plus rarement, des
exemples comme celui-ci :
Et croi en Damediu, le vrai justicier.
{Fierabras, p. 13.)
A l'origine, sans doute, le second i a compté dans
la mesure, mais de bonne heure on l'a néglige.
P. 127, v. 25 et 26 :
Si com commère qui pas ne doit boisier
A son compère mentir ne losengier ;
vers restitués d'après ceux-ci :
Cil de Nerbonne qui aine ne pot boisier
A son signeur mentir ne losengier.
{Aliscans, p. 248.)
P. 129, v. 10 :
De mon reaume si me fist il geter.
On disait aussi bien en pareil cas geter que chacier:
Et tos mes oncles de la terre chacier.
{Raoul de Cambrai, p. 73.)
Por tant firent la dame de la terre geter.
[Parise la Duchesse, p. j2.)
P. 129, V. 15 : mahaistié.
Macaire. 2 j
^86 Macaire.
HuON Dt Bordeaux, p. 87 :
La voit on bien qui a fait mauvaisté.
P. 1 50, V. 2 :
Il semble qu'après ce vers le copiste italien en ail
omis un dont le sens était : « // se battit. < Ce qui
me le fait croire, c'est le mot cun (avec) par lequel
commence le vers suivant et dont je ne tiens pas
compte dans ma restitution.
P. iji , V. 4 ; 4 respié amolé , ou amoUii. On
trouve un exemple de cette seconde forme dans Du
Cange, sous le mot amollare; mais on y trouve égale-
ment amolarc , qui permet de croire (\\iamoU a été
aussi en usage. Peut-être le texte français portait-il :
al branc forbi d'acier. Voyez p. 1 36, v. 9.
P. I j I, v. 6 : S» m'en fui.
HuoN DE Bordeaux, p. ^, v. i ;
si s'enfuttous scus...
{Fierabras, p. 6^.;
P. 1 ji, V. 1^ : mes estres (ma situation).
Lor couvine etlor cstrc enquérie et demander.
Jierabras^ p. 6j.)
P. 131 : V. 17 :
Por moi vorra chevaliers envoicr.
On disait même envo)er pour quelqu'un ^ sans régime :
Car faites tost por Guiot cnvoicr.
{Caydon, p. i8i.
P. 131, V. 22 :
Et que ses père Costantinoble tient.
1! est manifeste qu'ici le compilateur italien a refait
en entier le vers français qu'il avait sous les yeux. A
mon tour, je prends avec lui la même liberté. Voici
les exemples dont je; m" et pour la rime et
pour la locution tenir Cou jlc :
Notes. 387
Jules César, selon la légende de Huon de Bor-
deaux, était l'un des prédécesseurs du père de Blanche-
fleur, c'est-à-dire qu'il régna àConstantinople.
Constantinoble tint // tôt son éaige.
{Huon de Bordeaux^ p. r.)
L'auteur du même poëme fait rimer vient (p. 12) et
souvient (p. 13) âvec fier, pitié, mesagier, grasiiés, etc.
Il y a grande apparence que tient ne rime pas plus mal
avec vérité, crestienté, envoier, etc.
P. 131, V. 24 : bien trovée soies. Cf. Huon de Bor-
deaux, p. 119, V. 34.
P. 1^3, V. I : d'Ongrie.
On disait indifféremment de Hongrie ou d'Ongrie.
An la terre d'Ongrie sont en un bois entré.
[Parise la Duchesse, 2^ édition, p. 24.)
Et rois fu de Hongrie s'en fu sire clamez.
[Id., p. 26 et passim.)
Honguerie est , selon toute apparence, la forme pri-
mitive. Voyez cette forme dans Gaufrey, p. 2^2 et
passim.
P. 1 33, V. 20 :
Dire et conter trestot le covenant.
Covenant, aventure, affaire, situation.
Huon de Bordeaux, p- 91 :
Or VOUS ai dit trestout mon convenant.
MONIAGE Rainouart, ms. de Boulogne-sur-
Mer, fol. 194 fo, col. I :
Mairefer fu en son cuer mult dolant
Quant de son père entent le couvenant.
Ibid., col. 2 :
Dist Mairefer : « Corn vos est covenent ? »
Cf. Macaire même, page 134, v. 12 et 13.
588 Macairk.
f^ 15$, V. 2 : trj'ittemem.
Gaydon , p. 120 : à tort , tràUrtmtnt.
\\ iM,v.3 :
Dont l'empercre cui France est apcndant.
OCIER, t. Il , p. 398 :
Et Babiloine i lui est apendant.
P. 135, V. 6 : dinson taknt.
Bien pois, frère, dire vostre talent.
(Foulque de Candie, M$. de Boulogne-sur-Mer.
1 5 5 , V. 1 0 : i^uant sont à terre.
V. Huon de Bordeaux, p. 8^, v. i j.
Idem, iHd. : il se Iraient arant. OtiNEL , p. 11 :
se tret RoHans avant.
P. 13^ V. i^ :
En son pa!aij les mande à parlement.
Gaydon , p. 263, V. 4 :
Comment Claresme le mande à parlement.
P. 13^, V. 16 :
D'oîr noveles lor enquiert et demant.
Gaydon, p. 95 :
Fenaus li a demandé et enquis.
P. 137, V. 4 :
Si Ctnchâr^a ad un saen chevalier;
ou encore : 5« la chargea.
Raoul de Cambrai , p. 140 :
Je vos charchai mon enfant I garder.
P. I 37, V. 16 :
Voit sor s'espaule une crois blanchoier.
L'auteur a dit plus haut, p. 120, v. 14, que la
croix éuil blanche ; j'ai cru pouvoir le répéter ici ,
Notes. 389
m'autorisant d'ailleurs , pour le tour que j'emploie ,
d'exemples comme ceux-ci :
De sa cité voit les murs bianchoier.
[Aimeri de Narbonne, ms. fr. 1448,
fol. éj ro, col. 2.)
Si que les àenz véissiez bianchoier.
{Qîinel, p. 52.)
On disait de même :
... Li sans que ci voi rougoier.
[Raoul de Cambrai, p. 69.)
P. 1 39, V. 9 : hautement mercier, on gracier, comme
au texte de Venise.
P. 139, V. 16 :
Que por ma fille manderai à estros.
J 'ai à peine besoin de dire que la locution à estros j t
mêmcià estrous, n'est pas déplacée à la rime dans un
tirade en or. On l'y trouve cent fois.
P. 139, V. 18 : Mais ne f aura guerre. « La guerre
ne manquera pas, » c'est-à-dire : « Je ne manquerai
pas de faire la guerre à l'empereur. x>
Ne faudra guerre vers lui tout mon aé.
[Gaydon, p. 27.)
P. 141, V. 17 : en nef corant (en un legno corant).
Legno, au sens de navire, est purement italien.
P. i^i, V. 20 : de par le roi de Hongriç.
Alez à Karle, ditez lui de par mi.
(Gaydon, p. 177.)
P. 143, V. 14 : contre lor vait corant, c'est-à-dire :
court à leur rencontre, au-devant d'eux.
Contre 11 sont aie si ami et si dru.
[Renaut de Montauban, I, 201 ,
rec. des Anciens poëtis.)
50O Mac Al RE.
P. 144, ligne 1 et 2.
Je supplée par conjecture la rubrique omise dans
le manuscrit.
P. 14^, w. \ : de pailc et de cendel , ou de cendé.
P. 14^, V. 16 :
Et BlanchcfioT où il n'ot qu'enscgncr.
Il m'était facile de lire, en suivant de près le texte
de Venise :
Et Bljncheflor, qui tant ert preus et ber ;
mais preus et ber surtout me paraissent convenir à un
homme beaucoup mieux qu'à une femme; et d'ailleurs
ICI il ne s'agit pas des vertus, des qualités que ces
deux mots expriment, il s'agit bien davantage de re-
connaissance, de politesse. La locution où 1/ n'ot
quemegner me semble mieux en situation; elle s'ap-
plique à une personne bien apprise, qui a de bonnes
et belles manières, et c'est ici le cas de s'en servir.
P. 147, V. 9 : <i icel jor que. C'est par ces mots qu(
débute la chanson d'Aliscans.
P. 149, V. 2 : nel porroient durer (pour endurer).
P. Î49, V. 17 : acrianter ou, si l'on veut , acerUner.
P. 149, V. 21 :
Mais elc a moult envers lui mcscrré.
Raoul de Cambrai, p. 6j :
Por quoi ont il envers moi mcserré '
V. encore Cajdon, p. ^8.
P. isi, V. 4:
Se il la fa it par )ugcmcnt mener.
HuoN DE Bordeaux, p. 69, v. i :
El ne le veut par jugetneni mener
Notes. 391
P. 151, V. 7 :
Mais la roïne qui la nori souef.
Cette expression , que je substitue à celle du texte
de Venise : ^e l'avoit élevé , revient souvent dans nos
chansons de geste, et notamment dans Huon de Bor-
deaux :
A nostre mère qui souef nous nori.
(P. 19, V. 9.)
A la ducoise qui Pot nouri souef.
(P. 72, V. 9.)
Car vostre père me nori bien soé.
(P. 93, V. 8.)
Gaydon, p. 26 :
Je voz norri, petit anfant, soef.
P. 151, V. 8:
Chis savoit de sa dame le cuer et le penser.
{Charles le Chauve^ ms. La Val., 49.)
P. 1 5 1, V. 1 1 :
Bien conois celé qu'en mon ventre ai porté ;
ou , si l'on veut : en mes flans, comme dans ces vers
de Parise la Duchesse (p. 37, 39, 2^édit.) :
Ne la mère ausimant que à ses flans t'a porté.
Et conoistrai la mère qu'ew ses flans m'a porté.
P. I ^ 1 , V. 13 : Nés por tôt l'or de Dé.
Pour tout l'or de Dieu, c'est-à-dire pour tout l'or
du monde. On pourrait lire aussi : Nés por trestot l'or
Dé. Mais à l'époque où fut composé notre poëme ,
tantôt on supprimait, tantôt on exprimait la prépo-
sition :
Por tout l'or Dieu n'aroit il garison.
{Raoul de Cambrai, p. 115.)
P. 151, V. 19 :
Mal fait li rois, quant la blasme, et pechié.
>92 MACAiRt.
Caydon, p. îs :
a Sirf vassal, mil faites et pechié,
o Quant vos le duc blasmez ne laidengiez. m
P. ijî, V.4 :
S'ele gehist, mar fu «es gens cors nés !
HuoN DE Bordeaux, p. 9^ :
Se ne volés à son gtnî cors parler.
P. I ^j, V. 8 : pesmc renoU, cri, du texte de Ve-
nise , est sans doute là pour hlrlûquc , qui en vieux
français était hcrcgc ou cnlc.
P. 153, V. 22 : doUreuse vengeance.
Si avérés un dolerous loier.
{Montage Rainouart, ms. de Boulogne-
sur-Mcr, fol. 181 r", col. 2.)
P. i ^4, V. 16 et 17 :
On ht ces deux vers ainsi dans le manuscrit. Il y
manque évidemment un verbe [je suis allé) pour en
compléter le sens.
P. \ss, V. s ■
Bien ert Kallon vos mesages contés.
ALlSCANS,p. 72, V. 2 j :
Au roi sera mes mesages contés.
P. iss,v.6:
Congé demande et si s'en tome arier.
HuoN DE Bordeaux, p. 72, v. 24 :
Dont s'en torna s'a congic demandé.
P- 1^9. V. ij : Jerusûlan y ou Jerusalant , comme
dans ce vers d'Aspremont :
Et Moydas qui tint Jerusalant
(Ms.fr. 249J,^ol. 9} fo.)
Notes. 393
P. 1 59, V. 21 : hom de conseil plus grant.
ASPREMONT, ms. La Val. 123, fol. 1 r», col. i :
Karle apparut qu'il iert de conseil grant.
P. 161, V. 1 :
Qui en vos se fie, bien puet estre certains.
J'ai à peine besoin de dire que (jui en ne doit for-
mer qu'une syllabe . Les exemples de ce genre abon-
dent, et ce serait vouloir renchérir sur les meilleurs
trouvères que de ne pas s'en autO'*iser.
P. 161, V. 4 :
En vos auroit eu boins chapelains.
Ce tour est très-fréquent dans nos anciens poëmes :
En Rocoul ot mervillous chevalier.
{Raoul de Cambrai, p. 114.)
P. 161, V. 6 : Ce disl U dus Naimon.
Il faudrait Naimes, je le sais, mais je sais aussi que
la chanson de Roland elle-même contient des licences
de ce genre.
P. 161, v. 19 : par en faire son bon, locution bien
connue, et particulièrement employée quand il s'agit
de désirs amoureux.
P. 161, v. 21 : desevroison. {Gui de Bourgogne ^
p. 30.)
P. 163, v. 3 : entresi que. {Fierabras, p. $1, etc.)
P. 163, V. 10 :
L'emperéor et dire et conter.
Je maintiens cette locution si fréquente et dire et
conter, en dépit de l'hiatus, qui ne fausse point le vers,
selon moi, amsi que je l'ai déjà dit ci-dessus (note sur
le vers 23 de la page 7). Rien ne serait plus facile
d'ailleurs que de substituer ici au mot conter le mot
394 Macaikk.
iicvtur qui le remplace parfois , comme dans c?t
exemple :
Mais tant vos voil et dire et dévisser.
[Loquij:rne, ms fr, 1448, fol. 29 j r^, col l.)
P. i6j, V. 14 et suiv.
Ici le bon duc Naimes, donnant un conseil à l'em-
pereur, lui dit : Voici ce que |e ferais; puis il fait
parler l'empereur lui-même sans que la tr.msition soit
indiquée.
P. i6j, V. 20 :
Et s'amendisc vuct d'cle demander.
Raoul de Cambrai, p. 120 :
Por Camcndisc poi avoir maint destrier.
P. 167, V. 7 : cnlroblur.
HuoN DE Bordeaux, p. 18s :
Ses prisonniers n'a mie entroubliL
P. 169, V. 4 : Sel prcnt à apclcr.
Je pouvais lire comme au texte : Si li respont arier;
mais aricr termine encore le vers suivant.
P. 173, V. 8 : roion. {Gui de Bourgogne, p. 30.)
P. I7j,v. 18:
Chacie l'ot com on fait le larron;
ou, si l'on veut :
Banie lot à guise de larron.
P. 17J, V. 19 : Sore li misl. Il lui mit sus, il lui
imputa, il la chargea de.
Gaydon, p. jo :
Mis m'ayez sore que je fiz la puison.
P. 17^, y. 22 : de l'or d'Arage, {à' Ar3b\e) ou
d'Arabe.
... el bon destrier d'Arrabe.
I Inurdain de Blaires. Ml fr. 860, fol. 1 i<' 1
'Ol 2 )
J
Notes. 395
P. 179, V. 9 et 10 : J'emploie la forme de salu-
tation la plus fréquente :
cil Damediex qui le mont estora
Saut la contesce et ciax que amés a.
[Raoul de Cambrai^ p. 11.)
Cil Damedieus qui tout a à jugier
Il saut et gart l'evesque droiturier.
(/^.,p.é.)
P. 191, V. 2 :
Costantinoble qui tient et tôt Ponor.
C'est ici une forme très-usitée au moyen âge :
Il tint Aufrike et tôt le règne grant.
[Ogier, H, 398.)
Et de Huon, le nobile guerrier,
Qui tint Bourdele et le grant iretier.
(Huon de Bordeaux, p. 2.)
P. 193, V. 3 :
Dex les confonde, l'aitismes criator.
A qui me rappellerait que criator est la forme du
régime, je répondrais en invoquant l'exemple de plu-
sieurs trouvères, et notamment de l'auteur de Gaydon :
Si m'aït Dex, li verais criators.
(P. in.)
Criators avec une s , pour voiler la faute apparem-
ment. Mieux vaut, je crois, la laisser paraître que
d'y ajouter encore par cette addition malencontreuse.
P. 193, V. 20 :
Dolor en ai et mautalent et ire. ''
Il n'est pas rare de voir cette finale ire à la rime
dans des tirades en ie. Exemple :
Amont l'en dresce par moult grant druerie,
si li pardonne son mautalent et s'ire.
[Gaydon, p. 326.)
5 06 M A C A I R K .
El plus bas , même page :
CayJon appelle, si li a prins à dire :
a Caydes, biax sire, nel me celés vos mie.
P. I9i, V. 6 : Blancheflor (texte italien: Blançi-
jlon). Les trouvères faisaient parfois fléchir, pour les
accommoder aux besoins de la rime, les désinences des
noms communs et même des noms propres. C'est ainsi
que l'auteur de Gardon appelle une fois son héros
Gaydur; mais celui de Macairc n'était pas obligé ici
de modifier le nom de BLinchcfloTy les mots en or
étant parfaitement admis dans les tirades en on. C'est
donc le compilateur italien qui a imaginé la forme
Blançijlon.
P. 195 : V. I ^ : paoniers. V. DuCange, vo Pedo.
P. 199, V. ^ : prodon. Il faudrait prodommc ; mais
les licences de ce genre se trouvent dans les meilleurs
textes.
P. 199, V. 9 : Ains qu'il soit esclairiê. {Huon de
Bordeaux f p. 16^.)
P. 199, V. 12 : demainne treff la tente impériale.
Cel demainne tref. [Gaydon , p. j , v. 1 1.) On disait
au même sens : maistre trej , tref maior.
Et Kallemaines fu en son tr^ maior.
{Aspremonty mj.fr. 249 J, fol. 101 r«.)
P. 201 , V. 6 :
Cil de Maience font moult à resoingniet.
Gaydon, p. 167 :
Cil emperere fait moult à resoingnicr.
P. 201, V. 8 et 22 :
Fors cel roi qui Constantinoble tient
Cil dou roi cui Constantinoble apent
Notes. 397
Ces deux vers sont mal coupés , je l'avoue , mais on
en trouverait aisément de pareils dans nos meilleurs
poèmes. Exemple :
Par qui est toute créature vivant.
Dans le second vers, Costantinoble devrait prendre
Vs, signe du sujet; mais cet s disparaissait souvent
pour obéir aux exigences de la mesure.
P. 202 , v. 10 :
Le personnage nommé Floriadent prend plus bas
(v. 20) et plus loin (p. 206 et suiv.) le nom de Flo-
riamont. Je n'ai pas cru devoir lui conserver ces deux
noms, je me suis arrêté au premier.
P. 203, v. 21 :
A grant merveille fu li Griés orguillos.
Li Griés, le Grec, le chevalier grec. Je m'autorise,
pour le désigner ainsi, du passage où Alberic de Trois-
Fontaines a résumé ce poëme.
P. 20$, V. 7 : ,
Donc oïssiés des cous moult grant tabor.
Tabor au sens de bruit, de tapage. On le trouve par-
fois ainsi employé , par exemple dans ce vers du
poëme d'AUxandre :
Dusc' à l'aube aparant lor dura cis tabors.
(P. 287, éd. Michelant.)
P. 205, v. 10 : dou chief blos.
Roman d'AUxandrc, p. 270 : del aval le fait bloas.
P. 21 1, v. 4 :
Com s'éussiés esté une s'amie ;
tour analogue à celui-ci :
Je lor ai mort un lor prochain parent,
{Raoul de Cambrai, p. 336.)
jçS Macaire.
P. 211 , V. Il : // pardoncr vostrt trc. {Cajdon,
p. )26.)
P. 21 1, V, I ;
Se lot premier n'en ai vcngancc prise
Ce dernier mot est très-admissible en rime dans
une tirade en ie.
P 2r2, V. 27 : l'inperer Cleramon.
C'est la seule fois que l'auteur désigne par son nom
l'empereur de Constantinople. Il s appelait Kicher
dans la seconde version analysée par Alberic de
Trois-Fonlaines.
P. 213, V. 6:
En moi n'avé5 chevalier, ains garçon.
J'ai dû substituer garçon au moi poltron du texte
italien. Je ne retrouve pas ce mol dans nos chansons
de geste, mais bien celui par lequel je le remplace.
Dans le poème de Renaut de Montauban ^ par exem-
ple, le père des quatre fils si connus leur dit :
N'estes pas chevalier, anccis estes garçon.
(Renaut de Montauban, t. I, p. 142,
recueil des Anciens Poètes.)
P. 21 j, V. 7 : calon, du texte de Venise, est pu-
rement italien {gallone , flanc, côté . On peut lui sub-
stituer le mot français giron, et lire :
Mais se vos plaint de me ceindre au giron
Le branc d'acier.
Ogier , II , i4i :
Puis irait Cortain qui li pent au giron
P. 2 1}, V. 17 : Si m'avoia. Avoier s'employait nu
même sens que convoier. Voyez Raoul de Cambrai,
P 2^7-
P. 21^, V. 4 :
Qu'en lui rois Kalles aura mau compaignon.
Notes. jI99
Voici un tour identique :
Cil chevals a en vos mal compaignon.
{Aspremonî, ms. fr, 2495, foi. 1 19 v«.)
P. 21 ^, V. 12 :
Quant Varochers se vist si atorner.
Cf. aydon, p. 226, v. 25.
P. 219, V. 15 : enrecoij bêlement.
ASPREMONT, ms. fr. 249s, fol. 101 vo :
Dist l'uns à l'autre coiement, en recoi.
P. 219, V. 19 : par delez un pendant;
locution tirée textuellement de Raoul de Cambrai j
p. 158.
P. 219, V. 20 : le trait à un arpent. On disait
beaucoup mieux : le trait à un archer, — le trait à un
bongon (ou bouzon). Voyez, par exemple , Gaydon,
p. 81, et Ogier, II, 543. La meilleure leçon ici
serait peut-être celle qu'on peut tirer du vers ci-
après :
La terre en crosle environ un arpent.
{Gaydon, [). 113.)
P. 220, V. 6 : lo somiant {somigliante), le sem-
blable, la même chose.
P. 221, V. 19 : s'en est errant tornés.
HuON DE Bordeaux, p. 173 : errant s'en terne.
P. 225, V. 5 : en of des iex lermé.
ASPREMONT, ms. La Val. 123, fol. 3 r% col. 2 :
Savez quel chose li fait les iaulz lermer ?
P. 225, V. 8 : <î nul fuer (à aucun prix).
Si j'avais reproduit littéralement le texte italien , le
mot tens se serait trouvé répété dans deux vers con-
sécutifs.
P. 22^ , V. 20 : les escus bouclés^ ou bouclers. Cet
400 Macairk.
adjectif désigne la boucle oui faisait saillie au centre
de l'ècu. Boucler ou bouclier, employé substantive-
ment, remplace le mot êcu.
P. 227, V. 12 : Si est remese.
Amis et Amiles, ms. fr. 860, fol. 109 vo, col. 2 ;
Remese fuisse, je! vos di sans fausser...
P. 229, w. 2 : ne viels ne jones hon.
Est Agolans ou viels ou ioncs hon ?
[Aspremont, ms. fr, 249$, fol, ji y.)
P. 229, V. 6 : m Dieu criant.
Puis ne vi homme qui fus! en Dieu créant.
{Huon de Bordeaux, p. 89.)
P. 229, V. 17 :
L'un mort sor l'aulre verser et trcbuchier.
Ce vers se retrouve textuellement dans presque
toutes les chansons de geste, et par e.xemple dans
Amis et Amiles, ms. fr. 860, fol. 94 v^, col. 2.
P. 2J0, V. I ^ :
L'aubers fu bon, que ne! pot empirer.
Le texte italien porte daner ( damnare , endom-
mager), que l'on peut conserver si l'on veut :
Ja par nulle arme ne fust le jor dampnie.
{Gaydon,p. n,v.4.)
mais ce mot était d'un usage rare; empirer est l'ex-
pression usitée en pareil cas,
P. 2}}, V, Il : Me le resdnle. {Huon de Bordeaux,
p. 81.)
P, 233, V, 13 :
Chier li ferai à mon branc compeier.
On disait fort bien : chier li vendrai; mais aussi bien
et aussi souvent : chia- h ferai comperer ou achaler.
Notes. 401
P. 233, V. 20 :
[Que flors et pieres en fait jus craventer,]
Je supplée ce vers, omis sans doute par le compi-
lateur, et qui se retrouve textuellement dans presque
tous les récits de combats.
P. 235, V. I : raviser. {H uon de Bordeaux, p. 131.)
P. 237, V. 27 : Qu'il espenisse le mes/ait.
Desor païens là t'espenéiras.
{Aspremont^ Ms. fr. 2495, fol. 85 v».)
P. 239, V. 3 : m^ vie aler querant , ou mieux peut-
être : m'en aler mendiant.
P. 239, V. 18 : entrencontré. {Gaydon, p. 46, v. 4.)
P. 239, v. 19 : N aimes et Isorés. Je substitue le
nom bien connu a'Isorés à celui de Salaire qui reparaît
au vers suivant.
P. 243, V. 8 :
De deus vassals, sol à sol, en un pré.
Otinel, p. 8 et 9 :
Mes car alons le matin en ces prez,
Tout seul à seul.
P. 245, V. 4 : d'aler ou champ. V. Huon de Bor-
deaux, p. 50, V. 34, et 51, V. I.
P. 245 , V. 1 2 : Qui la fera ? — Faire la bataille est
une locution habituelle. Voir cette expression à la
page 244, vers 4 , oii je l'ai rejetée parce qu'elle ne
s'adaptait pas à la mesure du vers.
P. 247, V. 3 :
Par foi, dist ele, vos estes fos provés.
On peut lire aussi : vos estes forsenés, en restant
Macaire. 26
402 Mac Al RE.
plus près du texte; mais l'autre leçon est peut-être
plus fréquente ;
Dist l'amirés : « Te sire est fos provés. »
[H uon de Bordeaux, p. 172.)
P. 2 p, V. 8 : cmptrid pour empcrial ^ comme roui
pour roial^ mcl pour mal ^ etc.
P. 2p, V. 14 : totevoie. Locution qui a le même
sens que toutefois, sans avoir la même origine.
P. 2 p, V. 22 :
Por Varocher est en grant sospeçon.
GaYDON, p. 292 :
Moult ai esté por voz en souzpeçon.
P. 2^, V.4 :
Et le bon branc a ceint au lez selonc ;
ou encore :
Le branc a ceint au senestrc giron.
P. 2 ^ j , V. 21 : et or cuit et mangons.
Gaydon, p. 29^ :
Chargié un mul d'or fin et de mangons.
P. 2^1 V. s :
Sire cmpercrc de France et de Loon.
Je lis Loon (Laon), et non Lion ou Lyon, comme au
texte de Venise. Un Italien devait mieux connaître
Lyon que Laon , et de là la substitution que jc
suppose.
UAYDON, p. SS •
Rois cuidai icstre de France et de Loon.
P. 2^ j, V. 21 : JU lez senestre en son.
Celte expression en son est souvent employée
d'une manière purement explélive. Voir les exemples
Notes. 403
cités par M. Cachet dans son glossaire, au mot son.
Quoi qu'il en soit_, mieux vaut lire peut-être :
Ceinte a Courtain au senestre giron.
P. 257, V. 4 : nd se contint pas mu , locution tirée
textuellement de la chanson d'Asprcmont (ms. fr.
2495).
P. 257, V. 19 ; entreferu.
Otinel, p. 41 : ïentrefierent.
P. 261 , V. 3 :
Vers sarrasins s'en vont iréemant.
[Aspremont, ms. fr. 2495, fol. 106 v».)
P. 265 , V. 16 : Vafairc tôt entier. Affaire, comme
l'on sait, était du genre masculin.
P. 26^, V. 17 : de chief en chief.V. Raynouard,
Lexique^ au mot Cap^ II, 318, col. 2.
P. 275, V. 18 :
Et vers ma fille esploitié laidement.
Je n'ai pas dû répéter loiaument ou desloiaument
dans trois vers successifs, comme au texte de Venise ;
j'ai remplacé ici desloiaument par laidement , comme
m'y autorisait ce vers de Gardon (p. 175) •
Emprisonner ne l'ait fait laidement.
P. 275, v. 25 :
Ad un fil d'or sa crigne vait nouant,
ou encore : ses crins vait accsmant. ( Cf. Gui de Nan-
teuil , p. 24.)
P. 279, V. 19 : aclin vos erent. V. Raynouard,
Lexique, au mot aclis.
P. 287, V. ^ : poon. C'est la forme la plus fré-
quente du mot paon. Elle est à ce mot ce que sooler
est à saoler.
404 Macaire.
P. 287, V. I i : damiUon. {Gaydony p. 2j^.)
P. 289, V. I I : Sj merc Blanchefur.
J'ai usé ici d'une licence analogue à celle dont je
trouve un exemple dani> le pocme de Gaydon. L'au-
teur, pour le besoin de la rime, a fait une fois fléchir
le nom de son héros en Gaydier (p. 272).
P. 289, V. 20 : Si me li lut parler (mihi licuit).
P. 289, V. 22 : longues (longtemps).
Gaydon, p. 120, 168 :
Ne puet longues durer, — se longues vit.
P. 291, V. 7 : Kallemaines li ber. Voyez cette ex-
pression ci-apres, p. 307, dans la seconde version de
notre poème.
P. 291, V. 14 : acorde. {Raoul de Cambrai, p. 222,)
P. 291, y. 22 : le trait à un bouzon ; c'est-à-dire
que les deux empereurs s'avancèrent chacun à la
portée du trait nommé bouzon , en avant de leur
camp.
P. 29$, V. Il : entr'eus tienent content. (Cf. Gaydon,
p. 218.)
On pourrait lire aussi : entr'eus est li contens ( ils
discutent les conditions de la paix).
Ou encore :
De la pais faire entr'eus vont porparlant.
Gui de Nantcuil, p. 94 :
Il ont toute la pès pourquise et pourparlée.
P. 295, V. 20, il faut peut-être lire : com dit totela
gent. Dans le doute, j'ai employé une locution qui se
retrouve partout et qui donne au vers ce sens : 0 Vous
en avez tiré vengeance publiquement. »
P. 298, V. ^ : en Paris ladan. Sic, en un mot.
Ladan me parait être une altération de là dedens.
Notes. 405
P. 301, V. 22 :
Une charée d'avoir li a doné.
AUSCANS, p. !2 :
Une carée porteroit bien de pion.
P. 305, V. I :
Ne pain, ne vin, ne mais ciiar ne poisson.
AuBERi LE Bourguignon, ms. fr. 859, fol.
65 ro, col. 1 :
N'i trouvères pain ne vin ne poisson.
P. 305, v. 10 :
D'or en avant faut ici la chansons.
On lit à la fin de Raoul de Cambrai :
D'or an avant faut la chançon ici.
P. 305, V. Il et dernier: Dex vos garisse. Voyez a
fin de Gui de Nanteuil.
407
ERRATA.
P. 2 s, V. 20 : laisse moi ce penser, lisez laissés.
P. 25, V. 21 : au lieu de saurais, lisez sauriés.
P. 39, V. 2 : ehevir^ lisez chevir.
P. 49, V. 5 : suppléez une virgule après rue.
P. ^3, V. 3 : au lieu àeLifel Macaires, lisez Li fel
Macaires.
P. 65, V. 3 : L^ voit la dame, lisez La voit.
P. 70, V. 17 : au lieu de orf 0, lisez or fo.
P. 88, V. 8 : au lieu de E in sa mairij lisez E in
sa man.
P. 125 : au lieu de ne fesoient en premier y lisez ne
fesoient premier.
P. léi, V. 16 : au lieu de avais, lisez aviés.
P. 167, V. 9 : lisez ainsi ce vers :
Dau roi cCOngrie ja n'en estuet plaidier.
c'est-à-dire : « Inutile de vous raconter longuement
les bontés du roi de Hongrie. » Cette leçon donne
un sens beaucoup meilleur que celui du texte de Ve-
nise, et répare une faute qui m'a échappé pour avoir
suivi ce texte de trop près.
4o8
Errata.
P. i6o, V. 7 : au lieu de dire etcontats, lisez dira
et conter es.
P. 177, V. 14 : au lieu de apente et afiert^ lisez
cpent et ajierî.
P. 18^, V. 2 : au lieu de vais, lisez vai.
P. 2J7 , V. 9 : au lieu de m'en fuis, lisez m'en
fui
P. 241, V. 7 . au lieu de Tôt icel for, lisez Tôt
icel jor.
P. 2^1, V. ^ : au lieu de fier, Wstz fiers.
P. 256, V. 2 : au lieu de parentcson, lisez parenté
son.
m
Maceiire (Chanson de Geste)
PONTirfCAL fNSTfTUTE
OF MEDIAEVAL STUDIES
59 queen's park
Toronto 5. Canada
2 44 5 5